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Alma Delgado |Froids sont les voyageurs loin de leurs demeures |
Jeu 27 Juil 2017 - 19:54
38 ans≡ MEXICAINE ≡ FEMME DE MENAGE ≡ EMERALD FREEDOM
Quand on se retrouve mère aussi jeune, si jeune qu’on est forcée de faire un choix entre son avenir et celui du monde que l’on porte, entre l’insouciance et les responsabilités, on apprend à se détacher des futilités. On apprend surtout à mener sa barque comme une adulte et non plus comme une adolescente. On s’astreint à devenir indépendante pour parer à toute éventualité qui pourrait nuire au bonheur de notre enfant. Ce n’est pas triste ni susceptible de faire pleurer dans les chaumières. C’est tout au plus une fatalité, la mienne. J’ai affronté les rumeurs, le regard méprisant des croquants bien-pensants de ma communauté d’émigrés. J’ai renoncé à trouver dans les yeux de mes parents cette lueur de fierté qui éclairait la voie vers mes études. J’ai lutté pour me débrouiller seule, sans autre aide que celle du père de mon petit garçon. Mais, j'ai survécu, grâce à la foi, à ma détermination têtue et à ma persévérance. Assommée par des soucis d’adulte, j’ai quelquefois oublié de vivre pour moi, d’œuvrer à mon bonheur, de résoudre nos problèmes d’argent autrement qu’en faisant ceinture, mais en réclamant une poignée de dollars à mon père. Mais, je ne regrette rien. Chaque jour que Dieu fait, je remercie le Seigneur de m’avoir offert le plus beaux des cadeaux, un fils pour lequel je me devais d’être forte et à l’épreuve du désespoir, qu’il soit heureux en tout temps, qu’il ne manque de rien.
Bien sûr, le danger, c’est l'absence de place pour l’imprévu et la spontanéité. Pour joindre les deux bouts, mon mari et moi étions forcés de travailler et de nous tenir à mon organisation bien rodée. Je l'imposais, oui, mais elle simplifiait tellement la vie. Sans elle, le ménage se serait écroulé sous les dettes. Je distribue les ordres comme des bonbons, supportant peu les rebuffades. Je me sens plus à l'aise lorsque mon monde tourne autour de mes exigences, non par égoïsme, mais à cause d'un soupçon d'égocentrisme et une bonne dose de bienveillance. C'est contradictoire ? Pas vraiment. J'aime être au coeur de l'amour de mon ofyer. J'aime qu'on pose sur moi un regard mêlant respect et admiration. Néanmoins, ça ne m'empêche en rien d'être concentrée sur le bonheur des gens que j'aime. Si je me montre dure avec eux, je sais aussi les adorer du plus profond de mon cœur. Je les soutiens dans leur pire moment, je les aide et je les conseille avec bienveillance. De temps à autre, je les taquine tant mon affection est débordante. Je ne suis pas capable d’exprimer mes sentiments différemment. J’en souffre parfois, car ma fierté est un frein à mes relations humaines. J’ai peur de me dévoiler, peur d'être déçue, peur d'être trahie. Ces craintes, qui m’empêchent de parler librement de ce que cache mon cœur ou de nommer ouvertement mes émotions, elles me gâchent souvent l’existence. Elle me fout en l’air et, pour me préserver de l’impact qu’elle peut parfois avoir sur moi, dans mes colères (et uniquement lors de ces dernières), j'oublie mon don pour la maîtrise et le sang-froid. Je réagis à chaud, spontanément et sans plus réfléchir. Blessée – et compte tenu de ma susceptibilité, c’était loin d’être rare – je ne pense plus qu’avec déraison. Je crie, je pleure, je rage, je serre les poings et je perds les pédales pour ensuite regretter. C’est sans doute le pire finalement. C’est d’être frappée de plein fouet dans mon orgueil et de m’obliger, par mes excès, à présenter des excuses. Je m’efforce donc de me maîtriser au mieux, histoire de ne pas me mettre dans cette situation des plus délicates, bien qu’elles soient rares finalement. J’ai cette tendance à être persuadée d’avoir toujours raison. Faut-il que j’apprécie réellement pour lâcher du lest, que j’apprécie vraiment, sincèrement.
Un peu moins d’un mètre septante. Pas plus de soixante-deux kilos avant les faits. Alma aurait pu se vanter d’être délicieusement tentante. Elle n’était pas plus belle qu’une autre. Elle était simplement souriante et dans la nuance. Depuis l’épidémie, elle a perdu quelques kilos, ce qu’elle regretterait amèrement si c’était son souci principal. Elle n’y prête guère attention, parce que l’essentiel, c’est se nourrir. Dénicher une canette de coca périmée, c’est trouver le Saint-Graal. Comment accorder la moindre importance capitale à son apparence ? Elle ne maquille plus ses grands yeux caramel. Elle ne matifie plus son teint maturé propre aux Mexicaines. Elle ne colore plus ses lèvres charnues qui dessinent un O parfait lorsqu’elle s’étonne. Non. Elle constate simplement, durant les quelques rares heures de répit que lui offre sa nouvelle vie, qu’elle est bien plus musclée qu’elle ne l’était auparavant. La marche, ça sculpte la silhouette. Ses jambes sont bien plus dessinées qu’à la belle époque où, vivant sans complexe, elle s’habillait uniquement de jolies robes aux couleurs bigarrées. C’était sa façon de contraster avec l’uniforme de rigueur imposé par le directeur de l’hôtel où elle travaillait comme femme de ménage. Elle disait qu’être mère et ouvrière n’empêchait pas la coquetterie. Aujourd’hui, elle a troqué ses talons hauts pour des baskets un rien trop grande, mais toujours en bon état, d’une paire de jeans trop larges, d’un T-shirt troué et d’une veste d’homme, celle de son mari. C’est le seul vestige qu’elle parvint à sauver, outre la machette que lui offrit son grand-père pour son dix-huitième anniversaire. D’après lui, tout bon mexicain devait en posséder une et, par-dessus tout, être en mesure d'en jouer avec dextérité et efficacité. Elle en passa des heures à s’exercer. Elle y tient comme à la prunelle de ses yeux. Elle lui aura sauvé la vie un paquet de fois d’ailleurs, tout comme ce bâton qu’elle utilise en premier lieu. Il garde ses assaillants à bonne distance, l’ancien manche de brosse. Il est long, solide, fiable. Il ne la déçoit jamais. Elle n'ignore pas, cependant que, face à une horde, elle ne fait pas le poids. Alors, elle compte sur ses jambes et sa ruse autant qu’à ses armes fétiches. Elle court vite, Alma et elle sait se faufiler dans des trous de souris.
→ Katanas et autres sabres en tout genre.
→ Arcs, arcs à poulies, arbalètes.
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Re: Alma Delgado |Froids sont les voyageurs loin de leurs demeures |
Jeu 27 Juil 2017 - 19:58
Quelque part à Villa Ahumada - Mexique - 16 ans
Abuela me répétait souvent que les silences de son fils étaient plus à craindre que ses colères et je n’avais compris. Il était tendre, mon père, il était bienveillant et souriant. Alors que bien des Mexicains de mon âge étaient livrés à eux-mêmes, alors qu'ils vagabondent dans les rues dangereuses où la criminalité fait rage de jour comme de nuit, il prenait soin de moi, mon papa. Il s'assurait que je ne sois jamais en danger, me gardant auprès de lui autant que faire se peut. Ma maison était ma prison qui, durant mon enfance, m'était plutôt douce et agréable. Je fus heureuse si longtemps que le retour à la réalité fut aussi douloureux qu'une claque ronflante en plein visage. J'avais besoin de plus que de mes quatre murs, plus que d'être à la merci de la seule volonté de mon géniteur. J'avais besoin de vivre, tout simplement, même si, fondamentalement, ce fut plus tard que mes congénères. Et, ce soir, mon test de grossesse déposé plus tôt par ma mère sur la table de la salle à manger de notre appartement miteux des bas quartiers – ma mère qui pleurait comme si on lui avait annoncé une maladie grave – je n’en menais pas bien large. J’étais tétanisée, prostrée, tête baissée, le cœur plein d’appréhension et les yeux trahissant mon inquiétude. À quelle sauce me mangerait-il, Benicio ? Quelle sentence serait la sienne alors que je jetais l’opprobre sur sa famille ? La mort ? Non ! mon crime n’était pas assez grand. Je portais la vie et j’étais sa fille, non ? Un couvent ? Un cloître pour fille-mère au fin fond de la campagne mexicaine, de la campagne mexicaine ? J'en étais paralysée. Je ne voulais pas quitté Villa Ahumada. J'y étais née. C'était chez moi, mais ce n'était pas impossible. Je crois d'ailleurs que j'aurais préféré. Je le réalisai à l’instant même où il prononça ma condamnation à perpétuité. « Il t’épousera. Ses parents sont des gens de bien. Il t’épousera. » persifla-t-il en me détaillant de son regard mauvais. Le mien lui était dérobé, mais je ressentais son poids et toute sa déception. « Et, dans le cas contraire, tu n’aurais plus que tes yeux pour pleurer, jeune fille. » J’ignorais tout de la teneur de cette menace, de ce qu’il avait en tête pour se venger de mes méfaits et, en toute sincérité, je m’en moquais éperdument. Cette idée de mariage me dérangeait, sans doute parce que je savais pertinemment que je ne pourrais pas y réchapper. Ce que le chef de famille désirait, il l’obtenait. Toujours. Que je le veuille ou non, je serai unie à un homme que je n’aimais pas vraiment. Je lui avais uniquement cédé ma virginité, soucieuse de reprendre le contrôle sur ma vie alors que je souffrais tant de mon éducation trop rigide, presque austère. Ne jamais gagner l’autorisation de sortir malgré ma politesse, mentir pour un ciné avec un copain, brosser les cours pour une virée shopping entre amies, c’était pesant, peut-être même à mettre en cause dans l’absurdité de mes choix. Aurais-je été plus libre que je ne me serais pas bradée à un gamin gentil et intelligent à défaut d’être beau.
