Elena leva les yeux au ciel, se demandant où étaient fixées les limites de l’énergumène qu’elle avait eu la bonne idée de venir secourir. Si tant est qu’il en ait, et plus les minutes s’égrenaient, plus elle en doutait. Le côté positif, puisque oui, il y en avait quand même un, c’était qu’il ne paraissait pas hostile - à supposer que ses tentatives aberrantes de drague ne soient pas considérées comme criminelles bien sûr. Elle avait rarement eu l’occasion de croiser un tel personnage. Plus que de l’énergie débordante dont il faisait preuve, il semblait surtout très décontracté, surtout pour quelqu’un qui venait de frôler un destin funeste. Il était… atypique. Léger, spontané, c’était comme s’il ne vivait pas sur la même planète ravagée par l’épidémie que le reste des mortels. Ou plutôt, c’était comme s’il s’en moquait, et d’une certaine façon, peut-être avait-il raison ? Ils essayaient de survivre dans ce monde depuis quoi ? Cinq ans ? N’était-il pas temps d’accepter le sort qui s’était abattu sur eux désormais ? Ils savaient tous que rien ni personne ne viendrait les délivrer, aucun miracle ne se profilait à l’horizon. Ils ne mourraient pas vieux dans leur lit, ils n’auraient pas l’occasion de connaître leurs petits-enfants à supposer qu’ils aient la chance d’engendrer déjà. Alors peut-être que oui, le brun décalé à côté d’elle avait raison. A quoi bon encore se prendre au sérieux ?

“ Le verre est une valeur sûre, et puis quelle que soit l’issue de ton rencard, tu auras toujours la bouteille pour t’aider à conclure ou te consoler. ” Elle inclina la tête l’air de valider la stratégie. “ Je vais accepter le verre, mais te fais pas de film Roméo, je prends le verre comme dédommagement en plus de la révision de l’auto que tu as quasiment broyé.” Il fallait bien qu’elle s’occupe pendant qu’il jouerait au mécanicien, non ? Elle fronça les sourcils quand il lui avoua ses occupations. Combattant à la cage ? Elle eut une pensée pour Connor qui s’était déjà illustré dans la piscine réputée pour ses luttes acharnées qui suscitaient l’engouement des survivants dans tout Seattle. Elle n’y trouvait personnellement aucun intérêt mais comprenait que certains y soient contraints pour gagner leur vie. Elle hocha simplement la tête. “Je vois. Tu ne t’en sors pas trop mal on dirait.” Il avait encore un nez au milieu du visage, toutes ses dents, ses deux yeux…

“ Je chasse des primes “ répondit-elle honnêtement en ralentissant à l’approche de l’entrepôt. “ Il n’y a pas un large éventail d’options de carrière dans le coin il faut dire. Je suis un peu trop frigide pour le motel, pas assez impressionnante pour la Cage... “ Elle haussa les épaules en se garant près de la Cage justement. Elle suivit du regard les survivants qui pullulaient dans le secteur après avoir coupé le moteur. “ Voilà, on y est. Tu sais, t’es pas forcé de jeter un oeil à la voiture, je plaisantais. Monroe est sûrement dans le coin.” La compagne de Kara pourrait s’y pencher.  

Véritable prouesse ou conséquence de longs mois de fréquentations douteuses, le brun arracha un sourire amusé à la grecque. Il semblait motivé par de sincères intentions et cet élan d’honnêteté rappela à la grecque combien Connor était dans le vrai à l’époque où il quittait temporairement le ranch pour explorer le monde : il y avait de belles rencontres à faire au-delà des murs qu’ils dressaient pour se protéger de l’hostilité extérieure. Il y avait des personnes comme Tori, Peter, Daniel, et… cet énergumène malgré les apparences peu flatteuses de prime abord.

« Tu es vraiment mécanicien au moins ? Parce que si je ramène la voiture à mon ami plus amochée qu’elle ne l’est actuellement, je risque de dormir dehors. » Peter apprécierait déjà moyennement son acte de charité qu’il jugerait forcément risqué, mais ça c’était un autre terrain glissant que la grecque connaissait déjà pour l’avoir pratiqué maintes fois. Peter savait qu’il n’avait aucune chance de changer la grecque ; c’était trop tard pour son cas. Irrécupérable qu’il dirait. Présageant déjà le conflit, elle préférait au moins éviter d’en rajouter en ramenant un véhicule boiteux.

