James Finnegan est le petit-fils d'un immigré irlandais, un pharmacien, installé à Seattle depuis des années. Son père a pris le flambeau de l'entreprise, et à développé la partie laboratoire, petit à petit, jusqu'à s'imposer dans la courses aux plus importants laboratoires pharmaceutiques. Lorsque le temps fut venu, James prit à son tour la tête de l'entreprise, et la dirigea avec une main de fer pour la faire évoluer. C'est une entreprise prospère, avec des filiales un peu partout dans le monde. Alors qui aurait pensé qu'il tomberait amoureux, à trente-cinq ans, d'une fille de la campagne, du côté de Galway, lors d'une visite à sa tante ? Une petite princesse des landes irlandaises, à la chevelure noire et aux yeux verts, qu'il voyait ramener les chèvres de son père. Maureen n'avait que 19 ans à peine, alors que lui en avait déjà bien plus. Et pourtant, elle tomba amoureuse aussi vite que lui, lorsqu'il se présenta chez elle, à sa porte, pour lui déclarer sa flamme. Les yeux émeraudes brillaient de découvrir le monde de son amour, les grandes soirées, les réceptions, la douceur d'une vie sans soucis financiers. Seulement, ce n'était pas vraiment ce qu'elle avait espéré.

Le mariage fut la première étape. Un grand mariage, avec beaucoup d'invités, dont les trois quart qu'elle ne connaissait même pas. Une belle robe blanche, une alliance sertie de diamants, une réception à en faire pâlir les plus grandes familles royales. James était fier de montrer sa belle et jeune épouse à tout le monde, mais en réalité, c'était surtout l'occasion parfaite pour lui de montrer ce qu'il valait, devant une foule de collaborateurs et de partenaires – présents ou futurs -, d'élargir son cercle social, de faire passer de jolies cartes de visites. C'est là que Maureen rencontra Siobhàn Chambers, venue accompagner son mari, que James soutient dans ses projets politiques à coup de généreuses donations.

La désillusion se fit de plus en plus forte, alors qu'elle n'arrivait pas à donner un enfant à son mari. Il vieillissait, et elle aussi, bien qu'ils aient une quinzaine d'années d'écart. Mais celui ci lui reprochait tout le temps, à chaque nouvelle arrivée de ses règles, à chaque test négatif, l'attente qu'elle lui imposait en ne tombant pas enceinte. Pourtant, lorsqu'elle émit le souhait de partir quelques temps en Irlande, de quitter Seattle pour se mettre au vert, il accepta, et c'est la que le miracle se produit.

Neuf mois plus tard, plus ou moins, elle posa enfin ses prunelles vertes dans celles plus claires encore de son fils, du seul enfant qu'elle n'aurait jamais, elle en était persuadée. A cinquante ans, James avait enfin l'héritier qu'il avait tant attendu, Sean James Finnegan. Oubliés les reproches, non seulement elle lui avait donné un enfant, mais un fils de surcroît. A trente-quatre ans, Maureen était enfin mère, et avait retrouvé une raison de vivre.

Est ce que cela changea la relation de ses parents ? Pas vraiment. Maureen n'était plus amoureuse de cet homme qui n'était finalement pas celui dont elle était tombée folle en Irlande. Et James avait pris des maîtresses bien plus jeunes que sa femme depuis qu'elle avait dépassé la trentaine. Entre eux, il n'y avait plus qu'un rapport cordial de femme à époux, et pendant qu'il allait travailler ou jouer au golf, elle restait à la maison à s'occuper de son fils. Voilà ce qu'était le modèle familial de Sean. Un père influent, très absent, qui menait tout d'une main de maître, et une mère soumise, restant au foyer, à sa place, et que son père ne sortait que pour la faire parader dans les galas, pour faire croire à tout le monde qu'ils étaient heureux et que tout était parfaitement parfait.

