Les minutes s'égrenaient, sans que le sommeil ne vienne la gagner. Peu habituée à un tel confort comme celui que lui offrait ce nouveau lit qu'elle avait eu en rejoignant le motel, fixant ce plafond trop bien entretenu sans y trouver la moindre lézarde à compter. Le poids de Voron contre son flanc n'aidait en rien à se sentir à l'aise, alors qu'elle se tournait à nouveau dans son lit à la recherche d'une position plus confortable, abandonnant la partie en finissant par se relever en soupirant.

Trop d'énergie, et pas assez de choses à faire. Voilà ce qui l'empêchait de dormir. Quelques nuits complètes et des repas réguliers étaient sans doute trop difficiles à comprendre pour son corps habitué à la restriction après un an de solitude, voilà tout. Passant un jean élimé et un haut à manche longue noir, laissant ses cheveux retomber dans son dos en récupérant sur la table de chevet son paquet de cigarette, prête à hanter le motel comme une âme trop éveillée qu'elle était. Avec un peu de chance, une des filles serait encore debout.

Il ne lui avait pas fallût longtemps pour rejoindre la salle commune, tombant sur la silhouette gracile d'Ellie. Visiblement elle aussi occupée à tromper le sommeil, alors qu'elle faisait entendre sa venue d'un bref mouvement de la main, avant de se laisser tomber en face de la brune. Certes, elle n'avait pas été reconnue pour ses bavardages, ou sa capacité à tisser des liens en arrivant ici. Se contentant de faire son taff et veiller à la sécurité des filles qui usaient de leur charme contre des ressources, relevant les yeux vers la blonde en reprenant.

Tu dors pas ? Ou alors, elle jouait super bien la nana réveillée en pleine nuit. Pinçant les lèvres avant de reprendre plus franchement à la vue du regard que venait de lui lancer la brune. C'est mort à faire jouir un nécrophile ce soir. Y'a pas un endroit ou on peut bouger un peu ?

Il n'était pas si tard que ça, après tout. Et maintenant qu'elle avait appris que la vie sillonnait bien plus de quartiers de Seattle qu'elle ne l'avait supposé... Elle devait bien admettre que la curiosité était grande. De voir un peu ce monde qu'elle ne connaissait plus si bien, après deux ans loin de la métropole.

Et puis, ce serait toujours l'occasion de faire plus ample connaissance avec Ellie. Du peu qu'elle en avait vu, semblait-il qu'elles aient quelques petites similitudes de caractère. Ca pouvait toujours être une bonne surprise, dans le fond... Haussant les épaules l'air de dire que ce n'était pas si grave si elle refusait avant de reprendre.

Oxana m'a tout dit dans le détail, mais j'ai cru comprendre qu'il y avait eu du grabuge récemment. Ca peut être l'occasion d'te changer les idées ?

Alors que les heures défilent et qu’Ellie frissonne dans sa tenue légère, il devient évident que cette soirée va très vite devenir mortelle. Pas un client à l’horizon ou alors, ils sont déjà occupés avec les autres filles. Et à vrai dire, ce congé impromptu n’est pas pour la déranger. Depuis que Nathan est revenu d’entre les morts – vivant, s’entend – en novembre dernier, elle a inconsciemment commencé à réduire son activité au sein du motel. Elle n’a pas honte de se vendre, pourtant. Elle le fait pour survivre un jour de plus dans ce monde de dingues, et il n’y a aucun mal à cela. Mais elle devine que Nathan ne risque pas de le voir comme ça. De toute façon, le mal est fait et elle ne pourra pas réécrire le passé, peu importe à quel point il s’énerve.

Ôtant le kimono élimé dont elle se pare pour travailler, Ellie enfile rapidement un jeans et un gros pull par-dessus la lingerie fine, avant de sauter dans ses Converses usées jusqu’à la trame. Quitte à ne pas travailler, autant aller voir si d’autres filles se trouvaient dans le même cas. Avant de sortir, elle pioche son paquet de cigarettes dans la table de chevet, glissant un bâton de tabac entre ses lèvres. Les feuilles sont bien trop sèches désormais et lui arrachent la gorge à chaque inspiration. Mais comme tout bon camé, elle ne peut se passer de sa dose quotidienne.

