Valentine ne pouvait parler d’un jour de congés. Elle aurait forcément un tour à faire aux plantations dans la journée, mais pour l’heure, elle avait élu domicile dans le jardin, pendant que le reste de la maison s’affairait à des affaires bien différentes. Il n’y avait qu’à partir des heures tardives de l’après-midi, ou des heures nouvelles de la soirée que la maison reprenait le calme qui lui était propre. C’était le cou entouré d’une épaisse écharpe en laine qu’elle s’affairait, accroupie dans l’herbe, les gants de jardinage enfilés, qu’elle retirait les mauvaises herbes et sortait de terre les premiers navets un peu timides, quelques radis, et quelques carottes, qu’elle secoua avant de mettre dans le panier qui se trouvait à porter de mains. Imaginer qu’elle pouvait encore de coltiner un jardin chez elle semblait tout bonnement obsessionnel. Mais Valentine faisait la différence entre son travail aux plantations, et son jardin. La française avait d’ailleurs conseillé à ce que chacun en face un chez lui, même de manière anecdotique, quelques légumes en plus chez toi, ne pouvait faire de mal à personne selon elle.

Il était relativement tard dans la matinée pour Valentine qui était déjà levée depuis quelques heures déjà. Elle blâmait l’horloge biologique de ne pas pouvoir la laisser dormir après huit heures. Et encore, elle s’était estimée chanceuse, elle se redressa une fois le travail fait, la serre vérifiée, les plants entretenus, et elle rentra par la porte de la cuisine, se réchauffa une tasse de thé, avant de s’asseoir à table, crayon en main, faisant la liste de ce qu’il lui restait à faire aussi bien chez elle qu’aux plantations. Avec les dernières rencontres, il était certains que la machine s’était mise en route. Valentine avait du faire preuve d’un peu plus de diplomatie et d’ouverture qu’à l’accoutumée, mais pet-être était-ce pour le mieux. Rester une espèce de figure énigmatique isolée dans les plantations malgré ses responsabilités ne lui rendait pas service et ne rendait pas service aux cultures. Elle soupira, cela lui demanderait certainement plus d’énergie que son éternel état antipathique. Valentine prendrait l’ampleur de ses cultures et accepterait ainsi l’impact et l’influence qu’elles pouvaient avoir sur le reste du camp. La française se massa les tempes, avant de prendre une nouvelle gorgée de thé.

Plus les jours passaient, plus elle se rendait bien compte qu’elle allait devoir mettre son nez dehors. Et cela ne l’enchantait pas plus que cela, surtout avec les rumeurs et les temps qui courent. Afin d’atteindre les demandes, Valentine avait concentré ses efforts sur de nouvelles céréales plus résistante et qui ne demandait pas une grande attention. Le sarrasin semblait être la meilleure option pour le moment, pour le reste, elle plantait tout ce qui était plantaire, conservant tout de même le cycle et surtout le positionnement de semis par rapport à d’autre. Valentine soupire et laisse sa tête tomber en arrière. L’horticultrice se lève, il y avait tellement de choses à faire que parfois, elle ne savait même plus par où commencer. La seule réelle consolation qu’elle avait était qu’elle semblait plus entourée désormais, malgré ses premières réticences, elle ne devait bien l’avouer. Valentine n’était pas capable de porter tout sur ses épaules, qu’elle avait frêles d’ailleurs. Déléguer ne pouvait pas lui faire de mal.

Elle s’affaira à nettoyer les légumes qu’elle venait de ramener à l’intérieur, se demandant ce qu’elle pourrait bien en faire. Le garde mangé était déjà plutôt bien fourni en différentes conserves qu’elle prenait plaisir à préparer, de cette manière, s’assurant que la maison demeurait toujours assez fournie en nourriture. Elle se tourna, et aperçu Maddisson dans l’encadrement de la porte. « Bonjour Maddie. » fit-elle en hochant la tête, avant de mettre les légumes propres dans un saladier. Valentine se disait que June finirait forcément un jour par en avoir marre des légumes. La française ne dirait pas non à plus de variété, surtout en matière de protéines.

