- Le choix, expira l’avocate dans un éclat de rire nerveux, le choix d’arracher la gorge de quelqu’un d’autre sur un accès d’humeur ?

Toutefois, c’était vrai qu’ils ne les convaincraient ni ne les persuaderaient pas tous. Que choisir alors ? June avait toujours préféré les décisions unilatérales parce qu’elles permettaient d’éviter les pertes de temps. Admettons qu’ils n’injectent le sérum qu’aux « volontaires », combien de semaines-mois devront-ils attendre avant de certifier que ça fonctionne ? Et pendant cette période de flottement, combien d’incidents auront au lieu ?

- Le sérum supposé enrayer les effets négatifs de la mutation du virus a provoqué une réaction imprévue qui défie les calculs qui avaient été faits consciencieusement, répondit sèchement la rouquine à Stanley, cette situation est inédite, ce virus est inédit et les répercutions de nos efforts le sont également, poursuivit-elle en reprenant les mots de Friedrich, cette marge d’erreur était improbable, mais elle a eu lieu et nous en sommes les premiers affectés. La nouvelle version du remède la corrigera, acheva-t-elle de réciter en fixant le militaire dans les yeux, voilà où s’arrêtera la transparence.

Sinon quoi ? Ils allaient organiser des visites muséales dans le sous-sol du laboratoire ? Et leur avouer que le sérum qu’ils comptaient leur inoculer était basé sur des protéines de viande humaine tant qu’à faire ? Ridicule. Les secrets était le pare-feu essentiel dont ils avaient besoin. Même s’ils dormaient tous sur leur deux oreilles après avoir attaqué des camps ennemis, il y avait une différence entre raser des lieux qui se défendaient et faire des expériences sur des vivants sanglés à un lit.

- S’il faut, on leur réexpliquera que les choix que l’on a fait ont été pris avec une honnête intention de soigner le mal, pas de faire un bouillon de test à grande échelle, c’était vrai le pire, mais cette argumentation viendrait plus tard, et donc, admettons qu’ils ont le choix. On fait quoi ? On assigne à chaque personne concernée un chaperon qui le suit, une seringue de sédatif à la main ? Ironisa-t-elle.

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June souffla. De son point de vue, Lawrence avait la solution miracle. Certes vu sous cet angle, et s’ils avaient des certitudes sur cette prochaine version du sérum, ils seraient peut-être en mesure d’imposer quelque chose. Et encore. Mais Lawrence n’avait rien d’un dieu, et pour cause : il s’était déjà trompé deux fois ! Pourquoi s’entêtait-elle à oublier ça ? Stan souhaitait de tout son cœur - oh oui - que ce ne soit pas le cas cette fois mais il refuserait de porter cette responsabilité-là. Ils pouvaient les sauver comme définitivement les condamner. Il soupira.

Depuis le début de la conversation, il ne s’était pas assis. Debout, les méninges travaillaient autrement. Surtout à une heure comme celle-ci où le moindre coup de mou pouvait vous être fatal. Il ne put retenir un ricanement mauvais à la réponse de la rousse à sa question.

- Parfait, dites leur ça, vous n’aurez pas un volontaire, lâcha-t-il, en secouant la tête, dépité, en réponse à son regard glacé. Tout au plus Valentine, Maddison et Arizona se dévoueraient-elles peut-être pour la bonne cause ! Mais les deux dernières étaient déjà au fait d'absolument tout dans tous les cas… Ils sont tous dos au mur, lui rappela-t-il. S'ils pouvaient l'entendre, s'ils devaient l'entendre, c'était maintenant.

Son index pointa la fenêtre, comme si c’était la direction du dispensaire. Il n’était plus question des états d’âme de bobonne et de ses chats, comme lors du soulèvement contre Chambers. Ce qu’ils avaient à leur proposer, c’était une solution désespérée pour des personnes désespérées. Rien d’autre. Chercher à prétendre le contraire, c’était se tirer une balle dans le pied. Il serra les dents, contenant son agacement. Laissant la rousse continuer son argumentaire et Friedrich réagir aussi.

