Ses mains tremblent. Elle est chirurgienne, ses mains ne tremblent jamais. Le toit arraché, les balles qui ont touchées Lucy, morte sur le coup. Lucy… c’était celle qui l’accompagnait le plus dans ses auscultations. Lucy…
Puis c’est la débandade. Quatre blessés graves, des membres arrachés, bras, parfois des jambes, le coeur de Terrance qui s’emballe à nouveau. William et Kassandra, mal en point. Tout s’accélère. L’électricité les a lâchées, ne reste que les méthodes traditionnelles. Soudain, le dispensaire ressemble à une base militaire, en plein milieu d’un conflit meurtrier. Des morceaux de plâtre partout, la poussière, le sang au sol, de l’infirmière et des nouveaux blessés. Jamais elle n’a eu à gérer autant de cas avec si peu de personnel, et sans machines. C’est une première. Même ses deux années en service d’urgences ne l’ont pas préparé à ça. Et elle est responsable. Lucy…

La voix de Jill interrompt le fil de ses pensées alors qu’elle comprime toujours la plaie à la cuisse d’un des blessés. Mais l’hémorragie est trop importante, la fémorale sectionnée. Trop de temps pour arriver ici. Il est foutu. Elle ne connaît pas son nom. Mais il est foutu. C’est elle qui décide. Son regard s’ancre dans celui de Jill. Je reste avec toi. Trop d’informations. Trop de vies en jeu. Trop. Elle ferme les yeux et applique la technique qui lui permet de trier depuis plus de vingt ans.

Un. Les blessures trop importantes pour permettre un déplacement.
Deux. Les rôdeurs qui se rapprochent et qui les repèreront s’ils se décident à fuir.
Trois. Prioriser les blessés du plus au moins grave.
Quatre. Le risque de se faire déborder.
Cinq. Des renforts.

Elle rouvre les yeux et les plante à nouveau dans ceux de la flic, bien plus déterminée que cinq secondes plus tôt. “Demande des renforts, tous ceux qui pourront arriver à temps et nous faire gagner du temps. George, allez l’aider à nous barricader” L’accès au dispensaire sera fermé, mais elle n’avait pas le choix. “Hector, occupe-toi de Terry, écarte-toi quand le DAE t’annonce qu’il va ‘’chocker’’ et continue la RCP. Trente compressions thoraciques et deux insufflations d’air. Je viendrais te relayer.” Il était le seul ici à avoir une formation médicale. Reposant les yeux sur l’homme qu’elle tentait de sauver, elle constate, froidement, qu’il est parti. Serrant les dents, elle relève les yeux sur Ivy qui est en train de s’occuper d’un bras arraché. Elle lui fait confiance pour gérer le patient. “Junior, viens-là!” Et sans attendre son approbation, elle tire le fils du pasteur jusqu’à un autre blessé. “Comprime la plaie avec ça sans jamais t’arrêter! Si tu as envie de vomir, ravale-tout!” lui ordonne-t-elle en se dirigeant vers celui qu’elle vient de laisser. Saisissant un scalpel sur l’un des plateaux, elle laisse une larme rouler sur sa joue. “Désolée…” et elle l’insère dans son oreille pour atteindre le cerveau.

Sans plus attendre, elle se dirige vers le dernier patient, dont la plaie béante à la jambe lui donne également peu de chance de survie. Sans poche de sang ou donneur compatible, il est perdu. Will et Kassandra vont malheureusement devoir patienter.
Mais elle persiste, parce qu’elle n’a que ça...

Spoiler:

C'est un cauchemar. En quelques minutes, tout a dégénéré dans le dispensaire. Le toit a été arraché, Lucy a été tuée sur le coup, des blessés dans un état grave ont été amenés... Ivy n'a pas le temps de réagir ou de penser, elle fait ce pour quoi elle a été formée : sauver des vies. Il faut gérer les priorités. Ses pas la conduisent directement auprès d'un homme dont le bras a été arraché.

Jill attire leur attention et Ivy lui prête une oreille attentive tout en s'affairant. Son patient perd beaucoup de sang, il n'y a pas une minute à perde. Elle frémit lorsqu'elle entend que des rôdeurs bizarres arrivent dans leur direction et que les renforts n'arriveront peut-être pas à temps. « Des rôdeurs bizarres ? » interroge-t-elle pour avoir plus de précisions.

Son regard se lèvre brièvement vers Maeve quand la décision lui revient de rester ici ou de quitter le dispensaire. Tout comme Jill, Ivy la suivra. La chirurgienne choisit de rester, c'est effectivement le meilleur moyen pour sauver les blessés. Certains ne survivraient pas à un transport.

« Allez... » supplie-t-elle quand elle ne parvient pas à stopper l'hémorragie. C'est une catastrophe, les tissus ont été arrachés, le patient perd de plus en plus de sang. Ivy a sa blouse recouverte de tâche rougeâtre. Il lui faut une chirurgie, d'urgence, mais dans ces conditions là, c'est impossible... Elle serre le pansement compressif, relève le moignon et souffle quand l'hémorragie semble se stabiliser. C'est malheureusement la seule chose qu'elle peut faire actuellement, sans chirurgie, sans électricité et avec les moyens du bord.

Spoiler:

- Bizarre comme avec des casques pare-balles, que j’informe rapidement Ivy.

Ce n’est pas elle qui m’intéresse le plus là, c’est la chirurgienne qui réfléchit, avec un théâtre d’agonie en arrière-plan. Nous sommes tous comme les personnages hirsutes d’un tableau fatigué : blanc de plâtre, rouge de sang, blême d’angoisse. Les mots de Maeve claquent enfin, je n’hésite pas avant de porter le talkie à ma bouche cette fois.