En me levant ce matin-là, j’ai fini par m’y résoudre… Même mes chemisiers ou mes pulls les plus amples ne sont plus suffisant pour dissimuler mon ventre. Autant dire que pour ceux qui doutait de ma grossesse, ce n’est plus un secret. J’imagine que toute la communauté de Ford Ward – ou presque – est maintenant au courant. Alors quand je croise mes concitoyens, il n’est pas rare de recevoir quelques messages de félicitations, mais aussi quelques questions parfois trop curieuses ou même un peu déplacées. Pourquoi faut-il que les gens s’obstinent toujours à vouloir être au fait de tout ? Cela dit, je fais de mon mieux pour garder ma sympathie et mon sourire. Gérer la population de Ford Ward est un travail à plein temps et pour l’instant je n’ose pas imaginer comment ce sera lorsque le bébé sera là. Je n’ai rien envisagé concernant ma place à ce poste, cette promotion obtenue quelques semaines avant la découverte de ma grossesse… Mais j’imagine qu’il faudra que je fasse des choix, le moment venu…

Quoi qu’il en soit, je me donne à cent pour cent comme toujours. Le dossier du carburant occupe une bonne partie de mes journées et j’espère que, d’ici quelques semaines, nous serons prêts. Avec Mr Lawson, nous travaillons là-dessus depuis longtemps. En parallèle, je gère évidemment les arrivées récentes de population, leur installation, leur affectation en fonction de leurs compétences. Une tâche particulièrement ardue mais qui me plaît. J’aime être au contact de la population, rencontrer de nouvelles personnes, être présente et disponible autant que je peux pour promouvoir au mieux notre groupe.

En cette de fin de matinée, je lis les rapports reçus du bureau des médiateurs. Quelques incidents mineurs, rien de grave heureusement. Une fois lus, j’attrape mon agenda avant d’y noter quelques mots. Il faudra que je rende visite à Maya ou Clayton pour que nous discutions de tout ça. Peut-être qu’un entretien avec les personnes mentionnées dans leurs rapports sera nécessaire, je verrai bien. La communication est primordiale pour que tout se passe bien et j’essaye d’être présente là où les gens ont besoin de moi. Même si je dois avouer que tous ces déplacements, même brefs, sont parfois épuisants. Je ne m’en plains jamais néanmoins. J’ai assuré à Madame Phelbs que ma grossesse ne serait pas un problème. Je fais de mon mieux pour me ménagée et pour l’instant, je m’en sors bien. Pourtant je suis brusquement déconcentrée de mon travail quand je sens le bébé donner quelques coups. Instinctivement, ma main vient se poser sur mon ventre. Les médecins m’ont dit qu’il se portait bien, que je devrais pouvoir continuer à travailler quasiment jusqu’au terme. Après tout, je suis une bonne partie de la journée assise à ce bureau…

La main toujours posée sur mon ventre, je souris alors que je sens de nouveaux petits coups. Il a l’air en forme ce matin. Au même moment j’entends du bruit venir de la cuisine. J’imagine que Valentine est en train de préparer le déjeuner. Je me redresse, quittant ma chaise pour me diriger vers la porte. Une fois sortie de mon bureau, je prends la direction de la cuisine, puis du garde-manger où je finis par tomber nez à nez avec la française. Lorsqu’elle me salue, j’en fais de même, en français. C’est devenu une habitude. « Bonjour Valentine. Comment vas-tu ? » Je lui accorde un sourire franc alors mes yeux sont attirés par les légumes qu’elle est en train de préparer. « Que prépares-tu de bon ? » Que je demande alors, curieuse.

Valentine ne fit pas semblant de ne pas remarquer la grossesse de Madisson. C’était June qui lui avait annoncé la nouvelle, d’un air franchement peu joyeux. La française pouvait comprendre, même si elle estimait qu’il fallait peut-être plutôt y voir une forme de profonde confiance en ce qu’ils étaient en train de construire. De plus, Madisson n’était pas la première à tomber enceinte, la chose était bien plus commune qu’il n’y paraissait. La responsable des cultures se disaient que certains avaient vraiment beaucoup trop de temps libres. L’horticultrice estimait la chose d’une manière extrêmement neutre, n’ayant pas vraiment la prétention de juger les choix de qui que ce soit, et d’ailleurs, elle n’en avait ni l’énergie, ni le besoin. Il fallait remercier sa nonchalance pour cela. Le point sur lequel, il semblait y avoir litige, était les responsabilités de Madisson, une fois le pain sorti du four. Ce qui en soit était une question tout à fait normale, et à laquelle, il n’y avait ni bonne ni mauvaise réponse. Il peut-être difficile pour certains, ou certaines de comprendre cela. Mais à a fin de la journée Madisson faisait bien ce qu’elle voulait, et Valentine irait se coucher exactement dans la même humeur qu’au réveil.

