Comme la plupart des réfugiés, Thalia se trouvait dans le gymnase alors que les groupes chargés de combattre étaient partis. Et elle rongeait son frein en fulminant, sentant la nervosité gagner chaque fibre de son corps. La jeune femme avait été consignée ici de force par Morgan, qui n'avait pas voulu entendre quoi que ce soit concernant sa participation aux événements. Il avait tenu bon face au déluge de protestations qu'elle lui avait opposé, arguant qu'elle ne voulait pas le laisser y aller seul. Rien à faire. Elle avait été obligée de céder, convenant malgré elle qu'une femme enceinte dans son état, qui pouvait accoucher d'un moment à l'autre, n'avait pas sa place sur le terrain. Par ailleurs, il lui avait arraché la promesse qu'elle se tiendrait à l'écart de tout problème, et qu'elle se mettrait en sécurité si quoi que ce soit devait arriver. Et naturellement, il avait utilisé le bébé comme argument de choc. La zoologiste n'avait pas pu trouver quoi que ce soit à y redire, et cela la rongeait.
Le premier coup de feu avait retenti, lui tirant un sursaut. Son cœur se serra, alors qu'elle se demandait qui avait tiré en premier. Les insurgés, ou alors les militaires ? La future mère écouta sans ciller le discours que Drew leur servit. Un discours qui se voulait encourageant, mais qui ne rassurait pas totalement. Pas quand on savait ses proches sur la brèche, en train de gagner leur liberté au prix de leurs vies. Toutefois, c'était appréciable. Et voir que des militaires qui avaient rejoint leur cause se trouvaient près d'eux avait quelque chose de rassurant. Thalia serra toutefois les poings et se mordit la lèvre en songeant aux affrontements. Malgré ce qui venait d'être dit, elle se sentait bien inutile. Et l'angoisse était toujours là. Jessie, qui se tenait près d'elle, lui prit la main et la pressa doucement, dans un geste tendre de soutien. Cela l'aida à se détendre quelque peu.

Une nouvelle venue vint prendre place à sa droite. Maxine, si sa mémoire était bonne. La zoologiste la salua d'un petit signe de tête, se fendant d'un sourire un brin crispé. Cette tension allait finir par la rendre folle. La gorge légèrement serrée, elle répondit à la question par un hochement de tête affirmatif. Finalement, son attention fut détournée de l'angoisse de l'attente par la question qui concernait son état. Baissant les yeux sur son ventre distendu, elle y posa les mains avant de répondre.

« Je suppose. Il se tient tranquille pour le moment, je crois pas que l'accouchement sera pour tout de suite. Ca vaut sans doute mieux, vu ce qui se passe... Mais je sais aussi que ça ne tardera plus.

Et pour cause, elle n'aurait pas pu tenir dans cet état encore bien longtemps ! Un instant, une idée lui effleura l'esprit. Celle que peut-être, Morgan pourrait ne jamais connaître ce bébé. Si quelque chose se passait mal ce soir... Sentant des larmes lui monter aux yeux, elle les essuya d'un geste presque rageur. Ce n'était pas le moment de pleurnicher ! Elle était prête à mettre son poing dans le visage du premier de leur ennemis qui s'aviserait de venir par ici, alors il fallait rester forte ! Cherchant un instant du regard des visages connus, notamment Lysbeth, elle se retourna vers Maxine et lui adressa un sourire en demi-teinte.

- Je ne sais même pas si ce sera un garçon ou une fille. Je suppose qu'on le saura bientôt. Ce bébé sera peut-être le premier-né de la liberté, qui sait ? Tu... aimes les enfants ? »

Rosaleen avait toujours les yeux posés sur Sally, elle qui avait tant à perdre, et son mari qui était dehors pour les protéger et leur offrir une vie meilleur ; beaucoup d'entre eux avaient beaucoup à perdre en réalité, et Rosaleen avait bien plus tendance à penser à eux qu'à sa propre personne. Elle ne remarqua que quelques larmes s'étaient mise à rouler sur sa joue que quand la main de Ian se posa doucement dessus pour les enlever. Reportant son attention vers lui, elle le regarda d'un air un peu désarçonné ; à la fois soulagé de ne pas être seule, de voir que quelqu'un faisait attention à elle, mais cela provoquait chez elle une envie de tout laisser sortir. La rousse avait toujours été une femme forte, mais elle avait parfois besoin d'exorciser toute la peine du monde qu'elle avait l'impression de porter sur ses épaules.

