J'suis sorti d'ma mère comme une farce le 1er avril 1981. J'suis sérieux mon père l'a même pas cru quand sa femme a perdu ses eaux, il lui a dit d'arrêter d'blaguer et il est r'tourner s'coucher. Faut dire mon Pops travaillait dans une usine d'la région, pas super loin d'où on vivait, à Texarcana et sa lui arrivait souvent d'travailler de nuit, alors p't'être que d'pointer l'bout d'mon nez à 2h du matin c'était pas l'meilleur moment pour bonhomme. Il était quand même content quand j'suis sorti. C'tait un homme plutôt traditionnel et pour lui la famille était important, déjà parce qu'il était catholique jusqu'à l'os et parce qu'il avait vécu lui-même dans une grosse famille.

D'ailleurs, il a pas trop mis d'temps à répéter l'expérience, pour m'faire une sœur, Samantha. Son anniversaire s'tait le 5 mai 1984 et j'peux dire que même si j'avais que 3 ans j'étais vraiment super excité à l'idée d'avoir un frère ou soeur alors j'm'en rappelle comme si c'était hier. On a eu une enfance plutôt heureuse, ma mère s'occupait de nous et mon Pops bossait. Comme j'disais le mec, était plutôt traditionnel alors c'était important pour lui qu'sa femme s'occupe des enfants à la maison et garde l'endroit en ordre. Ils nous enseignaient les valeurs de l'Église catholique mais c'était pas extrême comme on voit dans les p'tain d'cliché qu'on voyait à la télé. Non, j'peux vous dire qu'mes parents étaient des gens bien.

Quand j'ai eu 5 ans, mon Pops m'a amené à la chasse pour la première fois, avec les boys comme qu'il disait. Ma mère a pas trop aimé ça, mais bon, c'était l'bonhomme qui décidait, pas elle. J'ai vraiment aimé ça, et il a pas pris de temps à m'acheter s'qui fallait pour que j'puisse chasser aussi. Parfois, on chassait à l'arc, pis d'autres fois à la carabine, toute sorte de proie, autant des lapins qu'des orignaux. Pops disait qu'la chasse, c'était la meilleure façon d's'évader du quotidien et il avait raison. S'pas non plus une raison d'être cruel avec les animaux, faut les tuer avec dignité et les remercier d'leur sacrifice. J'me rappelle surtout qu'à l'école y en avait beaucoup qui était jaloux, mais j'me suis jamais laissé intimidé et toute façon, j'étais amis avec le fils d'un ami d'mon Pops alors on chassait souvent ensemble aussi.

Vers l'âge de 10 ans, en 1991, mes parents m'ont offert un perroquet et j'étais trop heureux. C'est mon père qui a eu l'idée parce qu'il parait que j'arrêtais pas d'lui parler d'oiseau quand on était en forêt et que s'est la seule chose qu'j'ai toujours refusé de tirer. Sauf que bon, le perroquet était bien, mais moi, j'voulais lui faire faire des tours alors ils m'ont aussi payé des cours de dressage. C'est là qu'j'ai découvert la fauconnerie parce que l'entraîneur en faisait en dehors. Quand j'en ai parlé à mon père, il était pas sûr parce que bon s't'était pas donné, mais il trouvait l'idée de mixer les passions assez cool au final.

J'suis pas extrêmement proche de ma soeur, mais j'l'aime vraiment beaucoup, même si bon elle faisait pas mal de conneries. Déjà jeune, elle suivait pas trop les règles, elle s'disait progressiste ou j'sais pas trop. Mais quand même à l'école, chaque fois que quelqu'un lui prenait la tête, j'la défendais. L'école a été assez facile autant pour moi, qu'pour elle. Elle est sacrément plus intelligente que moi, n'allez pas lui répéter, sauf que moi j'ai vraiment une mémoire de fou alors même si parfois j'comprennais rien, j'pouvais juste écrire s'que j'me rappellais sur les copies d'examens. S't'un peu comme ça que ma passion pour l'histoire s'est développé d'ailleurs. J'trouvais ça cool de lire sur les vieux trucs du passé et j'me rappelais de toutes les dates comme une éponge absorbe l'eau. Ma sœur m'a dit qu'j'pourrais être un bon professeur et j'me suis dit pourquoi pas.