***
« Alors, comme ça, on va se marier ? » me héla mon premier amant – à distinguer du premier amour – tandis que je me lamentais sur le perron de l’immeuble où je vivais encore avec mes parents. Ma grossesse était invisible, mais ça ne durerait pas. Il fallait qu’on me lie à jamais au même homme pour éviter les retombées sur mon père et sa misérable carrière. Quelle fierté à n’être qu’un contremaître dans le bâtiment ? Franchement ? Était-ce plus important que mon bonheur à ses yeux ? Car, il ne faisait aucun doute que je ne serais jamais pleinement heureuse dans une prison dorée à partager avec un gars qui s’attend à ce que je lui saute au cou, allègre et enthousiaste. « On dirait bien, oui. »répliquais-je l’air morose et à deux doigts de me mettre à pleurer comme une gosse. Lui, il saisit ma menotte et la porte à ses lèvres. Il embrasse mes paumes, par deux fois, cherchant sans doute à me rassurer. « Je vais prendre soin de toi, tu sais. Je te promets. » Mon minois tourné dans sa direction, je remarquai avec étonnement qu’il avait l’air sincère. Il était plus âgé que moi et des projets plein la tête. « Je vais prendre un petit job à l’usine où ton père et le mien travaillent. Le soir, j’irai en cours pour terminer mes études. On ira vivre en Amérique, à Seattle, il paraît qu'il y a toujours de l'emploi là-bas. Je serai informaticien. Je veux vous offrir ce qu’il y a de meilleur. Je peux ? » Il tendit les doigts vers mon ventre et je n’eus pas le cœur de refuser. Cet enfant – ma seule source de réconfort d’ailleurs – il était autant à lui qu’à moi. Ce n’était pas le moment de jouer les saintes-nitouches. Je hochai donc de la tête et je suivis le mouvement de ses mains robustes dont j’appréciai le contact durant une nuit seulement. « Tu verras, tu n’aurais jamais à bosser. Je…. » « Je veux travailler. Je veux étudier moi aussi. » l’interrompis-je avec détermination, ne récoltant qu’un rire gras, un rire compatissant. « On ne pourra pas le faire tous les deux et ta place, elle est à la maison, avec notre enfant. » J’écarquillai les yeux, non pas de surprise, mais parce qu’il avait raison. Je ne cautionnais pas, mais nos parents l’encourageraient et je n’étais désormais plus en position de me battre. Alors, j’esquissai un sourire absent et je me posai ma main sur la sienne, sur mon ventre à peine arrondi. « Je voudrais l’appeler, Eli. » soufflais-je à mi-mot, priant pour que le Tout-Puissant m’accorde au minimum cette faveur. « C’est joli. Et, on fera de toute façon comme tu voudras. » Bon Prince, il me laissait au moins ça, mais ce n’était qu’une maigre compensation alors que je reportais déjà sur mon fils – à supposer qu’il en soit ainsi, mais mon instinct en était certain – tous mes espoirs déchus.
Quelque part à Villa Ahumada - Mexique - 18 ans
La machette, ce n’était pas exactement la tradition familiale dont se vantait ma famille. En réalité, ces irréductibles se ralliaient à l’atmosphère générale du Mexique, là où le danger est partout. Ici, tout le monde possède cette arme blanche. Il en existe de différentes tailles, certaines sont ouvragées finalement, de véritables bijoux et Dieu que j’étais impatiente de recevoir la mienne. J’attendais mon heure patiemment depuis l’âge de raison. Mon heure, celle où je fêtais la dix-huitième année après ma naissance, un 25 mai 1979 dans un hôpital surpeuplé et, ce jour enfin arrivé, je trépignais. Je remarquai à peine le joli papier cadeau que mon grand-père choisit pour l’occasion. Je ne vis pas non plus le bel écrin où reposait ce bijou d’un nouveau genre. Je déchirai le tout avec empressement et ma bouche s’épanchait en merci sincère et rempli de gratitude. C’était bien plus qu’un présent pour moi. C’était l’assurance de passer des heures complices avec Abuelo. C’était nous construire une relation encore plus solide que rien ni personne ne pourraient abîmés, si ce n’est moi, mon caractère bien trempé et mon tempérament de femme enfant. « Pourquoi est-ce que je dois m’entraîner durant des heures ? » boudais-je en battant l’air dangereusement de mon énorme couteau. « Parce que bientôt, tu seras seule ici. Est-ce que tu apprends bien l’anglais ? » Je ris de bon cœur. Dans mon esprit, Eli et moi resterions auprès des miens. « L’anglais ? Et pour quoi faire ? D’ailleurs, pourquoi est-ce que je dois apprendre à éplucher une mangue avec ça ? » J’agitai à nouveau ce cadeau cher à mon cœur et mon grand-mère me la reprit des mains. « Parce que tu dois apprendre à être précise. » Je l’observai d’un œil perplexe. « Il n’y a rien de compliqué à l’utiliser. » Ce fut à son tour de ricaner à présent. « Tu es si naïve. Il te faut des réflexes, parce que bientôt, ton mari partira et que tu dois pouvoir garder ton fils du moindre danger. Ce n’est pas un jouet, c’est pour ça qu’on s’entraîne. Mais, je me demande si je n’aurais pas dû éviter de te l’offrir. Regarde-toi ? Tu es encore une enfant. » Il ne m’insultait pas. Il s’exprimait avec cette douceur qui lui était propre et qui me ravissait. « Tu n’es pas prête. Tu parles encore comme si on te laissait le choix de partir ou non. Tu es mariée. Tu as fait des choix qu’il faut assumer. » « Mon fils n’est pas une erreur. » me défendis-je pourtant consciente que ce n’était pas qu’il sous-entendait. « Ne fais pas dire ce que je n’ai pas dit. Je dis simplement que tu as choisi de l’épouser pour t’assurer du confort au lieu de t’enfuir et d’essayer de te débrouiller seule. Tu dois accepter que tu n’as plus ton mot à dire et que d’ici quelques années, tu vivras seule avec ton fils et que peu de temps plus tard, tu le rejoindras avec ou sans ton consentement. » Je soupirai, dépitée, parce qu’il avait raison. « En attendant, je te la rendrai l’année prochaine. » ponctua-t-il alors, n’écopant que de mes protestations. « Non, on va s’entraîner. Tous les jours jusqu’à ce que… l’heure soit venue. » D’être abandonnée, livrée à moi-même pour m’occuper de mon bébé. « Très bien. Alors, reprends ta mangue. Je vais te montrer. » Mon apprentissage dura des années. Je pense même ne l’avoir jamais arrêté.
