15 novembre 2017

Cela faisait déjà trois jours qu’ils étaient rentrés, blessés, meurtris, traumatisés par cette nouvelle et douloureuse épreuve. A croire que le sort s’acharnait contre eux, jouant avec leurs nerfs déjà à vif pour les faire plier, les forcer à toucher terre encore un peu plus. Pour Isaac, c’était la fois de trop. Si le cavalier avait pourtant pris le temps de discuter de tout ça avec Selene, Andrea et… Eli ; une fois de retour à la prison. Il s’était montré plutôt discret depuis, supportant mal les regards du jeune mexicain et de Lisandro à son égard. Il ne gardait pas un bon moment de son passage à l’infirmerie, pour faire soigner son bras. Le chilien ne s’était pas montré agréable, se contentant de faire le plus gros du travail, avant de passer la main à Juliet. Le vieux Greene n’en avait pas tenu rigueur, comprenant les torts que le doc’ semblait lui reprocher, silencieusement. Cette confrontation s’était faite dans le plus grand mutisme pour le père de famille. Il ne pouvait qu’accepter toute cette rancœur dont il faisait l’objet, mais cela était néanmoins quelque chose de moralement difficile à endurer.

Alma était-elle morte par sa faute ? Isaac devait bien avouer qu’il en était en partie responsable. Et il comprenait qu’on puisse lui en vouloir. Tout était allé si vite, là-bas. Mais que ce serait-il passé s’il n’avait pas réagi ? S’il n’avait pas frappé le fou qui avait pris Juliet en otage ? Peut-être qu’Alma aurait finalement subi le même sort, et Juliet aussi. Ni lui, ni personne ne pouvait dire comment cela aurait fini s’il avait agi différemment. Le cavalier ne pouvait qu’être désolé, c’était sûrement bien insuffisant, mais c’était tout ce qu’il pouvait faire. Peut-être qu’Eli et Lisandro finiraient par accepter son pardon, un jour. Ou peut-être pas. Là, encore, il comprendrait… N’empêche que tout cela le hantait depuis des jours, le poussant à se mettre un peu à l’écart. Ainsi, il avait passé ces trois derniers jours quasi exclusivement avec ses chevaux, ne rentrant que pour dormir. Et encore, il avait longuement hésité à passer ses nuits dans le hangar, c’était sans compter l’intervention de Joachim qui lui avait demandé de rentrer…

Le temps finirait par atténuer sa douleur, par panser ses peines. Ça, c’était bien une chose que la vie lui avait appris. Après presque soixante années d’une vie souvent bouleversée, il savait que tout cela finirait par passer. La mort de ses parents, son divorce avec Anna, les semaines interminables à attendre l’arrivée de ses enfants pour les vacances ou quelques weekends, la perte de son ranch, la mort de Nora, l’enfer de leur voyage sur les routes, la disparition de Breann, Will et Arun ; la rencontre avec les cannibales, et maintenant ça… Il avait toujours eu les épaules pour encaisser, il avait eu la force de lutter, de continuer sans rien lâcher… Mais jusqu’à quand ? Il avait bien cru que sa dernière heure était arrivée, il pouvait encore sentir le tranchant de cette lame contre sa gorge. Il revoyait le regard cruel et sanguinaire de son tortionnaire, s’amusant de son sort, jouant avec lui comme l’aurait fait un chat avec sa proie. Eli et Lisandro n’étaient pas les seuls à souffrir, tous avaient laissé une part d’eux même là-bas. Certes, certains étaient entrés entier, mais tous en garderaient d’horribles souvenirs… Ils ne devaient pas laisser ça les diviser, au contraire, il fallait qu’ils apprennent de leurs erreurs, de tout ça, pour continuer ensemble. Mais pour l’instant, la douleur était encore bien trop présente pour que ça s’arrange.

Ce matin-là, le réveil avait été pénible pour Isaac. Son bras encore douloureux l’avait empêché de dormir paisiblement. Mais était-ce vraiment à cause de cela qu’il n’avait pas dormi ? Rien de sûr. Après un passage rapide dans la cuisine, avant que les autres soient réveillés, il avait rejoint le hangar pour s’occuper des chevaux. Et sûrement qu’il y passerait une bonne partie de la journée. Néanmoins, ses plans avaient changé quand Juliet était venue le trouver, lui annonçant que Sarah allait bien mieux aujourd’hui. Une bonne nouvelle, s’était enjoué le cinquantenaire, dont les lèvres s’étaient timidement étirées en un sourire, la première fois depuis leur retour. Et si l’homme avait longuement hésité, il avait fini par se décider à aller rendre une petite visite à Sarah. Il avait profité d’un moment où la jeune femme avait demandé à Lisandro de la laisser pour s’y rendre.

« Bonjour. » Souffla-t-il après être entré dans l’infirmerie, tout en croisant le regard de la blonde toujours alitée. S’arrêtant dans l’encadrement de la porte, il reprit d’une voix calme « Je ne te dérange pas ? Juliet m’a dit que ça allait un peu mieux aujourd’hui. Je voulais juste venir te tenir un peu compagnie. Enfin, si tu veux bien. » Isaac ne fit pas un pas de plus, attendant une réponse de la part de Sarah. Si elle était trop fatiguée pour de la visite, il comprendrait et passerait plus tard. Mais déjà, il fut rassuré en voyant qu’elle avait bien meilleure mine.

