Je tentais tant bien que mal de prendre mon mal en patience dans cette voiture, mais plus le temps passé, plus j’étais en train de me morfondre sur les sièges. Je ne pouvais pas rester ici alors que je n’avais qu’une envie courir dehors et me rendre utile. Izzy s’en était bien rendu compte puisqu’elle me jetait des regards compatissants. Théoriquement, je pouvais sortir, j’étais apte à aider dehors, mais voilà que j’étais censé jouer la mère poule. Oui c’était dans mes cordes, je ne dis pas le contraire, mais les gens dehors avaient bien besoin de moi aussi. Eli avait finalement trouvé le sommeil, elle ne verrait pas la différence si je m’absentais cinq minutes, si ?

En vérité, je n’avais toujours pas pris de décision quand j’entendais Guilia hurler à la mort un peu plus loin de la voiture. C’est sans vraiment comprendre ce qui m’avait poussé à faire ça que je bondis hors du véhicule après avoir laissé Élie au petit soin d’Izzy évidemment, je ne pouvais pas lui faire affronter le froid gratuitement. Je fus une des premières à arriver devant la brune. Je lui collais mon plus beau regard noir, tout le monde en avait après moi c’est dernier temps, et bien c’est elle qui allait prendre tant pis.

- Mais tu vas te la fermer toi ? Si ton copain il n’était pas complètement con, il serait encore vivant à l’heure qui l'est. Tu aurais dû lui dire que quand on fait le con sur le pont et bah on tombe…

Sans comprendre pourquoi je la pousse alors, elle était malheureusement trop loin du bord pour tomber à la suite de son amour perdu. Mais,je me sentais comme soulagé d’un poids que je n’arrivais pas à comprendre, grâce à cette violence physique. Hurler ma rage sur cette pauvre femme avait quelque chose de jouissif, je ne saurais pas l’expliquer et je n’en avais pas vraiment envie donc ce n’était pas si grave que ça. Je regardais vaguement en bas avant de la regarder à nouveau.

- Tu vas pouvoir t’assurer ton propre soutien psychologique maintenant, Madame je suis professeur de bio !

Je pense qu’on pouvait officiellement dire que Tam Capone avait frappé et je m’en lavais les mains si on venait m’engueuler parce que j’avais laissé Elie derrière moi.

    Occupé à aider les autres à caler les affaires du camion que je conduisais dans le reste des véhicules, je lance tout de même des regards aux alentours, bloquant net en apercevant Justin s'entraîner avec son katana. Quoi que ''s'entraîner'' n'était pas le mot le plus adapté. Soupirant bruyamment en secouant la tête, je juge plus intelligent de ne pas perdre de temps à essayer de lui faire la morale et me contente de poursuivre ma tâche. Le froid se fait de plus en plus sentir, tout comme la fatigue et une légère douleur dans ma nuque probablement due aux crispements quand mon véhicule a dérapé.

    Quelques minutes plus tard, des hurlements se font entendre. Ceux de Giulia, agrémentés par moment de ceux de Justin. Me tournant vers le lieu d'où ils proviennent, je fronce les sourcils. A quoi il joue encore ? Ce n'est que trop tard que je comprends qu'il n'y a plus rien à faire : le jeune homme a chuté dans le vide. Tout le monde avait vu cette barrière enfoncée, le risque qu'elle représentait, et le verglas sur la route n'avait été qu'un avertissement de plus. Tout le monde sauf lui apparemment.

    Serrant les dents, je reste planté en plein milieu, un sac à la main. Une perte de plus, encore. Mais j'avais déjà trop perdu pour pleurer, pour le pleurer lui. Sentant une présence à côté de moi, je remarque Buzz, les bras lui aussi chargés, secouer la tête d'un air complètement excédé. Insensibles ? Loin de là. Mais les circonstances avaient fait que la mort d'Edwin, atroce, rendait celle de Justin l'inconscient relativement moindre. Les pleurs de Giulia brisèrent vite le silence et, si j'avais pensé une seconde à l'état dans lequel je serais si c'était Christina qui était tombée dans le vide, je n'en laissais rien paraître.

Entre deux sanglots elle me répondit un truc qui m’arracha un soupire de désarroi.