Quand j'ai terminé le secondaire, en 1999, j'me suis inscrit à l'université de l'Arkansas en histoire et j'ai complété mon Baccalauréat sans trop d'problèmes. S't'était pas mal d'études à apprendre par cour et ma soeur était vraiment une p'tite génie d'm'avoir conseillé ce chemin là. Entre temps, j'me suis trouvé quatre potes avec qui j'allais chasser et j'commençais à être bon à la fauconnerie au point où j'me louais un aigle pour aller chasser. On a vraiment tissé des liens serrés et on allait chasser tous les ans ensemble. Mon Bacc en poche, j'ai fait ma certification d'professeur et j'ai commencé à enseigné dans les écoles secondaires d'la région. D'abord en suppléance et ensuite j'ai eu un poste à Little Rock, autour de 2005 j'crois.

S't'un peu à ce moment-là qu'j'ai foiré. Enfin, ça dépend des points de vues car selon les mecs qui m'entourent j'ai plus taper le haut score. Y avait s't'élève dans ma classe, une p'tite blonde plutôt sexy et disons simplement que j'lui donnais des cours particuliers. J'étais loin d'me douter qu'la garce me dénoncerait après qu'j'lui ai donné des bonnes notes. On m'a accusé d'abus d'pouvoir, mais moi j'dis encore que c'est elle qu'y a abusé d'sa poitrine pour passer mon cours. Au final, j'ai été chanceux, j'ai juste perdu ma certification d'enseignement dans l'Arkansas et comme elle avait 18 ans, j'ai subi aucune accusation. Sauf que bon, j'avais b'soin de travailler et enseigner s'pas mal tout s'que j'savais faire d'intelligent alors quand j'ai vu des postes disponibles dans l'état de Washington, et considérant qu'le père de l'étudiante voulait m'casser les dents, j'me suis croisé les doigts que les différents états s'transféraient les informations et j'ai été assez chanceux pour obtenir ma certification là-bas en 2008. Au début, j'trouvais ça nul d'être aussi loin d'ma famille et d'mes amis, mais ils ont commencé à me rendre visite de temps en temps alors ça allait. C'est d'ailleurs pas longtemps après mon arrivée à Seattle que j'ai acheté Freyja et que j'l'ai entrainé à chasser pour qu'elle nous accompagne quand mes potes me visiteraient et qu'on irait à Rochester.

Encore une fois, j'ai surtout fait d'la suppléance au début et je changeais tout le temps d'école. J'ai obtenu un nouveau poste seulement en 2014, et j'dois dire que même si y avait encore pleins d'filles vraiment sexy dans mes classes, j'essayais de rester le plus sérieux ou du moins, l'plus discret possible.

Octobre 2015:

Les boys et moi, on a loué un terrain de chasse dans le secteur de Rochester et on était bien prêt à y rester près d'un mois, sans technologie et surtout sans femme. Deux des trois mecs avec qui j'chasse sont mariés maintenant et c'est plus aussi facile de les avoir pour aussi longtemps. D'ailleurs, ils se moquent souvent de moi parce que j'suis célibataire mais bon, ça permet de garder les options ouvertes comme j'aime bien le dire. Vu qu'on était un peu coupé du monde en forêt, on a pas vraiment suivi ce qui s'est passé aux infos. Autant, j'aurais préféré le savoir avec ce qui s'est passé dans le bois. Ça f'sait peut-être une semaine qu'on était là, on devait être à la mi-octobre, j'sais plus trop, quand l'un de mes potes a disparu, on avait plus le contact avec lui et on avait beau le chercher, on trouvait rien. Ça devait faire 24h qu'il était disparu quand j'suis enfin tombé sur lui, sauf que c'était bizarre, il était de dos et il bouffait un animal au sol, le sang giclait de partout, ça m'a même donné la nausée. J'ai mis ma main sur son épaule, et j'ai dis son nom, en espérant qu'il se retournerait et qu'il m'expliquerait un peu la situation. Sauf qu'au lieu de ça, il grognait et il s'est retourné vers moi avec un regard vide et la bouche bien barbouillée d'hémoglobine. J'ai reculé et je suis tombé au sol, un peu effrayé, je rampais de dos alors qu'il approchait et que j'lui demandais de s'arrêter. À cette époque, je traînais souvent un revolver à ma ceinture, parce que si tu viens de l'Arkansas, tu en pars vraiment jamais et comme je pouvais pas en avoir dans les rues de Seattle, je profitais de la chasse pour retrouver ce vieux sentiment de fierté. J'ai tiré mon arme de poing et je l'ai planté sur lui, je l'ai supplié d'arrêter d'avancer, j'ai tiré deux ou trois coups pour l'effrayer, mais ça changeait rien. Même que y a Freyja qui est venu me défendre en l'attaquant au visage mais il bronchait pas et il a repoussé d'un coup de main. Quand j'ai décidé de tirer sur lui, il était même pas à un mètre de moi, un coup dans le ventre et il continuait d'avancer, j'en revenais pas, j'ai dû lui tirer dans la tête pour qu'il s'écrase.

