Les rôles s’étaient inversés. C’était au tour de Blake d’être derrière le volant et le sien de profiter du trajet pour continuer sa nuit de sommeil. Encore fallait-il qu’il se rendorme pour ça. Appuyé contre le dossier, l’épaisse capuche de son manteau rabattue sur sa tête pour lui servir de maigre oreiller, les yeux clos, John somnolait. À défaut de le bercer, les légères secousses le maintenaient dans un état à mi-chemin entre l’éveil et l’endormissement. Ses fils de pensées allaient et venaient au gré de ses plongeons et de ses reprises de conscience. Contrairement à d’autres, la mort d’Edwin était loin, très loin d’être au cœur de celles-ci. Il n’avait jamais tissé de liens particuliers avec le fauconnier. Il n’y avait ni réelle rancœur ni réelle amitié entre eux. Edwin était, comme beaucoup aux yeux du militaire, juste une personne de plus dont il ne se préoccupait guère. Aussi regrettable qu’il ait été et s’il était des mieux placés pour comprendre la douleur de certains, le décès de l’homme, lui, le laissait de marbre.

Non, ce qui occupait ses pensées, c’était l’échange qu’il avait eu avec Blake suite aux événements qui avaient suivi la mort du dresseur de rapace. Leur collaboration au cours de l’attaque de deux hommes ne changeaient rien à la situation. À leur situation. Si la blonde avait tenu à le préciser, l’explication avait été, pour le brun, inutile. C’est qu’après presque dix ans de vue commune, il commençait à bien la connaître, son épouse. John savait pertinemment qu’il ne suffirait pas d’un claquement de doigts pour qu’elle oublie tant son comportement que les erreurs qu’il avait commises. La connaissant comme il la connaissait, il n’était même pas certain que ce jour arrive. Le désirait-il lui ? Deux semaines plus tôt, il aurait probablement répondu qu’il n’en était pas sûr. De son point de vue, le mal qu’ils s’étaient causé, que lui, principalement, avait causé, était au-delà du réparable. Maintenant...

S’il s’était partir en avant lorsque Blake avait freiné, ce fut le fracas terrible qui l’extirpa de son semblant de sommeil. Un bref regard dans le rétroviseur et le militaire en découvrait la source. Manquait plus que ça. Il n’avait même pas eu le temps de descendre que certains des occupants des véhicules de têtes dépassaient déjà leur camion. Ses pieds s’enfonçant dans la neige, il regarda devant au lieu de regarder derrière, là où tous les regards étaient déjà tournés.

- On va avoir un autre problème sur les bras, fit John après avoir fait le tour de l’habitacle pour rejoindre son épouse, désignant quelques infectés qui s’extirpaient difficilement de la couche neigeuse.

Blake ayant réquisitionné l’aide de Logan et Jenny, les derniers à n’avoir pas foncé en direction du second camion, c’était à ça que les Callaghan étaient occupés lorsqu’Elena arriva à leur niveau. Si la question qu’elle posa s’adresser certainement à sa femme, ce fut pourtant John qui répondit le premier.

- Il va falloir s’occuper d’eux si on veut pouvoir continuer, fit l’homme en achevant un mort avant de jeter un regard mauvais en direction du gosse qui s’amusait avec son sabre.

Non, il ne demandait pas comment ça allait là-bas. Il ne lui avait fallu qu’un bref coup d’œil pour voir que c’était l’arrière du camion qui avait morflé et qu’Alan, la seule personne pour qui il avait un tant soit peu d’estime dans ce véhicule, n’avait rien. Les autres, John n’en avait pas grand chose à fiche.

Dans la voiture, tout le monde avait à peu près le même sentiment. Une envie de plus en plus insistante d'arriver enfin au bout du voyage, de trouver un endroit sûr où s'établir, avec un toit sur la tête et des murs pour isoler du froid. En attendant, les galères continuaient. Depuis la queue du convoi, il ne fut pas facile de voir ce qui provoqua l'arrêt subit des véhicules. En revanche, le souci devint évident en voyant l'état du second camion et sa façon de rester de travers. Ethan retint un juron en descendant du pick-up, par égard pour ses enfants. L'un comme l'autre était suffisamment grand pour simplement répéter tout ce qu'ils entendaient sans réfléchir. En compagnie d'Henry et Brooke, il s'approcha de la zone avec une boule douloureuse au creux de l'estomac. Abbigail et Alice restèrent dans le véhicule pour s'occuper d'Owen, Nolan et des deux chiens.
Avant d'avoir pu s'approcher davantage, l'agent fédéral fut intercepté par Abel. Ils avaient eu des consignes, à savoir nettoyer le terrain de toute présence de rôdeurs. Evidemment, s'ils devaient s'activer sur le pont, il était hors de question de rester exposés. Un accident arrivait bien trop vite. Comprenant les enjeux, le jeune homme laissa son épouse et son beau-père aller apporter de l'aide près du camion, pendant qu'il accompagnait Abel.

« Espérons qu'on pourra redémarrer rapidement. Je n'ai pas envie de m'éterniser sur ce pont. Si jamais ces saletés s'amassent des deux côtés...

Il n'avait pas besoin d'en rajouter. Si des groupes de rôdeurs trop importants apparaissaient aux deux extrémités du pont, sauter serait leur seule chance. Et encore, si on pouvait parler de chance... L'idée était irréalisable. Ils mourraient de froid si ce n'était pas la chute qui les tuait. En bref, il fallait faire vite. D'un geste expert, Ethan tira son couteau de combat en anticipant déjà les affrontements. Abel s'occupa du premier mort-vivant qui les rejoignit, mais manqua de peu de perdre l'équilibre en se faisant attraper la cheville par un autre, enfoui sous la neige. Heureusement, il n'y eut pas de dégâts à déplorer.
L'agent fédéral ramassa une tige métallique qui traînait au sol, près de lui. Il s'en servit comme d'une sonde pour aller fouiller dans les congères, afin de voir s'il butait sur quelque chose. Il dénicha ainsi un macchabée qui émergea maladroitement en poussant un râle étouffé. Quelques instants plus tard, il était réduit définitivement au silence.

- Je suppose que c'est foutu pour le camion ? »

Plus loin, il commençait à y avoir de l'agitation. Des rôdeurs se tiraient peu à peu des congères un peu partout. Ethan espérait que Brooke et son père seraient prudents.