TACOMA - USA- 26 ans
« Écoute-moi bien, Alma, parce que je ne le répéterai pas : il est hors de question que tu t’esquintes le dos à nettoyer la merde des gringos qui nous méprisent. Je n’ai pas étudié au point de rater les premiers pas de mon fils pour ça… » tonnait mon mari sur la devanture de notre petite maison et sans se soucier le moins du monde qu’il alertait nos voisins les plus curieux. Moi, en revanche, ça me dérangeait. Je détestais qu’il hurle comme un putois pour asseoir un semblant d’autorité sur moi. Il n’en avait pas. Il avait perdu le droit de décider seul le jour où il quitta le Mexique pour rejoindre un ami, pourvoyeur de rêves, aux Etats-Unis. J'ignorais où il le rencontra. Je ne lui posai jamais la question, parce que je lui en voulais du fond de coeur de m'avoir forcé à abandonner les miens derrière moi. Je ne le détestais pas, mais j'avais la nostalgie du pays. Parfois, il m'arrivait de pleurer lorsque j'étais seule. Je l'avais rejoint après cinq ans d'absence, cinq années à me débrouiller seule, cinq années au cours desquelles je m'interrogeais souvent sur ses activités et, je supposais, ces infidélités. Et puis, un jour, il me téléphona pour m'annoncer qu'il s'était naturalisé. Comment ? Je m'en moquais amplement. Je m'en contrefichais tant et si bien que je signai les papiers qui m'accordaient le droit d'entrer grâce au regroupement familial comme un robot. C'était machinal. J'avais la mort dans l'âme. Alors, oui, je décidais de tout désormais, tout le temps, indirectement lorsque c’était nécessaire, mais le résultat était toujours le même. Il cédait toujours, mon époux. Toujours. « Tu veux bien arrêter de crier ? On ne sait pas discuter comme des adultes pour changer ? » le tançais-je résolue à pointer du doigt sa principale faiblesse : il est soupe au lait. Or, je ne supporterais pas que notre couple, d’apparences si parfait, soit au cœur d’une quelconque rumeur. Je tenais à notre réputation, si pas pour nous, pour notre fils qui méritait d’être bercé chaque nuit par l’illusion que sa famille est harmonieuse, que ses parents s’aiment finalement. La réalité, c’était que je n’avais jamais été amoureuse de mon mari. Je nourrissais cependant à son égard un profond respect et une immense gratitude qui ne fit qu’amplifier avec le temps. « Ça va faire deux mois que tu as perdu ton job, mi corazon. Tu es remballé partout où tu te présentes. Je ne sais plus quoi inventer pour justifier nos retards de loyer. A ce rythme, on sera bon pour rentrer au Mexique. Ça ne peut pas continuer. Il faut qu’on trouve une solution et là, je t’en propose une. L’heure n’est plus au machisme. Il est grand temps que tu t’ouvres l’esprit où on peut dire adieu à nos espoirs pour notre fils. On ne paiera pas ses études avec des capsules de bouteilles de Coca-Cola. Tu le sais, non ? »
Furieux et frappé de plein fouet par la vérité, il serra le poing, mais il finit par se radoucir. Alors, j’avançai vers lui et je me blottis contre son corps chaud. Il était rassurant, même lorsqu’il était en colère et ça, je ne pouvais pas lui enlever. « Il faut que j’accepte ce boulot qu’on me propose, même si ce n’est pas le boulot de mes rêves, même si ce n’est pas ce que tu aurais voulu pour moi. On n’a pas le choix. Et, puis, dis-toi que c’est provisoire, que c’est juste le temps que tu trouves un job à la hauteur de tes compétences, un truc bien payé qui justifiera tes sacrifices. » ajoutais-je d’une voix mielleuse tandis que ses bras se refermaient autour de mes épaules. « J’aurais voulu t’en offrir tellement plus. C'est pas comme ça que ça aurait dû se passer. L'Amérique. Seattle. Pour nous, ça aurait dû être le début d'un nouveau départ, loin du Mexique, loin de cette merde qu'on brasse là-bas. » confessa-t-il de la déception dans le timbre. Il était dur avec lui-même, dur et exigeant. Notre union ne brillait pas grâce à la réciprocité de nos sentiments, mais il veillait sur moi. À ses côtés, je me sentais en sécurité, bien que force serait d’admettre qu’enfiler l’uniforme des femmes de charge des maisons fortunées – ce costume réducteur – j’en avais envie pour cultiver mes besoins irrépressibles d’indépendance. « Tu m’as épousé. J’étais une gosse et tu m’as mariée pour que je puisse vivre en gardant la tête bien haute. Tu m’as aussi donné un fils magnifique et merveilleux. Tu en as déjà assez fait. C’est à mon tour, maintenant. » Je n’aurais pu être plus sincère et authentique. Outre mon respect, je lui vouais une gratitude infinie. « Allez, viens, rentrons. On va nous envoyer les flics si on continue à se battre comme des chiffonniers. D’ailleurs, je suis sûre d’avoir vu la tête d’Anna-Maria passé de l’autre côté de la rambarde. » Il sourit à l’évocation de notre fouineuse de voisine et il me suivit sans faire plus d’histoire. Il n’en fit pas davantage lorsque je rentrai, le lendemain matin, un contrat et un horaire à la main. J’étais femme de ménage et, comme son diplôme ne lui ouvrit aucune porte dans ce monde fait et bâti pour les blancs, comme il se contenta de tirer les portes d'un hôtel de luxe à des clients pour lesquels il était transparent, je ne quittai jamais le mien. Il était la bannière que je brandissais fièrement, ce drapeau estampillé au symbole de la liberté.
TACOMA - USA- 30 ans
« Oh, ça va, c’est un grand garçon, il s’en remettra. Je suis sûr qu’il planque des magazines pornos dans sa chambre. Tu as déjà fouillé sous son matelas ? » s’enquit mon amant toujours allongé sur mon lit, le lit conjugal, et je me demandai sincèrement ce que j’avais pu lui trouver de tentant, d’attirant, assez pour que je lacère d’un coup de canif mon mariage sacré devant Dieu. Pauvre homme. Il ne méritait pas une telle trahison, pas plus que mon bébé – que je refusais de voir grandir – qui en fut le témoin privilégié. J’étais horrifiée et, me rhabillant à la hâte, je jetais de temps à autre ses frusques au visage de Clayton. Cet homme, séduisant, passionné et sauvage, je l’avais rencontré par l’intermédiaire du père de Tyron, le meilleur ami d’Eli. Il m’avait ensorcelée à la première œillade appuyée et, aujourd’hui, je le regrettais amèrement. Je n’avais plus qu’un désir : le voir décamper comme un lapin pris dans les phares d’une voiture. Or, la situation l’amusait. Ma détresse l’excitait et il me dégoûta aussitôt. « Barre-toi, Clay. Si je m’étais rendu compte plus vite que tu étais aussi con, on ‘en serait pas là. » sifflais-je entre mes dents serrées par la panique. « Moi ? Con ? Tu vois, Alma, je t’adore, mais c’est sans doute ton plus gros défaut. À force de prendre des gens pour des imbéciles, tu vas te retrouver tout seule. » Avait-il tort ? Je mentais à Ely depuis des années sur la nature de mes sentiments à l’égard de son père. Aujourd’hui, j’en payais les frais, mais cette vérité ne justifiait en rien que je me laisse humilier par une erreur, par mon amant. « Casse-toi, je te dis. » vociférais-je en lui balançant au visage ses mocassins imitation Balmain. « Va-t’en, tu ne comprends rien. Mon fils, c’est tout ce que j’ai réussi dans ma vie. Si je le perds, je perds tout. » Touché par mes larmes – ou vexé – il enfila son costume faussement griffé et il disparut, me laissant seule avec ma culpabilité et avec mes craintes. J’avais tellement peur, peur de voir ma famille éclater, celle d’être traînée dans la boue par l’être que j’aimais le plus au monde, plus que moi-même. Je tournais en rond comme un lion en cage et je partis à sa recherche dans les coins préférés de Seattle. Je le débusquai chez sa petite-amie que je détestais malgré mon affection pour ses parents. Ils étaient installés sous le porche et je l’invitai gentiment à me suivre pour une conversation en privé. « On pourrait faire le tour du pâté de maisons. Ça ne sera pas très long. » Il me détailla de ses grands yeux que l’adolescence n’avait pas changés. Ils brillaient toujours de malice et d’espièglerie. « Tu veux un Bounty ? » répliqua-t-il en me tendant la barre chocolatée sous le regard médusé de son amie. « J’aimerais surtout qu’on discute, Niño. » Il n’y avait plus trace de mon autorité légendaire à laquelle il se pliait toujours par respect. Je n’étais, cependant, pas vraiment en position d’exiger quoi que ce soit. Alors, je me contentai de son insistance à ce que je lui foute la paix. J’en conclus que le traumatisme, jumelé à la déception, fut si grand que nous entretenir à propos de mes petits secrets honteux lui était insurmontable. Il prenait la fuite et je tournai les talons, tourmentée et non sans lui avoir répété, au préalable, ô combien je l’aimais.