De nouveaux coups de feu retentissaient, et Rosaleen ne pouvait s'empêcher de les associer à des corps qui tombaient, aux blessures qui étaient infligées ; tout ceci était vraiment nécessaire ? Devait-ils vraiment aspirer à une situation meilleure au prix des vies des leurs ou des militaires ? Ils étaient tous des êtres humains alors pourquoi ne pas pour une fois se battre contre une cause commune ? Essayer d'aider ces ''infectés'' là dehors plutôt que de se déchirer les uns les autres. Elle avait recommencé à trembler et l'étreinte de Ian était vraiment la bienvenue ; elle était un peu étonnée de son geste, ayant l'habitude de le voir bien plus réservé, mais c'était tout ce dont elle avait eut besoin à ce moment précis. Passant ses bras autour de lui, elle déposa son front sur l'épaule de l'urgentiste en fermant les yeux, cherchant tout le courage possible pour ce qu'ils auraient à affronter. Le brun repris alors la parole et la galloise se contenta d'écouter, tentant de calmer peu à peu ses tremblements. Elle ne pu s'empêcher de sourire légèrement.

« Je suis contente que tu sois là Ian, je suis sûre qu'en restant soudés on va y arriver. »

Elle en était sûre, tant qu'ils resteraient soudés, mais qui pouvait leur promettre que ça serait le cas ? La rousse n'avait pas envie de penser à une issue négative, ils devaient y arriver, et elle ferait son possible pour venir en aide aux blessés ; même si elle pratiquait la médecine alternative, elle avait quelques notion en soins de base et ferait de son mieux. Relevant son visage en se détachant un peu de l'homme, elle posa ses yeux dans les siens, le visage un peu plus serein. Dans son regard on pouvait certes lire l'inquiétude qu'elle ressentait, mais également un certain soulagement de savoir Ian ici. Et dans le regard de l'homme elle puisa toute la force nécessaire ; elle se senti cependant rougir, se sentant un peu égoïste de profiter de ce réconfort avec que certains avaient leurs familles là dehors, et chercha rapidement quelque chose à dire, changer un peu de sujet.

« Il va falloir qu'on se tienne prêts quand les nôtres reviendront, leur apporter des soins. Si je peux t'aider à quoi que ce soit n'hésites pas à me le dire. »

La rousse espérait que ses compétences soient à la hauteur des soins nécessaires et qu'elle n'allait pas devoir regarder bêtement le spectacle. Elle savait aussi que Ian n'était pas trop du genre à donner des ordre, mais ils devaient tous faire des efforts pour se protéger au mieux.

Il fallait s'occuper l'esprit. Discuter pour ne plus entendre que le son des déferlantes de balles, en ignorant qui avait l'avantage dehors. C'était le bon moment pour se rapprocher des gens, il n'y avait pas besoin d'une excuse ou d'un prétexte. Ils étaient tous dans le même bateau. Bateau qui risquait à tout moment de couler. Maxine avait déjà observé Thalia et son mari. Elle s'était même demandé comment elle pouvait voir l'avenir. Celui de son bébé dans un tel endroit. Et elle se le demandait encore plus maintenant. D'après ce que le disait la petite brune, l'accouchement ne tarderait pas. « Espérons qu'il ne soit pas aujourd'hui. » Souffla-elle en enfonçant les mains au fond des poches de son jean.

La tête tournée vers la future maman, Maxine assista à sa montée de larme. Que pouvait elle dire ? Que pouvait elle faire ? Les idées qui tournaient dans la tête de la jeune femme devaient être exactement les mêmes que celles de l'institutrice. Doucement, elle posa un main sur l'épaule de Thalia, seul geste réconfortant qu'elle pouvait lui donner à ce moment là. Puis, lorsqu'elle lui posa la question concernant les enfants, Maxine ne put s'empêcher de rire légèrement. « Oh ça... oui. Je les aime. » Le regard malicieux, elle continua dans sa lancée. « J'étais institutrice avant tout ça. »Elle sentait la question venir, Thalia allait bien finir par lui demander si elle en avait elle même et si elle les avait perdu avant d'arriver ici. Autant gagner du temps. « J'aurai aimé en avoir. » Elle fit une petite moue presque gênée. « Un garçon en premier. Et une fille. » Elle se mit à rire à nouveau. « Et toi, je suppose que tu t'en fiches si c'est une fille ou un garçon du moment qu'il est en bonne santé, mais si tu devais choisir ? ». Maxine serra les dents et ferma les yeux quelques secondes, elle voulait que les tirs s'arrêtent, que tout cela se termine vite, elle avait beau essayer de faire la conversation, les images du désastre qui devait se passer derrières les murs du gymnase revenaient la hanté dès qu'elle fermait la bouche.