- Jill à n’importe qui peut m’entendre, j’ai enclenché le canal général, je suis au dispensaire, on a des blessés impossibles à déplacer. On va barricader, mais on a besoin que vous détourniez les voraces.

Les détourner, les tuer, tant qu’ils n’entrent pas. J’ai un signe de tête pour que George me suivent et on court d’abord dans l’entrée. Fermer la porte, pousser tout ce qu’on peut devant : fauteuil d’attente, pot de fleur, la chaise de Lizzie, … tout le poids qu’on peut. J’ai rangé mon flingue finalement, mon épaule me faut souffrir, mon bras gauche est comme engourdi. Je crois que l’adrénaline fait office de morphine, mais quand elle retombera, ce sera terrible…

- Aller, les fenêtres maintenant ! Que j’encourage mon binôme.

Spoiler:

Si William est lucide alors que Sucre les amène, Kassandra et lui, au dispensaire, il n’est pas vraiment conscient de tout ce qu’il se passe. Il ne ressent toujours pas la douleur, l’état de nerf, d’excitation peut-être du combat aérien malgré sa peur, endormant tout ça, et ses pensées semblent se brouiller s’il essaye de les rassembler. Un bref instant, en voyant Lucy, il pense aux anti-douleurs qu’il avait pu obtenir, avant de réaliser que c’est son corps sans vie qui gît là. Avant de voir les corps mutilés tout autour, le carnage qu’ils auraient dû arrêter… Au lieu de quoi ils sont là, blessés, parce qu’il n’a pas pu éviter les tirs ennemis, parce qu’il n’a protégé ni l’île, ni Kassandra, ni personne. Fort heureusement pour lui, finalement, il ne parvient pas à se concentrer. Il est là, mais détaché malgré tout. « Je peux aider ? » Il lance cette proposition à la cantonade sans bien savoir ce qu’il peut faire, ni comment.

Spoiler:

Les paroles de Jill l’interpellent. « Des casques pare-balles ? » Visiblement, ils ont à faire à des rôdeurs.. trafiqués ? Cette histoire ne la rassure pas. S'ils ne peuvent pas venir à bout des morts avec leur arme à feu, la suite va être compliquée. Ils n'ont pas de couteau au dispensaire, uniquement des instruments pour la chirurgie. Son regard englobe le reste du dispensaire, ils sont tous dans un sale état.

La médecin se concentre à nouveau sur son patient. Il la supplie de faire quelque chose pour lui. Ivy pose sa main sur son bras indemne. « Je ne vous abandonne pas... » Elle le lui promet, elle fera tout pour l'aider. Elle attrape son stéthoscope et vérifie son cœur et sa pression artérielle. Ce qu'elle entend ne la rassure pas, le blessé a perdu beaucoup de sang, beaucoup trop. Sa tension chute et son pouls s'accélère. La médecin vérifie le pansement, la blessure continue de saigner. Flûte. Elle attrape une bande et fait un garrot au niveau du bras et le maintient relevé.

Ivy attend, anxieuse de voir si l'état de son patient se stabilise enfin. S'occuper du blessé l'empêche de s'inquiéter davantage sur ce qu'il se passe dehors. Il vaut mieux d'ailleurs.

Spoiler:

Les mains ensanglantées, elle pose un garrot en dernier recours sur le patient, relevant sa jambe au maximum en empilant plusieurs coussins sous celle-ci. Puis elle fonce prendre le relais pour la RCP alors que son collègue fatigue. Le DAE “chock” une fois, puis deux, avant que la voix robotique ne lui signale de reprendre le massage cardiaque. Et un et deux et trois et quatre…. Le cœur est fragilisé, fatigué, le vieil homme aussi. L’adrénaline en intraveineuse n’offre pas le résultat escompté. Et cinq et six et sept et huit. Elle s’acharne, parce que abandonner n’a jamais été une option. Terrance ne réagit toujours pas et elle le sent s’enfoncer. Et neuf et dix et onze et douze. Ses lèvres bleuissent au fil des minutes, signe d’un manque d’oxygénation du cerveau. Si son coeur ne repart pas bientôt, il est fichu. Et à ce stade, même s’il repart, elle ne peut pas assurer qu’il ne finira pas en légume. Et treize, quatorze, quinze, seize. Il n’a pas le droit. Il est là depuis le début. Depuis le début….

Vingt-huit, vingt-neuf, trente. La doc bascule sa tête en arrière, ouvre sa bouche, lui pince le nez et souffle deux fois avant de reprendre. Hors de question qu’elle abandonne. Les minutes défilent sans qu’elle n’en ait conscience et c’est finalement Hector qui lui intime d’arrêter. “Non!” répond-elle de manière agressive alors qu’elle continue le massage. Trente pressions. Deux insufflations d’air. Encore et encore et encore. L’ancien pédiatre finit par l’attraper par la taille et la faire reculer et, à bout, elle abandonne. “Non…” Un souffle, tandis qu’elle s’écroule dans les bras de l’homme. Il la retient de justesse avant qu’elle ne touche le sol. “Il était là depuis le début.” murmure-t-elle en fixant le corps à présent inerte face à elle. “Depuis le début…”

Elle n’y arrive pas. C’est trop, même pour elle. Terrance est mort. Et le dispensaire se transforme peu à peu en morgue. Tout son talent ne sert à rien.

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