TACOMA- USA- 32 ans
« Tu ne peux pas le laisser partir, Eduardo. Tu ne peux pas. Il faut que tu fasses quelque chose.» suppliais-je mon conjoint aussi anéanti que je ne l’étais. Eli s'en allait. Il quittait le nid. Il n’était pas majeur, mais il avait tout prévu, tout organisé, de sa colocation à son avenir en général. Il ne ressemblait en rien à ce que j’imaginai pour lui, mais je n’étais pas moins déçue que tracassée tant j’étais persuadée qu’il serait perdu sans moi. Sauf que je m’étais trompé. J’avais fait mon fils pour moi, mais ce n’est pas dans l’ordre des choses. « Et, qu’est-ce que tu crois que je pourrais faire que tu n'as déjà fait ? Que je l’enferme dans sa chambre ? On a tout essayé. Rien ne fonctionne. Sa décision est prise et il est aussi têtu que tu ne peux l’être. Tu veux le rendre malheureux ? » Question absurde. Je n’avais jamais désiré que son bonheur… à moins que j’aie davantage cherché à être heureuse à travers lui ? Je ne savais plus. Je n’entendais plus que ma peine qui hurlait dans mon cœur brisé de maman. « On peut le retenir par décision du tribunal. Il est jeune. Il n’a pas de diplôme. Il ne s’en sortira pas sans nous. C’est impossible. Un juge sensé le reconnaîtrait sans mal. » Mes explications se noyaient dans mes larmes tandis que mon corps était agité par mes sanglots. Je n’avais pas le souvenir d’avoir pleuré autant depuis le décès de ma grand-mère. Elle me manquait : sa chaleur, ses conseils, sa sagesse. Elle aurait su quoi faire pour retenir mon petit garçon. Moi, je n’avais que le dépit qui m’empêchait d’agir utilement. « Il nous détesterait. C’est ça que tu veux ? » me rappela mon époux à la raison. Essayant mon nez d’un revers de la main, pitoyable à souhait, je tombai alors à genoux, assaillie par la culpabilité du jour funeste où Eli découvrit mon adultère. « Tu ne comprends pas. C’est de ma faute s’il s’en va. Tout est de ma faute. » Mon époux, complaisant, m’aida à me relever et me rassura de paroles douces, loin de se douter du quart de la vérité, une vérité que mon bébé et moi taisions. « Je suis tellement désolée. Tellement désolée. » ajoutais-je rougissante et à deux doigts de me repentir, mais que me resterait-il dans ce cas ? « Au lieu de te mettre dans des états pareils, princesita, aide-le à préparer son déménagement. Soutiens-le. Rappelle-lui qu’il pourra toujours compter sur toi. C’est le mieux que tu puisses faire pour ne pas le perdre définitivement. » Forte de cet avertissement, je me fis violence jusqu’au départ de mon bambin. Il emporta néanmoins avec lui, dans ses valises, toute ma joie de vivre. Ainsi, pour la première fois, je songeai à lui offrir un frère ou une sœur, pour la pire des raisons. La plus égoïste.
TACOMA - USA- Septembre 2015
Depuis que mon fils vivait loin de moi, j’attendais ses coups de fil comme l’avènement du Messie, tenant en tout temps mon téléphone à portée de main. Le jour. La nuit. Je ne faisais aucune distinction d’heure de crainte de rater un appel important. Cette après-midi-là, je me prélassais dans un bain chaud lorsque la voix rieuse d’Eli me chatouilla les tympans. Il avait l’air heureux et, si je regrettais de ne plus être à l’origine de ce bonheur, je passai tout de même le bonjour à cette Kate et à son adorable ami, Tyron. « Ouais. Autant de leur part. Enfin, je crois. Ils sont en train de se chamailler à cause d’une rumeur qui circule sur Facebook. » Je détestais les réseaux sociaux. Je les trouvais intrusifs, dangereux, facilitateurs de harcèlement et la maman en moi se tracassa d’emblée. « Tu n’as pas d’ennuis, Niño. Parce que, tu sais que tu n’as qu’un mot à dire et je débarque pour casser des têtes. Tu le sais, ça ? » Il répliqua de ce soupir entre lassitude, exaspération et amusement. « Non, maman, je n’ai pas d’ennuis et je ne suis plus un gosse, je te rappelle. Je me débrouille très bien tout seul. » Si j’esquissai un sourire – il me donnait l’impression d’être à l’aise dans ses baskets – je lui servis le sacro-saint sermon par lequel je lui démontrai que c’était toujours mon rôle de prendre soin de lui. « Bon, alors, c’est quoi cette rumeur ? » ajoutais-je intéressée et concentrée pour bien déchiffrer l’essentiel à dégager de son langage argotique. Il s’agissait visiblement d’une histoire glauque de cannibalisme ou un truc du genre. D’après lui, rien de très inquiétant finalement. « C’est quoi ton truc là ? » « Un fake ? » « Oui. Ça… » insistais-je tandis qu’il m’opposa un rire frais et qu’il m’invitait à laisser tomber. Il devait raccrocher. Sa vie sans moi l’attendait. « Très bien. Appelle quand tu veux et prends bien soin de toi surtout. » Il jura, mais alors que je lui souhaitais le meilleur, je fus instantanément habitée par un mauvais pressentiment qui ne me quitta plus vraiment.
TACOMA- USA - Du 9 octobre au 11 octobre 2015
« On devrait peut-être aller chercher Eli et quitter la ville. » me lança mon mari entre la viande et le dessert. Ses traits étaient tirés par la fatigue. Il dormait peu et ne mangeait plus grand-chose depuis qu’un des voituriers de l’hôtel où il travaillait avait été attaqué par un inconnu dans le parking. Il avait été mis en quarantaine à l’hôpital. Impossible pour ces collègues d’obtenir des informations sur son état de santé. Autant dire que l’ambiance n’était pas au beau fixe à la maison. « Et pour aller où ? On est chez nous ici. Et, pour tout t’avouer, j’ai stocké des boîtes de conserve à la cave. On est paré à toutes éventualités. Tu devrais essayer de te détendre, de te coucher tôt, tu es tellement fatigué. » lui conseillais-je en posant ma main sur la sienne. « Tu te tracasses beaucoup trop mi corazon. Alors que, je suis certaine que tout est sous contrôle, qu’il va très bien et que la police enquête. » Je mentais. Comme lui, il m’arrivait parfois de me demander si nous enfuir n’était pas la meilleure chose à faire. Tout ce qui me retenait, en réalité, c’était le manque d’audace. Avais-je vraiment envie de bousculer mes habitudes ? Non ! Alors, je me persuade, de jour en jour, que nous étions à l’abri de toute catastrophe. Nous étions à mille lieues du monde de la drogue. Mais, Eli ? Eli était-il en danger ?
TACOMA- USA - Du 12 octobre au 13 octobre 2015
Je ne connaissais rien de plus douloureux que de présenter des condoléances à des gens pour lesquelles nous sommes une visite de courtoisie comme une autre. J’en rencontrai des tas aux obsèques de ma grand-mère. Autant dire que je n’avais strictement aucune envie de me présenter au domicile de la femme du collègue de mon mari. Son deuil pèserait bien trop long sur mes épaules et j’étais loin de la vérité. Elle me serra dans ses bras comme si nous étions deux amies et se plaignit sans pudeur qu’elle n’avait pu récupérer le corps de celui qu’elle avait profondément aimé depuis toutes ces années. Quitter cette maison fut pour moi un réel soulagement et, dans la voiture, j’interrogeai mon mari dans l’espoir qu’il trouve les mots pour me rassurer. « Tu crois que… qu’il… enfin, qu’il a ressuscité ? » Il haussa les épaules, impuissant et baignant dans une mare d’incompréhension. « Je l’ignore, mais ce que je sais, c'est que Lazare était pas beau à voir quand il s'est relevé d'entre les morts. Tu devrais reconsidérer la possibilité de quitter la ville avec Eli. Faut qu'on le fasse avant qu'il ne soit trop tard. » Ça l’était déjà. Le jour suivant, un couvre-feu nous obligeait à rester enfermés chez nous alors que les forces de l’ordre sillonnaient la ville en quête de Dieu sait qui. Dans le fond de mon lit – seul endroit où j’avais le sentiment d’être en sécurité – j’étais morte de trouille au point d’appeler Eli à plusieurs reprises. Et s’il comptait parmi les agressés ? Et si la vie me l’arrachait ?
TACOMA - USA - Du 14 octobre au 18 octobre 2015
« Qu’est-ce que tu fous ? » m’interpella Eduardo sans interrompre le mouvement répétitif de mon corps. Il pivotait de la garde-robe vers les valises ouvertes sur le lit et que je remplissais d’un nécessaire de survie. « Je suis ton conseil. Le petit est injoignable. Je n’arrive à joindre personne. Tyron. Kate. Leurs parents. Personne. Je peux plus rester ici, alors, on va les rejoindre. » « C’est trop tard. Le quartier est bouclé. On a été mis en quarantaine, sans doute parce qu’on est un repaire à chicanos et qu’il leur faut bien des coupables pour justifier cette merde. » admit-il avec cette fatalité détestable. Il avait raison. Je le savais. J’en réprimai mes larmes, psalmodiant silencieusement des prières au Tout-Puissant plutôt que de cracher une horreur qu’il ne méritait pas. « Alma… ? » lança-t-il une première fois, insistant lourdement pour me ramener à la réalité et, toute à mon entreprise, je ne lui accordai aucune attention. Il perdit patience et il m’attrapa brusquement par le bras et me tira jusqu’à la fenêtre. « Regarde, putain, mais regarde ce qui se passe. Tu ne vois donc rien ? On ne peut pas sortir de ce trou à rats. C’est impossible. » Mon regard apeuré se figea sur un char de militaire suivi d’un cortège d’hommes armés en uniforme. « Ils ne sont pas seulement là pour nous protéger. Et, de toute façon, où veux-tu qu’on aille ? Chercher Eli ? Tu crois qu’il serait où s’il était en danger ? Où crois-tu qu’il aurait été se planquer ? » Ici, assurément, mais ce mot resta coincé dans ma jugulaire. « Ici. Et, c’est pour ça qu’on n’ira nulle part » N’avait-il pas dit le contraire, la veille ? Il me chantait depuis des semaines que la fuite nous serait bénéfique. Que lui était-il arrivé ? Folle de rage, je frappai son torse avec la force du désespoir, l’insultant et lui crachant que, s’il abandonnait, je refusais de mourir sans me battre. « Parce que c’est ce qui va arriver si on ne bouge pas. Tu m’entends ? Toi, ouvre les yeux. Notre fils a besoin de nous, forts et fiers, il n’a pas besoin d’un lâche. » Mon conjoint me fusilla du regard, mais la femme féroce en moi, la lionne prête à tout pour son bébé, ne se démonta pas. « Je me fous de savoir ce que tu penses être le mieux. Je me barre et je compte bien vous avoir tous les deux avec moi. » hurlais-je en me débattant pour reprendre mon ouvrage en cours. Lui, il s’approcha doucement de la porte et il la referma à clé derrière lui, me présentant des excuses sincères tandis que je m’époumonais au nom de la liberté, mes poings cognant contre le bois. « Pardonne-moi, Alma. » répéta-t-il alors que je sanglotais assise par terre. Il faisait de moi sa prisonnière. Il m’abandonnait et j’eus une pensée pour la prémonition de mon père. Lâchée par Eduardo, je n’avais plus que mes yeux pour pleurer désormais. Et, durant les trois jours qui suivirent cet incident majeur, je demeurai à la fenêtre de ma chambre à contempler la désolation qu'était devenu mon monde, espérant de tout coeur apercevoir le minois de mon petit garçon.
