Le mélange d’alcool et de cannabis avait quelque chose d’assez euphorisant et de reposant. Dans tous les cas, Friedrich commençait à se remettre de sa frustration quand on lui tapota discrètement l’épaule pour lui parler d’une affaire urgente. Il y avait d’autres personnes appelées en même temps que lui ; Stanley, Arizona et Layla. Sur l’instant il regretta le mélange cannabis et alcool parce qu’il lui fallu plus d’une demi-seconde pour réaliser l’ampleur du problème. Il fit appeler Quinn et Callypso pour mener les analyses, le priant de le tenir au courant des résultats au plus vite afin de déterminer quels plats étaient potentiellement contaminés.

Si les effets de ce qu’il avait consommé lui embrumaient encore un peu l’esprit, c’est bien droit et extrêmement sérieux qu’il rejoignit les autres dans le bureau de June, un peu en retard à cause du briefing qu’il avait dû faire auprès de son équipe. « Saint-Germain travaille sur les analyses, on en saura plus dans quelques heures. » Il s’installa sur l’un des sièges pour ne pas avoir à s’occuper de son équilibre et garder tous ses efforts pour réaligner ses neurones un peu embués. « Je l'ai invité à nous rejoindre quand elle aura lancé le protocole » Ajouta-t-il. C'était une évidence, il n'était pas à cent pour cent de ses capacités, et l'épidémiologiste avait sa pleine confiance pour écouter et intervenir s'il ne pouvait pas lui-même.

« Je suppose que cette information ne figurait pas dans la liste des ingrédients de leurs produits, n’est-ce pas ? » Hasarda-t-il, dans une ironie un peu amère. Le dilemme qui se posait à présent était de savoir si cette information devait être partagée aux autres, et comment surtout. Il ne s’agissait plus d’un sérum composé de protéine humaine, qu’il avait été plus facile à cacher pour soigner la population – et qui n’avait jusqu’à ce jour, tué personne – mais bien de quelque chose de bien plus délicat à amener à la population, et qu’il lui semblait immoral à cacher aux autres. Beaucoup de questions se posaient encore, mais le généticien les garda pour lui, le temps de boire ce café infâme que Quinn lui avait donné rapidement pour l’aider à éclaircir ce si brillant esprit.

Spoiler:

June était toujours sous le choc.

Pas un traumatisme au sens propre, mais il lui fallait un moment pour analyser la situation. La présence potentielle de viande humaine dans leurs plats, ça veut dire que plusieurs co-survivants en avaient ingurgité à leur insu. Si tel était le cas, s’agissait-il de viande contaminée ou non ? Quel serait l’impact psychologique ? A quels débordements s’attendre de la part des plus virulents ?

- Bien sûr que non, répliqua-t-elle sèchement – probablement irritée qu’il puisse y avoir le moindre soupçon qu’elle ait laissé une telle chose se produire en connaissance de cause, leurs terrines et les pains de viande étaient censés être composés de gibier, comme ce qu’ils nous troquaient jusqu’à maintenant.

Des légumes et des céréales contre les produits de leur chasse, tel était le deal. Bien entendu, la marchandise était plus facile à identifier quand ils ouvraient faisaient transiter des cuisses de cerfs ou des groins de porcs ; June n’avait tout simplement pas pensé une seconde à ce que leurs alliés commerciaux osent une telle manœuvre.

- On ne peut pas laisser passer ça, jugea-t-elle brusquement, si l’analyse confirme qu’ils nous ont échangé des préparations à base de chair humaine, on ne peut pas laisser faire ça.

D’abord parce que c’était leur prérogative : empêcher ce monde en ruine de sombrer dans le chaos total. La rouquine était prête à toutes les extrémités, mais pas à celle de tolérer le cannibalisme. Guerre contre New Eden ou non. Ensuite, parce que cela reviendrait à les arnaquer. Et Fort Ward n’était pas du genre à se faire truander sans réagir. Ses yeux verts se posèrent tour à tour sur chacun de ses invités, elle avait besoin de leurs retours pour avancer sur le sujet.

Spoiler:

L’estomac retourné, l’Anglaise pinçait les lèvres, tout aussi partagée devant le dilemme qui s’offrait à eux. Tout cela avait été fait délibérément. Ces gens avaient pris la peine de camoufler la chair humaine en préparant à l’avance des plats, afin qu’on ne soupçonne rien. Ils savaient très pertinemment ce que cela impliquait. Savait très pertinemment la portée de ce qu’ils avaient fait. S’agissait-il d’un coup monté avec les New Eden ? Ou simplement d’une bande de cinglés cannibales ? Quel serait le châtiment à leur réserver ? Il ne fallait bien évidemment pas prendre une telle décision sur un coup de tête. Il faudrait faire preuve de pragmatisme avant tout, mais ne pas non plus délaissé la partie émotive pour autant, le peu de morale qui restait dans ce monde. Ne faisant pas attention à Mister Eden qui empestait la weed, elle décidait de se racler la gorge et de prendre la parole.

- Si vous me permettez… Je crois qu’avant de prendre une décision sur ce que nous dirons ou non à notre communauté, il nous faudra d’abord décider de ce que nous ferons des Skagits. Nous avons plusieurs options qui s’offrent à nous. Décroisant les bras et se détachant de la bibliothèque sur laquelle la Britannique s’était adossée, Jones se disait qu’il fallait bien commencer par quelque chose. Est-ce que nous fermerons l’œil pour conserver des bras supplémentaires contre les New Eden ? Punirons-nous leur groupe en entier ? Ou nous débarrasserons-nous des leaders des Skagits pour redresser les rangs ? Je me permets d’offrir ma propre opinion cependant ; il vaut mieux ne pas laisser passer un tel affront. Ceci était calculé, du début à la fin.

