Tôt ce matin je m'étais rendue sur le toit du lycée afin d'y observer le levé du soleil. Doux. Chaleureux. Il me faisait oublier le désastre de nos vies. J'avais longuement médité et j'avais finit par m'endormir paisiblement après avoir enfoui dans mes oreilles une paire de bouchon. Le ciel avait une toute autre allure dans le silence tout comme le monde qui m'entourait. Plus de trouble. Plus de cris. Plus de son rauque et de pas traînant. Juste et simplement le silence. Quand je suis revenue à moi j'ai cru être en retard pour le repas, je ne voulais pas le manquer mais vu l'heure approximative que le soleil m'indiquait j'avais intérêt à ne pas trop tarder. Je descendais les escaliers quatre à quatre, puis courais presque dans les couloirs. Je connaissais le lycée comme ma poche et même si je n'avais pas envie de réinvestir l'endroit, couper au travers du gymnase me ferait gagner de précieuse minutes. Je soupirais à cette idée. Résignée, je me dirigeais vers le dit gymnase en m'efforçant de ne pas me remémorer la tragédie. Je poussais la porte arrière pour m'y faufiler discrètement quand abasourdie je me figeais.

Absurde. Complètement dépassée, je ne compris pas tout de suite ce qui se passait. Ce que je vois n'est pas réel. C'est impossible. Je me frotte les yeux. Je les ouvre puis les refermes avant de les ouvrir à nouveau. Impensable. Inimaginable. Immobile, je fixe l'énorme créature au pelage noir de jais d'un air ébahit. Un gorille. Machinalement, je me pince pour vérifier que je ne dors pas, je grimace forcée de constater la dur véracité des faits. De l'autre coté il y a Maxine et son mari Jaden, puis Norman sur qui mon regard s'attarde quelques secondes. Quelques autres personnes que j'ai déjà croisés. Ils sont armés. Que font-il ? Je lis sur leur visage le désir de protéger les nôtres et au vue de l'humeur massacrante du gorille, il m’apparaît comme une évidence que le tuer est nécessaire. Ils tirent. Je peux voir le dos argenter se faire toucher et rugir de rage. Un vague silence s'installe après la série de coup de feu et les cris de douleurs mêlés à sa folie.

La porte derrière moi claque. J'ai oublié de la retenir en me paralysant devant ce monstre. Je frissonne. Un grognement sourd et puissant. J'ai malencontreusement attiré l'attention de l'animal sans le vouloir. Mon cerveau m'ordonne de fuir mais j'en suis incapable. Tétanisée. Ma respiration s'accélère et se saccade. Mon cœur bat la chamade et j'ai l'impression que ceux du fond du gymnase l'entendent. Mon regard se pose dans celui du gorille qui m'observe à son tour, il souffle tel un taureau enragé près à me foncer dessus. Il se redresse sur ces pattes arrières en grognant, frappant sa poitrine d'une façon menaçante. Je n'ai plus conscience de se qui se passe autour de moi. Je ne vois plus les rescapés du Garfield HighSchool. Je suis en tête à tête avec une créature aussi fascinante que dangereuse.

Finn avait raté son tir. Si l'envie de lui hurler dans l'oreille quel effet cela pouvait-il faire de se faire battre par une nana, Lex s'en abstint cependant en remarquant qu'il ne semblait pas au sommet de sa forme. Fronçant légèrement les sourcils, elle rechargea l'arme qu'elle ramena à nouveau contre son épaule endolorie alors que le big boss faisait mouche avec l'animal qui semblait enfin commencer à s'affaiblir. Amen, dieu existait.

Profitant du tir de Jaden pour e rapprocher légèrement de Finn, la brune se retourna en direction de Ian pour lui faire signe de la suivre.

On risque d'avoir besoin de toi par ici...

Un nouveau râle de la part du gorille l'incita à se retourner lentement, fusil braqué sur l'animal alors qu'elle croisait l'espace d'une seconde son regard. Peut-être était-il trop faible pour attaquer, il n'empêchait que le cadavre gisant au sol de Marco lui rappelait précisément que ce gorille était parfaitement capable de lui réduire en charpie si un regain d'énergie le prenait. Il était un peu trop près de Jessie d'ailleurs. Jessie. La rouquine qui traînait souvent avec Thalia. Sans armes, elle ne risquait pas de faire long feu en restant à fixer le gorille sans bouger.

Oh, Kerchak !

Le gorille se retournait à peine vers elle quand elle appuya à nouveau sur la gâchette, jurant quand le recul du fusil lui défonça une nouvelle fois l'épaule. Elle s'imaginait déjà avoir un magnifique hématome d'ici quelques jours tiens. Profitant que l'animal se détournait d'elle sous le coup de la douleur pour revenir vers le point ou se trouvaient Ian et Finn, elle se força à mettre sa rancoeur de côté envers l'homme pour demander;

Qu'est-ce que t'as ?

Norman et Jaden semblaient avoir la situation bien en main pour l'instant. Autant éviter de prendre le risque que Finn termine dans le même état que Marco ...