J'ai laissé mon arme au sol, parce que sous le coup de la panique, je savais pas quoi faire, je suis revenu vraiment vite au chalet pour rencontrer les autres et tout leur raconter. Considérant s'qui c'était passé, on aurait dû rentré direct à Seattle, mais y avait un autre de mes potes qui s'était fait mordre par un de ses trucs qu'il disait, alors on est resté sur place. On a bien essayé de contacter les secours, mais y avait personne qui répondait à l'entrée du terrain de chasse. Trois ou quatre jours plus tard, j'me suis fait réveiller par un hurlement, celui de mon dernier copain en santé qui se faisait arracher un morceau de bras par l'autre. J'ai reconnu directement le regard vide que j'avais vu dans la forêt, alors j'ai sorti ma machette et j'ai enfoncé ma lame dans le crâne de mon ami. J'me suis retourné vers celui qui venait de se faire mordre et j'ai hésité un instant, il l'a senti dans mon regard et je crois qu'il m'a dit un truc du genre "Ça va aller, fait pas ça...", sauf que là, j'avais juste trop peur que ça se reproduise alors j'ai mis fin à ses souffrances aussi.

J'suis sorti pour trouver des secours et dans un autre chalet abandonné, j'ai trouvé une petite radio. Y avait juste un message en bouche des autorités qui donnaient des instructions alors j'ai compris que c'était pas qu'un cas isolé.

Hiver 2016:

J'suis resté un moment au chalet, j'ai nettoyé un peu parce que le corps de mes amis ça me dégoûtait un peu et je pouvais même pas croire que je passais à travers ça. Heureusement, on avait quelques ressources et j'suis sorti plusieurs fois pour chasser et pour piller les autres chalets qui semblaient avoir été abandonnés par tous les autres chasseurs. J'étais pas super préparé pour l'hiver, mais j'ai réussi à me réchauffer en faisant des feux et en m’enrobant de la peau d'ours qui traînait devant le foyer. Ça faisait déjà quelques mois qu'j'étais là et j'trouvais plus grand chose à manger, même le gibier était dur à trouver avec l'hiver. Le pire, c'est surtout que j'voyais de plus en plus de ses cadavres ambulants, que j'ai commencé à surnommer les gringos parce qu'ils marchaient toujours comme s'ils étaient sur le point de faire une siesta. En tout cas, ils commençaient à marcher jusqu'à l'intérieur de la forêt et à chaque fois ils avaient l'air pas mal agressif en me voyant. J'ai pris mes trucs et j'ai commencé à marcher vers le nord. J'me suis dit que près de Seattle, y aurait peut-être des campements ou quelque chose du genre. Le négro de président nous avait quand même pas abandonné ?