Toutes les deux, avaient des journées bien remplies. Assez pour que les moments dans les quatre murs de cette maison soient placés sous le signe du calme. Valentine ne supportait que très mal le bruit, une fois qu’elle était chez elle, même si ce n’était pas vraiment la réalité. Valentine ne supportait pas le bruit tout court. Le jeune femme appréciait le calme et entendre ses pensées, et ces derniers temps, elle en était bombardée. Trop de choses se passaient, qu’elle en perdait un peu la tête. Mais, elle faisait avancer les choses, prenant des initiatives qui allaient dans la direction qu’elle souhaitait.

A la question de Madisson, Valentine eut un rire, dépitée. Elle commençait à arriver au bout de toutes les recettes possibles et imaginables, les variations étaient toujours, bien entendu, les bienvenues. Mais la française était déchirée entre la conservation des légumes, ce qui lui prendrait plus de temps, ou simplement faire à manger avec ce qui venait d’être récolté. Peut-être était-ce un bonne occasion de préparer à manger, elle n’avait pas toute la journée pour faire des conserves de toute manière. «  Je survis, Madisson, je survis. » répondit-elle, demeurant dubitative quand à la suite des opérations pour la préparation du déjeuner. Elle fit signe à Madisson de s’asseoir, et elle lui servit une tasse de thé. Il n’était pas nécessaire qu’elle se fatigue pour prouver qu’elle était capable de le faire. « La peur du manque me fait douter de la marche à suivre. Mais si tu as certainement vu le garde-manger.. je n’aurais bientôt plus de place.. E» elle soupire à nouveau, avant de se retourner et de s’adosser sur le bord du lavabo, faisant face à Madisson. Quand elle avait ce genre de réflexion, Valentine se disait qu’elle avait vraiment tourné femme au foyer, qui s’occupe des repas et qui part chercher des légumes pour le diner. Elle avait mis bien peu de temps à investir la maison, mais c'était bien la cuisine qui lui ressemblait le plus.

La jeune femme était une des seule avec laquelle elle acceptait de parler français. Il fallait y voir une manière de préserver quelque chose, quoi, Valentine ne saurait même pas l’expliquer. L’avantage était qu’elle ne se perdait pas en traduction, et qu’elle pouvait réellement s’exprimer. Même si elle n’attendait pas le français pour faire preuve de franchise. Même si ces derniers temps, elle avait fait preuve de bien plus de diplomatie qu’à l’accoutumée. Bien entendu, la barre était basse et les attentes peu nombreuses. En cinq ans de survie au sein de la communauté, elle avait réussit à se faire connaître comme étant plutôt … inabordable. Valentine devait avouer que ce statut ne la dérangeait pas le moins du monde et lui apportait une tranquillité assurée. « Je pense que je vais opter pour plusieurs choses, nous verrons en fonction de l’inspiration, et du temps que j’ai. » La française se disait que faire un pâte à pizza rapide ne lui demanderait pas beaucoup de temps ou même beaucoup d’effort, et elle avait déjà l’eau chaude à disposition.

« Ce n’est pas trop dur de travailler avec June ? Si l’on considère ta grossesse ? » demanda t-elle distraite en récupérant les ingrédients dont elle avait besoin. L’horticultrice se demandait ce que Madisson avaitpu assurer à sa compagne pour qu’elle ne se fasse de soucis, ou pire pour éviter de se faire remplacer. June en était foncièrement capable. Carriériste comme elle l’était, Valentine n’avait pas été surprise de la tête que June avait fait quand la sujet était arrivé sur la table. Ça l’avait fait beaucoup rire d’ailleurs.