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Il assista à l’échange sans grande émotion, mais ça ne voulait pas dire qu’il n’avait pas d’avis sur la question. Il prit néanmoins un siège, un peu las de cette nuit et de cette conversation qui avait pourtant l’air de bien commencer. « Voyons June… Ils sont tous en colère contre nous, persuadés que nous les avons piégés en connaissance de cause. Si vous ne leur donner pas un os à ronger, vous ne garderez pas longtemps cette couronne sur la tête, le laboratoire sera détruit et là tous nos efforts auront été vain. » Dit-il, en croisant les jambes et en gardant le nez baissé sur la note de Lawrence.  Tout n’était pas bon à dire cependant, mais ce qu’elle proposait aurait un goût de trop peu pour la plupart d’entre eux.

« Tout n’est pas bon à dire cependant, et parler de la composition de cette protéine animale ne plaidera pas notre cause. On ne peut pas se contenter de faits dans cette situation, il faut jouer sur les sentiments. Je sais que c’était plutôt le travail d’Amrani quand elle était à vos côtés mais cette tâche vous incombe désormais. Ces personnes n’en ont rien à faire des chiffres, des pronostics et des probabilités. Ils ont besoin d’avoir un sentiment de contrôle. » Durant ces cinq années à Fort Ward, le généticien avait longtemps observé, appris et étudier le fonctionnement de ces relations sociales. Si June était à cette place aujourd’hui, c’était parce qu’elle avait su tirer parti d’un événement qui avait profondément choqué la plupart d’entre eux, la veuve Amrani blessée en tentant d’apaiser les tensions, la fille du Sénateur Chambers laissée orpheline à cause des agissements de son père. June avait profité d’une émotion pour tirer son épingle du jeu, et elle l’avait fait brillamment et avec intelligence. « Donnez-leur le choix. Bien sûr, Maverick a raison peu importe ce qu’ils choisiront il y aura des conséquences. Ceux qui refuseront devront être malheureusement surveillés et probablement isolés du reste des habitants sensibles. Pour ceux qui accepteront de se prêter à l’expérience, un suivi devra être instauré. Cela prendra du temps et de l’énergie à l’équipe du dispensaire, mais nous y arriverons. Il me semble que nous avons prouvé plusieurs fois que rien n’était insurmontable jusqu’ici. » Il releva la tête pour regarder June. « Donnez-leur un bouc émissaire, quelqu’un à détester. Donnez-leur l’impression qu’ils ont le contrôle sur leur vie et donnez-leur des raisons de croire en nous, en vous. Choisissez suffisamment d’éléments à leur donner pour qu’ils y croient eux aussi. » Il fit une pause, une seconde, puis deux. « Rappelez-leur pourquoi ils vous ont choisi quand le Sénateur Chambers est tombé. C’est d’inspiration qu’ils ont besoin, vous le savez. »

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- Je serai ravie d’entendre vos propositions, rétorqua-t-elle sèchement au militaire.

C’était un soldat, il n’était probablement pas programmé pour les secrets et les zones d’ombre mais le fait il que désormais, il avait mis la jambe dans l’engrenage. Ils avaient combattu suffisamment de fous et de cannibales pour que personne ici n’accepte l’idée de se faire injecter une substance basée sur la viande d’autrui. C’était psychologique pourtant, ça n’avait rien de différent d’une greffe de peau ou d’organe, mais… le sous-sol du laboratoire était une boîte de Pandore. S’ils l’ouvraient, ils connaitraient bien pire que le sort de Chambers.

Pendant l’argumentaire de Friedrich, elle s’était levée. Ridiculement petite comparée aux deux hommes. Son regard perçant se portant par la fenêtre, par-delà l’horizon des arbres qui encerclaient sa maison. Sur son bureau, le talkie crachota la voix de Zelda et ses inepties. Elle n’y prêta aucune attention mais se promit de mettre à l’adolescente une correction dont elle se souviendrait.

- Ils auront la vérité sur le vaccin, trancha-t-elle lentement, la vérité acceptable, précisa June, pensive.

Pour la plupart des informations, ils les avaient déjà. Les crises de violences n’étaient pas nouvelles, pas plus que la dépendance à la viande. Elle méditait encore à la possibilité de reconnaître avoir faire des tests sur d’autres survivants, afin de justifier qu’ils n’avaient pas utilisé les habitants de Fort Ward comme rats de test.

