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J’avais dû presser le pas à l’extérieur pour rattraper Lisandro et Teresa qui étaient partis devant moi. Les éclats de voix qui me parvenaient déjà m’interpellèrent. J’écarquillai les yeux, un peu choqué par ce que j’entendais. Albert avait visiblement des griefs importants envers les têtes pensantes du camp, et donc envers mon père par extension… Il ne s’en cachait même pas. Et puisque sa mère prétendait à la relève, à quel point ils avaient mis à exécution un plan sournois ensemble pour se débarrasser d’eux ? Et à quel point les autres étaient mêlés là-dedans ? J’avais du mal à imaginer que c’était un pur hasard. Qu’ils avaient seulement joué de malchance… Un éboulement, ça se provoquait. Je sentis une bouffée de colère monter en moi, que je réprimais d’une longue inspiration. Ce n’était pas en gueulant plus fort qu’eux qu’on obtiendrait des réponses.

« On n’a jamais dit qu’on ne vous croyait pas. » Que ce soit Lisandro, Teresa, Soo ou moi-même, aucun de nous n’avait élevé la voix contre eux quand ils s’étaient exprimés à l’assemblée. Je ne voulais personnellement pas les mettre tous les trois dans le même panier. Ils n’étaient peut-être pas tous responsables, même si je commençais à douter qu’il s’agisse d’un malheureux accident à les écouter. « On est tous sous le choc de la nouvelle. J’ai du mal à réaliser que mon père… ne reviendra sans doute pas… » Ma voix s’étrangla en prononçant ses mots. Je contins mes larmes. « On va rien vous faire… De quoi vous avez peur comme ça ? » Vivian commençait à s’agiter et à hausser le ton, au bord de la crise de panique. Je ne savais pas si ça cachait quelque chose ou si c’était simplement qu’elle était trop sous pression. Je regardai ensuite Roman qui s’était enfermé dans un silence inquiétant. « Vous avez bien fait de revenir au camp pour nous prévenir. C’était ce qu’il fallait faire… J’aurais sans doute fait pareil à votre place. »

Je me passai ma manche sur le visage, avant de me retourner vers Lisandro. « Est-ce que je peux aider ? » De toute façon, on n’apprendrait rien si on les laissait tous les trois ensemble. Je lançai un long regard à Lisandro. Lui comme Teresa devaient encore avoir en tête la discussion à la cafétéria. Ils savaient que quelque chose de louche se tramait. J’étais sûr qu’ils m’aideraient à comprendre. Je voulais qu’ils sachent qu’ils pouvaient compter sur moi.

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Sa fille blottie dans ses bras, le chilien ne cesse de tourner et de retourner toutes ces informations dans son esprit. Rien de tout ça n’était très clair, les paroles bafouillées de l’un, les affirmations de l’autre. Ce qui était certains par contre, c’est que Roman et Vivian – et même Albert à sa manière – avaient été probablement marqué parce qu’il s’était passé là-bas. Le mystère qui demeurait cependant, c’était si la source de ce traumatisme était réellement due à la mort de leur famille, et de leurs amis. Mais le problème de cet espoir qui grandissait en eux, s’il existait une véritable chance qu’ils soient encore tous en vie, cela signifierait qu’il y avait eu traîtrise au sein même de Nisqually.

Dans l’infirmerie, le chilien n’eut même pas le temps de poser Annabella dans le parc installé près de son poste que l’agitation des trois rescapés commencèrent à faire beaucoup de bruits. Soo s’avança la première, avec son innocence même pour tendre la main à Vivian, juste avant que Joachim ne prenne la parole. Le responsable de l’infirmerie le regarda un instant, alors que visiblement une même idée germait dans leur esprit devant l’innocence impossible à feindre de l’enfant. Et puisqu’ils avaient cette carte-là à jouer, Lisandro attendit avant de poser sa fille dans son parc. « Ce lieu n’a pas pour fonction de faire du mal, pas temps que c’est moi qui en suis responsable. » Annonce-t-il, fermement. Il ne tente aucun geste direct envers Vivian, mais se dresse sur son passage, avec Annabella et son grand regard triste de petite fille qui ne comprend pas ce qu’il se passe. « Vivian, je suis médecin ici, et je sais reconnaitre des gens traumatisés quand j’en vois… » Annonce-t-il, sur un ton qui se veut apaisant. « Quoi que… Je ne sais pas ce que vous avez vu là-bas mais… les laisser sur place a dû… A dû être la décision la plus difficile que vous ayez eu à prendre. » Il n’avait pas besoin de feindre la douleur dans sa voix. Une part de lui-même était terrifiée à l’idée qu’ils soient réellement morts, peu importe qui était réellement responsable de tout ça. Il tourne sa tête ensuite vers Roman, qui semblait apeuré plus par Albert que par eux, avant de se tourner vers ce dernier lui disant d’un ton prudent. « Je ne crois pas que la mort de notre famille soit un sujet sur lequel vous prendriez plaisir à plaisanter. Il n’y a que l’espoir de croire qu’ils ont peut-être pu sortir, qui nous anime encore. Mais je ne pense pas que vous mentiez sur ce que vous avez vu, et vécu. » De sa main valide, il invite les trois rescapés à s’assoir. « Rien ne vous sera donné, aucun calmant, aucune injection… Je veux juste faire mon travail et voir si vous allez bien, un peu de calme et de repos devrait vous faire du bien. Est-ce que vous êtes d’accord ? » Demande-t-il ensuite, tout en reculant vers le parc d’Annabella, pour aller la déposer au milieu de ses couvertures et de quelques-uns de ses jouets préférés. Il sourit à Joachim ensuite, confiant. « Bien sûr, si Roman veut bien te suivre, le lit du fond est propre. » Se montraient-ils suffisamment convaincants et rassurants ? Ils allaient vite le savoir.