A ma question, Valentine laisse échapper un rire avant de me souffler quelques mots. Mes yeux noisette fixent la française, quelque peu surprise par sa réaction. La jeune femme paraît être en pleine réflexion, ne sachant pas quoi faire de ces légumes. Cela m’arrache un petit sourire alors que l’intérieur du garde-manger attire mon regard. Tout a l’air d’y être parfaitement rangé, le genre d’organisation millimétrée qui me plaît. Je ne tarde pas à complimenter la maîtresse des lieux, d’ailleurs. « Je suis impressionnée par la façon dont tu as organisé ton garde-manger. Tout est si parfaitement rangé, c’est… Je suis admirative… » Si seulement je pouvais réussir à garder la cuisine aussi bien rangée à la maison, cela serait fort appréciable. Malheureusement mes colocataires ne sont pas aussi pointilleux que moi sur le rangement ou le ménage…

Je m’installe sur la chaise que me désigne la brune, la remerciant chaleureusement lorsqu’elle dépose une tasse de thé devant moi. Si nous passons la plupart de nos journées dans cette maison, il est pourtant rare que nous prenions le temps de discuter ainsi, néanmoins, ce sont des moments que j’apprécie beaucoup. Outre le fait de pouvoir échanger en français, j’ai fini par considérer Valentine comme une amie. Et si elle se trouve être la compagne de June, cela n’a jamais terni nos relations. La jeune femme n’a pas sa langue dans sa poche et il n’est pas rare qu’elle et la rousse aient des désaccords.

Valentine m’explique finalement qu’elle se décidera en fonction de ses inspirations. Je lui souris tout en encadrant la tasse fumante avec mes mains. C’est alors que l’horticultrice me demande si ce n’est pas trop difficile de travailler avec June en ce moment, étant donné mon état. Je crois que tout le monde à Ford Ward m’a posé cette question. Cela me fait sourire davantage et je ne tarde pas à répondre, en toute franchise. « Cela se passe plutôt bien. Je connais ses exigences, je sais que ma grossesse ne doit pas être une excuse pour me relâcher… Alors je continue de travailler comme avant, il a fallu que je m’organise mais les deux sont compatibles. Pour l’instant… » J’espère vraiment que je pourrais travailler aussi longtemps que possible. Je suis suivi de très prêt par les médecins du dispensaire. Mais évidemment, cela ne sera pas pareil après l’accouchement. « J’imagine qu’après la naissance cela ne sera pas aussi simple… J’ai eu de la chance de ne pas être trop embêtée par les nausées et la fatigue jusque-là. Mais entre l’allaitement, les nuits incomplètes et les couches, cela risque d’être plus compliqué à gérer. » Mais pas forcément impossible… Je suis persuadée qu’avec une bonne organisation, le soutien de Casey, Quinn et Nathan, je devrais pouvoir assurer mon travail… « Quoi qu’il en soit… Nous avons longuement discuter de cela avec June ; si jamais je ne parviens plus à suivre la cadence, à poursuivre mon travail correctement, je ne rechignerai pas à ce qu’elle prenne quelqu’un d’autre pour me remplacer. »

Valentine se mit à rire.

« Je n’ai pas de problèmes de rangements dans le garde-manger. June n’est pas très enclin à la cuisine. » admit-elle, en continuant ses préparations. La cuisine, le jardin était son domaine. Il n’y avait aucune interdiction d’y entrer, mais il fallait tout de même admettre qu’elle avait du mal à imaginer June au dessus des fourneaux, l’image de la joyeuse cuisinière ne lui collait pas très bien à la peau. Valentine s’était toujours occupé de ce qu’il poussait, et de ce qu’il fallait en faire. La française avait prit le rôle tranquillement, ne s’est jamais sentie forcée, et au contraire appréciait le temps passé en cuisine. Elle cuisinait ses propres légumes avec une réelle fierté, d’une certaine manière, elle avait atteint un des rêves qu’elle s’était fixée avant la fin du monde, et pour cela, elle se sentait profondément privilégiée.

Il ne fallait pas oublier que les deux habitantes de la maison avaient des journées chargées, et rentraient les trois quarts du temps relativement fatiguée, l’idée d’un grand ménage pendant les jours de repos lui semblait était une terrible torture, à laquelle elle préférait échapper en rangeant un peu à chaque fois, plutôt que de tout laisser traîner. Elle ne pouvait pas concevoir l’idée de rentrer et de trouver une maison en désordre.