- Non, je suis universitaire…

La réponse était venue du fond du cœur, Justin n’avait pas pleuré la mort d’Edwin, il n’avait pas eu un mot gentil pour mon amie, je n’allais pas en avoir pour cette fille que j’avais voulu étripé plus d’une fois dans ce maudit chalet…

- Mais on s’en fout, juste arrête de faire ton foin. Va pleurer en silence dans un coin et arrête d’appeler les rôdeurs on pourra pas récupérer Justin maintenant.

J’étais peut-être sans cœur, mais ses fausses larmes de crocodile me mettaient hors de moi. Cette femme n’avait donc pas de dignité. Déjà qu’elle eût mis le grappin sur un gamin qui avait un problème d’Œdipe non résolu en plus elle nous faisait le coup de la veuve hurleuse. Je me rappelais cette conversation que j’avais eue avec Colleen, elle avait un regard à couper le souffle d’ailleurs, aussi tranchant que le katana de Justin. J’avais tenté d’arranger un truc entre les deux, mais il fallait croire qu’il était bien trop aveugle pour se rendre compte de ce qui se passait.

Justin, il n’était pas méchant dans le fond, juste complètement con, moi c’était avec Guilia que j’avais un problème. Tout le monde le savait, je n’avais pas aimé qu’elle me réponde juste pour le principe. Oui, j’étais plus jeune qu’elle et oui en théorie j’aurais dû lui donner du respect, mais j’avais un problème avec les connes. Peut-être que ça venait de son sang italien qu’est-ce que j’en sais…

En tout cas, je la regardais avec ce regard mauvais qui disait très clairement, meuf tu ouvres ta gueule pour dire quoi que ce soit, je te fous un pain dans la gueule. Je ne l'ai pas fait jusqu’à maintenant simplement parce que j’avais un minimum de respect le toutou qui lui servait de fils (ou de copain) et maintenant il était plus là pour te défendre.

Au moment du drame, Christina était dans le camion, à aider les autres à sortir les caisses qu'ils devaient transférer dans les autres véhicules. Elle avait certes cru entendre quelques commentaires ou critiques étouffés au loin contre Justin. Pourtant ce ne fut que lorsqu'elle entendit un cri de Giulia qu'elle se stoppa.

-Qu'est-ce qu... ?
- Justin est tombé dans la rivière ! Vint les alerter Samuel. Quoi ? Oh mon Dieu, non ! Comment était-ce possible ? Les yeux de la femme s'agrandirent de surprise et d'effroi.
- Il est... ? Il est... ? Vivant, voulait-elle demander, mais la mine du type ne lui laissa aucun espoir.

Elle arrêta son mouvement en cours et posa vivement la caisse qu'elle tenait entre les mains pour se hâter de sortir du camion. Elle vit les mines des autres, partagées entre la résignation et... et quoi ? L'indifférence ? Puis son regard se posa sur Giulia dans tous ses états. Aussi rapidement qu'elle le put, avec le verglas, elle vint à la rencontre de celle-ci et entendit avec sidération les propos de Tam. Il ne lui en fallut pas davantage pour voir la moutarde lui monter au nez.

- Tais-toi Tamara ! Tu crois vraiment que c'est moment ?! Tu n'as vraiment aucun respect ! Son ton était sec et sans appel. Elle foudroya la jeune mère du regard. En mode mitraillette tire rafale. N'était-elle pas assez fine pour deviner que ce genre d'instants était précisément ceux où il était judicieux de fermer sa gueule ? S'il y avait bien une chose qu'elle ne supportait pas, c'était l'acharnement mesquin et gratuit sur quelqu'un comme ça. Elle avait giflé Michaela pour moins que ça !  

Oui Christy était écœurée ! Pourquoi les cris et les larmes de Lilou deux nuits plus tôt étaient-ils plus légitimes que ceux de cette pauvre femme ? Certes Justin était un numéro, mais ce n'était pas un mauvais bougre. Elle lui devait même la vie en quelque sorte ! Kassandra et Isabel aussi. Si l’hôtesse de l'air n'était pas très proche de lui, elle avait de l'affection pour lui. Et Giulia restait son amie.

Elle maintint son regard de mère sévère sur Tam un instant, espérant qu'elle aurait l'intelligence et la maturité de ne pas lui répondre pour s'enfoncer. De toute façon, ce n'était pas la priorité. Elle avait aussi face à elle une Giulia dévastée.

- On mon Dieu, Giul', qu'est-ce qui s'est passé ? La femme bredouilla quelques mots  - katana, verglas, katana - avant de fondre en plus en larmes, en silence cette fois-ci, dans ses bras.