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Teresa observe en silence. Quelque chose cloche, ça ne fait aucun doute. Ils sont tellement nerveux, tellement sur la défensive. Bien sur leur mésaventure explique en partie leurs réactions, mais la cubaine en est persuadée, quelque chose ne colle pas dans cette histoire.
Son silence pourrait passer pour de la peine, tout simplement. Ses joues sont encore humides de larmes, et elle peine à lâcher la main de la petite Soo quand celle-ci s'avance vers les autres pour leur parler.

Finalement, quand tout le monde redescend un peu en pression, elle approche doucement de Vivian, sans la toucher, et l'invite à s'asseoir. Elle-même prend place sur une chaise proche, une main machinalement posée sur son ventre dont la grossesse est encore très discrète.

- Tu sais.. j'ai perdu mon fils, y'a deux ans. Il était encore jeune, à peine une douzaine d'années.
Elle lève un regard à la fois bienveillant et douloureux vers la femme, en reprenant.
Je sais ce que ça fait, de devoir laisser quelqu'un derrière soi. Je sais.. ce qu'on ressent en les abandonnant pour sauver sa propre vie.
Mais je sais aussi qu'il faut en parler. Il faut pas se murer dans le silence, sinon la culpabilité ronge, petit à petit.

La culpabilité. C'est bien sur elle qu'elle compte, pour qu'ils crachent le morceau. Que ce soit pour raconter ce qu'il s'est passé, ou pour avouer un mensonge, une tromperie, n'importe quoi qui puisse leur redonner espoir. Parce que tout ça est trop brusque, trop violent. Impossible à accepter.

- ça te brûle de l'intérieur jusqu'à te consumer toute entière, ça te pourrit la vie à en devenir folle. Et je te jure, que je sais de quoi je parle..
Alors.. s'il te plait, parle-nous. Raconte-nous ce qu'il s'est passé. Ne laisse pas tout ça te détruire.

Intérieurement, le chilien a un soupir de soulagement qui s’exprime plutôt avec un sourire, rassurant. D’un côté Roman accepte de suivre le jeune Greene au fond de l’infirmerie, de l’autre Teresa tend sa main vers Vivian pour l’inviter à se poser et peut-être parler un peu de ce qui la tourmente autant. Du repos oui, ils en avaient finalement tous les trois besoins, mais autant qu’ils le fassent ici, du moins temps que Lisandro n’aurait pas validé leur sortie, ce qu’il espérait faire le plus tard possible. Et pour rassurer Vivian, le chilien ajouta : « Tu pourras rentrer chez toi quand j’aurai vérifié que tout va bien, ne t’en fais. » Assura-t-il. Ils avaient beau avoir une idée derrière la tête, Teresa, Joachim et lui-même, il n’en comptait pas moins faire son boulot pour autant. Au contraire, ces auscultations allaient pouvoir leur servir de prétexte pour les approcher et discuter un peu.

Et puisque ses amis étaient pris en charge, il ne restait alors plus qu’Albert d’encore debout. Le chilien l’invita d’un geste à venir s’assoir sur un des lits, laissant un peu plus d’espace à Vivian, sans les isoler complètement pour autant. Son stéthoscope autour du coup, Lisandro commença à prendre ses constances. « Merci, de nous avoir dit ce qu’il s’était passé. » Commence-t-il, tout en écoutant les battements de son cœur, ainsi que sa respiration. « Je suis désolé que tout le monde ait réagit avec autant de colère, je sais que vous n’êtes pas ici depuis aussi longtemps que nous mais, on est tous une famille ici. Et si ce que vous avez rapporté est vrai – je veux dire, s’ils n’ont pas réussi à s’échapper alors… Alors j’ai perdu toute ma famille en l’espace d’une semaine… Cela faisait presque quatre ans que nous survivions à ce monde, tous ensemble… » Il raconte un peu de lui-même, alors qu’il écoute encore, à travers son stéthoscope son cœur qui bat fort. Il n’était pas si difficile pour Lisandro d’avoir l’air aussi sociable, c’était tout l’esprit qu’il avait toujours donné, à tout le monde. Même si d’habitude, cela s’accompagnait de blagues plus légères, mais l’heure n’était pas vraiment à la plaisanterie. « Inspire profondément pour moi, s’il te plait. » Il prenait son temps, délibérément.

« Est-ce que… » Il commence, mais s’interrompt, comme pour montrer que c’était difficile. Puis il regarde Albert, avec une certaine émotion. « Est-ce que… Andrea… Était-elle encore en vie quand vous avez pu sortir ? » Oh oui, il comptait bien jouer cette carte-là. Outre le fait qu’il avait réellement peur de la réponse, elle était la carte la plus juste et la plus pertinente à jouer. Nul n’ignorait qu’elle était la mère d’Annabella et l’histoire qu’ils avaient pu avoir avant leur séparation. Même si Albert ne connaissait pas tous les détails, il n’était pas difficile de lire, dans les yeux de Lisandro, à quel point il aimait toujours cette femme. Il fallait qu’il commence à poser des questions, quelque part. Mais il fallait aussi qu’il donne du temps à Joachim et à Teresa, pour creuser un peu de leur côté avec les deux rescapés les plus fragiles en ce moment.

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