Après avoir décalé la voiture, j’avais adressé un regard reconnaissant à mes deux partenaires, donnant une petite tape sur l’épaule de Buzz avant de m’éloigner pour voir s’il y avait encore d’autres choses à ôter de la route. Faisant quelques pas vers l'arrière, je fronçais les sourcils en voyant Ludwig s’approcher d’un Coyote d’un air apparemment peu rassuré. Je n’eus pas le temps d’arriver à sa hauteur que le mort trébucha pitoyablement pour finir le crâne empalé dans une barre de fer. De la chance ? Probablement. Ludwig n’était pas très à l’aise avec le fait de tuer les Coyotes, même après tout ce temps, alors si ça pouvait lui épargner d’avoir à le faire tant mieux.

    Ce qui suivit par contre me laissa relativement pantois. Il était entrain de rire ? Pas juste un petit rire, il avait l’air réellement pris d’un fou rire difficilement contrôlable quoi que relativement discret tout de même. Alors qu’il se mit en route vers moi, je repris également mon avancée, arrivant jusqu’à sa hauteur en lui adressant un petit sourire malgré mon air fermé, légèrement amusé par son propre amusement. Ca semblait parfaitement décalé au vu des récents événements, du froid mordant qui nous entourait, et des risques que nous prenions, mais c’était ce qui faisait que le libraire était toujours lui ; il ne se laissait pas démonter et trouvait toujours le moyen de ne pas se laisser bouffer par tout cela.

« Fais attention à ne pas finir comme lui. » avais-je lancé plus comme un conseil que comme une réelle remontrance à l'adresse de mon cadet.

    Bien sûr, nous étions pour la plupart bien plus prudents que les Coyotes, mais un accident pouvait être bien trop vite arrivé alors mieux valait rester prudent. M’avançant encore jusqu’au cadavre, je le repoussais du pied avant de me pencher pour récupérer les valises éventrées sur lesquelles il avait trébuché et les mettre sur le côté. Peut-être n’auraient-elles pas tant gêné notre passage mais mieux valait prévoir et repousser ce qui pouvait l’être avant d’avoir à redescendre des véhicules pour nous y remettre. Il fallait espérer cependant qu’une fois le pont traversé, le reste du chemin serait plus praticable mais au vu de la masse de neige qui tombait, j’imagine que j’avais droit au bénéfice du doute.

Mon regard se posait sur Abel devant moi, il ne semblait pas vraiment décidé à disparaitre, mais plutôt à me faire comprendre, j’avais tellement, l’impression de ressembler à une enfant à ses yeux et pourtant, j’étais bien loin de tout ça.

- Ce n'est pas contre toi Tam. On sait tous que tu es une guerrière, tu n'as rien à prouver à quiconque dans ce groupe ; et on est largement assez pour faire le ménage. Mais elle... elle a besoin de toi. C'est elle qui compte maintenant, plus que de tuer ta part de rôdeur ou de nettoyer la route. Tu comprends ?

L’homme s’avança alors contre moi et me déposait un bisou sur le front. J’avais besoin d’entendre ce genre de chose, mais ça me faisait mal de me dire que je ne pourrais plus être au cœur de l’action. J’avais envie de me battre et de faire la même chose que tout le monde, mais c’est vrai qu’entre mon état physique et le fait que ma choupette avait besoin de moi, je devais me rendre à l’évidence que ma place était dans cette voiture. C’était compliqué pour moi de me rendre compte de tout ça et pourtant Abel s’évertuait à m’ouvrir les yeux. Je devais voir la vie en face et ce qu’il était en train de me dire avec son ton calme et posé malgré toute les conneries que j’avais faites jusqu’à présent. Oui, j’étais une maman maintenant, et c’était une vérité qui était par moment lourde à voir.

- Merci…

Voilà, je n’avais rien de plus à lui répondre. Après tout qu’est ce que je pouvais dire de plus? J’étais condamné, c’était comme s’il venait de me scotcher à ce fauteuil avec de simples mots. Je regardais une fois de plus ma fille avec fierté. Je levais les yeux vers Abel avec un sourire.

- Je bouge plus, tu peux retourner aider les autres si tu veux.

Peut-être qu’il y croirait, peut-être pas. En tout cas, j’aurais au moins tenter un truc même si ce n’était sans doute pas très folichon de ma part.

    Apparemment Ludwig ne parvenait plus à s'arrêter, était-ce dû à une accumulation de nervosité qu'il n'avait plus pu contenir ? Peut-être, après tout ce qui était arrivé, ce ne serait pas étonnant, mais au moins il avait pu se dérider pendant quelques instants. Le regardant s'éloigner un peu, je terminais de dégager les valises avant d'entendre quelqu'un s'adresser à moi.

    Me tournant, j'aperçus Marcus. Il n'était pas arrivé dans le groupe depuis longtemps mais semblait relativement prêt à aider, quoi que son compagnon de route se soit montré plus méfiant, acceptant apparemment mal l'autorité de Blake. Mais nous étions tous dans la même galère pour l'instant, et je n'avais aucunement l'intention de me prendre la tête maintenant et à leur faire la morale ; le moment était indéniablement mal choisi.

    Hochant la tête, je lançais un regard plus en avant. Il n'avait pas tord, avec toute cette neige, nous pouvions tout aussi bien rouler sur quelque chose qui nous bloquerait net et encore plus nous ralentir. Prendre le risque de perdre du temps n'était pas un luxe que nous pouvions nous permettre.