J'sais plus trop combien de temps qu'j'ai marché, mais j'me rappelle juste que c'était vraiment long. J'avais Freyja pour m'accompagner et parfois elle me ramenait du petits gibiers qu'on se partageait. J'étais vraiment fatigué et à voir l'état des endroits que je squattais, j'étais pas le premier à chercher des trucs pour survivre. J'me suis retrouvé à Olympia où j'ai fais une pause dans un supermarché, y avait pas grand chose, mais au moins y avait quelques miettes à manger pour pas crever. J'suis quand même chanceux, car je suis tombé sur une famille qui remontait vers le nord aussi. Le plan du père, c'était de prendre l'un des traversiers qui faisait autrefois la route entre Bainbridge et Seattle pour en faire un endroit pour vivre. S'te plan me semblait complètement con, mais le père me laissait dormir dans la boîte de son camion pendant qu'il conduisait alors j'me suis pas plain. Ça m'amenait pas vraiment à Seattle, mais peut-être que j'trouverais quelque chose à partir de là. Ça a dû nous prendre un bon deux jours faire une route d'une heure, déjà parce que le môme du couple voulait toujours arrêter pisser et aussi parce qu'y avait des carcasses de voitures partout et on devait constamment s'arrêter. Imaginez la déception du père quand on est arrivé sur place et que les traversiers n'étaient même pas à quai, j'le savais que c'était un plan de con. À priori, il voulait poursuivre la route jusqu'à Port Townsend pour tenter la même connerie, sauf que moi j'en avais déjà un peu marre de monter vers le nord alors je l'ai laissé partir. J'contemplais un peu son échec en regardant Seattle de l'autre côté de la rive quand des mecs armés sont arrivés en groupe et m'ont encerclés. C'est un peu con que l'autre soit parti avec sa famille parce qu'ils m'ont emporté à Fort Ward, un endroit sûr à priori. Personnellement, j'vais pas m'en plaindre.

Août 2016:

J'm'intègre depuis un petit moment dans le campement et j'me considère plutôt chanceux de l'avoir trouvé. Même si j'trouve ça vraiment con de raser la forêt, j'en profite pour participer et aider à construire le mur afin de montrer ma bonne foi. J'ai dû mettre Freyja en cage par moment parce que les militaires la considéraient presque comme une arme et comme ils m'ont tout confisqué, elle restait une menace. J'les ai convaincus assez vite qu'elle pouvait nous aider et que j'l'avais bien dressé, et même que durant l'été, ils m'ont rendu mon arc pour que j'puisse faire parti des groupes qui sortaient chasser autour de Bainbridge Island. Normalement, j'suis difficile à changer d'avis mais construire le mur n'était pas une mauvaise idée parce qu'avec l'attaque par bateau qu'on a subit, j'imagine pas ce que ça aurait pu être s'ils avaient pénétrer dans le camp par la terre. J'ai aidé comme j'ai pu à repousser l'ennemi, et soudainement j'me suis senti comme un vrai soldat américain qui protège son pays de l'envahisseur, ça m'a rappelé pas mal de trucs du temps où j'enseignais l'histoire.

Comme j'savais tiré, ils m'ont proposé de participer un peu à la sécurité, mais je me contente de faire des rondes pour aider. Mon truc, c'est plus la chasse, et je suis un professeur, pas un militaire. Tirer sur des humains ça m'intéresse pas plus que ça.

Mars 2018

À part le tremblement de terrain qui nous a tous secoué, dans tous les sens du terme, on vit bien ici. Y a quand même une sorte de grogne populaire envers le sénateur et j'arrive pas vraiment à dire si on peut lui lancer la pierre. J'me tiens loin des révolutionnaires parce que, même si je suis du genre opportuniste, j'y vois plutôt l'opportunité de mourir pour une cause ridicule. J'reste dans mon coin et je laisse un peu la situation aller en espérant que j'serai pas une victime collatéral d'une guerre d'opinion stupide. La prise de pouvoir de June me laisse un peu indifférent, à part que j'aime pas trop l'idée d'être gouverné par une femme. J'dis pas qu'elle n'est pas capable mais bon, elle serait sûrement plus habile à s'occuper de faire la vaisselle. Au moins, elle est plus jolie qu'Hillary Clinton, alors j'me dis que peut-être qu'un jour, je pourrais faire plus connaissance avec elle. Si elle a la poigne de gouverner un campement, elle doit avoir de la poigne dans la chambre à coucher.

Bref, j'continu de m'impliquer plus dans le domaine qui m'intéresse, c'est-à-dire la chasse. On me laisse un peu plus de responsabilités et comme j'suis le chasseur le plus talentueux, c'est plus moi qui dirige maintenant quand on sort. Ça reste important de noter qu'on n'est pas des pilleurs ou des ravitailleurs parce que j'dois les ramener à l'ordre chaque fois qu'on voit un commerce en état pas trop mauvais. On cherche des animaux, de la viande et des peaux, pas des cannes de conserves. Freyja chasse toujours avec nous, et elle nous donne un avantage non-négligeable.

