Le Mainois n'avait pu s'empêcher de rire brièvement lorsque Luisa souleva le fait que si son roman ne traitait pas des errants ou de toute autre forme d'apocalypse, il n'y avait pas de raison que ça ne passe pas. Sans doute avait-elle raison, mais le brun se savait pour l'instant bien trop nostalgique de leur passé disparu pour réellement parvenir à se projeter dans un monde -même fictif- qui regorgeait encore de tout ce qu'ils avaient connu. Sans doute qu'il y parviendrait, avec le temps, à parler de cet anciene société qui désormais n'était plus qu'un souvenir lointain sans avoir une boule dans l'estomac, ce fameux poids qui lui rappelait chaque jour le cauchemar dans lequel ils évoluaient désormais. Néanmoins, le brun n'était sans doute pas le plus à plaindre. Il avait encore la chance inouïe d'avoir Hannah auprès de lui, une part de sa famille d'avant. La mexicaine ne pouvait assurément pas en dire tant et, même si le trentenaire aurait aimé lui apporter sa compréhension, il jugeait préférable de ne pas lancer ce sujet sur le tapis, notamment parce-qu'il la respectait suffisamment pour ne pas remuer le couteau dans une plaie qui devait être encore relativement béante.

Lorsqu'il fut question de la manière dont elle se sentait au sein de le groupe, Nigel avait bifurqué dans une rue sur la droite afin d'éviter au maximum le rôdeur qu'ils avaient aperçu un peu plus loin, s'assurant que Marvin suivait toujours. Aux premiers mots de la brune, il lui avait adressé un sourire un peu las empreint cependant d'une certaine bienveillance, réellement content d'entendre que oui, elle se sentait bien parmi eux, et ce malgré toutes les phases compliquées qu'ils avaient déjà dû gérer depuis l'arrivée de la concernée au complexe. Il avait alors hoché la tête, reportant ses prunelles sombres sur la rue pour éviter de trop se laisser distraire par les paroles de sa camarade et pouvoir anticiper au mieux le moindre danger qui se présenterait à eux. Il était vrai que malgré toutes leurs différences et les accrocs qu'il pouvait y avoir, notamment avec Frances, tous avaient su trouver une place bien précise dans le groupe. Comme une famille. Sans doute était-ce le cas mais, en effet, comme venait de le soulever la brune, la famille avait été amputée d'un membre important, l'un de leurs piliers, du moins aux yeux de l'écrivain.

Il s'était automatiquement rembruni en entendant le prénom de celui qu'il avait considéré comme un frère, sa ''disparition'' étant encore bien trop récente pour qu'il puisse ne serait-ce qu'y penser sans avoir envie de hurler. Serrant les dents, le brun avait inspiré profondément, hochant la tête en évitant prudemment le regard de Luisa. « C'est une bonne chose » avait-il simplement répondu lorsqu'elle affirma se sentir entourée, et il était sincère, même si son ton était nettement moins enjoué que quelques minutes auparavant. « Ca a été compliqué avec Frances au début aussi, mais elle n'a pas un mauvais fond. » Sur ces mots, le trentenaire avait adressé un bref sourire un peu las à la brune afin de lui faire comprendre qu'en effet, la coréenne avait un caractère bien trempé mais que ce n'était pas contre elle précisément, ni contre qui que ce soit à dire vrai. Frankie était simplement comme ça, agaçante et dictatrice, les racines coréennes sans doute, mais il avait fini par l'apprécier pour ce qu'elle était, contre toute attente.

Aux derniers mots de la Mexicaine, il lui avait jeté un regard reconnaissant avant de s'arrêter un court instant pour toiser un bâtiment, une épicerie, et s'y engager. Tout était calme, pour l'instant, mais Nigel n'en restait pas moins sur ses gardes. « Merci, Luisa » avait-il adressé à sa compagne du jour en lui lançant un nouveau regard avant de zieuter à nouveau le coin et reprendre d'une voix suffisamment faible pour rester alerte des potentiels bruits environnants. « Je... j'ai encore du mal à croire qu'il ne passera plus la barrière du complexe, qu'on a laissé tomber si vite mais... » Il n'avait pas terminé sa phrase, incapable d'en dire plus, de mettre de réels mots sur ce qu'il ressentait, alors Nigel avait simplement haussé les épaules en signe d'impuissance, prenant entre ses doigts un paquet de riz encore intacte.

Le silence s'était installé suite à ses mots, un silence lourd, pesant, image exacte de ce que ressentait l'écrivain depuis que celui qu'il considérait comme un frère avait disparu. Il n'y avait plus que de la peine, de la culpabilité, de l'impuissance, et tous ces sentiments étaient beaucoup trop lourds à porter. Il l'avait certes déjà fait une fois, après avoir perdu Hannah, mais il n'avait clairement pas été prêt à revivre cela une nouvelle fois. Encore moins à porter le regard plein de représailles de Frances. Ces reproches qu'elle lui faisait, il se les infligeait tout seul mille fois plus, alors si ça lui faisait du bien de s'en prendre à lui alors soit, il n'était plus à ça près. Mais il n'empêchait qu'il restait bien conscient que garder toute cette peine sur lui n'avait rien de bénéfique. La seule personne avec qui il lui arrivait de s'ouvrir un minimum était sa sœur, mais là encore il restait sur la réserve, notamment parce-qu'elle aussi souffrait de la disparition du serrurier. Quel frère serait-il s'il venait pleurer sur son épaule là où elle aussi avait besoin d'un soutien solide ? Non, il ne pouvait se résoudre à se laisser abattre, pour elle, pour eux, mais au fond la culpabilité et la peine le rongeaient bien plus qu'il ne s'en persuadait lui-même.