TACOMA - USA - Du 19 octobre au 23 octobre 2015
Ce fut le premier anniversaire que je fêtai loin de mon petit garçon. Je n’eus même pas l’opportunité de le lui souhaiter. Devant ma fenêtre, hypnotisée par le ballet incessant des pilleurs, des policiers, des m militaires, des infectés. J’avais l’impression qu’il y en avait de plus en plus. La criminalité était à son comble et mon mari ne prétendait pas bouger. Il avait barricadé la maison et me gardait toujours prisonnière. Ça dura une journée encore, une journée bercée par la mélodie de mes prières. Je les récitais en boucle. J’étais un vieux disque rayé. « Alma. Je crois que tu avais raison. Je crois qu’il faut qu’on s’en aille finalement.» Toute à mes psaumes, ma Bible sur mes genoux, je ne remarquai pas de suite sa présence. Je reconnus sa voix qui me sortit de mes contemplations et vers laquelle ma tête tourna lentement. « Je… J’ai entendu… les coups de feu. Les hurlements. Les cris. Je n’en peux plus. Je ne sais même plus ce qui est bon de faire ou non. » confessa-t-il en se laissant glisser contre le mur de la chambre. « Il est en vie. Je le sens. Je le sais. On devrait y aller, maintenant. On a déjà perdu beaucoup trop de temps.» Je me levai de ma chaise, lentement, et j’annonçai que nous partions le chercher sur-le-champ. Eduardo n’osa pas protester. Il me suivit gentiment, un sac de survie sur l’épaule et armé d’un revolver qu’il n’avait jamais utilisé, jamais entretenu. Moi, j’arrachai son manche à ma brosse et j’attachai à ma ceinture la machette de mon grand-père. Nous étions parés pour affronter tous les dangers. Mon seul objectif était de rejoindre l’appartement de mon fils, de le débusquer, de nous réunir, convaincue que, si notre fin sonnait, nous serions ensemble. Nous n’arrivâmes jamais. Au bout de quinze minutes de marche à nous cacher de ces horreurs animées, de ces morts ambulants, nous fûmes surpris par des coups de feu. Nous eûmes à peine le temps de nous dissimuler derrière un banc et, si je tremblais de la tête au pied, j’agitai un mouchoir blanc pour jurer que nous n’étions un péril pour personne. « Vous êtes qui, vous ?» nous réprimanda cet homme à l'accent similaire au mien. Il me mit automatiquement en confiance. C'était ce qu'on appelait la solidarité de la communauté. Je lui rapportai alors que je cherchais mon fils et, s'il me trouva idiote, animée par la seule force du désespoir, il le supposait déjà mort. « Ecoutez, c'est un sacré merdier, ici, mais s'il a survécu, il doit être avec ce prêtre qui a emmené une bonne partie des fidèles dans un camp de survie pas très loin d'ici. Vous devriez y aller. Marcher vers la sortie de la ville.» Il précisa le nom de la rue. Elle n'était pas inconnue à mon mari et je soupira d'une joie expectative tandis qu'Eduardo opinait du chef. « Demandez à parler à Armando. Il fait le voyage régulièrement. » Nous nous exécutâmes, le coeur gorgé despoir. Nous trouvâmes également ce beau Diable aux allures de sauveur et nous grimpâmes dans la fourgonnette qui, à une époque, avait sans doute transporté de la marchandise de contrebande. En réalité, m'éloigner de Seattle et de Tacoma m'inquiétait. J'avais un sentiment terrible, mauvais, comme une prémonition qui ne m'empêcha pas de sentir notre moyen de transport changer brusquement de direction et finirent sa course dans un arbre. Pourquoi ? Je l'ignorais. Il fait noir à l'arrière de ce type de camionnette. Je me souviens uniquement avoir perdu connaissance alors que mon mari serrait ma main et appelait mon prénom.
Un camp près de lac Milton - USA - 24 octobre 2015
Quelle étrange sensation que de se réveiller dans une chambre qui n’est pas la nôtre, une chambre transformée en dortoir. Des lits de camp s’entassaient les uns à côté des autres. J’ignorais où nous étions et qui était l’homme penché sur mon lit qui me susurrait des paroles rassurantes. En revanche, le crucifix pendant à son cou me mit immédiatement en confiance. « Comment allez-vous, Alma ? » Vaseuse, je ne sus que répondre. J’avais l’impression d’être passée sous un rouleur compresseur. Ma tête était lourde et mon corps douloureux. « Où suis-je ? » m’enquis-je d’une voix pâteuse. « Et, qui êtes-vous ? Où est ma famille ? » Je m’étais éveillée avec l’espoir que nous nous étions tous retrouvés en chemin. Ce n’était visiblement qu’un doux rêve puisque j’appris de l’homme d’Église – il avait fière allure dans sa robe de prêtre – que seul mon mari m’attendant derrière cette porte close. Je m’agitai instantanément, scandant comme le couplet d’un péan que je devais partir pour rejoindre Seattle de toute urgence. « Restez tranquille, voulez-vous ? Vous êtes en sécurité ici, mais vous n’êtes pas en état de partir en croisade contre le monde. Nous sommes un petit camp de réfugiés. Nous nous sommes établis dans cette Eglise, près du lac Milton » Mon interlocuteur esquissa une grimace et je supposai qu’il s’interrogeait sur la volonté de son Dieu à tous nous punir pour nos péchés, lui qui n’était qu’amour et pardon. « J’ai la tête qui tourne. » lui confiais-je ensuite en me rallongeant. Je m’étais redressée, mais je n’étais pas au mieux de ma force. J’avais l’impression d’être en gueule de bois. « Oui. Vous avez mal réagi au sédatif. Une intolérance sans doute. Votre mari est tracassé, vous savez. Vous devez vous reposer et quand vous serez retapée, nous verrons ce que nous pouvons faire pour votre fils. On vous préparera à affronter ce qui vous attend dehors et vous serez libres de choisir si vous souhaitez partir ou non. » Aurait-il été homme ordinaire que je me serais méfiée. Il est cependant homme de Dieu, homme de foi. "Vous promettez ? " Il me tapota le dos de la main. Je soupirai de soulagement et je sombrai à nouveau.
Quelque part dans une campagne avoisinant Seattle- USA – de novembre 2015 à juin 2016
J’aurais pu avancer, au minimum, deux bonnes raisons justifiant que j’alimente si peu. La première, c’était le désespoir causé par l’absence. Mon fils me manquait. J'étais par ailleurs entièrement convaincue qu'il était bien vivant de n’avoir ressenti cette douleur intense qui m’aurait averti de sa mort. J’avais pris l’habitude d’accueillir toutes nouvelles personnes qui se pressaient à nos portes, suppliant le ciel que mon petit garçon soit de ceux-là. Ça n’arrivait jamais et la déception était telle qu’elle me coupait l’appétit. La seconde, et non des moindres, c’était tous ses bambins apeurés et affamés qui braillaient. Le regard impuissant de leur mère désoeuvrée me retournait les tripes. Je leur offrais ma ration un jour sur deux et, afin de ne pas songer aux grondements de nos estomacs et d’ignorer la complainte de mon cœur, mon mari et moi nous creusions une place au sein de cette petite communauté. Lui, il se chargeait des travaux de réparations. Il veillait à rendre notre nouvel habitat plus confortable, recyclant et construisant de quoi nous permettre de passer l’hiver sans trop souffrir du froid. Moi, je partais en expédition, tous les jours, pas seulement pour ramener de quoi nous nourrir ou nous soigner, mais dans l’espoir de venir en aide à des survivants, un en particulier, qui n’apparaissaient jamais. Je ne rechignais jamais à la tâche. Nous nous construisions autour de la solidarité parce que nous n'étions pas nombreux. Une petite vingtaine à la grosse louche et chacun connaissait son rôle et restait à sa place pour le bien de notre unité. Moi, ma machette à la taille et un manche de brosse presque greffé à la paume, j’accompagnais en mission de reconnaissance les hommes les plus forts qui n’étaient pas forcément ravis par mon omniprésence. Il pensait que je les ralentirais, mais le prêtre qui veillait à notre sécurité, qui nous organisait, qui prenait pour nous la majorité des décisions, estima que mon talent avec mon arme de prédilection serait un atout pour tout le monde. J'en étais flattée, bien que je ne souhaitais pas gagner le droit de rester au cœur de cette communauté. J’aspirais uniquement à ce que le chef honore sa promesse. Père Angus était néanmoins un homme de paroles. Il ordonna à l’un de ses gars de m’apprendre les ficelles du combat au bâton.