Spoiler:

- Il n’est pas question de mentir aux gens, trancha l’avocate suite à la prise de parole de son amie.

Elle n’était pas pour l’omerta permanente, simplement sur une bonne utilisation des informations. Et clairement, ce coup-ci, la vérité, quelle qu’elle soit, jouera en leur faveur. Elle permettra bien plus d’unir les passions qu’un obscure mensonge ; sans compter que le plat incriminant avait été trouvé par une partie du personnel de la cuisine et que, comme toute personne « gouvernée » n’ayant pas toutes les données en main… des gens allaient parler, extrapoler et tirer des conclusions hâtives. C’était inévitable.

- On leur dira exactement ce qu’il en est, quand on aura eu les premiers résultats de l’analyse. Ces résultats détermineront aussi l’ampleur de notre réaction, précisa-t-elle en se tournant vers Layla.

Peut-être n’était-ce qu’un malencontreux accident ? Un doigt passé par inadvertance dans un broyeur ? Il n’empêchait que les Skagit auraient dû jeter toutes les productions susceptibles d’avoir été contaminés. Le fait qu’ils aient commercialisé ces terrines prouvaient que s’ils avaient pesé le pour et le contre… ils avaient tranché en faveur de troquer de la nourriture non-saine en connaissance de cause. Dans tous les cas, une leçon s’imposait.

- Aux dernières nouvelles, ils étaient une cinquantaine. Si jamais les tests avèrent que l’intégralité des plats sont composés de viande humaine… quelle est notre marge de manœuvre militaire ?

La question s’adressait autant à Layla, qui supervisait leurs ressources, qu'à Stanley et Arizona, qui avaient la connaissance directe des trompes et de la température extérieure. Avec l’ombre des New Eden qui leur planait encore dessus, la présence de ces derniers à Seattle notamment, pouvaient-ils se permettre un assaut massif sur l’île des Skagit ? Assaut qui, s’il devait avoir lieu, mobiliserait forcément des dizaines de personnes, donc de grosses quantités d’armes, de munitions et d’essence. Sans compter les potentielles pertes humaines, à une époque où chaque soldat comptait précieusement…

Spoiler:

- Et l’pain d’viande ?

Quand Stanley avait appris la nouvelle, il n’avait pu s’empêcher de se questionner sur le plat qu’il avait lui-même mangé. Lui comme Casey, puisqu’il lui en avait aussi cherché. « Il déchire » avait-il dit. Bordel. La réponse ne fut pas très claire, mais il en saurait certainement davantage bientôt. Pour l’heure, il avait été obligé de laisser Esther auprès de sa mère - pourtant peu fraîche - pour se réunir avec les autres dans le bureau de June. Il pinça les lèvres aux propos de Layla et Arizona et appuya les dernières paroles de l’avocate.

- Trop d’gens sont déjà au courant. Et vu ceux qui étaient en cuisine, ça s’saura rapidement. Faisait-il référence à Zelda ? Oui. D’ailleurs au même moment, la nouvelle fuitait par la bouche de l’adolescente. Un doigt dans la terrine, merde, c’était quand même moche. Il sentait la colère gronder en lui. Si une chose le faisait sortir de ses gonds, c’était d’être pris pour un con. Mais clair’ment on peut pas laisser passer ça…

Là-dessus, le débat n’aurait certainement pas lieu. S’ils étaient tous réunis ici, eux, c’était parce qu’aucun n’avait le tempérament pour être joué de la sorte. Maintenant la situation soulevait tout de même quelques questions… Les Skagits étaient des chasseurs. Ils savaient dépecer leurs prises et certainement faire des terrines. Déjà coller un doigt là-dedans, ce n’était guère raffiné, mais faire l’erreur en plus de mal le mixer ? Il y avait quelque chose de tout de même étrange. Sauf s’ils étaient bêtement des grands malades. Une possibilité à ne pas exclure également. Les résultats du labo les éclaireraient certainement bientôt.

- Avec l’effort déployer contre les New-Eden, c’est pas fou, répondit-il à June, très honnête. On a toujours trop peu d’gens d’terrain, même si on a renforcé les formations. Envisager une attaque frontale… Il réfléchissait en même temps. Ça m’parait compliqué. Elle pourrait nous faire perdre beaucoup d’temps dans la guerre qu’on est en train d’mener.

Il planta ses yeux dans ceux de Phelbs. Pour son coût justement, humain et matériel. Pour le temps qu’ils devraient passer à la préparer. Ils avaient appris au fil des années à ne plus négliger leurs ennemis. Le lycée, le ranch. Tant d’exemples d’attaques bâclées et mal menées.

- Si on veut faire mal, puisqu’on troque aussi de la nourriture avec eux, je partirai plus dans cette direction. Sans idée précise toutefois, ce n’était pas son domaine. Il se retourna vers Friedrich, qui avait l’œil brillant. Son jugement était-il toujours cohérent ? Pour l’heure, pour nous : quel serait l’risque pour quelqu’un d’avoir mangé un d’ces trucs ? Lui demanda-t-il aussi de but en blanc. Si c’était du rôdeur…

Il voulait bien croire que cinquante grammes de chair humaine ne le tueraient pas, même si l'idée lui donnait la gerbe. Mais une créature infectée ? Au milieu de leurs recherches pour le sérum et leurs expériences, les scientifiques avaient bien du étudier ce cas de figure, non ?

Spoiler: