Bien, ses interlocuteurs entendaient raison et semblaient finalement s'accorder sur cette nouvelle version des faits qu'il proposait. La présence de l'autrichien était indéniablement un soutien. Stanley n'était pas dans l'argumentaire, il balançait des certitudes, brutes. Le trentenaire avait une autre approche, il parlait beaucoup. Il cherchait à rassurer la rousse, et cela se révélait finalement efficace. Doucement, la colère du militaire s'apaisait, puisqu'ils parvenaient à trouver un accord raisonnable.

- C'est vraiment si terrible à entendre que ça ? Demanda-t-il toutefois très honnêtement, après la réponse de Friedrich à sa question sur l'origine des protéines. Il ne trouvait pas. Il était presque surpris que ce soit si clean. A ses yeux, ils étaient quand même loin du cannibalisme ! Si quelqu'un nous d'mande, uniquement si quelqu'un demande, ajouta-t-il, presque implorant.

Il ne pouvait s'empêcher d'insister. Pourquoi mentir ? Sachant qu'il y avait peu de chance que quiconque s'intéresse réellement à la formule de ce sérum, non ? Après tout, personne ne s'était demandé de quoi le vaccin était fait quand il leur avait été injecté. Puis s'ils devaient un jour en venir à faire des prélèvements au sein du camp, mieux valait anticiper. Trop de gens savaient finalement, ils pouvaient être certains que l'information un jour fuiterait !

June revint alors sur l'incident qui s'était produit au laboratoire, quand Adam leur avait fait une scène. Stan ne l'oubliait pas et il était bien conscient qu'au-delà du sérum, c'était l'unité même de leur groupe qu'ils devaient sauver. Des failles se trouvaient de tous les côtés : les vaccinés n'avaient plus confiance dans le labo, les non-vaccinés craignaient les vaccinés, etc... Stan réfléchit un instant.

- Les cas comme Adam n'sont pas les plus dangereux, répondit-il. Ils ont quelque chose à dire, il n'ruminent pas, ils s'expriment. Il leva ses yeux vers l'ancienne avocate. Il pouvait en parler car le profil du chasseur était exactement le même que le sien après les évènements qui avaient succédés au séisme. Il avait gueulé, demander des comptes. L'erreur qu'avait fait Chambers alors avait été de l'ignorer. Mais faut prendre le temps d'leur parler et surtout d'les écouter. Les pires, c'est ceux qui n'diront pas ouvertement c'qu'ils pensent. Il se tut une seconde. Alors j'vois pas d'autres solutions que d'discuter avec chacun... Pour que tout l'monde se sente considéré. Faudrait faire un discours global, avec les infos dont on a parlées, qu'ils ne croient pas qu'la version change au cas par cas. Mais après ce s'rait bien d'prendre le temps d'les voir tous, en entretien, un par un. Pour qu'ils posent leurs questions. Pour les sonder et les aider à comprendre. Ils n'avaient pas tous le même âge, la même éducation. Certains captaient vite, d'autres non. Cela prendrait du temps, mais ils pouvaient s'y mettre à plusieurs.

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« Je ne suis pas certain que tout le monde réagira aussi bien en découvrant que ce sérum a été réalisé à base de tissus humains, en sachant que ces donneurs n’étaient pas des plus volontaires. C’est un peu comme expliquer à un consommateur comment est morte la vache qui lui a fourni le steak qui se trouve dans son assiette. Tout le monde n’est pas prêt à entendre ce genre de choses, au sein même du complexe certains scientifiques ont des problèmes de conscience à ce sujet. » Il pensait notamment à Quinn qui avait suggéré d’essayer d’abord la viande animale, avant d’admettre que ce ne serait que repousser l’évidence. Tout le monde n’était pas capable d’accepter cette vérité-là. Stanley était impliqué et intégré dans toutes ces histoires, il avait une vision de leur monde que la plupart des gens de Fort Ward ne voyaient pas. Certains vivaient leur vie presque normalement, les nouveaux arrivants découvraient peu à peu les mœurs de leurs nouveaux hôtes et cette nouvelle pouvait être un choc difficile pour certains. « La question risque de se poser, effectivement. Mais je ne suis pas certain que la réponse plaise à tous. » Pour le coup, il ne voulait pas prendre position claire sur la question. Phelbs serait la plus à même de se positionner là-dessus.

Quant aux entretiens individuels. « Il s’agit là d’un travail titanesque que de prendre toutes ces personnes en entretien individuel. Si cet entretien doit déterminer leur choix, cela pourrait durer des jours avant que nous puissions mettre en place le protocole. » Dit-il posément. Il n’était pas contre l’idée, ne la rejetait pas d’emblée. Mais Phelbs ne pourrait pas mener ces entretiens seuls elle n’en avait ni le temps, ni la patience. Et il n’était pas certain qu’elle approuve l’idée. « Certes, le sérum ne se fera pas en une heure mais il faut agir rapidement, nous ne pouvons garder tout le monde attaché à leur lit trop longtemps. » Il ne fallait pas perdre de vue leur priorité qui était d’endiguer ce mal dont tous les vaccinés souffraient en ce moment même. « Il y a peut-être un compromis à trouver, mais il ne faut pas leur faire perdre de vue que la situation est urgente et délicate. Nous ne pourrons pas materner tout le monde individuellement… Répondre à leurs questions me semble important oui, mais à un moment donné, il faudra qu’ils nous fassent confiance. Nous ne leur promettrons pas de remède miracle cette fois-ci, nous leur ferons part des risques. » Il s’arrêta un instant, parce que c’était un peu difficile. « Si Vaughn et Sacha ont pu croire en nous, il faut en faire de même pour tous les autres. » Friedrich était alors encore loin de se douter que seule la confiance de Vaughn en lui et en Quinn avait motivé le thanato de se prêter à l’expérience. Sans nul doute n’aurait-il pas cédé s’il avait compris que Lawrence les avait ciblés sans grande considération pour leur personne.

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June ne répondit pas à la première question du militaire, elle désigna le scientifique de l’index avec une expression signifiant qu’il lui donnait la bonne réponse. Autrefois des états américains et de nombreux pays dans le monde interdisaient le commerce de quoique ce soit qui provenait d’un autre être humain. Qu’il s’agissait des perruques à base de vrais cheveux, des trafics de lait maternelle, des ventes d’organes au noir, des mères porteuses… il n’y avait pas besoin d’une logique, c’était ancré dans la psychologie de masse. On pouvait se permettre d’élever des animaux pour l’abattoir, de les enfermer dans des cages minuscules et de les torturer pour des tests de produits pharmaceutiques, mais l’Homme ? Jamais. Sur le fond, elle était d’accord : ce n’était rien de différent que le vaccin basé sur le sang de Clayton. Sur la forme…

- Le climat ne s’y prête pas, compléta-t-elle simplement, ils ont accepté de tuer d’autres gens pour leur propre survie, c’est facile à accepter. Mais les rendre complices d’enlèvements et d’expériences sur autrui ? C’est autre chose, ça ne peut pas sortir.

Pas maintenant en tout cas, pas tant que tout n’était pas au point. Car aux sceptiques s’ajouteraient les bien-pensants, qui ne voudront pas se faire injecter une substance testée sur un – ou une – autre survivant(e) terrorisé(e). Ils vont tous se dire que « ça aurait pu être eux » dans ce sous-sol, à la merci des scientifiques. Et le pire, c’était que c’était vrai : ça aurait pu être n’importe lequel d’entre eux.

- Occupez-vous du sérum, dit-elle à Friedrich, je sais que l’état de Quinn vous préoccupe, mais nous n’avons pas de temps à perdre. Au plus tôt on pourra le proposer, au plus tôt on a une chance de désamorcer la bombe, elle s’adressa ensuite aux deux, je peux faire l’annonce globale mais je ne pense pas devoir faire ces entretiens seule.

Ce n’était pas une question de volonté, c’était une question d’image. Valentine lui avait reproché, Evelyn aussi à l’époque : la rouquine n’était pas assez empathique. Elle savait manipuler le langage mais pas susciter la compassion. Une fois de plus, l’avocate regretta le savoir faire d’Ela, qui aurait su les couvrir comme personne dans une telle crise.

- Il faut d’autres personnes, en qui les gens auront plus facilement confiance, des gens déjà dans le secret ou facilement malléables, comme la petite nonne, si elle survivait, Sacha, Madisson, Quinn… vous-même, suggéra-t-elle finalement avec une œillade à Stanley. Il était son meilleur allié, n’est-ce pas ?

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Sa tentative pour pousser un peu plus loin la transparence fit réaliser à Stanley qu'il n'avait au final rien obtenu. S'ils ne parlaient pas des cobayes, ni des protéines humaines... quelle vérité sur le labo dévoilaient-ils finalement ? Quels comptes-rendus pourraient-ils présentés à ceux qui le réclamaient ? Ces premiers tests sur d'autres individus étaient précisément la clef de toutes leurs observations, non ? De toutes leurs avancées.