De fait, c'était un enfant particulièrement couvé par sa mère, de par son statut d'enfant unique longtemps attendu, déjà, qui accentuait l'attachement extrême que ressentait sa mère envers lui. Mais aussi parce que finalement, n'ayant plus de contact avec ses parents depuis son départ d'Irlande après la naissance du petit, il était la seule personne qu'il lui restait à aimer. Elle ne voulait qu'il lui arrive jamais rien, qu'il soit toujours à l'abri de tout. Elle le protégeait des dangers, du monde extérieur. Sean fut instruit pendant longtemps à domicile, par des professeurs particuliers, pour ne pas le mêler aux autres, parce qu'elle voulait le garder pour elle.

Finalement, c'est son père qui forcera Maureen à l'envoyer à l'école à l'âge de huit ans. Pour leur bien, à l'un comme à l'autre, sans penser un seul instant au fait que ça allait plonger la mère de famille dans une profonde dépression. Sean, de son côté, se sentit revivre, rencontrant d'autres enfants de son âge, développant un esprit malin, mettant à profit les techniques de manipulation qu'il avait pu mettre en œuvre sur ses professeurs ou sa mère, pour se créer un petit cercle social. Dans une école privée où tous les enfants étaient issus du même cercle social, il se sentait comme un poisson dans l'eau. Sans savoir que son enfance ne serait pas vraiment dorée.

• OCTOBRE 2015 / SEATTLE

« Je crois que tout est bizarre autour de nous. Hier soir, j'ai entendu maman pleurer dans sa chambre, et papa lui parlait de choses que je comprenais pas trop. Un truc avec un virus, ou je sais pas quoi, qu'il devait partir au bureau alors que c'était la nuit, qu'il y avait énormément de travail et qu'elle se rendait pas compte. Elle lui a hurlé dessus, en lui disant qu'elle était certaine qu'il allait encore voir une de ses... J'ai pas bien compris le mot, mais ça avait pas l'air gentil, parce qu'il a hurlé encore plus fort, et qu'il a claqué la porte derrière lui en partant avec des messieurs qui portaient des armes. Maman a pleuré, encore et encore. Elle a téléphoné à Mme Chambers, et elles ont parlé longtemps. Moi... Je sais pas trop quoi faire et quoi dire, ils m'ont dit que j'irai plus à l'école pour l'instant, que c'était trop dangereux, trop risqué, que je devais rester avec maman. Je les écoute hein, j'ai pas trop le choix. J'ai allumé la télévision en cachette hier soir, et aux infos ils ont montré des gens bizarres, qui cassaient des magasins pour voler des choses à l'intérieur. Ils ont dit qu'ils allaient mettre l'armée dans certains quartiers. Pourquoi ? Il se passe quoi dehors ? Maman dit qu'on est en sécurité dans notre maison, qu'il nous arrivera rien, mais elle a l'air d'avoir peur aussi, sa voix tremble. »

• OCTOBRE 2015 / SEATTLE

« Papa n'était pas rentré depuis quatre jours, et il a une sale tête. On dirait qu'il a arrêté de se raser, et il a l'air tellement fatigué. J'étais assis dans le canapé pendant qu'ils parlaient dans la cuisine tout à l'heure. Papa s'est mis à pleurer, il ne pleure jamais. Je crois que c'est vraiment grave. »

« On est venu nous chercher aujourd'hui, c'était drôlement impressionnant ! Y'avait beaucoup de gens de l'armée, avec leurs fusils, et ils nous ont mis dans une voiture blindée. On a roulé quelques temps, jusqu'à un endroit qui ressemble à un village avec des gens et des militaires, c'est bizarre. Ils nous ont dit qu'on était en sécurité ici. Moi je suis content, parce qu'il y a Mr et Mme Chambers ici, et je les aime bien. Maman a retrouvé son amie, elle a l'air contente. Papa parle beaucoup avec les gens d'ici, je sais pas trop pourquoi, mais ça a l'air important. »

• 25 AVRIL 2016 / FORT WARD

« C'est mon anniversaire aujourd'hui, j'ai 11 ans. Ca fait bienôt six mois qu'on est ici, aussi. Je m'y plaît bien. Y'a pas trop d'enfants de mon âge, mais y'a quelques enfants quand même, parce que des familles sont arrivées après nous, et y'avait déjà des gens ici. Mais je crois que dans l'ensemble ils m'aiment pas trop. Pourtant je leur ai dit qui était Papa, je leur ai parlé de notre vie d'avant, mais je crois que dans l'ensemble, c'est eux qui sont pas très sympa. On nous a donné une maison. C'est pas comme chez nous, c'est moins joli, y'a moins de déco, et surtout on a plus de femme de ménage, mais ça passe, j'ai une grande chambre quand même. »

