Le plus logique était de retourner, dans un premier temps, dans la grande salle pour savoir où était passé Nolan. Sauf que celle-ci avait été désertée entre temps. Où est-ce qu’il pouvait bien être passé ? Peut-être qu’il était simplement retourné chez lui, en prévision de l’expédition qui aurait lieu demain ? Je supposais qu’il en ferait partie, en tant que médecin. S’il y avait une seule chance que l’un d’eux est survécu…

Je me figeai en surprenant des éclats de voix non loin de la cabane de Marlon. C’était bien Roman là-bas ? Je n’avais toujours pas compris pourquoi il s’était enfui. Et, cette fois, il était avec Suzie et Daryl. Je n’aimais pas ça. C’était eux qui avait désigné mon père et les autres en conspirant à la cafétéria, la dernière fois. Je me rapprochai à pas prudents, à la faveur de la nuit, pour mieux écouter ce qu’ils se disaient. Je devrais peut-être aller prévenir les autres.

Trop tard.

Je me figeai sur place, quand Daryl bondit de sa place. Je n’eus pas le temps de déguerpir que sa poigne se referma sur moi. « Lâche-moi ! J’ai rien fait de mal ! » Si je les espionnais ? S’ils posaient la question, c’était bien qu’ils avaient quelque chose à cacher non ? J’ouvris des yeux ronds quand Suzie lui intima de m’emmener à l’intérieur. « Quoi ? Mais… » Je me débattis dans sa prise jusqu’à ce que je dépasse le seuil. Une fois à l’intérieur, la surprise me cloua sur place. Ils étaient tous là. J’oubliais de respirer un instant. Quinze personnes, armés jusqu’aux dents. Prêts à en découdre.

Je lançai un regard paniqué à chacun d’entre eux, alors que les échanges entre eux fusaient en tout sens. Louise arrivait à peine à retenir mon attention plus longtemps que les autres. Je lâchai d’une voix blanche en réponse : « Pour le bien du groupe ? Aucun de nous n’est armé dehors ! Qu’est-ce que vous allez nous faire ?! » Je tremblai doucement dans la prise de Daryl, sans savoir si c’était la peur ou la colère qui prenait le dessus. Ce fut pire encore à l’intervention de Vivian. « C’est pas vrai ! C’est toi qui nous as menacés de ton arme, on t’avait rien fait du tout ! » Mon regard, choqué, abonda dans la direction d’Albert qui ne niait même pas. Les larmes que j’avais retenu jusque là se mirent à dévaler mes joues, alors que ma voix se brisait sous le coup de l’émotion. « Vous… Vous avez tué mon père, c’est ça ? Et vous allez me tuer maintenant ? » Alors, c’était fini ? Quelle importance, au fond ?

Je relevai le regard vers Louise quand elle m’interrogea directement. Parce que maintenant ça les intéressait de savoir ce que je pensais ? Je la fixai longuement, à travers le rideau de mes larmes. Les tremblements cessèrent un peu. Je lâchai d’une voix plus résolue : « Je pense que ce n’est pas en levant des armes sur des personnes désarmées que vous montrerez que vous êtes meilleurs qu’eux. Vous voulez qu'il y ait encore plus de morts ? C'est comme ça que vous comptez arrêter une guerre, arrêter les crimes ? »

Je tressaillis quand Denise coupa sèchement Louise, comme mettant fin à sa promesse qu’il ne nous arriverait rien. Puis ce fut à Marlon de s’avancer vers moi. J’écarquillai les yeux, quand il s’avoua prêt à me confier la vérité. Les gens de la prison… Il parlait de nous comme si nous ne faisions pas partie intégrante de ce camp, et à les écouter, je le souhaitais presque. J’aurais donné cher pour repartir quelques années en arrière, avant qu’on les accueille parmi nous. On aurait mieux fait de rester entre nous, non ? De ne pas faire confiance à des étrangers. Tout le monde serait encore là, en vie.

J’avais envie de lui cracher à la figure alors qu’il en parlait comme s’il connaissait tout de cette histoire, de notre histoire. Il n’était pas là. Il n’avait pas partagé nos peines, nos craintes et nos aspirations, et encore moins notre colère. « Ca ne s’est pas passé comme ça, vous déformez la vérité comme ça vous arrange ! » C’était comme ça qu’il avait réussi à tous les rallier derrière lui ? Certainement. Je me figeai quand il prononça le nom de Selene… Que je ne reverrais probablement jamais. Et il osait salir son nom. « On vous a accueilli à bras ouverts ici. Et c’est comme ça que vous nous remerciez ? » Je lui lançai un regard interdit, tandis qu’il remettait mon col comme si de rien, avant de me balancer au visage une vérité glaçante.