Recharge, Recharge...plus vite bordel ! Cria t'il intérieurement. Bordel deux fois il avait raté l'encoche pour la cartouche, il était miro ou la panique le rendait incompétent ? Le tire d'Alex toucha, le deuxième tir complètement à côté de Finn qui n'était apparemment pas dans un bon état mental en cet instant et comme à son habitude Jaden ne ratait rien. En même temps, s'il avait raté son tire, il l'aurait littéralement insulté. Bah quoi ? Il était militaire de carrière, il n'avait pas le droit de fail une cible aussi ENORME !

Norman arriva à recharger son arme après s'être battu avec la cartouche qu'il avait failli faire tomber une dizaine de fois. Bon ok, c'était simple comme bonjour mais ses mains tremblaient tellement avec l'adrénaline qu'il avait l'impression d'avoir bu une bouteille entière de scotch. Du calme, respire un bon coup, ressaisit toi, tout le monde te regarde, passe pas pour un con.

Puis soudain Jessie fit irruption et gros nounours qu'ils essayaient d'abattre avec des fusils de chasse semblait intéressé par la rouquine. Elle se prenait pour Jessica Lange ? Bordel on n'était pas dans king kong, c'était quoi son délire !? Alex tira et sa balle encore une fois atteignit sa cible. Il fallait qu'il tire maintenant, qu'il laisse une porte ouverte à Jessie pour qu'elle se bouge.

Respirant un bon coup, Norman cala l'arme sur son épaule et fit feu. La balle perfora l'oeil droit de l'animal. Le gorille stoppa ses mouvements, sa respiration se faisait de plus en plus forte et il laissa échapper un dernier cri avant de s'affaler sur le sol. Il est mort ? On l'a fait ? L'électricien était complètement figé, il n'y croyait pas. "Vous pensez qu'il est mort ?" Demanda t'il le regard fixé sur l'énorme peluche au sol. "Enfin ça donne l'impression non ?" Il venait de prendre quatre balles et une dernière en plein dans l’œil. S'il n'était pas mort avec ça, ce serait complètement abusé.

Mon sang se glace et je sens un frisson me parcourir l'échine. J'ai peur. Enfin, je n'en suis pas certaine. Je ne parviens pas à mettre des mots sur ce que je ressens en cet instant. Je ne tremble pas. Je ne faiblis pas. Je suis simplement tétanisée. Les pieds prit dans le béton je suis incapable d'effectuer le moindre mouvement. Mon visage reflète la fascination plus que l'angoisse, j'avais pourtant de quoi l'être. L'adrénaline peut-être. J'esquisse un sourire à l'ombre de mes pensées. Suis-je devenue complètement dingue ? Pas que je saches. Une voix féminine tenta d'attirer l'attention du primate pour l'éloigner de moi.

-Oh, Kerchak !

Puis un coup de feu s'en suivit. Elle venait de toucher à nouveau sa cible au prix d'une épaule douloureuse. Elle profita de l'inattention du gorille à son égard pour rejoindre Ian et un des tireurs. Ian était là lui aussi... mais qu'est ce qui c'était passé ici ? Mes interrogations demeurent sans réponses et je me vois déjà me faire moraliser quand à ma présence ici. Je laisse échapper un soupir. Le regard attristé par la position délicate du grand singe, il souffrait. Mon cœur se serra. Norman se débattait littéralement avec son arme, il n'arrivait pas à l'armer visiblement trop pressé par le temps. En effet, chaque être présent ici pouvait servir de jouet à cet animal, comme le pauvre type en sang de l'autre côté du gymnase. Je n'avais pas remarqué le cadavre avant mais j'éprouvais un profond dégoût à sa vue. Norman constata ma présence et semblait effaré par la situation. Pas besoin d'être devin pour savoir qu'il se demandait ce que je fichais là. Puis il se mit à viser, tirer et toucher. En plein dans l’œil droit. Je venais de me décomposer. Le gorille pourtant si puissant s'éteignit doucement dans un dernier râle. Je criais sans m'en rendre compte :

-NOOOooon !

Avant de me laisser glisser contre le mur adoptant une position de replis. J'ai mal. La tristesse s'empare de moi sans que je puisse la contrôler. Des monstres... ce sont tous des monstre. De voir cette pauvre bête se faire abattre me cloue. Jamais je n'oublierais la lueur dans son regard, il aurait pu me tuer mais il ne l'avait pas fait. Oui, il l'aurait peut-être fait ou pas. On ne saura pas. Mais en cet instant, je leur en voulais à tous.

-Vous pensez qu'il est mort ? Enfin ça donne l'impression non ? Interrogea Norman.