Je passai tout l’hiver à m’entraîner. Motivée par ma volonté, j’étais une élève appliquée et plutôt douée. En réalité, ça tuait mon ennui et mon inquiétude. La neige recouvrait les sentiers. Il nous était impossible de nous déplacer en toute sécurité. Nous tâchions donc d’être aussi discrets que nécessaires afin de ne pas attirer l’attention des rôdeurs. C’était ainsi que nous les appelions. Pour moi, il n’était que des cadavres à l’odeur répugnante et pestilentielle. Je leur préférais les rats qui me dégoûtèrent longtemps pourtant. Jusqu’au retour des beaux jours, nous en avions peu croisé, sans doute parce qu’une quinzaine de personnes, ce n’était pas assez pour satisfaire leur appétit vorace, pas assez pour attirer leur attention vers notre campement. Il était bien organisé autour d’une église assez spacieuse pour tous nous accueillir. Il me tardait de m’en éloigner néanmoins. J’étais toujours animée par la conviction oppressante que mon fils se cachait quelque part, en vie, effrayé, mais respirant encore. Les mois passant, cette conviction se mua en obsession. Je n’avais plus que son prénom à la bouche. « Chaque chose en son temps, mon enfant. Précipitation n’a jamais été mère de sûreté. » déclara solennellement le cul béni qui m’agaçait de plus en plus souvent. « J’entends bien, oui, mais j’aime croire que nous ne sommes pas seuls à avoir survécu. Nous ne pourrons pas vivre en autarcie, comme ça, une éternité encore. On ne sera pas toujours en sécurité. Les rôdeurs approchent. Il y en a de plus en plus par ici. Vous savez ce que ça signifie ? » En toute sincérité, s’il ose me chanter que Dieu veille sur nous, je lui colle une beigne, songeais-je tandis qu’il me scrutait de son regard inquisiteur. « Personne ne vous retient, Alma. Tu sais très bien que vous pouvez partir quand vous le souhaitez, mais qu’en pense Eduardo ? » La véritable question, c’était : étais-je celle qui l'abandonnerait ? Étais-je prête à me jeter dans la gueule du loup sans sa main tenant la mienne ? Contrairement à la survie de mon garçon, lui, il était concret, réel et quel monstre serais-je si je le laissais sur le bas-côté de la route ? Certainement un démon d’égoïsme, mais qu’importe ? Eli était et avait toujours été ma priorité. « Il me suivrait au bout du monde. Je ne vous remercierai jamais assez de tout ce que vous avez fait pour nous. J’aurais aimé que nous puissions nous entendre sur la promesse que vous m’avez faite, mais je comprends. Je comprends que vous ayez perdu la foi en votre propre parole, mon Père. » Désarçonné, il me prit la main et m’intima de patienter encore. « Quelques mois encore. Le temps que tout le monde se sente bien et chez lui. Après, nous rassemblerons des troupes et vous partirez, mais vous ne partirez pas seuls. » me jura-t-il en me dévorant de ses grands yeux sincères. « Nous avons besoin de vous, avec nous. » Le prêtre savait faire vibrer ma corde sensible, celle de l’altruisme et de la bienveillance. J’avais cependant mes priorités. « Nous nous en irons demain matin, première heure.» affirmais-je en baissant la tête. « Je suis désolée, mon Père. Vraiment. » A ce moment précis, j’ignorais encore à quel point mes prémonitions étaient censées et dans quelle mesure je deviendrais le terrain de jeu favori de la tristesse.
Au terme d’une dispute avec Edouardo, il m’aida à préparer mes affaires, la mort dans l’âme. Il se plaisait dans cet endroit. Il se sentait intégré. Il avait également l’impression que toutes les discriminations raciales dont il fut victime n'existaient plus, l’Homme se concentrant davantage sur le problème plus grave qu’était sa pérennité. Soudain, alors que je me hâtais, un cri strident retentit dans tout le camp. Il fut immédiatement suivi d’un coup de fusil. Chacun s’arma et quitta sa position pour venir en aide à celui ou celle qui en réclamait. La petite Anna avait été mordue. Son père s’était jeté sur le rôdeur, mais il n’était pas seul. Il voyageait en troupeau et ce fut un véritable carnage. Les plus téméraires – ou les plus inconscients - se lancèrent dans la bataille pour essayer de sauver ce qu’ils avaient construit à la sueur de leur front. Cinq pleutres – dont je faisais partie – envisageaient déjà la fuite lâche. Qu’importe la culpabilité que soulèverait notre reddition. Nous ne pensions plus qu’à nous, sauf peut-être mon époux. Pour protéger Barney – homme d’une cinquantaine d’années, il s’approchait du meilleur ami à ses yeux – il se précipita pour lui venir en aide. Il fut mordu au bras et, s’il se releva, il n’avait plus rien d’humain. « Venez, mon enfant. Vite. Courez. » me hurla le Père Angus en me tirant par les bras. J’étais restée prostrée, à genoux, la bouche ouverte, abasourdie, anéantie tandis qu’un marcheur rampait dans ma direction. « Nous devons fuir. Vous aviez raison, Alma. Vous aviez raison et je vous demande pardon. »
Une boutique du parc "Wild waves theme"- USA – juillet 2016 à décembre 2016
Nous étions tous en deuil. Le père Angus, le vieux Finnigan, la jolie Patterson, l’espiègle Barbara et moi avions tous perdu quelque chose durant cette attaque : du confort, des amis, des proches, une famille, de l’honneur. Nous avions fui, comme des pleutres, livrant en pâtures aux « lions » les plus faibles d’entre nous. Alors, nous marchions en silence vers le nord sous la chaleur écrasante et étouffante de l’été. Certains chassaient pour nous nourrir. D’autres s’efforçaient de sourire aux anges. Quelques-uns avaient renoncé à leur foi. Moi, je m’accrochais de toutes mes forces à mon crucifix, me laissant porter par le courant. J’avançais sans but. Je m’alimentais peu. Durant nos longues pauses, je me balançais d’avant en arrière au rythme des battements faiblards de mon cœur. J’avais mal, si bien que je fus incapable de me réjouir alors que nous trouvions un abri à peine infesté de ces cafards de rôdeurs. Un parc d'attractions et moi, ça m'inquiétait. C'était trop grand. Trop dangereux. Nous avons donc choisi une boutique dévalisée depuis longtemps. Il nous fallut pas moins de trois semaines pour le nettoyer, trois semaines durant lesquelles j’obéissais aux autres avec abnégation. Je ne me ressemblais plus. Je n’étais que l’ombre de moi-même. La femme forte était morte en même temps que mon partenaire. Avais-je appris à l’aimer pendant ces longues années de vie commune ? N’était-ce qu’une illusion ? Et, quelle importance ? Ce genre de doute ne m’aiderait pas à me reconstruire malgré les nombreux efforts de l’homme d’Église. Durant près de trois mois, il vint à ma rencontre tous les jours. Il me parlait du Tout-Puissant, de sa bonté, du peuple hébreu et de ses épreuves pour atteindre la Terre promise. Des mots. Rien que des mots. Il fit néanmoins mouche en m’obligeant à lui confier mes souvenirs avec mon fils. Il reprenait à nouveau la place qui lui était due. Je retrouvais l’espoir qui me faisait défaut. Il jurait également que, bientôt, nous partirions à sa recherche et j’y croyais, non pas que j’étais naïve, mais parce que je n’avais plus que cette béquille sur laquelle m’appuyer. Pourtant, un soir, un événement dramatique me rappela que j’étais menée en bateau depuis des lustres.