Il n’avait peut-être pas tué Selene et les autres…
Mais il avait tué mon père.

Je restais sous le choc de ces révélations. Mon père… Mort ? Andrea ? Isalín ? Et tous les autres… A cause d’eux. Parce qu’on avait eu le malheur de leur ouvrir les bras, de leur faire confiance ? Je poussai un cri de rage mêlé de frustration dans la prise de Daryl. La tentative d’apaisement de Louise était comme de l’acide qu’on aurait cherché à me faire avaler. Denise rendit le dernier verdict. Dans ce nouveau Nisqually, il n’y aurait plus de place pour nous. Je songeais subitement à Ruben et Kaya qui étaient encore dehors, inconscients du danger. Peut-être qu’il me restait encore quelque chose à sauver, là dehors. Je me raccrochais à cette vague lueur d’espoir pour ne pas tout laisser tomber, à cette colère froide qui sonnait comme ma dernière chance.

Ils se détournèrent tous de moi, un à un, pour suivre Marlon à l’extérieur, dans un vent de révolte. Je me tins tranquille jusqu’à ce que le plus gros des troupes nous dépassent avec Daryl, avant de subitement m’agiter dans sa prise. Je me débattis de toutes mes forces, jusqu’à le forcer à relâcher sa prise sur moi. Je profitais de la brèche laissée pour me ruer à la fenêtre la plus proche pour la déverrouiller et tenter de me glisser à l’extérieur à temps. Je n’avais plus rien à perdre. Je devais tenter d’avertir les autres !

Spoiler:

J’y étais presque !
Un hoquet surpris m’échappa quand une vive douleur me traversa la jambe droite, me fauchant dans mon élan. Je fus ramené brutalement en arrière. Déséquilibré par ma jambe blessée, je retombai lourdement au sol sans parvenir à me rattraper à quoi que ce soit. En une seconde à peine, ma chance s’était envolée. « Ma jambe… » Je me crispai de douleur en me retournant sur le côté pour l’attraper, dans un geste purement instinctif. J’avais du mal à respirer, sentant le liquide chaud imbibé peu à peu mon jean. Je connaissais cette douleur, pourtant. Je m’étais déjà pris une balle à cet endroit-là. Ca avait été même pire, non ? Sauf que mon père était avec moi. Je n’étais pas tout seul. De nouvelles larmes affluèrent, alors que la douleur se diffusait comme un venin. Et celle à ma jambe n’était même pas la pire à supporter.

Je les entendis se disputer au-dessus de moi. Je peinais encore à reprendre mon souffle. Pourquoi Marlon s’inquiétait qu’on mette du sang dans son salon ? C’était une blague… ? A moins qu’il n’espère faire porter le chapeau à quelqu’un d’autre. J’avais encore du mal à réfléchir. J’aurais été plus fin… J’aurais attendu qu’ils soient tous assez loin pour agir, comme maintenant. J’étais persuadé qu’ils allaient me tuer avant, mais ils avaient l’air de vouloir prendre leur temps. Je croisai le regard de Denise qui se penchait sur moi en m’intimant de me lever. « Chez moi… ? Pourquoi ? » Ca ne faisait pas sens. Soit elle voulait me tuer à l’écart des autres, soit m’enfermer là-bas le temps que la situation se règle et… Décider ensuite. Peu importait. Aucune de ces deux alternatives ne me convenaient. Ca allait être un bain de sang si je ne pouvais pas les prévenir à temps. Kaya et Ruben feraient partie des premières victimes à déplorer. Ca, j’en étais persuadé. Si ce n’était pas parce qu’ils avaient le sang chaud, ce serait parce qu’ils étaient du sang de Nihima et Andrea. Et si je les perdais également, alors il n’y aurait plus rien qui mériterait d’être sauvé.

Je pris délibérément du temps pour me relever, non pas pour l’agacer, mais pour laisser à Marlon et ses sbires prendre un peu d’avance. Ils devraient sans doute se rendre à la grande salle. Je n’étais pas en état de me battre contre quelqu’un qui braquait une arme sur moi. J’avançai tant bien que mal à l’extérieur, en boitant sévèrement. Le trajet promettait d’être long à ce rythme. Je n’aurais même pas besoin de gagner du temps. Arrivé à mi-chemin, je fis semblant de chuter à cause de ma jambe blessée, poussant un puissant cri de douleur qui, lui, n’était pas si feint.

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