• AOUT 2016 / FORT WARD

« Il s'est passé un truc, j'ai entendu hurler aujourd'hui, ça a beaucoup tiré aussi. Apparemment y'a des gens qui sont rentrés chez nous, enfin je veux dire dans le camp. Maman et moi on a été transféré ailleurs, le temps que ça se calme, avec d'autres. Mais les gens sont très tristes, et je crois qu'il y a eu beaucoup de gens morts. Ca me fait de la peine... »


• OCTOBRE 2016 / FORT WARD

« J'en ai vu un. Pour de vrai. Je pensais pas que j'en verrai un, un jour. Les gens qui arrivent du dehors en parle, ils les décrivent. Ca me suffisait à les imaginer, mais là, maintenant, je sais vraiment à quoi ça ressemble. Ce que ça sent. C'est horrible, et j'ai eu très peur pour maman, parce qu'elle a failli se faire attraper par une de ces choses. Mon dieu, est ce qu'on devient vraiment comme ça quand on meurt alors ? Il paraît que c'est quelqu'un d'ici qui s'est tué lui-même. Pourquoi les gens font ça ? Moi j'ai peur, ça veut dire que ça peut vraiment arriver ? Qu'on est pas en sécurité ici ? Papa nous dit que oui, que c'est juste un accident. J'ai envie de croire papa, mais quand même, quand je vais me coucher, je revois ce truc là, avec sa bouche à moitié arrachée, et les gens qui hurlaient, et hurlaient... J'espère que j'en reverrais plus jamais. Plus jamais. »

• NOVEMBRE 2017 / FORT WARD

« J'écris moins souvent. J'ai eu douze ans y'a six mois. Mais il s'est passé un truc super grave. Y'a eu un tremblement de terre. Un gros. Y'a beaucoup de choses qui se sont effondrées, y'a eu des morts. Et puis les macchabées sont arrivés. Ca puait c'était impressionnant ! J'en ai jamais vu autant en même temps. Je sais pas ce que ça va donner la suite de tout ça, mais j'fais confiance. »

• FEVRIER 2018 / FORT WARD

« Je... Je sais pas quoi dire. J'crois qu'on est encore sous le choc en vrai. Il s'est passé des choses. Beaucoup de choses, et on a pas tout compris. Ca faisait un moment que j'entendais papa en parler à mi-mot, que j'attrapais des bribes de conversations dans le camp. Comme quoi Chambers, c'était plus vraiment le mec à suivre, qu'il valait peut être mieux sans débarasser. Mais j'pensais pas que quelqu'un aurait le cran de le faire. Pourtant... Pourtant c'est fait. Faut dire qu'il a pété un plomb le mec. Quand ça a commencé à vraiment chauffer pour son cul, il a pris Mme Chambers et sa fille en otage, on s'connaissait tous les deux, et puis... Ils sont morts. Ptain c'est vrai, ils sont morts quoi. Du coup, c'est June qui a repris la main. On la connaît un peu. Enfin papa et maman l'ont déjà croisées en soirée, et je crois que maman l'aime bien. Elle est triste, ma mère, elle a perdu son amie quand Mme Chambers est morte. Moi... J'crois qu'j'suis trop jeune pour comprendre tout ça. J'veux dire j'suis pas débile hein, j'ai bien capté que c'était un truc important, et que ça changeait des trucs dans le coin, mais c'est pas vraiment nos oignons tout ça. On a pas à s'en mêler. De toute façon, c'est toujours pareil, nous, on est des enfants d'après eux, ils comprennent juste pas qu'on a grandi plus vite que ce qu'ils pensent. »