Quelques jours auparavant, des pillards cherchèrent à voler l’un d’entre nous. Ce couple le menaça d’une arme. Sans l’intervention de nos sentinelles, peut-être l’aurait-il blessé. Il n’avait néanmoins commis aucun crime qui méritait la sentence prononcée : la mort. « Vous n’êtes pas sérieux ? » m’opposais-je à la majorité surprise par mon regain d’énergie. « Ils sont comme nous, perdus, morts de trouille. Ils ont besoin d’aide, pas d’être assassinés par leurs semblables. » Nul ne réagit. Les agressés avaient décidés et les deux autres se cachaient derrière leur abstention de peur d'être rejeté par cette petite communauté, toute petite et qui ne survivrait peut-être jamais. « Père Angus ? » tentais-je pour gagner son soutien, mais il baissa la tête, honteux. « Tous ces sermons sur la vie et son importance, sur l’espoir, sur l’honneur et sur les projets que Dieu a pour nous, c’était des conneries ? » Il ne se défendit pas et je poursuivis, des larmes au bord des paupières. « Vous ne m’aiderez pas à retrouver mon fils, n’est-ce pas ? Vous êtes tous occupés à vous regarder le nombril, en fait. » crachais-je déçue et vénéneuse. « Alma, ouvrez les yeux. Dieu ne se préoccupe plus de nous et à l’heure qu’il est, votre gamin, il est sans doute déjà mort. » Je n’en croyais pas mes oreilles. Comment un homme tel que lui avait-il pu changer à ce point ? Qu'avait-il laissé derrière lui, dans cette Eglise, au moment de l'attaque ? Sa fuite le pesait-il à ce point ? Culpabilisait-il d'être en vie grâce à sa lâcheté ? Qui de Dieu ou de ce pauvre hère avait abandonné l'autre finalement ? J'étais perdue, mais certaine d'une chose : je ne voulais pas me rallier à cette fatalité. C’est moi qui les abandonnai dans le courant de la nuit, n’emportant dans mon paquetage le strict minimum pour assurer ma survie. Je n’avais pas besoin de grand-chose, mon cœur était, certes, gorgé d’affliction, mais également rempli de révolte. Le tout se mua en motivation. Il y avait une vie pour moi, ailleurs, près de mon petit garçon, j’en avais la conviction.
TACOMA- USA – janvier 2017 à juillet 2017
Voyager seule ne fut pas une partie de plaisir. Je traversai des routes en suivant des panneaux vers Tacoma. Je passai par Federal Way, Kent, Highline, Georgetown...J’empruntais des détours qui allongeaient mon périple de bons nombres de kilomètres. Ils étaient multiples et la cause n'était pas toujours des rôdeurs. Je pris conscience, durant cette expédition, que la race humaine n’était pas aussi belle que la religion le prétendait. L’Homme, lorsqu’il a peur, réagit comme un animal. Je fus forcé de tuer un vagabond disposé à me briser les jambes pour récupérer mon maigre paquetage. Ce fut pour moi une épreuve traumatisante, mais qui me libéra en partie de ma peine. Je ne me sentais plus coupable d'être soulagée par la mort de mon mari. Je l’avais pleuré, oui. Sous le choc, j’avais cru m’être trompée sur mes sentiments, mais j'étais libre à présent, libre d’agir selon mon bon vouloir, répondant uniquement à ma seule obsession. Était-ce mal ? Égoïste ? Monstrueux ? Peut-être. Qui m’en punirait cependant ? Je n’avais plus de compte à rendre à une quelconque entité. Mon mépris ne m’empêchait pas d’accepter que Père Angus eût raison : Dieu s’était détourné de nous. Le ciel nous était tombé sur la tête. Toutes ces tergiversations m’accompagnèrent durant mes déplacements. Elles donnaient la main à la méfiance et l’inquiétude, mais je ne me souvenais plus avoir ressenti une telle émotion tandis que je franchissais les portes de Seattle. J’approchais de mon but. Mon fils était là, quelque part, à l’abri dans un des édifices de cette immense ville. Jadis, je n’avais jamais remarqué qu’elle l’était autant d’ailleurs. Je n’avais plus assez de force pour poursuivre ma quête. J’avais besoin de repos et je persistai à sillonner les rues désertes où seuls quelques grognements de mes ennemis se faisaient entendre. Je les évitais au mieux, ne dégainant mon arme d’Hast que pour nettoyer mon ancien immeuble. Là-bas, dans ma cave, je trouverais peut-être quelque chose pour me sustenter, de quoi me défendre, peut-être même de quoi me changer. J’empestais la sueur, le sang, le cadavre, la vermine. Je me dégoûtais à peine. J’y étais habituée. J’avais néanmoins à cœur de ne pas me présenter à mon fils dans un tel état. Malheureusement, ma maison avait été vidé en partie. Il ne demeurait que les conserves stockées des années auparavant dans ma cave. Certaines avaient atteint leur date de péremption, mais c’était le cadet de mes soucis. J’en dévorai une, assise par terre dans la poussière et dans la pénombre éclairée par ma lampe torche à dynamo. Ensuite, je me barricadai dans mon ancienne chambre et, allongée sur mes vieux draps mités, je tombai endormie. Demain serait une longue journée. Je sillonnerai la ville pour retrouver mon bébé. Demain et tous les jours qui suivirent au cours des six mois à venir.
Ma vie n’était qu’un éternel recommencement. Je courrais pour sauver ma peau en cas de danger, je me nourrissais de maïs, d’asperges, de légumineuses. Parfois, j’avais l’impression de toucher la folie du bout des doigts. La solitude me pesait. Je n’avais croisé aucune âme qui vive vraiment. Mais, je n’étais pas suicidaire pour autant. Alors qu’une horde de rôdeurs se déplaçait dans la ville avec la lenteur morbide qui les caractérisait, je présumai qu’il se dirigeait tous vers un grenier à nourriture, la leur. Je ne pris pourtant le risque de les suivre dans l’espoir que mon fils compte parmi leur cible. J’envisageai plutôt de me précipiter vers le premier bâtiment qui me parut solide et érigé sur plusieurs étages. Je m’y frayai un chemin péniblement. La panique me rendant parfois plus maladroite. Je n’avais jamais été confrontée à un tel déplacement de monstres. Je les avais déjà vu se mouvoir en masse, mais pas à ce point. J’étais terrorisée, mais j’atteignis mon objectif, non pas que je sois invisible, mais le sang de leurs congénères salissait mes vêtements, mon corps tout entier. J’étais méconnaissable, mais surtout, plus difficilement repérable. J’exterminai bien l’un d’entre eux au passage, ceux qui traînaient dans la cage d’escalier, mais un par un, ils étaient inoffensifs. Je soupirai de soulagement une fois enfermée dans cet appartement. J’y serais en sécurité et la vue depuis la fenêtre m’offrait le loisir de surveiller l’évolution de l’essaim. Une fois qu’il serait loin, je sortirai. Demain, peut-être. Sauf que j’aurais juré avoir repéré au loin un homme planqué dans une voiture. Elle était stationnée au pied de l’immeuble et, si je n’en étais pas certaine, j’avais besoin d’en avoir le cœur net. Je n’étais pas prête à laisser mourir mon prochain en pareilles circonstances. Alors, n’écoutant que ma témérité, je descendis, je rampai vers le véhicule, je me redressai pour frapper aux carreaux et j’adressai de grands gestes aux survivants en mauvaise posture. « Avec moi. J’ai une planque. » Il me suivit sans chicaner, mais une fois à l’abri, je le menaçai de mon arme sans la moindre hésitation. « Je ne vous veux aucun mal, mais comprenez que je sois méfiante. Les temps sont durs. C’n’est pas vous qui me direz le contraire. » m’excusais-je effarée par son sourire, rassurée par son accent chantant presque identique au mien. Il s’exprimait en espagnol et il remporta des points. Nous discutâmes longuement. Le danger était toujours à nos portes. Nous étions forcés de ne surtout pas nous endormir. Et, d’heure en heure, il gagna tout mon respect. Lui et moi étions animés par un but commun : retrouver Eli, mon fils, il était vivant et Lisandro – c’était son prénom – était son ange gardien.
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Penelope Cruz ♦ <bott>Alma Delgado</bott>
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Re: Alma Delgado |Froids sont les voyageurs loin de leurs demeures |
Jeu 27 Juil 2017 - 20:09
Je re'poste l'ancien message de modification de Selene ici histoire que ça soit plus simple.
Et encore bienvenue
L'autre est verrouillé et je vais l'archiver.
Et encore bienvenue
L'autre est verrouillé et je vais l'archiver.
Selene Sweetnam a écrit:Bonjour Alma !
L’ironie veut que ce soit moi qui m’occupe de ta fiche (héhé). Encore une fois, nous sommes navrés que la lecture des fiches ait pris autant de temps. J’ai d’ailleurs troqué ma casquette de MJ pour donner un coup de main à mes chers collègues
Dans l’ensemble, c’est une très bonne fiche ! Il y a de bonnes idées et j’aime beaucoup ton style d’écriture. Je vais revenir point par point sur quelques éléments qu’il faudrait revoir pour que ce soit parfait. Ça va sans doute paraître (très) long mais je t'assure que dans le fond, c'est beaucoup de lignes pour peu de modifications
Côté PSYCHOLOGIE, quasiment rien à redire, si ce n’est que le « forte » me donne la sensation de résumer la personnalité d’Alma plutôt que de n’être une qualité distincte. Tu vois ce que je veux dire ? Aussi, le « taquine » renvoie plus à un trait de caractère vu comme c’est présenté, pas à une qualité. Pour les défauts, tu as mis « impulsive » alors que tu dis dans le texte qu’elle n’est pas habituée à la spontanéité… et en même temps, dans l’histoire, elle est effectivement impulsive. C’est peut-être juste une question de formulation là, je te laisse me préciser^^.