Évoluant prudemment dans la boutique, l'écrivain tâchait de laisser ses sombres pensées de côté afin de se concentrer au mieux sur sa tâche. Après tout, ils étaient en extérieur, et pas ''en sécurité'' au complexe. Il se devait donc de rester sur ses gardes, ne serait-ce que pour Luisa et Marvin. Ce dernier s'était d'ailleurs éloigné de son côté, traînant entre les rayons. Si à l'époque, Nigel ne supportait que difficilement de voir le canidé s'éloigner seul, il lui faisait désormais suffisamment confiance pour savoir qu'il ne partait jamais bien loin et venait l'alerter au moindre risque. Un compagnon fiable qui lui avait permis de tenir le coup à de nombreuses reprises. L'observant quelques secondes jusqu'à ce que sa queue disparaisse derrière un rayon, le trentenaire s'était mis à fureter dans un rayon, le nez plissé tant l'odeur était difficilement supportable. Du sucre, des olives en boîte probablement périmées. Pas grand chose en somme, mais toujours mieux que rien.

Percevant des pas près de lui, il avait croisé le regard de sa partenaire, lui adressant un bref sourire avant de la voir s'éloigner. Un bruit venait de s'élever du fond du magasin. Et Marvin ne se manifestait pas. Rien de grave ? Mieux valait aller voir pour en être sûrs. C'était du moins ce que s'était apprêté à faire Nigel avant d'entendre un autre bruit sur sa droite, venant du bout de son rayon. Dans la semi-clarté du lieu, il ne remarqua qu'à la dernière seconde l'errant qui se planta juste devant lui, se retrouvant nez-à-nez avec lui. Machinalement, il le repoussa, lui assenant un coup de lame dans le crâne. Son prénom fut soufflé un peu plus loin. Une seconde d'hésitation et un autre mort se présenta devant lui, proche, bien trop proche. Reculant par automatisme, le Mainois se retrouva à trébucher sur une conserve au sol, perdant son arme, s'agrippant dans sa chute à une étagère. L'instant d'après, il se retrouvait coincé au sol sous le meuble, l'errant planté juste au dessus de lui, bien décidé à en faire son en-cas. « Luisa ! » avait-il appelé, paniqué, bien incapable de se dégager du poids qui lui compressait la cage thoracique. L'un de ses bras était douloureusement coincé sous des caisses tandis que l'autre, à peine plus libre, cherchait de quoi assommer le mort à quelques centimètres de son visage.

Suite à son appel de détresse, Luisa n'avait pas tarder à arriver, paniquée. Lui-même essayait de contrôler cette angoisse, de ne pas y céder, bien qu'il se sentait fait comme un rat. Sans l'intervention de la brune, nul doute que sa situation aurait été nettement plus problématique mais elle se chargea rapidement de dégager l'errant qui le surplombait, le mettant hors d'état de nuire. Du moins c'était ce que suggérait le Mainois lorsqu'il n'entendit plus les râles du rôdeur, bien incapable cependant de lever suffisamment la tête pour voir ce qu'il se passait non loin de ses pieds.

Lorsque le visage de la mexicaine apparut dans son champ de vision, un sourire soulagé avait animé ses traits las. « Ça va, je n'ai rien » avait-il lancé, le souffle court. Du moins l'espérait-il, parce-qu'il ne sentait clairement plus son bras, celui qui était bloqué sous l'étagère, et le meuble qui pesait sur lui commençait sérieusement à compresser sa cage thoracique.

Voyant alors qu'elle tâchait de dégager l'étagère, il tenta de lui apporter son aide en puisant dans ses dernières pour le pousser également de sa main libre. Sans grand résultat. Le meuble n'était descendu que de quelques centimètres, pas suffisant pour le libérer de son entrave mais lui permettant néanmoins de prendre une grosse bouffée d'air. Un peu douloureuse mais vitale. Il dut alors se rendre à l'évidence : l'étagère était bien trop lourde pour qu'ils ne parviennent à la repousser à la simple force de leurs bras. Soupirant en laissant retomber sa tête sur le sol, il inspira. « Si tu me laisses une arme tu pourras aller chercher quelqu'un, je devrai pouvoir me débrouiller... » avait-il suggéré, bien conscient qu'au vu de la distance qui les séparaient du complexe, il aurait clairement le temps de mourir dix fois. Sans compter le fait que c'était son bras gauche qui était coincé sous l'étagère, il lui faudrait donc réussir à s'improviser droitier le temps que les secours n'arrivent...

Hasardant tout de même un coup d’œil autour de lui, le brun cru percevoir ce qui semblait être une barre en métal. Peut-être que ça valait le coup d'essayer ? Ils n'avaient rien à perdre de toute façon, hormis quelques précieuses minutes. « Attends, regarde, là-bas... peut-être que tu pourrais faire levier ? » avait-il lancé en désignant la barre de sa main libre, espérant qu'elle soit assez longue pour que la brune puisse avoir une prise correcte.