En entrant dans la salle commune, elle constate son effort. Bon. Bon bon bon. Avec un soupir, la brune traîne ses baskets jusqu’à l’une des banquettes et se glisse sur le cuir râpé. L’ancien restaurant du motel est loin d’être la pièce la plus réjouissante de leur refuge mais au moins, il n’est pas sa chambre. Ce soir, la seule vue des rideaux en velours la fait déprimer, et elle leur préfère largement les tables en formica et le mobilier en contreplaqué. Prenant appui contre le dossier de la banquette, Ellie fume tranquillement une puis deux cigarettes, retardant l’instant de rejoindre sa chambre pour dormir.

Mais la porte de la salle s’ouvre dans son dos et elle se retourne pour jeter un coup d’œil à la nouvelle venue. Axelle. Elles se connaissent trop peu pour qu’Ellie ait une opinion sur elle mais ce soir, toute distraction est la bienvenue. Toi non plus, renvoie-t-elle d’un air malicieux. Son sourire ironique s’étire et elle prend le temps de retirer un brin de tabac de sa langue avant de répondre. Et encore, j’suis sûre qu’un nécrophile s’éclaterait ce soir, grimace-t-elle avec un air évocateur. Puis elle hausse les épaules, réfléchissant à la question de la brune. Y a bien la cage… Elle a l’habitude d’y danser, mais pas d’y aller en tant que spectatrice. Et cette perspective est tout de même plus intéressante que celle de retourner dans sa chambre solitaire.

Hochant pensivement la tête, elle acquiesce à la proposition d’Axelle. Ouais, totalement. C’est clair que ces saloperies de bikers leur ont pas fait de cadeaux ces derniers temps. Heureusement qu’Oxana a trouvé un moyen de se débarrasser d’eux grâce à ce groupe d’où venait la blonde qu’elles avaient soignée durant l’hiver. Evidemment, les abus subis par sa patronne ne sont pas anodins et Ellie a été plus que ravie d’apprendre qu’ils avaient tous trouvé la mort – et que celle-ci n’avait rien eu de douce et rapide. Esquissant un sourire, Ellie hoche une nouvelle fois la tête. Laisse-moi deux minutes, je vais chercher mon manteau. On se retrouve dans la cour ?

Elle ne dormait pas non, plus vraiment comme elle devrait.

J'suis du genre oiseau de nuit. Lança t-elle dans un sourire équivoque, croisant les bras contre sa poitrine en avisant la brune. D'habitude j'compte les morts. La... c'était différent. Le silence, la sécurité. Ca restait perturbant après autant de temps en extérieur, bien qu'elle ne doutait pas de s'en accommoder rapidement. Riant brièvement à sa remarque sur la nécrophilie en la suivant sur son cynisme, opinant du chef quand elle évoqua la Cage.

Ca se tient. Admit-elle, son sourire s'agrandissant quand Ellie annonça être de la partie. Annonçant récupérer son manteau alors qu'elle hochait la tête, indiquant qu'elles se retrouvaient bien dans la cour. Lui laissant même le temps de s'en griller une assise sur la Harley avant que la petite brune ne revienne, lui indiquant la selle de la moto comme s'il s'agissait d'une limousine de luxe. Si madame veut bien s'donner la peine. souffla avec un sourire, avant de démarrer le moteur et enfoncer le véhicule dans la nuit, direction la cage.

C'était à dire vrai, presque aussi simple que s'il y avait eu des panneaux. Dans la nuit noire, le moindre bruit s'entendant à des lieux, et rapidement le batiment fût à leur portée. Garant la moto dans un coin en récupérant les clés, laissant Ellie passer la première l'entrée des lieux. Une bouffée de chaleur la prenant au visage en quittantle froid de l'extérieur pour la chaleur des corps se mouvant à l'intérieur, sifflant d'admiration.