Le troisième jour, c'est toujours forcément annonceur de quelque chose, ce matin-là, c'est de ça qu'elle s'était convaincue, c'est qu'elle commençait à perdre pas mal patience ! Mais bon, chaque chose en son temps. Et le chemin jusqu'à ce qu'elle ait au moins la force de se sentir un peu mieux pour espérer aller faire quelques pas à l'extérieur -d'elle-même- avait été long et pénible. Cet événement l'avait épuisée moralement, et la balle qui l'avait touchée l'avait forcée à garder le lit et se reposer, de toute façon, la fièvre se manifestait encore régulièrement, alors ses nombreux vertiges  n'aideraient pas à ce qu'elle tienne sur pied.

Mais ce matin, elle ne savait pas pourquoi, peut-être qu'elle pourrait y arriver, ou au moins y croire très fort, on dit toujours que c'était l'intention qui compte non ? Au final en fait, elle ne ferait peut-être rien, et demeurerait là, inerte. Elle avait en tout cas sommé à Lisandro de prendre un peu de repos, après qu'il ait veillé sur elle, une partie de la nuit et ait fini par tomber de fatigue. Le chilien avait d'ailleurs ronchonné un peu, sans doute peu enchanté de se faire réveiller de manière un peu brusque, et dont les jurons en espagnol l'avaient amusée. Même si elle lui était complètement redevable, parfois, il n'était pas raisonnable ! Il n'était repassé qu'un peu plus tôt dans la matinée pour un contrôle de routine. Sarah avait ensuite eu tout le temps de se préparer à accueillir cette journée, Duncan lui ayant apporté des vêtements propres, elle mit toutefois un peu de temps à parvenir à s'habiller, gênée et contrariée dans ses mouvements par sa blessure. Elle arborait toujours un joli bleu à la pommette, mais dans l'ensemble, elle avait reprit des couleurs. Elle était sauvée, c'était le plus important.

Elle souhaitait toutefois y aller tout doucement, alors elle n'avait pas encore essayé de se lever. La jeune femme s'était dit qu'elle pourrait sans doute attendre bouquiner un peu, et peut-être que Duncan ne tarderait pas à passer ? Elle lui avait fait promettre de ne pas trop s'inquiéter, et elle espérait qu'il l'écouterait, une baisse de régime n'était pas envisageable, parce qu'ils devaient rester sur leurs gardes, qui sait si leurs ennemis revenaient leur demander des comptes ? La blonde aurait presque culpabilisé d'être à ce point diminuée, mais elle tâchait de ne pas trop s'inquiéter, c'était peu probable, à moins d'un hasard. Ceux qui auraient pu connaître la position de leur refuge étant normalement hors d'état de nuire. Et puis, ils ne pouvaient pas faire grand chose de plus pour le moment à part s'inquiéter à s'en rendre malade.

Isaac avait eu un peu plus de chance qu'elle, son coquard avait guéri, et même s'il arborait une jolie cicatrice et qu'il était blessé au bras, il semblait aller bien. Il se tenait désormais, dans l'embrasure de la porte, la saluant. " Bonjour Isaac. " elle en fit de même alors qu'ils s'observaient, calmement. Elle avait doucement secoué la tête de gauche à droite quand il lui avait demandé si il la dérangeait, souriant à ses propos. " C'est gentil... Bien sûr, entre, installe-toi. " lui dit-t-elle avant de le regarder entrer, c'était adorable même, il semblait lui aussi, un peu fatigué mais elle était touchée qu'il soit venu la voir. " Comment ça va ? … Et nos fidèles destriers ? "  sans doute parce que c'était plus réjouissant de commencer avec des banalités, et aussi car elle le devinait fort contrarié par les derniers événements. Juliet, Andrea, Sarah et lui-même, ils se partageaient un peu tous les torts à vrai dire, mais toujours est-il que depuis tout ceci, et les conséquences auxquelles ils avaient du faire face... " Ils tiennent le coup, les autres ? " regrets ou remords, il valait mieux s'estimer heureux d'être déjà, et tout simplement en vie.

« Merci. » Dit-il, tout simplement, avant de laisser un léger sourire se dessiner sur ses lèvres alors que Sarah lui fit signe de rentrer. Cela ne la dérangeait pas qu’il passe la voir, Isaac en fut ravi. L’homme s’avança dans la pièce jusqu’à s’asseoir sur un tabouret près du lit de la jeune femme. Elle semblait aller mieux et cela ne pouvait que le rassurer. « Je suis content de te voir en meilleure forme. » Il s’était beaucoup inquiété pour elle. Durant les derniers jours, il avait pris de ses nouvelles auprès de Juliet, à défaut de passer la voir, ne se sentant pas forcément le bienvenu dans l’infirmerie. Mais vu qu’elle était seule, aujourd’hui, il avait vraiment eu envie de lui rendre visite.