- J'avais mal compris... du coup, on n'dit rien ? On n'parle pas des autres gens ?

Il avait écarquillé les yeux. Voilà, retour à la case départ. Il soupira. Cette conversation ne servait à rien, ils ne s'entendraient jamais. Aux yeux de la rousse, il ne resterait toujours qu'un gars de terrain. Un type diablement efficace, qu'on était bien content d'avoir sous la main en temps de guerre, mais visiblement trop con pour être réellement entendu sur d'autres sujets. Ce gars qui n'apparaissait pas dans les dossiers de Lawrence. Il ravala sa fierté, encore une fois.

- Si l'temps joue contre nous, j'vous rappelle que votre nonne est dans l'coma, on n'sait pas comment elle se réveillera. Si elle se réveille un jour. C'est à peu près la même chose pour St Germain. Sacha, en dehors de ses blessures, est encore sous l'influence de ce sérum et je doute que quiconque ait très envie de s'retrouver seul dans une pièce avec elle. Alors oui, il vous reste éventuellement Maddison. Il se tut un instant après ce constat. Quant à lui... J'suis pas un baratineur, vous l'savez, je sais pas faire ça, ajouta-t-il. Et encore moins évidemment s'il n'y croyait pas.

Il planta ses yeux bleus acier dans les siens. Ce n'était même pas de la mauvaise foi. Il n'y avait pas d’ambiguïté, s'il était là dans cette pièce cette nuit, c'était qu'il était tout disposé à aider. Qu'elle ne doute pas une seconde de ce fait. L'instant était trop grave, ils devaient agir. Il voulait convaincre, il voulait inspirer. Il voulait laisser ce cauchemar définitivement de côté. Mais il ne saurait pas faire ça sans être entier. Si elle avait réellement besoin de lui, comme elle le lui avait affirmé, elle n'avait pas le choix : elle devait lui faire confiance.

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- Je ne vous demande pas de baratiner, rétorqua June, simplement de défendre que nous n’avons jamais voulu utiliser des gens comme tests, que nous prenons conscience des erreurs qui ont été faites et que nous allons les réparer, pour le coup, aussi impassible était-elle, l’avocate était sincère, c’est justement parce que vous n’êtes pas un baratineur que vous inspirez confiance. Vous êtes doué pour communiquer avec les autres, les gens vous aiment bien, nota-t-elle en tout objectivité, si vous leur montrez et leur dites que vous avez confiance, alors ils vous croiront – pour la plupart.

Lâchant un soupir de lassitude, la rouquine s’appuya contre son bureau. Elle ne débattrait pas sur la notion du temps : les entretiens seraient forcément différés dans le temps et avec un peu de chance, au moins Sacha et Quinn seraient en état de parler d’ici quelques choses. L’urgence résidait dans l’annonce générale et les cas les plus vindicatifs, comme Adam.

Ses yeux perçants ne quittaient pratiquement pas Stanley. C’était lui l’élément le plus fragile de leur trio à cet instant et qu’elle le veuille ou non, elle devrait s’assurer que son adhésion était verrouillée. Leur noyau était la clef pour sauver l’organisation du camp de la noyade.

- Vous avez encore l’air… hésitant. Vous vous voyez expliquer à votre compagne que vous avez participé à l’enlèvement de personnes innocentes qui ont servi de lapin blanc au laboratoire ? Vous pensez que cela nous fera du bien de sortir tous les cadavres des placards ?

Son ton n’était pas agressif, il était neutre. Les non-dits étaient légions à Fort Ward. A commencer par le fait que le sénateur Chambers n’était qu’une marionnette manipulée par Siobhan, Alec et Lawrence. Lors de la rébellion, ils avaient pour ainsi dire fustigé un innocent – ou en tout cas, pas le plus grand coupable. Quoi d’autre ? Le fait que June avait laissé faire les prémices de la rébellion, elle avait même manigancé avec Lawrence pour qu’il lâche les Chambers au bon moment et la soutienne ensuite. Elle aurait pu désamorcer la bombe mais ne l’avait pas fait, pour son propre intérêt. Il y avait encore son agresseur supposément disparu, le fait que Jenna n’avait pas « vraiment » été volontaire pour servir de sujet d’étude aux scientifiques…

De son point de vue, trop de sincérité aurait l’inverse de l’effet escompté. Cela achèverait de les enterrer et le désastre emporterait tous les complices de la rouquine dans la déflagration, y compris les personnes présentes dans son bureau.

