« Ouais... Moi aussi ! »

L'adolescente considère l'homme qui vient d'apparaître au coin de la rue. Elle termine de s'installer sur le capot d'une voiture sale puisse fend d'une petite grimace. Elle n'est pas vraiment d'humeur à faire des rencontres et perçoit évidemment cet inconnu comme une menace dont elle se serait bien passée. « Tu tombes bien en fait ! J'développe un nouveau concept... » explique-t-elle sur un ton empreint de fatigue. Pieds en appui sur le pare-chocs, flingue en main, elle fait glisser son regard sur la silhouette de son interlocuteur puis hausse les épaules. Il n'a pas l'air si menaçant. Et puis il est accoutré comme un clown d'autrefois. Peut-être un fou ? Ou peut-être même un artiste ?

« Bon ! Du coup t'es quoi, toi, exactement ? » reprend-t-elle en l'interrogeant du regard, sourcils arqués. « Un suicidaire ? Un survivant de passage ? Un sensible en mal de compagnie ? » L'australienne semble hésiter un instant. « Un masochiste amoureux des étoiles ? » Et pourquoi pas, après tout ? Quelques jours plus tôt K' et elle ont bien rencontré une rouquine demeurée et son téléscope...

Quoi qu'il en soit et comme bien souvent, l'adolescente poursuit sans réellement se préoccuper d'une quelconque réaction de cet inconnu. « J'essaie d'catégoriser les gens maintenant... » avoue-t-elle pour répondre à une éventuelle interrogation. « Ca m'fait gagner du temps. Et puis ça m'aide aussi à savoir qui j'dois flinguer ! » Ou pas. L'australienne agite un peu son arme pour rappeler sa présence tout en s'abstenant néanmoins de la pointer sur son interlocuteur. Le flingue incarne le signe d'une méfiance, pas d'une déclaration de guerre.

Elle regrette déjà l'absence de K', partie de son côté pour visiter les immeubles alentours. Son amie est particulièrement douée pour négocier. Et pour apaiser. Zelda, elle, se contente souvent d'être directe. Et bien des gens perçoivent cette franchise pour de l'arrogance. En sera-t-il de même pour cet inconnu ? « C'qui nous ramène donc à ma première question : t'es quoi, toi, exactement ? » Une gêne tolérable ou un dangereux nuisible ?

L'australienne n'a jamais été une grande adepte des mathématiques mais elle suppose que dans les parages, les trois-quarts des inconnus sont des pillards. Peut-être même qu'elle est trop optimiste. Mais ses calculs ne reposent que sur des impressions après tout. Le vrai problème c'est surtout que ses munitions s'épuisent. Et que sa forme physique ne lui permet pas vraiment de taper un sprint. D'où cette discussion, donc. « En fait... Sympa, les fringues ! » Elle les désigne d'un petit mouvement de la tête. Il était peut-être majordome, non ? Elle n'a rien contre l'idée d'adopter un serviteur si ce dernier est à la recherche d'une maîtresse...

« C'est plutôt l'bon goût qui nous a oubliés... »

Zelda laisse son regard vagabonder sur les environs. Elle ne voit que des ruines, de la désolation et de la rouille. Des carcasses de véhicules brulés ou pillés, des mauvaises herbes qui s'épanouissent au milieu de diverses dépouilles. Fort Ward est un îlot de civilisation mais ce qui se trouve au-delà de ses murailles lui évoque un bien terne tableau. Dénué de bon goût, donc, mais aussi de raison ou de sens.

Aussi cet homme détonne-t-il dans cet étrange décor. Et il méritait de toute évidence un compliment sur son style vestimentaire particulier. Ses manières ne sont pas non plus négligées. Pourtant le stoïcisme avec lequel il affronte une adolescente armée prouve aussi à cette dernière que ce n'est pas la première fois qu'il se fait menacer. Ou alors qu'à l'instar de nombreux adultes, il commet l'erreur de sous-estimer sa détermination. Cette détente sur laquelle son index tapote, elle l'a pourtant déjà pressée par le passé. Et elle aurait sans doute moins de scrupules à réitérer l'expérience aujourd'hui.

« Vous ? » relève-t-elle quand il fait remarquer qu'elle a l'air perdue. « Tu veux dire ma carte et moi ? » Elle glisse sa main dans son dos pour extirper un plan de la ville de sa poche arrière. Elle l'agite brièvement avant de le balancer nonchalamment sur le capot, à sa droite. Johnson lui a autrefois appris à se repérer en forêt. Alors se situer dans une cité grâce au nom des rues, ça n'a rien de bien compliqué. « Pourquoi ? Tu voulais m'servir de guide touristique ? » L'idée est amusante. Suffisamment pour lui arracher un petit sourire, en tout cas.

Quant à la perspective qu'il aurait pu être un ogre armé d'un fusil à pompe et la tuer... « Ouais mais... Tu n'en es pas un, n'est-ce pas ? » L'australienne hausse vaguement les épaules comme pour lui indiquer qu'elle ne compte pas se perdre dans des délires du genre. Ce n'est pas pertinent. Et puis elle est trop fatiguée ou affamée pour perdre son temps à disserter sur l'imagine ou les hypothèses. « J'préfère la version où tu t'contentes d'être un homme d'affaire désarmé ! » Elle suppose qu'il porte un revolver ou un couteau sur lui. La majorité des survivants ont assez de jugeote pour s'équiper de ce genre d'outils, en tout cas. Mais il a au moins le bon goût de ne pas vouloir, pour l'instant, vérifier qui est le plus rapide des deux.