Un nouveau sourire timide apparut sur son visage quand la blonde voulut savoir comment il allait, et comment allaient ses chevaux. Isaac avait passé énormément de temps auprès d’eux depuis leur retour au camp, après cette rencontre qui avait mal tournée. Ils avaient bien eu une discussion avec Selene, Andrea, Eli et Juliet… Mais après ça, le cavalier s’était reclus dans le hangar avec ses chevaux. Il avait passé la plupart de ses journées là-bas. Une façon d’oublier un peu la mauvaise ambiance qui pesait depuis tout ça. Ce n’était peut-être pas la meilleure des solutions mais pour l’instant, il avait besoin de rester seul. « Ah ça, ils vont sûrement bien plus que moi. » A quoi bon faire comme si tout allait bien, alors que ce n’était pas le cas ?

Les souvenirs de cette mauvaise rencontre étaient encore bien trop présents dans son esprit. Le ton qui était monté, les otages, cet homme qui s’en était pris à Juliet, les coups de feu, le corps sans vie d’Alma, la douleur, le regard meurtrier de son bourreau, le coup de poing d’Eli, l’arrivée de la horde, leur fuite dont il n’avait que quelques flashs… Tout ça revenait systématiquement dans sa tête, et il ne pouvait s’empêcher de retourner cette situation dans tous les sens. Que ce serait-il passé s’il ne s’était pas jeté sur ce type ?  Cela le tourmentait, et l’atmosphère pensante qui régnait à la prison n’arrangeait en rien les choses. « C’est difficile. » Avoua-t-il en toute franchise. Non, ça n’allait pas. « C’est compliqué pour Eli. Et pour Lisandro aussi, j’imagine. Ils ne se cachent pas pour me le faire comprendre. L’ambiance est tendue. » Les deux hommes avaient bien fait comprendre à Isaac qu’il était en grande partie responsable de la mort d’Alma. Et si le chilien ne lui avait pas dit directement, le plus jeune ne s’était pas gêné. Le cavalier ne pouvait que comprendre leur colère, mais le poids de la culpabilité pesait lourd sur ses épaules. C’était une situation compliquée, et il n’était pas certain qu’on lui pardonne un jour.

Sarah s'assura qu'Isaac se mette à son aise, alors qu'elle essayait de se redresser un peu, jusqu'à réussir à s'asseoir en tailleurs, bien que l'effort étant un peu soudain, elle manqua un peu de souffle, et prit quelques instants avant de pouvoir prendre la parole. " Merci, nos médecins de choc ont bien pris soin de moi ! " remarqua-t-elle malgré tout, et ça n'avait pas été simple pour elle cette fois-ci de se tirer de ce mauvais pas, la blessure laissait une cicatrice, mais au fond d'elle, elle s'inquiétait que ce ne soit pas que visuel, et qu'elle en ressortait avec une moins bonne condition... Non, il fallait vraiment qu'elle se félicite de chaque progrès, et les choses finiraient bien par aller.

Isaac semblait au moins aller bien, lui aussi. Il avait passé ces derniers jours en s'occupant des chevaux à l'écurie, et il avait certainement du préférer éviter le contact de certains des membres du groupe. " C'est bien, tant mieux... " commenta-t-elle en esquissant un sourire. Même si ce n'était pas vraiment si simple que ça. Ça ne faisait qu'une semaine, les souvenirs de cette mauvaise rencontre les hantaient encore tellement, la mort de Alma... Le cavalier semblait au moins autant préoccupé que l'actrice par la situation, mais tous deux demeuraient impuissants.

C'était difficile, c'était le cas de le dire. Eli et Lisandro avaient été les deux plus affectés par tout ceci, il n'avait d'ailleurs pas échappé à l'attention de la blonde qu'ils tenaient en partie Isaac responsable de la mort de la mère du mexicain. " Oui je … J'imagine … Alors, ça doit pas être trop mal d'être ici, pour le moment. " remarqua-t-elle en poussant un soupir, observant alors son interlocuteur. " Ils te tiennent rancune pour ce qu'il s'est passé...Alors ? " l'interrogea-t-elle, avec la crainte de connaître la réponse. " Ce n'est pas mon avis … Ce n'est pas juste … Ou alors, j'ai au moins autant de torts que toi... " elle n'appréciait pas la tournure que prenaient les événements, au fur et à mesure du temps, l'ambiance allait devenir ingérable au refuge, si chacun ne mettait pas ses griefs de côté.

" On aurait jamais pu prévoir tout ce qui s'est passé enfin... " elle porta une main à son visage en poussant un soupir. " Il ne faut pas que tu te blâmes avec ça d'accord ? " la blonde voulait essayer de lui apporter son soutien, ou du moins le peu dont elle en était capable, en ces temps difficiles. " On parviendra à surmonter tout ça, n'est-ce pas ? " lui demanda-t-elle, en lui adressant un sourire chaleureux, elle voulait s'en convaincre, au moins jusqu'à ce qu'elle soit capable d'essayer d'aider à améliorer la situation.