Décembre 2018

Y a un nouveau petit groupe qui a rejoins notre camp et j'ai quelques doutes. Déjà parce que le chef a l'air gay et j'suis pas sûr qu'un groupe guidé par une tarlouze a pu survivre bien longtemps sans payer avec la peau de genou et aussi parce qu'un mois plus tôt, on m'a demandé d'aller combattre à leur côté pour j'sais pas quel raison. J'ai refusé parce que comme j'l'ai déjà dis tuer des humains ça m'intéresse pas. S'pas parce que j'sais me servir d'une arme que j'vais commencer à tuer sans savoir pourquoi. À priori, j'ai bien fait parce qu'ils sont tous revenus bredouille de leur bataille et j'imagine que c'est un peu comme ça qu'on a assimilé s'groupe. Au moins y a deux femmes avec eux, et elles sont plutôt mignonne. J'ai pas vraiment le temps de leur parler, car je sors presque tous les jours maintenant. On est chanceux parce que la nature a repris le contrôle sur la ville et maintenant, j'trouve du gibier même dans les rues, ça change juste la dynamique du pistage.

Novembre 2019

J'me reconnais plus tellement. Autant dire que j'suis une personne complétement différente du prof d'histoire que j'étais y a d'ça, j'sais plus combien d'années. Par contre, j'dois dire que cette année a été particulière et qu'elle m'a changée complétement. D'abord y a eu l'fameux vaccin qu'on m'a administré un peu d'force. June vous dirait qu'on avait l'choix, mais disons qu'on était fortement encouragé à l'faire si on avait été tiré au sort. Autant dire que j'regrette amèrement d'pas avoir résisté un peu plus, parce que les effets secondaires sont pas trop agréables.

Ensuite, y a eu l'attaque de New Eden en juillet, et ça a fait ressortir une partie d'moi qu'j'aurais préféré gardé loin, enfoui au plus profond d'mon être. Avec Stanley et Maddie, on a torturé l'un des leurs jusqu'à s'qu'il crache le morceau sur tout s'qu'il savait. Ça m'a donné envie d'en faire plus, d'participer aux efforts de guerre pour protéger l'Fort. Pour être honnête, y avait un peu d'May dans tout ça. Elle est si forte et si fragile à la fois, j'me dois d'la protéger à tout prix. Et comme on dirait qu'elle tient à sa vie autant qu'on peut tenir à un vieux mouchoir, j'ai l'impression qu'elle fait exprès pour s'foutre dans toutes les situations possibles où elle peut mourir. J'sais pas vraiment laquelle de ses raisons m'a vraiment poussé à participer à l'attaque sur Bellevue, mais maintenant qu'j'y réfléchi, j'étais peut-être pas prêt à ça. Tuer ou être tué... J'aurais dû l'comprendre depuis longtemps, mais est-ce qu'on devait vraiment sacrifier Vicky pour qu'j'le comprenne?

Mai 2020

Ça fait plusieurs jours et j'en tremble encore. Entre Eve qui m'parle de Dieu et sa clémence, June qui nous fait croire qu'elle est en contrôle et qu'on était pas des cobayes et le souvenir du regard effrayé de May, j'arrive pas à fermer l'oeil. Les effets secondaires du vaccin m'ont poussé à mordre Cendrillon jusqu'au sang, et si ça n'avait pas été d'la russe, j'suis à peu près certain que ma rage aurait pu la tuer. J'aurais dû tuer June s'jour là, mais j'ai pas eu les couilles d'le faire. Au lieu d'ça, j'me suis retrouvé attaché à un lit et j'dois prendre un sérum pour appaiser les effets du vaccin jusqu'à s'qu'on trouve une solution permanente. J'suis peut-être pas l'seul dans cette situation, mais j'ai l'impression que j'suis l'plus révolté... À l'exception peut-être de Casey, mais Stan va sûrement finir par la convaincre que la rousse est de confiance. Si c'était pas d'May, j'partirais sur les routes et on m'reverait plus jamais.