C'est une boîte de nuit en fait ? S'était-elle enquise auprès d'Ellie, si on omettait les deux types qui se tapaient dessus dans l'ancienne piscine. Il ne lui fallût que quelques minutes pour trouver le bar et commander une bouteille d'un alcool sombre, trouvant deux places ou s'intaller avec la brune. Venant croiser une jambe sur l'autre alors qu'on remplissait leur shot, venant lever son verre face à celui de la danseuse.

A cette soirée ? proposa t-elle un peu par défaut, venant vider d'une traite son verre en grimaçant légèrement. Sûr que ça changeait des alcools frelatés qu'elle récupérait parfois. La musique était forte, mais pas suffisamment pour qu'elles soient incapable d'avoir une conversation. Et il lui fallait encore un ou deux verres avant d'aller se jeter sur la piste comme si sa vie en dépendait, alors...

Bon. Ce grabuge. demanda t-elle sans détour à Ellie. On doit s'attendre à des représailles ou pas ?

Oxana n'était pas rentré dans les détails, et elle respectait ça. Décidée à ne poser aucune question sur la raison de ce bordel, loyale au peu qu'on lui avait donné. Mais si représailles, elle n'était pas contre une petite mise en garde.

Tu viens souvent ici toi?

Le sourire d’Ellie fait écho à celui d’Axelle. Pour la première fois, elle détaille sa comparse. Un peu plus grande qu’elle, menue, brune, une gueule d’ange qui ne se laisse pas faire… La dernière arrivée lui ressemble, et pas que physiquement. Oiseau de nuit, hein… Moi aussi. Même avant tout cela, en vérité. La majeure partie de son activité s’exerçait le soir, à la faveur des lumières tamisées et des orchestres de chambre, alors que des convives parés d’or et de bijoux déambulaient nonchalamment, inconscients que leurs richesses disparaissaient peu à peu entre ses petites mains chapardeuses. La remarque d’Axelle la fit sourire à nouveau. Elle ne connaissait que trop bien ce sentiment. Ouais, ça m’a fait ça aussi quand je suis arrivée. Peut-être plus que le silence des morts, c’était l’activité humaine qui l’avait perturbée, après des mois de solitude.

Elles tombent d’accord pour une virée à la cage, et après être passée dans sa chambre pour enfiler un manteau, Ellie rejoint Axelle dans la cour. Avec un coup d’oeil appréciateur pour la Harley, la brune monte en selle et s’accroche à la taille de son pilote. Sans casque, leurs cheveux volent au vent dans la nuit, donnant à Ellie un indicible sentiment de liberté. C’est à ça que ça ressemble, les road-trips vantés par Hollywood ? Putain, qu’elle regrette de ne pas avoir connu ça.

Après avoir garé la moto, les deux femmes s’avancent dans le bâtiment, balayant du regard la foule qui s’agite compulsivement sur une musique crachotante mais explosive. Si on ignorait que de l’autre côté des murs, le monde s’était effondré, cet endroit aurait pu être n’importe quel squat utilisé pour une rave party. A deux ou trois exceptions près. Axelle se penche vers elle pour l’interroger et, enfonçant les mains dans les poches de son manteau, Ellie hausse les épaules. C’est un peu de tout, honnêtement. Difficile de poser une définition claire sur la cage et son ambiance électrique - et électrisante. Déjà, elles se dirigent vers le bar et se trouvent en possession d’une bouteille, avant de se poser un peu à l’écart du gros des festivités. De quoi s’entendre, tout en profitant de la musique.