« Tiens, puisqu'on en parle... Comment s'portent les affaires ? » De toute évidence il était autrefois l'un de ces hommes en cols blancs qui observait le monde depuis les derniers étages d'un gratte-ciel. Mais ça, c'était il y a une éternité. Un peu plus de cinq longues années maintenant. Et en ce laps de temps tous les survivants ont eu le temps de changer et de laisser libre cours à ces instincts autrefois réprimés par la morale. Elle le sait bien, ça, Zelda. Tout le monde le sait ! « Il paraît qu'il y a une invasion d'cadavres, ces temps. J'imagine que c'est pas très bon pour le business ? » Elle arque un sourcil pour appuyer son interrogation. Non, bien sûr, elle ne s'attend pas à obtenir une réponse satisfaisante. Mais plus le temps passe, plus cet homme parle et plus elle aura l'opportunité de se faire un avis à son sujet. Positif ou non, ça, ça ne dépend que de lui dans le fond...

« Ah oui ? Et qu'est-ce que tu attends pour me les montrer, tes griffes ? »

L'adolescente arque un sourcil et lui décoche un regard provocateur, à cet homme qui ne se définit ni comme un monstre, ni comme un agneau. Les paroles ont un poids et une utilité, c'est évident. Mais ce sont les actes qui leur donne un véritable sens. Et pour l'instant, même si cet inconnu s'exprime avec une certaine courtoisie et une assurance palpable, elle a surtout l'impression qu'il cherche à l'intimider. « Tu sais c'que j'crois, moi ? » reprend-t-elle en tapotant de son index sur le flanc de son flingue. « Qu'il n'existe plus d'innocentes créatures, pour reprendre tes termes. Elles ont été bouffées il y longtemps ! L'monde appartient aux morts et aux loups, maintenant ! » Les survivants, ceux qui respirent encore... Elle suppose qu'il ne s'agit pas des personnes qui ont autrefois pu faire la fierté de l'humanité. « Et parmi ces loups, il y a ceux qui ont la chance d'avoir un flingue ou des amis. Et ceux qui feraient mieux d'fermer leurs gueules ! » Elle ne l'enjoint pourtant pas au silence. Il est assez distrayant, ce type. Mais l'australienne suppose qu'un rappel n'est jamais de trop. Il ne faudrait pas qu'il prenne trop ses aises, pas vrai ?

C'est pourtant ce que l'adolescente se permet de faire en évoquant les supposées affaires de l'homme et en lui demandant comment ces dernières se portent. La réponse est évasive et peut-être même saupoudrée d'un peu d'humour. « Et tu as quel vice, toi, exactement ? » s'enquiert-elle en retour. « J'aurais bien parié sur l'argent mais puisqu'il ne vaut plus grand chose... » Peut-être le pouvoir, alors ? Ou la luxure ? Le sadisme ? Les possibilités ne manquent pas. Et franchement, elle se doute bien qu'elle n'obtiendra pas une réponse satisfaisante à son interrogation. Personne ne dévoile les plus sombres parties de son âme aussi aisément.

Aussi l'adolescente lâche-t-elle un petit rire amusé lorsque l'autre poursuit dans l'esprit de leur conversation et lui demande comment se déroulent les cours. Elle esquisse une petite grimace espiègle et finit par hausser les épaules. « Oh, très bien ! » assure-t-elle. « Et puis j'adore les matières que j'ai choisies. J'me débrouille pas trop mal en étude des connards et en flingage de fils de putes. Mais l'truc que j'préfère, c'est clairement le tir aux pigeons ! Et de loin ! » Il veut peut-être une démonstration ? Zelda hésite à le lui proposer puis se rappelle que pour l'instant cet homme ne lui a pas donné de réelles raisons de lui en coller une.

Elle lui décoche un regard d'avertissement lorsqu'il esquisse un geste pour chercher quelque chose dans sa poche. « Doucement ! » Zelda lui pointe son arme dessus, lui faisant bien comprendre qu'un geste brusque pourrait mener à une conclusion fâcheuse de leur échange. Mais il ne s'agit que de clopes. Elle l'observe en allumer une puis lui demander si elle fume, elle aussi. « Plus trop, non ! » Si elle consomme des joints, elle n'a plus allumé une clope depuis bien longtemps. Cela dit c'est un excellent coupe-faim, ça, la nicotine. « Mais j'ferai une exception puisque tu m'proposes si gentiment ton paquet... » Elle l'invite d'ailleurs d'un geste impatient des doigts à lui balancer le reste de ses clopes.

Mais un rôdeur choisit justement ce moment pour faire irruption. Zelda est plutôt satisfaite dans la mesure où le mort ne s'intéresse guère à elle pour le moment. C'est plutôt l'homme d'affaire qui recueille son attention. Un choix judicieux s'il en est puisqu'il est sans aucun doute le plus dodu des deux... « Finalement on dirait que j'vais pouvoir les voir, tes griffes ! » fait-elle remarquer, l'invitant à se défendre contre cette nouvelle menace. Elle non plus, après tout, elle n'a rien d'un monstre. « Arme blanche uniquement ! » le prévient-elle dans la foulée. Si elle ne voit ne serait-ce que l'ombre d'une arme à feu...