Thalia fut plutôt contente d'apprendre que Maxine était institutrice. Que le monde redevienne normal ou non, elle aurait peut-être son petit bout à naître en classe ! Ce serait peut-être dans longtemps, selon le niveau auquel elle enseignait... En tout cas, c'était agréable d'avoir un peu de soutien dans ces moments difficiles ! La jeune femme sentait ses préoccupations sortir peu à peu de sa tête, au moins pour un temps. Visiblement, la brune n'avait pas d'enfants mais en aurait voulu. Cela ne voulait pas dire qu'elle ne serait pas mère un jour ! Et puisqu'il était question de ses préférences...

« J'ai pas vraiment de préférence. Mon mari, comme tous les hommes on dirait, aimerait bien un petit garçon. J'avoue qu'une fille me plairait aussi... J'ai l'impression que ça dépend des moments, en fait ! On a mis du temps à trancher sur les prénoms, parmi les deux qu'on avait retenus pour chaque sexe... Finalement, ce sera Evan pour un garçon, et Evelynn pour une fille.

Elle se voyait parfaitement avec l'un ou l'autre. Que ce soit un garçon ou une fille, la zoologiste espérait surtout que son bébé serait en pleine santé et verrait le jour dans de meilleures conditions de vie que celles de ces derniers mois. Et, bien entendu, que ses deux parents soient là pour lui... Avec un soupir, elle caressa doucement son ventre, faisant réagir le bébé qui était vraiment à l'étroit là-dedans.

- C'est quand même... je sais pas comment le dire. Morgan et moi, on a voulu un bébé pendant un moment, mais j'étais trop prise par mon travail pour ça. Je suis zoologiste en début de carrière, j'avais beaucoup de déplacements à faire partout dans le monde... Finalement, j'ai réussi à trouver un moyen d'être plus présente chez moi, et on s'est préparés à fonder une famille. Je suis tombée enceinte avant tout ça, et maintenant...

Thalia fit un geste de la main pour désigner ce qui les entourait. C'était quelque chose qui la hantait depuis pratiquement le début de leur séjour dans ce camp. Au début, elle avait pensé que ce n'était que temporaire, qu'ils rentreraient bientôt chez eux. Mais plus les jours puis les semaines s'égrenaient, plus elle commençait à penser qu'elle donnerait le jour à son bébé dans ce gymnase. Et les conditions de vie s'étant détériorées... le futur n'avait pas paru très souriant. Elle aurait donné tout ce qu'elle possédait pour que rien de tout cela ne se soit produit. Qu'elle sache encore comment chaque membre de sa famille se portait, alors qu'elle les avait tous perdus de vue depuis l'internement dans les camps... Elle ne savait strictement rien de ce qui avait pu leur arriver, dans son lointain Colorado natal. Son attention se reporta sur Maxine, avec un air sérieux.

- Je sais pas si tout rentrera dans l'ordre un jour. J'espère qu'on pourra reprendre des vies normales... mais en attendant, il faut surtout que ce qui se passe ce soir réussisse. On vivra tous bien mieux, en attendant que les choses rentrent dans l'ordre.

Comme en écho à ses paroles, des coups de feu retentissaient au dehors. Les pensées de la future mère volèrent immédiatement vers Morgan. Elle ne pouvait pas s'en empêcher. Elle se retint à grand-peine de pester, son désir d'être à ses côtés même face au danger étant toujours aussi fort. Au moins, elle aurait su comment il allait. La seule chose à laquelle elle pouvait se raccrocher, c'était le plan élaboré qui semblait assez efficace.

- Ton mari sait ce qu'il fait, j'ai l'impression. C'est plutôt rassurant. »

Jusqu’à maintenant, il avait toujours été lui-même. L’homme qui avait peur de tout et qui ne prenait aucune responsabilité. En cet instant, le stress et la pression étaient en train de le faire changer. Petit à petit le petit homme brun retrouvait une prestance qu’il avait uniquement lorsqu’il avait sa blouse blanche sur les épaules. Personne ne l’avait rencontré en tant que médecin. Il était évident que si son comportement n’aura jamais pu coller avec les urgences d’un hôpital. Il n’avait pas d’explication rationnelle sur son changement psychologique. Cependant, c’était une bonne chose pour tout le monde, il le sentait bien dans le regard de la rousse qui ne le reconnaissait qu’à moitié.