- Vous mettrez de côté tout ce qui est compromettant et s’il faut, on invitera les habitants à venir consulter vos notes, pour constater eux-mêmes vos observations au fil des progrès, et ainsi, ils se rendront compte qu’il n’a jamais été question d’empoisonner qui que ce soit sciemment, nous avons tous ici quelqu’un de proche qui a été vacciné, ça peut jouer en notre faveur, c’était une instrumentalisation de leur vie privée, mais c’était une arme à ne pas négliger, quant à l’incident du sérum…

La rouquine se pinça les lèvres. L’idée d’un bouc émissaire n’avait pas mis longtemps à lui souffler une idée. Pour détourner l’attention de l’horrible mort d’Agnes Dewitt, il fallait un mal au moins aussi atroce. Un ennemi qui mettrait tout le monde d’accord. Et justement, ils avaient ça sous la main…

- Lawrence comptait nous trahir. Vous aviez trouvé la bonne formule pour le sérum, mais il l’a modifié à l’insu de l’équipe scientifique et l’a injecté à deux personnes en connaissance de cause. Il comptait nous déstabiliser pour faciliter l’attaque de New Eden qui a lieu sur Agate en ce moment même, elle récitait son invention d’une voix laconique, Stanley l’a surpris alors qu’il continuait de fausser le travail de ses collègues et a été obligé de l’abattre par légitime défense, Lawrence était un marginal égoïste, imbu de lui-même et détesté de tous ; qui refuserait de croire qu’il avait cédé à l’attrait d’un camp encore plus avancé que le leur ? La vraie solution est là, elle désigna la feuille que tenait Friedrich, mais… ils ont le choix.

June posa ses yeux émeraude sur Stanley. Lui qui détestait les manigances mais détestaient aussi Lawrence. Il avait le choix de grimper dans ce wagon qui allait rouler sur le corps encore chaud du bactériologue.

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Friedrich partageait une certaine suffisance avec leur adorable leader, qui n’échappa pas à Stan. Il les regarda tous les deux, se réjouir d’avoir finalement le corps encore chaud de Davis à donner en pâture en développant un plan complètement aberrant qui les dédouanerait des morts violentes de la vieille Dewitt, sans oublier ce pauvre Mickael. Ben tiens…

- Et pourquoi pas la vérité ? Enchaina-t-il. Il voyait déjà les yeux de la rousse se mettre à rouler de désespoir, alors il précisa : Davis avait les pleins pouvoirs au labo - c’était un fait - il a délibérément poursuivi des recherches en cours sans en avertir pleinement ses collègues et a convaincu deux personnes ne se prêter à son expérience. Il en a perdu le contrôle, clairement. Il est mort parce qu’il présentait un danger et s’était transformé également.

Il haussa un sourcil. Cette version, proche des faits, était-elle vraiment si loufoque ? Elle ne contenait aucun mensonge, tout au plus possédait-elle quelques zones d’ombre effectivement. Mais chacun d’entre eux en profitait en quelque sorte. C’était simple et les grandes lignes restaient similaires.

Entre temps, June avait toutefois concédé plus de transparence, et c’était une victoire. Elle faisait des concessions. Il se tourna vers Friedrich.

- Tant qu’j’y suis, pour que ce soit bien clair… ces protéines humaines pour ces injections, vous les prélevez où ? Sur le corps… comment ?

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Une vérité acceptable. C’était tout ce qu’il attendait, et ce que tous au dispensaire attendaient. Les effets secondaires du vaccin en avaient déjà fâché plus d’un, et cette cascade d’événements allait en faire rugir plus d’un. Quant au bouc émissaire, il était évidemment tout désigner, même si l’histoire derrière semblait… un peu trop grosse ? « Je ne suis pas sûr que quelqu’un croira sincèrement que Lawrence, un homme qui n’avait foi qu’en la science – et en sa propre personne – puisse se retourner contre nous les croyances de New Eden. Dieu n’a jamais été une réponse pour lui. La vérité de Maverick passerait bien mieux… Et elle n’est pas tout à fait fausse… » Dit-il, l’air ennuyé. La preuve en est, ils avaient été très peu à savoir que le Dr Davis s’était enfermé seul au laboratoire ce jour-là. « La chute reste la même, et Maverick n’aura eu d’autres choix que de le neutraliser. N’oubliez pas que Lawrence est le dernier représentant de la politique Chambers et que vous mettiez bien plus le nez au laboratoire que ce cher Sénateur. » Il n’était pas utile d’inclure New Eden dans cette histoire, pas crédible surtout connaissant l’homme de science. L’ironie se trouve justement là, Lawrence Davis n’a jamais eu besoin d’une histoire rocambolesque pour que tout le monde se mette à croire qu’il a préféré faire cavalier seul, parce que son narcissisme parlait pour lui. « Nous dirons que ce sérum n’avait été qu’évoquée, qu’une phase de test avait été mise en place mais que Davis a voulu griller quelques étapes… Ce ne serait pas la première fois, et si ça avait marché il serait là pour en tirer tous les honneurs, nous ne le savons que trop bien. » Il désigna ensuite son bout de papier. « La bonne formule est ici, mais compte tenu de la situation actuelle nous ne pouvons nous permettre de faire une série de test plus longue… Mais l’expérience désastreuse de Davis nous aura permis de nous ajuster et de limiter les risques, bien que le risque zéro n’existe pas. » Il croyait en la correction de ce sérum, les dosages qu’indiquaient la note semblait bien plus cohérent et faisait sens pour le généticien.