Tous s'étaient attendu à ce que je fuis, je hurle. J'étais pourtant restée extrêmement calme. Je me relève doucement, marchant presque sur la pointe des pieds. Je me dirige vers ce majestueux gorille au pelage noir et au dos argenté, un mâle dominant. Ma main glisse le long de sa fourrure. Il ne respire plus. Je ne sens pas le moindre mouvement thoracique sous mes doigts. Je m'agenouille à côté de sa tête massive, son nez est humide... tiède. Son regard est vide du moins l’œil qui lui reste. J'abaisse sa paupière. Ignorant tout ce qui peut se passer autour de moi, mes yeux emplis de larmes, je déclare sur une tonalité distante et légèrement tremblante :

-Oui. Vous l'avez tué.

Après les singes, un nouveau genre de primate avait élu domicile dans leur cours. Du haut de la fenêtre, cette fois, avec sa petite famille, Wade n'était pas sorti. Il avait pris le soin s'éloigner au bon moment Russell de la fenêtre... L'instant où l'immense bête avait chargé Marco... Le regard écarquillé, il s'était reculé de la fenêtre au moment même où la bête se tenait à quelques pas du pauvre homme. Très certainement dans un sale état ou mort, les questions avec lesquels son fils l'assaillaient restaient sans réponse.

Je veux voir. T'peux pas garder ça pour toi. Le gros singe l'a fait quoi ? Pourquoi l'avait l'air en colère ? Le monsieur y va bien ? Tant que questions restaient en suspension dans l'air alors que les petites mains fragiles de son petit était en train de tirer sur son col pour lui rappeler qu'il était en train de lui parler. Son fils lui sembla tout à coup plus lourd. Wade se rendit compte que le morpion était en train de se tordre en arrière pour pouvoir descendre ou mieux voir ce qui se passait dehors. Des horreurs, Russell en avait trop vu pour son petit âge. Mais une part des deux parents savaient que des choses étaient inévitables.

Il finira par voir pire que la chute d'Emerald. Il en a vu au tout début tu sais... Quand on a bougé jusqu'à ce refuge... Il n'en parle jamais, que faire, que dire ?

L'esprit de Russell devait être fragilisé... Il n'y avait qu'à voir les dessins, noircies par les coups de crayon, raturés d'ombres sombres aux visages pourvues de dents écarlates... Et ils avaient beaux lui parler, amener un peu de guetter, la petite flamme dans le regard du gamin s'éteignait. Les intérêts de Russell n'étaient pas morbides, loin de là, il avait de moins en moins d'intérêt pour tous jeux de différentes natures. Le jeu avait beaucoup moins d'intérêt à ses yeux que les choses qui rôdaient près du grillage...

On verra les exploits des camarades plus tard si tu veux bien...

Quelques cris et protestations plus tard, il choisit d'aller dans la chambre le temps que tout se tasse. Mais le bruit répété des coups de feu à l'extérieur n'en finissait pas des marmonnements de protestation chez Russell. Je veux voir. T'as pas le droit de m'empêcher de voir. Je veux voir le singe géant. Je veux. Je veux.
Pour une fois il ne cèderait pas. Il attendrait la fin des coups de feu, la fin du gorille peut être... La fin du massacre. Les bruits de couloir viendraient vite, ceux collaient aux vitres auraient vite fait de les prévenir...

Kaycee avait vécu l’épisode du gorille de loin, derrière les fenêtres du lycée, mais n’avait pas manqué l’attaque de ce dernier sur le pauvre Marco. Elle était alors près de Wade et son fils et leur avait jeté un regard déboussolé et horrifié. Non ! Le malheur revenait chez eux… et ce n’était, hélas, qu’un début !

Ils pansèrent leurs plaies pendant quelques jours, et à la fin du mois, la blondinette n’avait plus aucune trace de la morsure sur sa main. Comme tout le reste, le souvenir se brouillait. Celui des macaques, du grand singe, et du jeune homme. Mais pas celle du zoo… Rapidement, la présence d’un félin proche de leur position ne fit plus aucun doute, et plusieurs morts s’enchainèrent dans leur rang. Holly. Drew. Merde !

Concernée, comme tout le monde, par cette menace, et ces morts, Kaycee s’était bien sûr précipitée au cœur de l’intrigue à l’arrivée de ce Keith.

- C’est quoi ? Il l’a dit ? Demanda la jeune fille à Thalia, alors que celle-ci revenait de l’interrogatoire qu’il avait fait subir à l’étranger. Tigre ? Lion ? Guépard ? Les rumeurs allaient bon train, et toutes les théories les plus farfelues aussi, telle la bête du Gévaudan ! Il l’a vu ? Tu crois qu’il peut y en avoir plusieurs ?

Ils s’étaient déjà posés toutes ces questions et avaient tenté d’étudier les plaies des victimes de l’animal. Mais l’extérieur était plus dangereux que jamais, et l’enquête ne valait pas nécessairement tous ces risques ! Aussi ne savaient-ils pas exactement ce à quoi ils avaient à faire ! Une chose leur paraissait évidente néanmoins ! Ils ne se laisseraient pas traquer par cette chose ! Ils étaient des humains, bon sang ! C’était maintenant à leur tour de se mettre en chasse ! Non ?