« Oui, on va faire un tour vers l'avant pour ôter les débris qui traînent sous la neige. »

    En marchant chacun d'un côté, nous pouvions balayer une première fois la route ; si nos pieds bloquaient sur quoi que ce soit, il suffirait de le mettre de côté. Ludwig revint alors, une jante en main, prêt à nous aider. Hochant une nouvelle fois la tête, je m'avançais à mon tour, le regarde fixé au sol en repérant un vieux tissu qui traînait là ; une tente, plus précisément. L'ôtant pour le jeter un peu plus loin, j'osais espérer qu'il n'y aurait pas grand chose, en tous cas rien d'impossible à déplacer.

Alan écouta Marcus et après un rapide coup d’œil, accordant à ce dernier que le danger était bien réel et rester bloqué serait catastrophique. Ludwig avait lui aussi envie de bien faire et s'était hâté à chercher de quoi déblayer la route.

Le frêle libraire avait pris la première chose qui lui était tombé sous la main : une vieille jante, elle semblait lourde et le jeune homme allait sûrement avoir du mal à la mouvoir mais pas du tout ! L'ingénieux garçon poussait le gros morceau de métal raclant tout sur son passage avec une maladroite habileté, mais le tout était efficace et c'était bien là le principale.

Alan, était quand à lui très méticuleux, repérant avec ses pieds les éventuels obstacles enfouis, il ne tarda pas à trouver une tente écroulé. Les deux hommes avait pris chacun un côté de la route, il progressait assez rapidement, le but étant surtout de dénicher les obstacles qui aurait pu bloquer le convoi. La neige arrivait  par endroit à la limite des genoux, et cette dernière continuait de tomber assez abondamment, il fallait se dépêcher car le temps pouvait changer d'un moment à l'autre et une tempête de neige serait une véritable désillusion pour le groupe qui verrait ses chances d'atteindre le nouveau refuge s'amoindrir inexorablement.

Marcus avait pris un peu d'avance sur Alan lorsqu'il manqua de chuter vers l'avant, se redressant de justesse. « Purée qu'est ce que c'est ? Alan je crois que j'ai quelque chose ! » lança-t-il vivement à son homologue. Commençant à enlever la neige qui couvrait ce qui avait failli le faire choir, il ne tarda pas à en découvrir l'objet en question : une poutre métallique !

Elle était en travers de la route, quasiment de part en part, Marcus pensait que le piège était vraiment des plus astucieux, les rôdeurs venant buter sur la poutre devait s'écrouler sur le sol, facilitant leur exécution, mais dans le cas présent elle formait un obstacle aux survivants et elle semblait être bien lourde pour les la seule force des deux hommes. « Ludwig, je pense que l'on va avoir besoin de toi... », il aperçut également Ethan qui venait d’apparaître derrière le libraire. « Impeccable, Ethan tu tombe à pic, on a besoin de la force de la jeunesse par ici. »

A quatre, il était maintenant possible de la bouger... probablement...

Ethan était reparti se rendre utile pour dégager le pont, lorsqu'il aperçut les efforts de Marcus, Alan et Ludwig pour dégager la neige. Il resta un moment à se demander pourquoi livrer une bataille perdue d'avance contre les éléments, lorsqu'il en vint à la conclusion que c'était moins la poudreuse que les débris cachés sous la couche immaculée qui étaient visés. S'assurant qu'il n'y avait pas de rôdeur dans les parages, il s'approcha pour aller leur donner un coup de main. Son arrivée se produisit pile au moment où ils tombèrent sur une poutre métallique qui allait leur donner du fil à retordre. Marcus l'aperçut et en profita pour lui demander de l'aide. Le jeune homme acquiesça et vint se mêler aux autres hommes pour les aider à dégager le lourd morceau de métal. En espérant que la force de quatre hommes serait suffisante pour cela.

« Bon... Tous ensemble ? Quelqu'un compte ?

Pendant qu'Ethan s'affairait avec les autres à régler son compte à la poutre métallique, Brooke s'était éloignée en direction du convoi après avoir remarqué les foudres dont Tam avait été la cible. Elle comprenait parfaitement ce que la nouvelle maman ressentait, elle-même avait parfois l'impression d'être mise à l'écart et surprotégée. Même si elle savait que tout cela était fait sans penser à mal, elle  n'en ressentait pas moins le besoin d'être capable de se débrouiller seule. Et pour Tam... avec la fatigue cumulée du manque de nourriture et de l'accouchement, c'était normal que l'on tente de la ménager. La jeune femme alla récupérer quelque chose dans la voiture de queue avant de rejoindre Tam et Abel. Peu avant, la petite Elie avait pleuré, comme l'avait signalé Arthur. Encore que du point de vue de Brooke, les hurlements de l'homme avaient plus de chance d'attirer sur eux des ennuis que les faibles miaulements d'un bébé prématuré. Lorsqu'elle fut à hauteur des jeunes parents, elle les salua avec un sourire avant de s'approcher de Tam.

- Eh... J'ai entendu que la petite avait besoin d'un peu de réconfort... On n'a pas pu prendre tout ce qu'il aurait fallu, mais mes fils ont encore largement de quoi faire. Alors... un doudou serait peut-être d'un certain réconfort à ta fille. »

Brooke tendit doucement à Tam un ourson en peluche douce, aux yeux et à la truffe brodés, au poil vert anis. Il était neuf, ou peu s'en fallait. Owen et Nolan avaient encore de quoi faire, même s'ils n'avaient pu emporter que le strict nécessaire. Cette peluche ne leur manquerait pas.