Madisson faisait partie des rares personnes avec qui Valentine s’entendait réellement bien. Les conversations n’étaient pas difficiles, Madisson connaissait la manière dont fonctionnait la française et June, et tout cela rendait les conversations plus fluides, et puis le français faisait que Valentine ne se perdait ni en traduction, ni même en ironie. Son cynisme en anglais passait assez souvent comme de la mesquinerie ou de la moquerie. Mais delà à changer son humour, certainement pas. « J’imagine que pour June, en effet, ça ne peut pas être une excuse. » La rousse était une carriériste pure et dure. La question de fonder une famille n’avait jamais été abordée, pour des raisons plutôt évidentes, et puis l’une comme l’autre n’en avait pas vraiment l’envie. Du moins pas pour l’instant. Valentine s’estimait encore assez jeune. La question s’était déjà soulevée dans une autre vie, avec une autre personne, alors c’était une question à laquelle elle n’était pas complètement fermée. Mais dans l’absolu, elle ne s’imaginait pas vivre une grossesse.

« Ce qui est certain c’est que tu n’as pas à te rendre malade. » affirma Valentine, comme si elle ne sortait pas de phrases très générales. Elle était foncièrement concentrée sur sa pâte à pizza, une recette qu’elle ne loupait plus depuis qu’elle avait commencé activement à cuisiner. Elle écouta Madisson, demeurant silencieuse pendant quelques secondes, réfléchissant, avant de couvrir la pâte qu’elle laisserait à repose le temps de préparer les légumes. Elle attrapa le saladier dans lequel l’attendait ses légumes, et vint s’asseoir en face de Madisson. « Excuse moi.. Je meurs de faim, et si je ne m’y attèle pas, nous ne mangerons jamais. »

Elle attrapa l’économe quand elle avait mit dans la saladier. Toutes les grossesses faisaient un peu jaser, les gens avaient le temp de pouvoir le faire, et cela leur rappelait qu’il y avait une vie en dehors de savoir ce que l’on devait, et pouvait faire pour la communauté. « Je ne suis pas certaine d’avoir envie que tu sois remplacée, Madisson, honnêtement. Même si je peux comprendre que les priorités changent. » reprit-elle. « Avec la population qui augmente en plus de ça, tu ne dois pas chômer. Sacré timing .. » elle s’autorisa un peu d’ironie, qui n’était en rien une moquerie.

Mon rire se mêle à celui de Valentine quand elle explique ne pas avoir de problèmes de rangement dans le garde-manger. Lorsqu’elle évoque June, mes lèvres s’étirent en un petit sourire. Il est vrai que je n’ai jamais vu l’avocate cuisiner. L’ai-je déjà vu manger d’ailleurs ? Très rarement… A croire qu’elle est inépuisable. Pourtant, c’est ça que j’apprécie chez ma supérieur, son abnégation, sa force, son dévouement pour notre communauté.

Valentine poursuit. Lorsqu’elle prononce le nom de sa compagne, j’acquiesce à sa remarque. Pour June, il n’a jamais été question d’adapter mon temps de travail ou mon poste. Les choses ont été claires dès le début entre nous. Si je ne suis pas en mesure d’assurer mon travail, de suivre le rythme, quelqu’un d’autre devra me remplacer le temps que je puisse reprendre mon poste. Bien sûr, avec le risque de ne jamais pouvoir revenir… Je soupire doucement en pensant à cette éventualité. « Pour l’instant, il n’est pas question que je quitte mon poste. J’ai l’aval des médecins pour continuer à travailler tant que je pourrais. » J’ai la chance que la grossesse se passe bien. Je peux encore me déplacer, même si cela me fatigue un peu plus. Mais dans l’ensemble, je n’ai pas changé mes habitudes. Je travaille toujours autant, et je suis très heureuse de pouvoir encore le faire.

Voyant la française s’activer dans la cuisine, je l’observe un instant avant de lui proposer « Je peux te donner un coup de main si tu veux ! » Moi aussi j’apprécie beaucoup cuisiner. Même si ces derniers temps, je n’ai pas eu de temps pour ça. J’attends l’accord de la jeune femme pour finalement l’aider à couper quelques légumes qu’elle vient d’éplucher. Faire une pause dans mon travail me fera certainement du bien. Il n’est pas rare que je m’octroie quelques minutes pour souffler quand je croise Valentine. Prendre le temps de papoter est fort agréable. Échanger en français doit être agréable pour la jeune femme et ce sont des moments très plaisant pour moi.

