Le temps n’est pas si horrible pour un mois de janvier. Les missions en hiver ne sont pas vraiment mes préférées. Même si je sais qu'après quelque temps je retrouverais mon lit chaud et sec, les nuits dehors ne sont jamais agréables. Je me rends compte avec du recul que depuis que je vis avec ce confort je supporte de moins en moins bien le froid et l’humidité. Mais aujourd’hui le temps est agréable, les rayons du soleil passent à travers les arbres, caressant les joues pâles par intermittence. Il y a un moment maintenant que je ne suis pas sorti aussi longtemps, ni aussi loin.

Mon bombers kaki fermé jusqu'à mon cou devient presque de trop, la marche réchauffant mon corps. Je décide de faire une pause, laissant glisser mon sac le long de mon épaule pour qu’il tombe au sol.J’entrouvre mon manteau tout en me baissant pour fouiller dans mon sac et m’assoir mollement, les jambes endolories par les heures de marche. Je me saisis de ma gorge que je porte à mes lèvres, les yeux dans le vide. Ma mission ne m'enchante pas vraiment, mais ça apporte beaucoup au camp et ça m'apportera aussi sûrement des réponses.

Je jette un œil dans mon sac entrouvert, laissant mes iris se poser sur le petit carnet ou la journée d’avant j’avais mis des notes. Je suis passé proche de la cage. Qu’on sait sous le joug de New Eden. Mes machoirs se serrent alors que je pense que ces enfoirés marchent sur le sol de cet endroit qui m'est cher. J’essaie de ne pas y penser mais le pire des scénarios revient toujours à mon esprit. Qu'ont ils fait aux personnes qui s’y étaient installées ? Ma gorge se serre soudainement. Non c’est pas possible, ils sont toujours en vie quelque part ! Je me bouscule intérieurement, me relevant brusquement. Ce n’est pas en restant planté ici que ça avancera. Je suis là pour prendre des informations sur ce groupe de connard mais aussi pour chercher des traces de survivants aux alentours. Chaques pas, chaques informations peut devenir cruciales.


Je marche depuis quelque heures maintenant, enjambant racines et blocs de bétons soulés par les arbres. Passant de la forêt aux routes abandonnées jonchées de cadavres de maisons. La journée commence doucement à s'endormir, il doit être 17h30 environ. Les jours sont tellement courts, j’ai l’impression de ne pas pouvoir avancer. Je traîne les pieds, essayant de suivre un chemin anciennement bétonné. L’ambiance ici est assez lugubre. Malgré quelques arbres, l’endroit est dense d'arbustes et de buissons fournis. La végétation mange et s'entremêle avec d'anciennes bâtisses, des squelettes de grillages tordus tentent de séparer les propriétés qui ne le sont plus. Alors que je continue d’avancer, plissant les yeux.

Puis une grille se dessine devant moi, attirant mon attention. Je m’avance doucement, ayant une intuition étrange. Alors que je suis a quelque centimètre de la grille, au loin se distingue la silhouette de ce qui ressemble à un château. Magnifique bâtiment qui a su bien résister au temps et à la météo de la région.

Franchement t'abuses. Un p'tit pétard, ça va pas nous tuer, si ? Y'a personne ici de toute façon, on se fera pas surprendre ! Alleeez, Chris, s'teuplait ! C'est super relou de monter la gaaarde …

Mon visage bascule en arrière alors que je me lamente sur mon sort. Ça fait combien de temps qu'on monte la garde comme deux cons, comme ça ? Il m'a bien proposé de s'entraîner en même temps, mais honnêtement, pas trop chaud, moi. Alors que fumer un coup … Putain ça, ça serait le feu. Mais non, Chris-trop-professionnel refuse, parce qu'au cas où, vous comprenez ?

T'es relou. Allez, on dit une taff, okay ? Moi, un taff. Toi t'es pas obligé. Allez, deal.

Déjà, je sors le joint parfaitement roulé de ma poche et le coince entre mes lèvres. Peine perdue, Chris refuse le deal, et j'esquive sa main tel un ninja. Un rire m'échappe.

AHA ! J'suis beaucoup trop vif pour toi !

Il se laisse pas faire, et bien vite, c'est comme une partie de loup qui démarre. Et je sais pas comment c'est possible, mais je prends l'avantage, et j'finis par vraiment m'éloigner de lui. J'me faufile entre les arbres, m'éloigne de la propriété pour revenir vers la grille.
Je tourne le visage pour voir où il en est, et le voit pas … et ne voit pas non plus le truc dans lequel je rentre super violemment devant moi.

On est emporté par l'élan, et la chose – l'homme en l'occurence – roule avec moi au sol. Aussitôt, j'arrête de m'amuser, tandis que je mange la poussière, sonné.

Putain de … aïe putain …

J'me redresse comme je peux, et une douleur m'irradie le bras gauche, là où j'me suis fais tirer dessus il y a quelques mois. J'suis aveuglé par ce qu'il reste de rayons de soleil, et j'arrive qu'à distinguer une silhouette, que je reconnais pas.

