Les derniers jours avaient représenté pour la jeune femme les plus grandes montagnes russes émotionnelles de sa vie. Rencontrer Connor et apprendre que Shawna était en vie. Découvrir le ranch dévasté. Retrouver sa sœur.
Après avoir vécu tout ça, se retrouver dans une pièce emplie de personnes -plutôt civilisées- au côté de sa sœur avait quelque chose de tout à fait irréel. Heureusement qu'elle lui tenait la main, sinon elle n'y aurait pas cru.

Ils parlaient de leur futur et Jazz se sentait un peu voyeuse dans une discussion qui ne la concernait pas vingt-quatre heures plus tôt. Certains voulaient déménager, dont Connor. Très franchement, elle ne pouvait que les comprendre. Les impacts de balles, les dernières traces de sang et le court récit qu'on lui avait fait des évènements étaient autant de choses qui l'auraient fait courir très loin s'il n'y avait pas eu Shawna.
Shawna... Elle ne pouvait pas s'empêcher de lui jeter des coups d'oeil à chaque instant, comme si elle craignait de la voir s'évaporer d'une seconde à l'autre, ou pire, se briser en petits morceaux. Ce lieu qui avait un jour été son foyer était maintenant taché par de trop nombreuses morts, et Jazz avait peur des effets que ça pourrait avoir sur elle.

Quand elle ne surveillait pas la réalité de sa sœur, elle observait les présents dont elle reconnaissait quelques têtes. Roza dont elle apprenait qu'elle pouvait faire un nombre conséquent de phrases sans les ponctuer de coups de poing. Quoique. C'était peut-être moins physique, mais les piques verbales qu'elle lançait atteignaient clairement leur cible. Aïe.
Il y avait aussi Connor, évidemment. Et puis quelques autres qu'elle avait croisés la veille et dont elle ne se rappelait plus le nom, le cerveau trop embrumé par la plénitude des retrouvailles.

Et voilà, il suffisait d'un instant le regard ailleurs pour que sa sœur se jette dans la discussion. Ne pouvant l'abandonner au milieu de tout ce monde, elle lui emboita le pas, prête à assassiner d'un regard quiconque ne prendrait pas des pincettes pour lui répondre.
Dire quelque chose ? Elle sentait que ses mots n'auraient aucun impact sur ces gens qui ne la connaissaient pas, et qui étaient les nerfs trop à vif pour entendre raison. Non, elle n'était pas assez légitime pour ça.

Spoiler:

Deux jours. Quarante-huit longues heures. Sere aurait bien voulu dire qu'ils allaient mieux, mais ce n'était pas le cas. Peut-être n'étaient-ils plus couverts de sang, mais elle était couverte de honte. Visiblement, Jesse aussi. La militaire avait au moins pu lui en parler, trouvant refuge dans ses paroles et la façon qu'il avait de l'écouter. Le bouclé la comprenait, et elle le comprenait lui, c'était suffisant pour alléger ce fardeau qu'elle portait depuis leur retour. Elena avait insisté pour lui dire que rien de tout ça n'était de sa faute, pourtant, et si elle savait que la leader le pensait vraiment, ce n'était pas son cas. Au contraire, ce rôle qu'elle avait endossé au front aurait dû lui convenir; elle était faite pour ça. Enfin, il était trop tard maintenant. Rien ni personne ne pourrait lui faire croire qu'elle n'aurait pas pu faire mieux, et malheureusement, la brune ne pouvait plus revenir en arrière.

Selene prenait la parole, à la salle commune. Un petit attroupement l'écoutait péniblement, tous concernés par ses paroles. Pour Reena, il était clair que la responsable de la prison avait raison. Ils ne pouvaient tout simplement pas rester ici. Déjà, Ashley s'insurgeait. Elle s'était isolée - blessée, meurtrie - et avec raison. Mais elle crachait son venin à son amie, désormais, avant l'intervention de celui qu'elle ne connaissait que par son prénom; Connor. Et que ça lui plaise ou non; ce dernier aussi avait raison. Tout comme Roza qui l'appuyait. Au moins, à ce sujet, la miss était de l'avis de la tatouée. Certains gardaient le silence tandis que son regard noisette se portait sur Jesse avant de se rapprocher de lui un brin, le questionnant silencieusement. Mais la maman de Hope marquait un point, malgré tout. Il ne connaissait pas non plus cet allié qui était, jusqu'ici, un mystère bien gardé. 

