Les souvenirs que j'avais de cette femme remontèrent peu à peu à la surface. Une personnalité atypique, il n'y avait aucun doute. Elle avait des origines européennes si je me rappelais bien. J'avais faite sa connaissance plusieurs années en arrière lorsque Seattle avait eu son propre épisode de Jack l'Éventreur. Les deux premiers meurtres avaient été passés sous silence, uniquement traités par la criminelle du SPD mais dès le troisième, le FBI avait été sollicité car les détectives de la criminelle étaient convaincus d'avoir affaire à un tueur en série. Moi-même de mon côté, j'en avais eu vent et j'avais espéré que l'enquête nous soit confiée, ce qui fut fait une semaine plus tard lorsqu'un troisième corps fut découvert et tué selon le même mode opératoire : une gorge tranchée, la victime saignée à mort et des lacérations post-mortem. Mais il y avait un élément que les détectives de la criminelle du SPD avaient négligés : l'arme du crime. Très vite, nos investigations nous avaient mené à une coutellerie de Seattle, un magasin où travaillait... Kara. Je m'en rappelle plutôt bien, il pleuvait ce jour là, je portais mon pardessus imperméable noir près du corps et Kara avait regardé ma carte de Special Agent d'un air circonspect lorsque je me suis présentée à elle. Les légistes fédéraux avaient reconstitués une lame à partir des blessures sur les victimes et j'étais venue dans la coutellerie pour voir si la gérante pouvait me dire de quel genre de couteau il s'agissait. La pêche était bonne car l'arme du crime présumée provenait bien de son magasin et grâce à ses informations sur ses ventes, un nombre restreint de personnes purent être identifiées. En à peine une paire de semaines, l'enquête sous mon impulsion avait beaucoup plus avancé qu'en un peu plus d'un mois d'enquête de la criminelle. Grâce à l'aide d'un profiler dépêché par le chef, un profil psychologique du tueur fut établi et le suspect appréhendé avait pu être neutralisé et sa culpabilité avérée. Comme l'on s'y attendait, le meurtrier était une personne dérangée mais exerçant une fascination morbide pour les romans traitant de tueurs sanglants, les romans de Doyle traitant de Jack l'Éventreur en bonne place. Malheureusement pour lui et heureusement pour nous, ce pauvre type n'avait pas les mêmes compétences anatomiques que le maudit tueur de Whitechapel.
J'avais revu Kara quelques mois plus tard, cette fois dans un objectif totalement différent. Un de nos collègues partait à la retraite et le sachant passionné de couteaux -c'était lui qui nous avait aiguillé sur la boutique de Kara en premier- je comptais lui faire ce petit cadeau pour son service. La commande avait été soignée et réalisée par les soins de la jeune blonde viking. Nous avions un peu discuté lors de cette rencontre, je lui avais notamment dit que le tueur avait été arrêté et mis en prison avant qu'elle ne me parle de son commerce. Je pensais cette Kara morte à l'issue de la crise qui nous frappa en septembre 2015 mais quelle ne fut pas ma surprise de la reconnaitre en ce jour d'hiver 2016. Je sortais du No Man's Land, un brusque et vif vent s'était levé en agitant les rares arbres autour de l'entrepôt.
Le peu de conversation qu'il m'ait été donné auprès du vieux Eddy avait été intéressante à défaut d'être fructueuse. Tout ce qu'il me conseillait de faire, c'était d'être prudente lorsque je fortifiai mon appartement. Je remerciai le vieux avant de repartir. Je réajustai mon gilet pare-balles avec mon t-shirt à manches longues en dessous avant de faire glisser les manches de mon blazer noir par dessus mon gilet pare-balles légèrement épais qui avait connu des jours meilleurs. Tout en marchant, je vérifiai une dernière fois la ceinture de mon jean attachée à mon holster de Glock et le cran de sûreté de mon M4 puis une fois au dehors, je refermai la porte. Mon attention fut aussitôt attirée par des éclats de voix et un cri de rage en provenance de plusieurs mètres plus loin. J'ôtai la sécurité de mon M4 et le corps mû les années d'expérience de police fédérale, j'en m'engageai prudemment vers ce qui paraissait être une rixe, l'arme en avant. Je mis quelques secondes pour rejoindre le lieu de la dite rixe et je vis trois hommes qui tâchaient de s'en prendre à une femme chargée de plusieurs choses encore non identifiées, j'étais d'ailleurs plus occupée par ce qui se passait. Tout alla très vite. D'un mouvement de tête, cachée derrière le capot d'une voiture à la vitre brisée, je vérifiai qu'il n'y avait personne aux alentours, goules comme vivants et j'activai le mode semi-automatique de mon fusil d'assaut puis j'ajustai un tir par la lunette de mon M4.
Le coup partit et j'atteignis l'un des assaillants qui essayait de ramasser des trucs à terre en pleine tête. À cette distance, j'étais sûre de faire du dégât et les deux autres aminches oublièrent un instant la femme qui avait l'air mal en point en cherchant l'origine du tir. L'un d'eux regarda dans ma direction peu après mais j'eus tout le loisir d'ajuster le tir pour l'atteindre en pleine gorge et l'empêcher de crier davantage. Son comparse prit un air apeuré et au lieu d'aller aider le blessé il préféra prendre la fuite. J'essayai de l'atteindre en pleine course mais manque de précision, ma balle partit s'encastrer dans une camionnette à côté. Voyant que l'autre continuait de fuir, je m'approchai en pointant le canon de mon arme vers le blessé à la gorge qui ne fit qu'un gargouillis infâme en guise de réponse à mon approche. Je le fis taire d'un coup de pied en plein visage, maculant mes Converse de quelques gouttes de sang avant de m'approcher de la femme pour voir si elle allait. Je la fixai un instant pour m'assurer qu'elle était encore vivante lorsque je retournai la femme blonde avant la prise de pouls et de respiration. Oui elle respirait, c'était bon signe. Je ne la jugeai pas dans un état trop grave pour être déplacée et je la redressai pour l'adosser contre la roue de la camionnette. Je la regardai de près pour voir si elle allait se réveiller et je maugréai contre moi même pour avoir laissé ma voiture plus loin que je ne le pensais. Mais son visage me disait quelque chose. Oui... j'étais même certaine de l'avoir déjà aperçue quelque part.
Puis la vérité s'imposa à moi après quelques secondes de réflexion. Oui, c'était la vendeuse de la coutellerie ! Comment elle s'appelait déjà... Kara voilà ! J'écarquillai les yeux en la regardant en tentant d'effacer mentalement les bleus et les quelques traces de saleté ou de coupure. Oui c'était bien elle... et elle paraissait mal en point. Merde, je devais l'amener à ma voiture et j'en avais pour bien une dizaine de minutes de marche car elle n'était pas à côté.
Madame Moreau ? Vous m'entendez ? Kara ? Merde... Accrochez vous, je vais vous porter jusqu'à ma voiture. Restez avec moi.
Je fis passer mon M4 devant moi et dans un grognement d'effort, je soulevai la jeune femme sur mes épaules. Elle n'était pas aussi lourde que je ne le pensais mais il fallait faire vite. Son état pouvait empirer et le connard de tout à l'heure aurait pu aller chercher des renforts.