PHYSIQUE : RAS, si ce n’est l’histoire de la machette mais j’y reviendrai.
Passons à l’HISTOIRE pré-apo. Là aussi, quasiment rien à redire, si ce n’est que c’est dommage de ne pas avoir plus d’informations sur son enfance (on ne sait même pas en quelle année elle est née) puisque tu commences direct à 16 ans. On sait juste qu’elle a une éducation stricte. Idem, tu laisses un trou de 10 ans entre 16 et 26 alors que je pense que cette période aurait répondu à des questions cruciales :
>> Pourquoi Seattle en particulier ? (si c’est seulement pour le rêve américain, ils ont plus proche en venant du Mexique)
>> Comment s’est passée leur immigration : obtenir les papiers nécessaires à avoir légalement le droit de s’installer (et de travailler) aux USA est compliqué, déjà à cette époque. Il faut avoir un travail avec une attestation de l’employeur ou/et de la famille sur place ; les visas doivent être renouvelés régulièrement, etc…
POST-APO maintenant, c’est là que j’ai relevé le plus de choses. On y vaaa
Déjà, ce n’est pas forcément de ta faute pour le coup, mais Eli dit dans sa fiche ne prendre connaissance des rumeurs que le 15 octobre… donc l’appel du mois de septembre est en anachronisme avec la fiche de ton fils.
Par rapport à la mort de Lazare, s’il se fait mordre si tôt, il n’y a pas encore de quarantaine dans les hôpitaux. Il sera néanmoins gardé pour les complications que l’on connait, donc ça ne change rien au sens de ton histoire, juste aux termes . Par contre : vu qu’il va mourir à l’hôpital, il sera emmené en chambre mortuaire et ne se réveillera que plusieurs heures après ; ça me parait impossible que les Delgado sachent qu’il soit « revenu à la vie » et l’ait vu en plus.
Petit détail : il n’y a pas de raison que le quartier des Delgado soit « bouclé ». Les zones de quarantaine dont il est question dans la chrono sont les hôpitaux qui servent à isoler les malades ; ceux sont uniquement eux qui sont étroitement surveillés. Idem pour le couvre-feu : les alertes suggèrent aux gens de rester chez eux mais en aucun cas ils n’y sont forcés.
On arrive au camp que rejoignent les Delgado et c’est là qu’on se perd un peu à mon sens :
• D’abord, ils rencontrent un « homme en uniforme » (militaire ?). Ce dernier commence par leur dire de quitter la ville en présumant que leur fils est mort –> il va jusqu'à menacer Alma (je trouve ça extrême de la part d’un militaire, à ce moment-là, les uniques menaces sont les morts, on ne menace de son flingue pas une femme désespérée) –> ils se disputent/se battent –> et finalement on les emmène dans un camp que je suppose officiel, puisque les militaires ont reçu l’ordre d’y emmener des gens.
Du coup, pourquoi il n’a pas commencé par là ? Ça aurait été plus simple de leur dire « venez, on va vous mettre à l’abri, votre fils est peut-être déjà là-bas » plutôt que de passer par une querelle et d’aller jusqu’à sédater Alma (ce que je trouve improbable d’ailleurs).
• Ensuite, si c’est un camp militaire, pourquoi le chef est un prêtre ? Pourquoi Alma est emmenée en expédition (même si elle n’a un sale caractère, elle reste une civile non entraînée avec une machette) ? Combien sont-ils ? Pourquoi Alma apprend à se battre au bâton quand il serait plus facile de le faire avec des armes traditionnelles ? Qui lui fabrique son marteau de Lucerne (les armes artisanales sont trop fragiles si elles ne sont pas faite par un pro) ? Etc…
>> Je rebondis d’ailleurs sur la machette : à aucun moment tu n’as, dans l’histoire, expliqué ce qu’elle faisait là. Quand son grand-père lui a offerte ? Si elle sait déjà la manier, pourquoi une femme de ménage qui habite dans l’état de Washington aurait besoin d’apprendre à se battre à la machette ?
Tout cela me paraîtrait finalement plus simple si tout simplement : les Delgado sont recueillis par quelques chrétiens en partant de chez eux, Alma insiste pour s’investir, c’est alors qu’on lui apprend à manier la machette et qu'on l'emmène en expédition. Y’a plus le côté sentimental lié à l’arme, mais ça rend le tout plus cohérent^^.
• Dernière chose : le basculement du prêtre est assez violent ! C’est quand même un homme d’église. Même si les temps sont durs, je ne pense pas que ça justifie qu’il cautionne une excécution froide à la première altercation avec des vivants, surtout qu’il n’y a pas eu de blessés =/
Enfin : ça manque de manière générale de repères géographiques. On sait très peu de chose et les informations viennent au compte-goutte (par exemple, je sais juste que le camp était une église dans la campagne de Seattle… c’est vaaaaaste). Ça rend au final son itinéraire assez confus.
Voilà ! J'espère que j'ai été suffisamment clair dans mes explications. Ma boîte MP est ouverte si jamais tu as des questions sur quoique ce soit, n'hésite surtout pas !
Je te dis bon courage et à très vite dès que tu as fini, signale-le ici !
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Re: Alma Delgado |Froids sont les voyageurs loin de leurs demeures |
Jeu 27 Juil 2017 - 20:10
Merci Jasper.
Ceci étant, je ne sais pas va terminer la validation, mais certains points n'étaient plus à modifier après discussion par MP entre elle et moi.
Je préviens au cas où ce serait nécessaire
Ceci étant, je ne sais pas va terminer la validation, mais certains points n'étaient plus à modifier après discussion par MP entre elle et moi.
Je préviens au cas où ce serait nécessaire
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Re: Alma Delgado |Froids sont les voyageurs loin de leurs demeures |
Jeu 27 Juil 2017 - 20:13
Alma Delgado a écrit:Merci Jasper.
Ceci étant, je ne sais pas va terminer la validation, mais certains points n'étaient plus à modifier après discussion par MP entre elle et moi.
Je préviens au cas où ce serait nécessaire
Aucun problème pour ça, c'est Selene qui se charge de ta fiche donc la concernée est au courant.
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Re: Alma Delgado |Froids sont les voyageurs loin de leurs demeures |
Jeu 27 Juil 2017 - 20:24
Dans ce cas, je m'adresse directement à elle :
Re coucou Selene.
Merci d'avoir transmis le message.
Alors, comme convenu et dans l'ordre :
1. J'ai modifié fière par courageuse. J'ai sacrifié taquine pour dévouée. J'ai modifié impulsive par soupe au lait, afin d'éviter toute confusion de terme et d'intention.
2. J'ai rajouté quelques lignes sur son enfance que tu trouveras en italique dans la première anecdote pré-apo.
3. J'ai ajouté un anecdote pour la machette qui comprend également la date de naissance d'Alma.
4. J'ai précisé que Lazare est un personnage biblique pour éviter toute confusion.
5. J'ai modifié toute l'histoire avec l'homme en uniforme. J'espère que ça conviendra.
6. Je t'ai ajouté quelques infos sur le camp de Milton.
7. Je t'ai ajouté mon appréciation de la situation avec le prêtre.
8. J'ai ajouté quelques repères géographiques. (Merci à Lis pour le coup de main.)
Toutes ces modifications sont noyées dans ma fiche alors je les ai mises en italique.
En espérant que ça conviendra.
Re coucou Selene.
Merci d'avoir transmis le message.
Alors, comme convenu et dans l'ordre :
1. J'ai modifié fière par courageuse. J'ai sacrifié taquine pour dévouée. J'ai modifié impulsive par soupe au lait, afin d'éviter toute confusion de terme et d'intention.
2. J'ai rajouté quelques lignes sur son enfance que tu trouveras en italique dans la première anecdote pré-apo.
3. J'ai ajouté un anecdote pour la machette qui comprend également la date de naissance d'Alma.
4. J'ai précisé que Lazare est un personnage biblique pour éviter toute confusion.
5. J'ai modifié toute l'histoire avec l'homme en uniforme. J'espère que ça conviendra.
6. Je t'ai ajouté quelques infos sur le camp de Milton.
7. Je t'ai ajouté mon appréciation de la situation avec le prêtre.
8. J'ai ajouté quelques repères géographiques. (Merci à Lis pour le coup de main.)
Toutes ces modifications sont noyées dans ma fiche alors je les ai mises en italique.
En espérant que ça conviendra.
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Re: Alma Delgado |Froids sont les voyageurs loin de leurs demeures |
Jeu 27 Juil 2017 - 20:44
Te quiero Cariña
And I know this is the truth, 'cause I've been staring at my death so many times. These scary monsters roaming in the halls, I wish I could just block the doors and stay in bed until the clock will chime. I felt like I won, but I wasn't done. The nightmare repeats itself every time
❝If I had to lose you, I’d probably lose myself.❞
- Lisandro Sedillo
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