Pour une des rares fois dans sa vie, Serena ne savait pas quoi faire. Oh, elle ne parlait pas d'Ashley. Elle ferait bien ce qu'elle voulait; elle était maître de ses décisions. Mais c'était le deuil qui parlait, il ne fallait pas le prendre personnel. Shaw éclatait, d'ailleurs, défendant son chef bec et ongles aux côtés de sa soeur récemment retrouvée. Le mexicaine soupira. Tout le monde était à vif, et l'angoisse venait peu à peu serrer son coeur de les voir tous se déchirer ainsi. Mais elle balaya tout ça du revers de la main, demeurant stoïque avant de prendre la parole. "Okay, okay! S'énerver ne servira à rien du tout." dit-elle en haussant un peu le ton, désirant calmer le jeu. Puis, faisant carrément abstraction de ce que les siens pouvaient bien dire, elle posa les yeux sur Selene. "C'est qui, ton allié? Comment peut-on lui faire confiance? Peut-être que tout le monde ici serait rassuré si tu nous en disais un peu plus sur lui...?" Regard entendu. Elle était déjà convaincue, mais visiblement, ce n'était pas le cas de tout le monde, et mieux valait parler que de s'entretuer, putain.

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Imperceptiblement, les yeux de la grecque s'étaient écarquillés aux propos de Connor qui répondait sans détours à Ashley. Froidement. Bon sang, la vie loin de la civilisation lui avait arraché jusqu'à la dernière miette de tact ? Bien sûr, la priorité du sportif avait toujours été de protéger les siens, et dans ce cas de figure la seule option semblait être celle proposée par Selene. En même temps, tout semblait une meilleure idée que rester là où leurs ennemis reviendraient forcément. Elena comprenait l'agacement de son compagnon. Il avait dû quitter le ranch pour trouver des alliés, fuir sa maison, sa famille pour garder l'anonymat. Mais la grecque comprenait Ash également. C'était là qu'il reposait, avec les autres. Issaquah n'était pas seulement un toit sur leur tête, des terres généreuses et un cadre sympathique. C'était un refuge pour les naufragés qu'ils étaient tous. C'était ce petit groupe qui avait recueilli les rescapés d'un long périple. C'était des souvenirs, des promesses, des pleurs, des amours. Comment penser qu'on pouvait fermer la porte aussi simplement ?

Roza en rajouta une couche, et cette fois la grecque fut forcée d'intervenir. Parce qu'elle ne pouvait les laisser dire. Si elle les aimait tous les deux, il n'empêchait que l'un comme l'autre n'avaient pas vécu l'oppression sous le même angle. Ils n'étaient pas là pour passer devant la chambre vide de Hope, Ludwig et tous les autres. Pour entendre les pleurs discrets de Eileen tard le soir. Les promesses échangées entre Jon et Ash qui s'étaient jurés de ramener leur fille chez eux. « ça suffit. Tous les deux. » insista la jeune femme en braquant son regard sombre sur Roza, puis, plus longuement sur Connor qu'elle implorait silencieusement de se montrer plus empathique. « Pour toi le ranch n'a toujours été qu'un pied à terre de passage Roza. Quant à toi, tu as fait le deuil de cet endroit depuis un moment déjà... » Elle soupira, croisant furtivement le regard rougi de Ash. « Nos morts sont ici. Nous avons vécu sous le joug de nos ennemis pendant de longs mois, unis, sous ce toit. Nous avons travaillé pour l'améliorer, pensé sur le long terme, imaginé nos vies et celles des enfants ici. C'est notre maison. »Ses yeux avaient balayé l'assemblée autour d'elle. Tous ces visages sur lesquels elle rêvait de retrouver un peu de légèreté. Ils méritaient tous tellement mieux...