Elle trinque volontiers avec Axelle, vidant également son verre d’une gorgée. Et aux nuits silencieuses, ajoute-t-elle avec un haussement de sourcils évocateur. Elle les ressert et avale son deuxième verre sans y réfléchir, laissant l’alcool brûler sa gorge. Il y a longtemps qu’elle n’a pas pris un moment pour elle, et cette soirée va sans doute lui faire du bien. Rejetant ses boucles brunes en arrière tout en observant les danseurs, Ellie tourne la tête vers Axelle lorsque celle-ci l’interroge. Pendant un instant, elle reste silencieuse, dubitative. Franchement, j’en sais rien. J’espère pas... Surtout après avoir vu l’état dans lequel il avait abandonné cette pauvre gamine devant leurs grilles, et celui dans lequel Oxana était rentrée… Si les comptes sont justes, tous ces enfoirés ont bien été tués par le groupe engagé par leur patronne. Mais il peut toujours y avoir des ramifications cachées, des envies de vengeance encore inconnues pour l’instant. Et elle n’aimerait pas se trouver sur leur chemin si cela doit arriver.

A nouveau, elle hausse les épaules. Pour le boulot, ouais. On a un contrat avec le boss, et on vient danser régulièrement. Mais pour mon… plaisir personnel, presque pas. Sûrement parce que d’ordinaire, ses soirées et ses nuits sont trop occupées pour qu’elle puisse se libérer. Et en journée, la cage n’est qu’un bâtiment désert, semblable à tous les autres. Servant une troisième tournée, Ellie entrechoque son verre avec celui d’Axelle. Et toi alors, Ghost Rider ? C’est quoi, ton passé mystérieux ?

Les nuits silencieuses. Ellie était définitivement un oiseau de nuit comme elle, ouais. Sourire mutin au coin des lèvres avant de venir vider son verre d'une traite, s'accoudant au bar alors que la brune espérait ne pas avoir de représailles. Au pire, on les termine. C'est ça qu'est marrant. lança t-elle avec son éternelle désinvolture, offrant un sourire qui se voulait rassurant à sa comparse d'une nuit. La laissant reprendre la parole, expliquant avoir un contrat avec le big boss des alentours.

Celui qui s'prend pas pour une merde ? Bill ? Dean ? Oxana lui en avait vaguement soufflé mot, mais elle avait déjà oublié son prénom pour ne retenir que l'essentiel. Il ne la ferait pas chier sur ses propres terrains de chasses. C'était tout ce qui l'avait importé.
Troisième tournée, alors que le plaisir personnel d'Ellie ne semble pas des plus extravertis.

Bah... J'suis là maintenant; Va falloir qu'tu pose des jours. la taquina t-elle avec un bref sourire, venant siffler son verre en sachant pertinemment que le réveil serait difficile, non sans éclater de rire au surnom qu'on venait de lui attribuer.

Ghostrider, sérieux ? T'avais pas plus sexy ? D'accord, peut-être que la Harley et les vêtements de cuir n'avaient pas aidé. Mais tout de même. Et toi t'es qui ? Catwoman? Un brin féline, le genre à vite sortir les griffes. Vivant la nuit. Cliché, mais ça collait au personnage.
Quand à son passé mystérieux, elle ne put s'empêcher de ricaner, secouant doucement la tête.

J'ai vendu mon âme au diable pour survivre dans cette galère. lança t-elle avec un air amusé, avant de reprendre. Non, ça à vraiment rien de mystérieux. Et à dire vrai, ça n'avait même rien de marrant.

Y'avait un groupe. Ils venaient d'une île, un truc du genre. Une bonne force militaire, tout ça. Ils ont rasé mon camp quand j'ai mis une balle dans la tête de leur boss. Ca à été un massacre, j'ai été laissé pour morte. Fin. C'était un bon résumé, non ? Soupirant, avant de reprendre.

Ils voulaient nous annexer, une connerie du genre. Mon mec venait de crever, j'avais pas grand chose à perdre. Quand j'ai compris qu'il me restait personne, me suis barrée de la ville. Et au final, j'y reviens à peine. Pas de traces de regrets, ou de tristesse dans sa voix. Les faits étaient ainsi. Froids, implacables.

Et toi alors Selina ? T'es pas née au motel que je sache ?