Il fallait rester soudé si on voulait avancer dans ce monde, Rosaleen avait parfaitement raison et Ian ne pouvait lui donner tort. Il s’inquiétait pour chaque homme sur le front sauf peut-être Trey, mais il ne se sentait pas vraiment coupable pour ça. La rousse était contente de l’avoir à ses côtés ce qui était adorable et ce qu’il le consolait un peu de se trouver égoïste. « En même temps, je suis plus utile derrière que sur le front. » Jaden l’avait bien résumé lorsqu’il avait expliqué comment aller se dérouler l’action. Il n’y avait que très peu de médecins parmi les civils, il ne pouvait pas se permettre d’en perdre en plus bêtement.

Finalement, elle se détacha de Ian, qui était un soulagé de la voir avec une meilleure mine, il était un peu mal à l’aise lorsqu’elle planta ses yeux dans les siens, il n’avait pas vraiment l’habitude et il avait envie de détourner le regard, il luttait pour la regardait le plus longtemps possible avant de baisser les yeux. Chasser le naturel, il revient au galop comme on dit si bien. Oui, il avait pris confiance en lui plus que d’habitude, mais ce n’était pas encore monsieur j’étale ma vie comme ça me chante et je suis fier comme un coq, loin de là.

Alors qu’elle parlait de la fin de cette guerre, une nouvelle vague de confiance s’emparait de l’homme. « Je serais prêt !» On pouvait voir de la détermination éclairer son regard. Il avait le sens du défi et savait que c’était beaucoup trop de monde à sauver pour lui. Il ferait son possible pour sauver un maximum de vie comme il avait toujours fait par le passé. Sauf qu’aujourd’hui, il connaissait chacun des gens qu’il devrait soigner. « C’est gentil de te proposer. Je pense qu’on aura besoin de tout le monde que ce soit pour arrêter des hémorragies ou retirer des balles. » Normalement lorsqu’ils sont dans un bloc opératoire, ils sont au moins cinq ou six, aujourd’hui on n’était même pas autant pour soigner tout ce qui sera blessé. Ian se doutait bien qu’ils ne seront pas nombreux rien qu’en entendant le nombre de coups de feu raisonnait autour d’eux.

Il regarda une nouvelle fois la rousse. Il lui sourit, son regard était empli de cette assurance que Docteur Lennon connaissait bien. « Je saurais te guider ne t’en fait pas. » Il n’avait malheureusement pas sa blouse blanche avec lui. Il aurait bien aimé la porter pour que tout soit comme avant. Cependant, aujourd’hui c’était une guerre ouverte dans une école, son hôpital était bien loin.

Faire abstraction. Sans le vouloir, le regard de Maxine ne cessait de se décrocher de Thalia pour aller vérifier les portes. C’était complètement débile puisque si les militaires venaient à débouler dans le gymnase, ils seraient sûrement avertis par le bruit des tirs ou des coups donnés pour faire tomber la barricade que les deux militaires avaient mis en place. Se concentrer sur ce que lui disait Thalia était le seul moyen de ne pas devenir complètement folle. Elle était peut-être veuve, elle n’en savait rien. Les minutes paraissaient des heures et chaque coup de feu rappelait qu’il y avait des morts de l’autre côté.

Elle hocha la tête en entendant dire que tous les hommes voulaient un petit garçon en premier. Elle se souvenait des discussions qu’ils avaient pu avoir sur le sujet, Jaden et elle. Elles avaient eu lieu quelques mois après qu’ils se soient mis ensemble. A cette période, la discussion était enjouée. Ce qui n’était plus cas durant les deux dernières années. Parler des enfants aboutissait à des salves de reproches concernant l’absence de Jaden. Au début, il était simplement hors de question qu’elle tombe enceinte si Jaden continuait sa mission, puis finalement, la situation avait empirée jusqu’au point où elle fut persuadée qu’ils n’auraient jamais d’enfant. En tout cas, pas ensemble.