« Pour autant, Selene a raison. Nous pouvons reconstruire ça ailleurs. Peu importe où. Nous le devons. Issaquah ne sera plus jamais le havre de paix que nous avons connu. Plus jamais nous ne pourrons songer à l'avenir entre ces murs. » Pas avec tous ces fantômes autour d'eux. Pas avec la menace qui planait au dessus de leur tête. Est-ce qu'elle y croyait vraiment ? Honnêtement, la brune était fatiguée de sans cesse rebâtir. De repartir à zéro à chaque fois. De sentir l'espoir croître sous sa poitrine pour s'envoler l'instant d'après. Elle adressa néanmoins un regard désolé à Ashley. « C'est injuste de devoir fuir comme ça, c'est vrai... Mais nous ne les abandonnons pas. Nous partons pour vivre, Ash. Ensemble. Ils seront là dans chacun de nos souvenirs. Personne ne t'enlèvera ça. »

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Il était nombre de réactions à ce qu’il disait, mais venant de Shawna, c’était inédit. Il la fixa avec les yeux ronds avant de sentir une pointe de colère grimper dans son ventre vitesse grand V. Ses poings se serrèrent, et parce qu’il n’y allait pas dans la demi-mesure, il fit un pas lourd vers la métisse en désignant Ashley d’un index accusateur :

« Tu crois que c’est lui rendre service que de la laisser prendre ces décisions-là ?! Elle vous dit TEXTO qu’elle veut rester ici pour mourir avec sa fille et vous réagissez pas ? Elle est en deuil ?! J’suis dans un putain de cauchemar là ! » C’était ça le pire : l’absence de réaction des siens. Qui se morfondaient dans le silence et l’acceptation d’abandonner Ashley ou de le laisser croire. Un deuil, ça mettait des mois à se faire. Elle ne changerait pas d’avis dans l’heure, et il savait que Shawna la soutenait parce qu’elle se retrouvait dans cette décision. Pour Axel. « Sa tombe, ce n’est pas lui ! Et rester pour crever, ça le ramènera pas ! »

Cette croix n’avait jamais représenté Axel, et encore moins Jon. Isha n’était pas d’avantage dans cette pièce que dans l’esprit de sa petite sœur qui lui survivait. Sarah, qu’il avait retrouvé sous terre elle aussi, ne serait jamais ce lieu. Il n’avait plus que des souvenirs, de ce qui le rattachait à sa vie d’avant. Mais les souvenirs s’effaçaient progressivement, comme la douleur. Il n’avait jamais eu besoin de revenir à Tacoma pour penser à Alan ou Christina. Encore moins à Arthur.

Serena intervint heureusement et il retint sa respiration. Au moins se concentrait-elle sur l’essentiel. Avec un peu de chance, Selene parviendrait à remettre la discussion sur ce qui comptait vraiment. Et oui, lui avait fait le deuil depuis longtemps du ranch. De son sanctuaire. Ce qui le rendait fou, c’était que personne d’autres ici ne s’étaient préparés à la même chose que lui : partir. Que croyaient-ils ? Que les choses reviendraient à la normale une fois les otages rentrés à la maison ? ça avait toujours été écrit qu’il fallait s’en aller. Il n’arrivait pas à décolérer malgré l’intervention bien plus sage d’Elena. Et ses yeux bleus se tournèrent vers Ashley. Dans son regard, il y avait un message parfaitement lisible à son égard : J’te laisserais pas te suicider et embarquer Hope avec toi. Pas après tout ça.

Et qu’elle l’entende ou non, c’était pour Jon qu’il le faisait.

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Trouvant enfin le regard de Serena, le bouclé avait brièvement hoché la tête, affirmant silencieusement que Selene n'avait pas tort. Cependant, les mots d'Ashley le clouèrent sur place. Elle resterait ici ? Vraiment ? La suite permit à sa panique intérieure de devenir une réelle rage. Certes, rester ici était une mauvaise idée, mais qui se prenait ce type au juste pour l'ouvrir de la sorte ? Avait-il vécu ou ressenti ne serait-ce qu'une once de ce qu'ils avaient vécu ces derniers jours ? Il y avait des manière de dire les choses et monter dans les tours n'arrangerait rien. Roza n'arrangea d'ailleurs pas les chose, si ce n'est qu'un ''s'il te plaît'' fila dans sa phrase. Ne retenant pas un soupir las, le blond se passa une main sur le front alors qu'Ashley rétorquait. Bien sûr, il comprenait tous les points de vue, mais sérieusement, après tout ce qui était arrivé, avaient-ils seulement besoin de se déchirer de l'intérieur ?