Oh …

J'suis pas armé, j'suis affalé par terre et mon bras me défonce. Je dois faire quoi ? Si je hurle, le type risque de m'abattre dans la foulée, par réflexe. Je sais même pas s'il me tourne le dos ou pas encore. Alors, foutu pour foutu, j'tente un truc :

Si tu bouges j't'éclate la cervelle !

S'il me voit avec rien dans les mains, c'est plutôt moi qui suis foutu, mais soit.

- Dany, c'est non ! Arrête d'insister, bon sang. Pour la... troisième ou quatrième fois, je lui lançai un regard désabusé, avant de gonfler les joues dans un râle de désespoir théâtral. Tu peux bien te passer de tes joins pour quelques heures, abuse pas. Je fis quelques pas encore, alors qu'il commençait à essayer de négocier, sortant même son sachet d'herbe de sa poche. Sans déconner ?! Arrête de faire le rebelle, lil' bird !!

J'essayai d'attraper son butin mais il esquiva sans mal avant de se vanter, m'arrachant un éclat de rire. Je me lançai à sa poursuite entre les arbres bordant le mur d'enceinte, encombré de ma batte que je n'avais pas pris le temps de replacer dans mon dos. Et franchement, pour quelqu'un qui n'aimait pas s'entraîner, il courait comme un lapin, cet idiot. A se demander à quoi il se dopait en secret, au point de me distancer progressivement. D'ailleurs je le perdis définitivement de vue quand je glissai sur une plaque de mousse, terminant le cul par terre. Sur le sol froid et humide.

- Génial.. putain je me fais vieux.

Je me redressai en me massant les reins et repartit à la recherche du fuyard avec bien plus de précautions, marchant au lieu de courir. Quand j'arrivai près de la grille d'entrée, je me figeai en entendant la voix de Dany menacer quelqu'un. Je me baissai pour approcher d'avantage, discrètement, et plissai les yeux dans la nuit naissante. J'eus du mal à distinguer deux silhouettes, une massive et debout, la seconde au sol que je devinais être celle de mon ami.
Mon premier réflexe aurait été de foncer, si une petite voix dans ma tête ne m'avait pas soufflé de réfléchir une seconde. Après tout rien ne me disait que l'homme était seul, ou armé d'un révolver qui me faucherait sur place avant même que je les atteigne.

J'attrapai finalement le talkie à ma ceinture et l'enclenchai à voix basse :

- Thaïs ? Thaïs ! Un intrus à l'entrée du château. Devant la grille. Je sais pas s'il est seul, mais il a Dany à sa merci. Viens vite, je veux prendre aucun risque.

Des voix, elle brise le silence qui s'était installé depuis de longues heures. Mon cœur fait un bon, au vu de la densité des bois environnants, le son rebondit un peu partout. Je me fléchis sur mes genoux, me tournant dans tous les sens. Les voix se taisent, mais des pas rapides se rapprochent, j’en suis certain. Je jure entre mes dents, je me maudis moi et mon sens des directions qui fonctionne comme si j’étais dans un pôle magnétique a plein temps. Je plisse les yeux, l'obscurité grignotant le crépuscule de plus en plus rapidement. Je mets la main sur le couteau de chasse accroché à ma ceinture, et en quelque instant la personne arrive rapidement à ma hauteur. J’ai à peine le temps d’enfin trouver la bonne direction qu’un corps vient s’écraser de toute sa vitesse et son poid sur mon torse.

Ma respiration se coupe dans un gémissement sourd, je me retrouve propulser vers l’arrière mon dos heurtant le sol. Une douleur aiguë traverse toute ma cage thoracique. Comment des côtes cassées peuvent encore être douloureuses plus d’un an après ? Je me redresse difficilement, grognant. A ce que je peux entendre, je ne suis pas le seul à souffrir de cette chute. La personne qui m’a percuté est encore sur le sol alors que je suis debout au son de voix il paraît plutôt jeune. Je plisse les yeux, essayant de détailler son visage. Malheureusement il porte son bras au-dessus de sa tête, se cachant des derniers rayons de soleil qui se glissent entre les branches.

Qu’est ce que je dois faire ? Partir en courant au risque qu’il arrive a m'avoir dans le dos ou me jeter sur lui pour essayer de l'immobiliser et le faire taire. Acculé par le fait que je le surplombe, il me menace. mon corps se raidit d’une sensation étrange, son accent, sa voix… Je crois que je les connais ? Quoi qu’il en soit, je dois agir vite. Quoi qu’il ait l'intention de faire, je ne vais pas lui laisser le temps de réfléchir, ni laisser le temps a d’autre d’arriver, attiré par ses cris. Il a l’air de tenir une arme entre ses mains, mais il ne tire pas, il a peur ?Je décide de la prendre de vitesse, me servant de son hésitation à mon avantage.