Novembre 2020

Ma mère m'disait souvent d'faire attention à c'que j'souhaite et peut-être que dans la situation actuelle, j'aurais dû l'écouter. Il faisait chaud cette journée-là, il me semble, ça devait être en juin ou en juillet, j'sais plus trop, j'ai un peu perdu la notion du temps depuis. J'me trouvais seul dans une des caches que j'avais bâti principalement pour la chasse à l'orignal dans le secteur au nord-ouest de Brinnon. L'endroit était plutôt éloigné de Fort Ward, mais ça servait justement de point de ravitaillement pour les chasseurs perdus et la quantité de gibiers y était plutôt appréciable.

À aucun moment, j'me serais douté que j'me ferais prendre par surprise dans un endroit pareil. J'me rappelle même pas comment ça s'est passé, mais j'ai de vagues souvenirs de m'être fait transporter dans la boîte de mon pick-up sous un soleil accablant parce que j'chaque fois que j'reprenais conscience, sa lumière m'éblouissait et j'arrivais pas à voir qui s'trouvait autour de moi. J'suis pas sûr d'où ça s'trouvait exactement, mais on a roulé un bon moment vers le sud et dans des chemins boisés sinueux. Ils n'étaient pas nombreux dans ce campement, moins d'une vingtaine, je dirais, et un peu moins qu'la moitié n'était pas là de son plein gré. Au départ, ils m'ont torturé pendant j'sais pas combien de temps, des jours, peut-être des semaines. Ils disaient qu'j'étais trop propre pour ne pas venir d'un endroit intéressant, et j'ai juste fermé ma gueule jusqu'à c'qu'ils en aient marre. J'suis pas sûr des raisons qui les ont poussées à m'garder parce que les autres prisonniers étaient des femmes qu'ils gardaient pour se soulager et s'occuper des tâches ménagères. Moi et un autre mec, on coupait du bois, ramasser des trucs lourds, et surtout, on s'faisait battre avec tout c'qui traînait dès qu'on ne faisait pas s'qu'ils disaient.

Sans l'sérum, j'ai commencé peu à peu à ressentir l'hypersensibilité, la fièvre, la faim... J'osais pas parler parce que j'pouvais quand même pas leur dire que j'avais été le cobaye d'un vaccin contre l'infection rôdeur. Puis un soir alors que tout le monde dormait, la rage m'a pris, j'étais hors de contrôle, du moins, c'est ce que j'crois. Quand j'ai repris conscience, j'étais en plein milieu d'la forêt, ensanglanté. J'avais encore la chaîne au pied qui n'avait fait qu'arracher la planche à laquelle elle était fixée. Une douleur persistante et intense irradiait dans ma cuisse, et à en croire par le sang qui en coulait, on m'avait tiré dessus. Le goût du fer sur ma langue m'a fait gerber alors que j'ai réalisé que j'avais avalé plus qu'une bouchée de chair humaine. J'ai marché difficilement entre les arbres pendant plus d'une journée, alternant entre conscience et inconscience alors que j'faisais des pauses et que j'perdais la notion du temps. Le dernier truc que j'me rappelle s'est de m'être évanoui devant s'qui semblait être une rivière. J'ai entendu une voix féminine me dire de tenir bon, mais j'en avais marre de m'battre... Mourir libre ça sera déjà ça de bien...

Autrefois, j'étais l'chasseur en chef de Fort Ward, mais maintenant, j'suis qu'un estropié qui vit au crochet de la famille d'Hazel Parks. Si ça n'avait pas été d'eux, j'serais mort et à la recherche d'une prochaine proie à dévorer. J'reprends du mieux peu à peu, mais j'suis pas sûr que j'pourrai remarcher normalement un jour. Dès que j'pourrai me déplacer un peu, j'ferai en sorte de faire ma part avec mes talents particuliers. Y a pas un jour qui passe sans que j'me dise que j'aurais dû mourir, car maintenant, j'suis terrifié à l'idée de faire du mal à cette famille. J'espère qu'il y a encore un plan pour moi et qu'il n'est pas tout noir. J'ai envie d'retrouver May et oublier les derniers six mois...