« Ce sont des jolis prénoms. » Répondit l’institutrice. « Je vais parier sur une petite Evelynn ! » Dit elle haussant les sourcils. Maxine perdit son sourire en l’entendant faire le triste constat des choses. Oui, elle imaginait bien que se retrouver enfermé dans un lycée avec des militaires n’était pas le plan qu’ils avaient fait. Elle avait attendu, à cause de son métier, pour former une famille. Et désormais que c’était chose presque faite, elle se retrouvait avec une épidémie mondiale. En inspirant, elle chercha ses mots. « Si on avait su…si seulement on avait pu se douter qu’une chose comme ça arriverait un jour.. » Elle aussi, elle espérait que les choses rentrent dans l’ordre un beau jour mais elle avait très peu d’espoir. « Ils sont en train de faire ce qu’ils faut pour que nous retrouvions des vies à peu près normales. »

Puis Thalia vint à parler de Jaden. « Oui, il sait ce qu’il fait. Il a été formé pour ça. »Elle eut un léger rire triste. « C’est rassurant oui. Mais pas spécialement pour moi tu imagines bien. On est arrivé ici et quelques semaines après, il était déjà dehors pour filer un coup de main sur les expéditions. Là, il doit repartir à la guerre. » Elle termina en baissant les épaules, l’air vaincue. « Ce n’est qu’une fois de plus où je me demande si on va venir m’annoncer qu’il n’a pas survécu. » Il fallait changer de sujet. « Qu’est ce qu’il faisait ton mari avant tout ça ? Et toi aussi d'ailleurs ? ».

Il est temps.
Dehors, le premier coup de feu vient de retentir et, pour ne pas déroger à la règle, j'ai sursauté comme tous les autres en l'entendant. Mes doigts se resserrent autour de l'arme que j'ai préféré conserver à la main depuis qu'on me l'a confiée. Pouvoir atteindre la gâchette en moins d'une seconde a quelque chose de rassurant.

Je suis tendue. J'étais évidemment loin d'avoir les compétences requises pour aller au front, mais malgré tout, à être coincée dans ce gymnase, qui grouille toujours de monde, je ressens comme... Une immense frustration. Je n'ai aucune envie d'aller jouer les bons soldats et de mourir pour la patrie, mais une partie de moi rechigne encore à laisser mon avenir entre les mains de quelqu'un d'autre, des novices ou des inconnus pour la plupart.
Je ne me fais pas d'illusions, le poids qui pèse sur ma paume rassure sans doute les plus naïfs, nous donnera probablement quelques secondes -quelques minutes en étant optimiste - si je venais à en faire usage. Mais c'est pour moi une évidence : si les wannabe warriors qui nous ont quitté tout à l'heure échouent, ce n'est pas la brochette d'assistés qu'on fait qui accomplira quoi que ce soit. Et puisque je fais parti de « la dernière ligne de défense », je doute même de pouvoir sauver ma peau par des suppliques ou négociations une fois celle-ci rompue. À moins peut-être que j'en colle une dans la tête de Stobart, en gage de bonne volonté ?
Un sourire triste s'immisce sur mon visage. Tu dis n'importe quoi, voir ta vie suspendue à un fil ça te réussit pas Bernie.

Moi qui ai haï ce camp à la seconde où j'ai compris dans quoi je mettais le pieds, je regrette un peu en cet instant d'avoir troqué ma liberté contre quelques porte-flingues pour monter la garde, d'autant plus maintenant que j'ai eu un aperçu de ce dont ils sont capables une fois qu'ils ont trop tiré sur la bouteille.
Et puis il y a aussi ceux auxquels on finit par s'attacher. Contre toute attente et malgré ma mauvaise volonté, il y a bien eu quelques énergumènes dans le lot pour lesquels les sourires n'ont pas nécessité d'être fabriqués de toute pièce. Certains sont ici, sous ma protection. Et d'autres sont là dehors, et Dieu sait ce qu'il va bien advenir de tout ce bon monde. Je soupire bruyamment. Alors voilà ce que c'est que l'attachement...

C'est l'arrivée de Megara qui me fait atterrir. « J'ai vu mieux... mais ça va ! » je souffle, pas convaincue. « Vous savez qu'en cas d'imprévu... Le Lieutenant Gardner et moi on ne laissera rien vous arriver, demoiselle ! » je lance fièrement en bombant le torse, adressant un clin d’œil à mon amie dans une tentative inespérée de détendre l'atmosphère.
Et puis je presse de nouveau le revolver dans ma paume, « notre dernier rempart », mon petit totem.