Dans une impulsion, je me précipite vers lui, fauchant ses poignets au passage. Je les enserrent dans un poigne ferme, me plaçant au-dessus de lui. Je me sers de mon propre poid pour l'immobiliser comme je peux sur le sol, plaçant ma main de libre sur sa bouche pour le faire taire. Je m'approche à quelques centimètres de son visage, plantant mes iris verts dans les siens.

“Si tu te tais, je ne te ferais rien. Je- Mon cœur se serre subitement. Je connais ces yeux bleu-gris et ces cheveux bruns en bataille. D’un coup tout me saute au visage comme un raz de marée. Son accent, sa voix. Mon visage se déforme, laissant une expression dubitative naître sur mes traits. D-Dany ?”

Spoiler:

J'ai un inutile mouvement de recul quand je vois la silhouette fondre sur moi. Un cri m'échappe au coup que je me prends, éveillant mille douleurs dans mon bras meurtri, et en moins de temps qu'il le faut pour le dire, j'me retrouve plaqué sur le sol, immobilisé comme une faible pauvre merde. J'veux hurler, mais ça aussi, il m'en empêche. Alors j'essaie de me débattre en vain, me cambrant d'avant en arrière, le cœur battant si fort que j'ai peur qu'il me lâche, terrifié, aveuglé, l'une de ses grosses mains enveloppant ma mâchoire et l'autre suffisant à bloquer mes bras. Putain. Putain de merde. J'ai l'impression de me débattre comme un beau diable, mais j'crois que ça dure pas plus de quelques secondes avant que je sois totalement coincé, mon corps étouffant sous son poids.

J'ai envie de pleurer.

Mes yeux papillonnent, pleins de larmes, rendus douloureux à cause du soleil. Y'a que sa voix qui me parvient, calme, trop calme. Les tueurs, ils ont tout le temps des voix calmes, comme ça, pas vrai ?!
Mais mon nom sort de sa bouche, et j'me fige. Quoi, quoi encore ?! C'est qui ? Je fronce les sourcils, me cale dans son ombre pour déchiffrer un peu ses traits, mais une nouvelle voix s'invite dans notre étreinte, une voix que je reconnais, cette fois.

D'un geste brusque du visage, j'parviens à libérer ma bouche, profitant de sa surprise. J'en profite aussi pour prendre une goulée d'air, balançant mon visage en arrière. Dans tous les cas, le mec est coincé. Thaïs est apparue de je-ne-sais-où et Chris ne doit pas être loin non plus. S'il me bute, il se fait flinguer dans la foulée. Même si, bon, j'aimerais autant ne pas passer la première étape.

Il a dit mon nom, Thaïs ! T'es qui ?! J'vois pas ton visage putain !

Mes yeux clignent et me piquent. En règle générale, je m'accomode de ma mauvaise vision, mais quand les rayons du soleil s'invitent dans la partie et que je n'ai pas mes lunettes de soleil, je deviens aussi utile que les souris aveugles dans Shrek.

Les dents serrées, je rongeais mon frein pour ne pas foncer tête baissée. Quel abruti ! J'étais censé monter la garde et au final j'étais même pas foutu de voir venir un intrus à la porte du domaine ! Et maintenant à cause de moi, Dany était en danger de mort. Mon cœur se crispa douloureusement en voyant l'inconnu se pencher sur mon protégé, et je lâchai discrètement ma batte pour attraper mon couteau papillon. Bien serré dans ma paume, je l'imaginais déjà plonger dans les entrailles de cet enfoiré.
Et bordel, que foutait Thaïs ?! Et si elle arrivait trop tard ? Et si..

La voix de la militaire retentit après quelques instants qui me parurent une éternité. Plissant les yeux, je distinguai rapidement sa silhouette, prolongée par son arme à feu pointée sur le duo. Enfin, sur l'intrus, surtout.
La situation était presque sous contrôle, de fait. Quoiqu'il fasse -et pas une connerie regrettable, de préférence-, l'homme se retrouvait avec une balle entre les deux yeux.
Je sortis en courant du couvert des arbres, rejoignant le trio en me déplaçant pour couper toute retraite à l'inconnu, bien campé sur mes pieds.

- Ne pense même pas à faire un geste.

Dany intervint à ce moment-là, et je me figeai à ses mots, passant de mon ami à l'intrus, avant de tourner les yeux vers la militaire brièvement. J'approchai de quelques pas encore, étirant mon bras armé, me tenant prêt à attaquer. Le soleil tombant ne m'aidait absolument pas à discerner la silhouette agenouillée au-dessus de l'hispanique.

- T'es qui bordel ? Comment tu.. Je levai les sourcils en reconnaissant les traits du chanteur, et baissai aussitôt ma lame. Corray..? Mais comment t'es arrivé là ?! Qu'est-ce tu fais devant chez nous ? Je me tournai vers Thaïs, un peu abasourdi. C'est.. Un ami. Un membre de The Haven. Et comme si c'était une preuve ultime j'ajoutai : Je l'ai déjà tatoué.

J'avais une confiance absolue en Corray, et je rangeai aussitôt mon couteau pour m'approcher d'eux, attrapant le bras de Dany pour le tirer de là.