Quant à la dernière question de Stanley. « Ce sont des prélèvements de tissus musculaires, nous ne découpons pas les gens pour en faire un festin. Nous pourrions être nous-même donneur, la population de Fort Ward est suffisamment grande pour alimenter ce sérum, mais nous avons prélevé ce que nous avions besoin et sommes capables de le synthétiser. Nous avons testé ce sérum sur eux, les premières versions ont été un désastre mais la formule s’améliorait. Quand nous sommes tombés à court de cobaye nous tenions la solution à presque rien… Il a été question d’attendre que vous nous rameniez d’autres personnes. Mais Lawrence était sûr de lui, Sacha y croyait également et Vaughn… » Sa gorge se serre un instant. Mais ce n’était pas le moment. « Vaughn croyait en nous. » Dit-il à Maverick, en toute humilité. Il baissa le nez ensuite, trouvant le coin du bureau de June soudain fort intéressant.

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La rouquine dévisageait Stanley. Au moins, il entrait dans la combine du bouc émissaire. Simplement… cette version lui semblait justement trop proche de la vérité. Le mythe du « scientifique fou » allait-il suffire pour détourner l’attention ? Elle était sceptique. Lawrence aimait les lauriers, mais aurait-il risqué Fort Ward pour sa gloire personnelle ? La question se posait réellement.

Les arguments supplémentaires de Friedrich la firent se pincer l’arête du nez. Elle capitula. Pas totalement parce qu’elle était convaincue, mais parce que si ses alliés l’étaient, ils seraient plus crédibles. De son côté, cela faisait des années qu’elle savait tout déclarer sans trahir ses pensées. June poussa un soupir après les dernières informations données par le scientifique et répéta :

- Nous approchions du but, nous réfléchissions à la façon de tester le sérum, mais Lawrence a voulu faire cavalier seul, de toute façon, il avait toujours joué en solitaire, même dans l’ombre de Chambers ou de la rouquine, il était instable et imprévisible depuis la mort de sa sœur. Le rôdeur d’Amanda a été retrouvée dans la cave de sa maison des mois après son décès. Ce n’est pas un mensonge non plus, précisa-t-elle.

Plus elle y pensait, plus elle devait reconnaître que le profil de l’ancien responsable du laboratoire collait plus à celui du génie qui avait perdu les pédales qu’à celui d’un partisan d’un gourou patriarcal. C'était aussi plus simple à justifier. Peut-être le garder avait été une erreur depuis le départ mais en même temps… le bactériologue était le fusible qui sautait au bon moment.

- Maintenant que nous sommes d’accord sur la version des faits… comment proposez-vous de gérer les éléments trop « virulents » ? La question s’adressait plutôt à Stanley pour le coup, car il saurait à qui il ferait référence, je suis prête à endurer les sceptiques et ceux qui refuseront le traitement, tant qu’ils sont sous contrôle bien évidemment, mais je prends très au sérieux le fait qu’Adam m’ait menacée.

Eut-il agi sous le coup de l’émotion, il n’avait pas à lui pointer une flèche sur la poitrine. Heureusement, les seuls témoins étaient des personnes sûres mais elle avait forcément en tête deux fois où la menace d’une révolte avait été sous-estimée. Cette fois, ils devraient la tuer dans l’œuf.

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