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Friedrich garda le silence quand Maverick s’exprima. Il l’observa sans rien dire, sans mauvais jugement non plus. Le responsable des expéditions du Fort avait un grand cœur, une belle âme, mais aussi une naïveté incontestable. Il aurait fallu beaucoup d’hommes comme lui dans ce monde, mais c’était utopique. « Elle a raison, Maverick, pensez-vous sincèrement que de révéler tout ce qu’il se passe dans ce sous-sol va nous aider à gagner leur confiance ? Autre exemple… Voulez-vous réellement savoir tout ce que l’Homme a pu faire – bien avant tout ça – pour parvenir à soigner la malaria, trouver des traitements au cancer voire même, nous vacciner pour une simple grippe ? Tout le monde n’est pas armé de la même manière pour accepter cette vérité. La plupart des gens le savent, mais ne veulent ni l’entendre, ni l’admettre. » Dit-il, pour compléter les propos de la rousse.

Il réfléchit un instant, avant de reprendre, pour June cette fois. « Admettre que des tests ont été effectués sur des sujets humains serait possible, en jouant sur la sémantique. » Dit-il, pour essayer d’arrondir les angles entre Maverick et Phelbs. « Nous ne sommes pas obligé de dire de but en blanc que nous nous sommes servis d’êtres humains ramassés dehors par hasard pour en faire des rats de laboratoire. Nous pourrions enrober les choses. Nous avons besoin d’une vérité élaborée. Avec des informations essentielles mais des explications neutres, une parfaite transparente ne rendrait service à personne. » Et dans cette idée, il continua. « Ne dites pas sérum à base de viande humaine, mais sérum à base de protéine animale. Ne dites pas test du sérum sur des cobayes humains capturés au hasard, mais un protocole de tests qui ont eu des résultats probants sur le genre humain. L’information passera, et la plupart comprendront ce que ça veut dire et choisiront ou non de l’accepter en leur âme et conscience. » Il fit une pause pour les observer tour à tour devant son petit numéro de sémantique. « Nous n’aurons baratiné personne, nous leur auront offert une vérité acceptable, pour chacun d’entre nous. Les questions plus spécifiques qui ressortiront de ces entretiens individuels, seront abordées différemment et en fonction de si nous jugeons la personne capable d’encaisser cette information. Mais… La plupart des gens ne veulent pas connaitre le parcours de la vache entre le moment où elle quitte son pré et arrive dans leur assiette. Il en est de même avec ce sérum, c’est un taboo tacite entre les deux partis. » Termina-t-il, avant de prendre une dernière inspiration. « L’important c’est qu’ils finissent par nous croire quand nous disons que tout ce que nous faisons depuis cinq ans n’a pas pour but de les nuire ou de se servir d’eux comme cobaye. Nous ne pouvons pas sauver l’humanité entière, mais nous pouvons nous battre pour sauver les nôtres. » Il n’y avait aucune espèce d’hypocrisie dans sa voix. Il travaillait réellement pour le bien commun, et ça … même la plupart des habitants de Fort Ward en doutait encore.

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Pour tout dire, Stanley était un peu largué. Un instant il pensait blanc, l'instant d'après il pensait noir. Il n'avait pas les idées aussi claires que ses voisins pour la simple et bonne raison qu'il processait tout ça depuis quelques heures seulement, alors que ces derniers avaient eu le loisir de faire la part des choses tranquillement depuis des mois ! June toucha une corde sensible en vantant ses talents de communicant. Un point. Quand elle fit référence à Casey, qu'il savait à fleur de peau sur le sujet depuis longtemps, elle n'avait probablement pas tord. Certes Stan voulait la croire capable de tout accepter, mais s'il devait être objectif, il n'en était pas certain. Et pourtant il restait loin de deviner l'état dans lequel elle se trouverait à son réveil. Deux points. Et enfin ce fut le pamphlet à rallonge de Friedrich qui l'acheva. Il pouvait accepté cet angle-là, si tant était qu'il avait tout suivi, car le speech du scientifique fut long et un brin trop intello pour notre garçon ! Mais passons. Trois points. K.O.

Il abdiqua dans la simple façon de tenir ses épaules. Ces dernières s'affaissèrent légèrement. Il ne gagnerait pas ce débat, il en fut alors certain. Avec la menace des New Eden à leurs portes, son énergie de pouvait pas passer dans ça. Il l'avait dit à June : il s'en tapait de leurs expériences. Il devrait alors faire en sorte de l'appliquer pleinement. Il prit une inspiration puis expira longuement. Il conclut par un hochement de la tête, la mâchoire crispée cependant.

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