• 2018 / FORT WARD

« J'me suis dit qu'il fallait que j'écrive un peu. Que c'était important de garder une trace de tout ça. J'ai pris treize ans cette année. Au plus j'en prend, au plus j'ai l'impression que maman vieillit. Elle a l'air triste, fatiguée. Elle a les traits de plus en plus tirés. J'crois que papa se tape une jeunette du camp, et si moi je le sais, tout le monde doit le savoir. J'crois qu'elle en peut plus de tout ça. Et pourtant elle reste là, parce que c'est sa place de rester avec sa famille, c'est papa qui l'a dit. Et il a raison non ? Quand j'vois certaines filles ici, qui sortent en expédition avec les gars, qui s'prennent pour des bonhommes, j'me dis qu'elles ont oublié leur vrai rôle dans la société. Enfin sauf June évidemment, mais ça compte pas j'crois, elle, elle a vraiment l'étoffe d'un homme, avec la classe et tout. Ouais, elle, c'est autre chose.
Ah ouais, pis y'a eu l'histoire de Clayton là, apparemment il survit aux morsure. Déjà que le gars c'est une armoire, mais en plus il peut pas mourir, c'est ouf. Apparemment ils vont essayer de faire un vaccin avec ça, mon père l'a dit, c'est chaud, mais si ça marche, ça va être énorme !»

• DECEMBRE 2019 / FORT WARD

"On a fêté Noel, et c'était carrément sympa. Maman est malade, mais j'ai réussi à la traîner à l'ouverture du bar des Summer's. Pas longtemps, on est restés quelques dizaine de minutes, pas plus, elle était trop fatigué. Ca m'a fait plaisir de voir tout le monde, je reste pas mal avec elle ces derniers temps. Clayton nous a offert un verre, c'était cool. Et puis Clay, il a carrément du succès auprès des filles, faudrait ptêtre que je lui demande des conseils. Mais pas pour ses filles hein, parce que bon... Autant Kass' ça pourrait passer, mais l'autre heu... Zelda, c'est une teigne. J'aime pas ses manières, à ce prendre pour une rebelle, alors que c'est juste une gamine quoi. Enfin bref. On verra bien ce que le futur nous réserve, mais j'crois qu'on est pas encore sortis de l'auberge."

• MARS 2020 / FORT WARD

« J'avais complètement oublié que j'avais ce carnet. Faut dire qu'à part quelques événements, c'est devenu un peu terne ici. Maman est morte. Il y'a quelques mois maintenant. Ils ont dit qu'elle avait attrapé une genre de pneumonie pendant l'hiver. C'est vrai qu'elle était de plus en plus épuisée, et puis elle voulait plus vraiment se battre je crois. Papa, ça a pas eu vraiment l'air de le toucher, j'crois qu'il l'aimait plus depuis longtemps, mais qu'ils faisaient genre, un peu pour moi, un peu pour les autres. J'ai pleuré. J'l'écrirai qu'ici, parce que bon, c'est un peu la honte pour un garçon de chialer, mais j'ai pleuré pour elle, parce que je la reverrai plus. Plus jamais. Elle est vraiment partie.
C'est le début du reste de ma vie, je crois.

La journée de Sean, c'est assez simple. Comme tous les adolescents ou presque du camp, il va en cours. Il est plutôt assidu et bon élève, en partie grace à l'éducation qu'il a reçu. Il écoute les profs, et n'est pas trop turbulent, même si bon, crise d'adolescence oblige, il se rebelle parfois. Il n'a pas vraiment d'amis dans les élèves, pour la plupart ils le trouvent un peu trop snob, un peu trop guindé, avec son langage évolué et sa façon de mépriser un peu ceux qui viennent pas de familles riches. Dès qu'il peut se planquer et éviter de faire un truc, il le fait, il aime pas trop se mettre en danger non plus. Un jouer, ca lui causera peut être des problèmes, mais ca il s'en fout un peu.
Il aime beaucoup June, et n'a pas de soucis particuliers avec les autres représentants de l'autorité au sein du camp, il fait pas trop de vagues, même si il a tendance à fourrer son nez un peu partout, mais d'une manière bien plus discrète que certaines. Depuis tout petit, il a appris à écouter les conversations sans donner l'impression de s'en mêler, et du coup, il sait pas mal de chose sans que les gens ne le sachent. Ca lui permet surtout de manipuler son monde lorsque l'occasion se présente à lui...