Totalement désabusé, il ne dit rien pour l'instant. Voyant Serena calmer le jeu, poser les bonnes questions, suivie d'Elena. C'était ce qu'il fallait : réfléchir posément et ne pas se déchirer inutilement. Pas après tout ça. Bien sûr qu'il comprenait Ashley, Shawna, et tous ceux qui avaient ici un être cher, sous terre. Mais malgré sa colère envers le ton de Connor, il ne pouvait qu'approuver : ce lieu n'était pas eux. Rien ne les ferait revenir. Et ils devaient vivre, reconstruire quelque chose quelque part, ensemble, parce-que c'était la seule solution. Et Jesse se refusait de perdre ce qui se rapprochait le plus d'une famille. Pas après avoir eu à faire le deuil de son frère et sa sœur.

Les questions fusaient et lui restait silencieux, contrôlant difficilement sa colère intérieure. Ils ne pourraient se décider qu'une fois qu'ils auraient plus d'informations de Selene mais une chose était certaine : il ne resterait pas ici, et mieux valait que tous ceux qui comptent réellement pour lui n'y restent pas non plus. Pas même Ashley et Hope.

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Selene s’attendait effectivement à prendre un retour de bâton à propos du fait qu’elle ait compartimenté l’information mais elle n’aurait jamais parié sur Ashley. Elle encaissa sans rien dire, par respect pour son amie qu’elle voyait – et savait – déchirée par le deuil. Tout sembla alors se passer à l’envers car ses premiers défendeurs, ou en tout cas les personnes qui défendirent sa cause, furent Roza et Connor. Douce ironie. Pudiquement, la musicienne assimilait les questions mais n’osait s’imposer dans une discussion houleuse qui concernait d’abord les habitants du ranch. Ceux de la prison avaient déjà tiré un trait sur leur maison, n’est-ce pas ?

- Ashley…, intervint-elle doucement, je sais ce que tu ressens. On sait tous ce que tu ressens, elle se détestait, de devoir prendre ce rôle de moralisatrice avec la plus vieille de ses complices, on a tous perdu des proches depuis le début de tout ça et si aucun de nous n’était allé de l’avant, on ne se serait jamais trouvés, elle marqua une pause, espérant avoir ramené le silence, pour ajouter autant pour la jeune mère que pour les autres, mon fiancé est enterré à la prison où on vivait. Lui et d’autres personnes qui nous sont chères. Elles s’appelaient Abigail, Breann, William, Alma et Arun, donner leurs noms, c’était les rendre plus perceptibles, n’est-ce pas ? avant ça, j’ai été dans deux autres refuges où on avait enterré d’autres personnes. Flann et Aori. Je ne les ai jamais oubliés, je ne les oublierai jamais ! Mais j’ai toujours fait le choix… de faire ce qui était le mieux pour les vivants. Parce que je ne pouvais plus rien pour les morts.

Elle s’arrêta un peu brusquement, la voix écaillée par la peine. Le temps de refouler les larmes et s’éclaircirent la gorge. Selene savait qu’en temps voulu, Ashley se souviendrait qu’elle avait renoncé à sa propre maison pour venir seconder la sienne.

- L’homme dont j’ai parlé s’appelle Deaglan, il fallait bien reprendre le sujet commun, il… il a bien plus à craindre de nous que nous de lui. Il ne vit qu’avec sa fille et il est… encore d’une naïveté rare pour quelqu’un qui a survécu aussi longtemps, ce n’était pas très gentil mais elle savait qu’il le lui ferait payer par sa mauvaise humeur, je n’en ai pas parlé parce que je voulais verrouiller une issue de secours : si je l’avais divulgué avant, alors nos ennemis auraient pu apprendre pour lui comme ils ont appris pour la prison, il n’y avait pas de jugement dans sa voix mais un constat : ils avaient été vendus, je comprendrais que vous le preniez comme un manque de confiance mais je ne regrette pas d'avoir pris cette précaution, elle hocha légèrement la tête pour approuver ses propres paroles, si je devais vous convaincre… je dirai que l’enceinte est complètement fermée, qu’il a de quoi cultiver et élever des animaux, il a une glacière pour garder des aliments au frais, une forge qui pourrait nous permettre de fabriquer des armes ou des outils, des maisons pour tous et… tout ce qu’on pourrait espérer pour repartir de zéro.

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