« Esclave dans une arène ?! » répéta-t-elle à la fois curieuse et scandalisée que de telles pratiques aient pu profiter de la misère actuelle pour émerger et faire le divertissement de certains tordus. Elena arrivait encore à être surprise par l’imagination débordante de cruauté de certains individus. « Tu étais un genre de… gladiateur ? Vous étiez nombreux ? » Un rictus indigné lui déformait le visage. C’était exactement pour réduire la population de sadiques adeptes de pratiques aussi barbares et rétrogrades qu’elle s’était lancée dans la chasse aux primes.

« Adepte de la surprise, hein ? » Un sourire ourla le coin de ses lèvres. « Je m’en serais doutée toute seule étonnement. » S’il faisait partie d’un groupe, ses camarades ne devaient clairement pas s’ennuyer en sa compagnie. Il restait à espérer pour eux qu’il n’attirait pas autant d’ennuis qu’il ne le laissait paraître. La chance était un élément volatile qui finissait par tourner en ne laissant derrière elle qu’une traînée de poudre hautement combustible…

Ce qui semblait de plus en plus certain, c’était que l’homme était décidé à honorer sa « dette », puisqu’il se pencha sans tarder au-dessus du moteur après qu’elle ait ouvert le capot. « Connor ? » Bon, le blond n’avait pas le monopole du prénom dans la région, mais il était un habitué du lieu alors elle ne pouvait s’empêcher d’établir une connexion. « Ce con il est du genre grand blond solide ? » Elle leva la main par-dessus sa tête pour estimer le mètre quatre-vingt-treize de son ancien compagnon.

« Hm… » Elena se pinça les lèvres. La description, bien que peu flatteuse ne pouvait faire référence qu’au seul et unique Connor Gary Shepard de la région, à n’en pas douter un instant. Cela dit, si les propos ne témoignaient pas d’une franche amitié, la grecque soupçonnait un désaccord plus qu’une réelle hostilité entre les deux. Et à l’écouter, elle ne serait pas étonnée qu’une femme soit à l’origine de leur conflit. Elle connaissait suffisamment l’ex sportif pour l’envisager sérieusement. En tout cas, l’homme qui s’afférait à remédier aux défaillances de sa voiture ne donnait pas l’air d’une personne en ayant après la vie de son ancien compagnon. « Non ça me dit rien ! » assura la brune en secouant la tête après avoir fait mine de réfléchir. Quels que soient leurs désaccords, elle ne voulait pas y être mêlée, surtout s’il s’agissait d’une querelle amoureuse. Et puis elle n’avait pas l’intention non plus de rentrer à pied. Autant qu’il soit concentré sur la mécanique de sa voiture.

« Connor tu dis ? Je vais nous prendre deux bières. » Et elle s’esquiva vers la Cage. Là-bas, elle passa commande et régla elle-même la note. Pas question d’être redevable de quoique ce soit, surtout pas envers son ex amant. Question de fierté d’abord, et elle trouverait malvenu de le faire payer pour de l’alcool alors qu’il avait eu tant de mal à se sevrer. Elle retourna alors à l’extérieur, verres à la main. Elle en déposa un sur le toit de l’auto et tendit l’autre au brun, marquant un temps d’arrêt. « J’aime bien connaître le prénom de ceux avec qui je partage un verre en général. Je peux te rebaptiser après mais tu risquerais de saboter mes freins. » Elle lança une œillade amusée vers le survivant. « Moi c’est Elena. » sourit-elle avant de lever sa bière vers l’homme et de prendre une gorgée. « Je saurais qui appeler en cas de pépin mécanique. Et sur qui parier dans la Cage. Comme quoi, cette journée aura eu son lot de bons tuyaux. » Les bonnes rencontres se faisaient de plus en plus rares, mais la grecque les savourait d’autant plus. « Et ce Conrad ? » Elle fit mine de creuser dans sa mémoire. « T’es une de ses ex pas contentes ou il s’agit d’un vulgaire concours de celui qui a la plus grosse ? » Elle avala une nouvelle goulée fraîche l’air de rien.

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