Un sourire franc illumine mon visage quand la française m’avoue qu’elle n’a pas envie que je sois remplacée. Sa remarque me fait vraiment plaisir et je ne tarde pas à lui répondre. « Ah ça ! Je n’ai pas le temps de m’ennuyer ! Mais j’apprécie vraiment ce poste. Je n’ai pas envie de le laisser à quelqu’un d’autre. Pour l’instant ça va, mais quand le bébé sera là, ça va être plus compliqué, j’imagine… Enfin… Je sais déjà que je peux compter sur l’aide de Casey, même si elle aura son bébé presque en même temps que moi… » Je ris doucement. Le fait que nous soyons enceintes toutes les deux nous a vraiment rapproché ces derniers temps. « Nathan aussi sera là pour m’épauler, même si nous ne sommes plus ensemble, il compte assurer pleinement son rôle de papa. » Cela ne m’étonne pas du pâtissier, même si je dois dire que j’ai vraiment eu peur qu’il le prenne mal avant de lui annoncer…. Jamais il ne l’aurait laissé tomber dans cette aventure, malgré notre séparation, nous restons en bon terme. C’est quelqu’un de bien, je n’ai jamais eu de doute là-dessus.

Valentine avait mit le passé de cuisinière de June derrière elle. Il n’était pas nécessaire de lui imposer une torture pareille, elle ne prenait aucun plaisir à être derrière les fourneaux, au contraire de Valentine qui y trouvait un moment de répit, qui la coupait assez souvent de sa journée. Elle avait plutôt tendance à cuisiner le soir plutôt que pour le déjeuner, mais parfois, quelques exceptions comme aujourd’hui la changeait de sa routine habituelle. Il était difficile, selon elle, de faire mieux que de passer du champs à l’assiette, sans intermédiaire aucun. Chacun des légumes, chacun des fruits qui étaient cultivés, l’avaient été avec soin et attention, lui rappelant parfois les bons souvenirs de son ancienne vie. Valentine ne s’inspirait pas de la gastronomie américaine, mais bien des recettes du Sud, de sa Provence natale. Des recettes profondément supérieures, elle n'en démordrait pas. Elle n’avait qu’une hâte ces derniers temps c’était de pouvoir refaire des tians aux légumes, un de ses plats préférés. « Si tu es bien suivie, c’est le principal. Je ne peux malheureusement que contribuer en préparant à manger de temps en temps. Peut-être qu’avec un peu de chance il ou  développera un goût prononcé pour la cuisine française et provençale.  »

Elle eut un rire. Elle hocha la tête à la proposition de Maddison. La française avait les mains dans la préparation pour la pate à pizza, une pâte qui avait tout de même subit quelques modifications à cause d’un manque évident de certaine ressource, elle n’en serait pas moins bonne mais certainement pas typique. Peut-être finirait-elle par en faire des chaussons. Tant de possibilités, si peu de temps.

« C’est un poste à responsabilités. Je peux m’identifier au fait que l’on ne s’ennuie jamais. » affirma t-elle en hochant la tête, sans arrêter de pétrir la pâte avant de la mettre dans une jatte et de la couvrir d’un torchon. Leur monde était complexe et surtout cruel, mais il y avait certains moments qui respiraient la simplicité. Cuisiner en parlant français avec Madisson faisait partie de ces petits moments qui donnait envie de se lever le matin. Leur communauté avait renoué, elle l’espérait, avec une vie plus simple, qui allait plus droit au but dans leur manière de boire, de manger et d’appréhender leurs journées. Beaucoup d’emplois avaient été rendu caduque avec la fin du monde, mais tout le monde s’occupait, après tout, il n’était pas forcément bien vu de ne rien faire et de récolter le dur labeur de la communauté et de ses habitants.

« Tu es bien entourée. Et puis ta soeur à quelques longueur d’avance concernant le fait de s’occuper d’un enfant. » Même si Valentine ne portait pas particulièrement Casey dans son coeur, celle-ci avait forcément plus d’expérience qu’elles deux réunies. Valentine n’avait jamais eu d’enfants et d’ailleurs n’en avait jamais formulé le projet, et Madisson en était à son premier. Ce qui état certains c’était que les Summers faisaient certainement partie des rares familles qui perpétuaient la lignée malgré l’Apocalypse.

Valentine passa ses mains sous l’eau pour les rincer, faisant attention de ne pas en laisser sous ses ongles. Elle avait une sainte horreur d’avoir des restes sous les ongles, elle trouvait la chose profondément désagréable. D’ailleurs, la première chose qu’elle faisait en rentrant, c’était de soigneusement se laver les mains, ne laissant aucune chance à la terre logée sous ses doigts de poser valises.

« As tu des idées de prénoms ? »