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Une confrontation prévisible

Mar 2 Jan 2018 - 14:52

Qu'il fasse nuit aussi tôt me gênait considérablement. Quelle plaie, d'être condamné à vivre dans le noir de plus en plus longtemps ! Nous étions au milieu de l'hiver, et déjà je n'en pouvais plus d'attendre le printemps, pour ne plus avoir froid, pour ne plus avoir peur de la nuit. Et tant pis si le retour de la chaleur entraînait le retour des morts. Cette fois-ci, nous serions à l'abri, avec de la lumière et des militaires pour nous défendre.

Et pourquoi suis-je en train de m'agacer contre le noir, hein ? Parce que mes aînés, trop heureux de pouvoir retrouver un peu de liberté, étaient partis courir quelque part dans le camp loin de mes yeux vigilants, et qu'ils n'étaient pas rentrés. Pas un très bon commencement pour leur renouement avec la liberté, qu'ils risquaient déjà de perdre pour les prochains mois à venir. Disparaître comme ça… Sans portables ! Ils voulaient ma mort, ces gosses ! Kalena trottinait à côté de moi, mâchonnant un bout de réglisse avec détermination. Très franchement, elle m’impressionnait : même au bord de la mort, je me serai refusée de goûter ça à nouveau. Elle ne semblait pas plus inquiète que ça, elle. Innocente.

Je ne cessais d'aborder les passants pour leur demander s'ils avaient vu deux grands adolescents typés, et finalement, on me fournit enfin une réponse. La joie fut vite remplacée par la colère. Retour à la civilisation, retour aux vieux problèmes ! C'est fou ça, à croire que les gamins sont déterminés à briser le plus de règles possibles juste pour donner des cheveux blancs à leurs parents ! Qu'est-ce qu'ils foutaient près des barricades, ces grands idiots, hein ? Et pourquoi les avait-on laisser gambader gentiment par là-bas ? On n'est franchement pas aidé…

Lorsque j'arrivais aux barricades, j'étais prête à leur passer le savon du siècle. Je fulminais littéralement. Croisant un des militaires, je lui reposais la même question qu'à tous les autres, et il m'indiqua leur position, un sourire en coin. Oui, parce que c'est tellement drôle une mère énervée. Je levais les yeux au ciel face à sa réaction, prête à l'engueuler lui aussi, mais celui-ci se déroba en proposant d'aller chercher mes fils. J'acquiesçais d'un simple hochement de tête.

Shan apparut le premier, le regard baissé, vite suivi par son grand frère, qui respirait la gêne. Ils s'approchèrent lentement de moi, incarnation vivante de la culpabilité. Je notais avec soulagement qu'ils n'avaient rien, pas une égratignure. Heureusement pour eux ! Kalena, prudente, s'éloigna de moi de quelques pas, ne souhaitant pas prendre pour ses frères. Je le remarquais à peine, toute concentrée que j'étais à sermonner ses aînés tour à tour, sans crier. Habitude oblige : comment voulez-vous crier sur vos enfants quand le moindre bruit trop appuyé peut vous rameuter tout un groupe de morts affamés ? Et je n'aimais pas me donner en spectacle.

Ma fille partit s’asseoir sur une caisse abandonnée là, dans mon dos, échangeant avec ses frères un regard compatissant. L'engueulade était partie pour durer.
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Re: Une confrontation prévisible

Jeu 4 Jan 2018 - 0:45

Takeo reprenait du poil de la bête dernièrement, bien aidé par Sacha ! N'importe qui pouvait le voir. Il évitait de boire lorsqu'il savait qu'il allait la retrouver, et comme il la voyait de plus en plus régulièrement, forcément... L'influence que la rousse avait sur lui se ressentait sur tout son quotidien : moins enclin à se laisser aller, il avait doucement recommencer à s'investir dans la vie du camp, retrouvant la motivation qui lui avait fait défaut depuis ce fameux jour. Certes, ses motivations restaient toujours aussi égoïstes : se montrer de nouveau utile pour pouvoir ressortir de nouveau dehors et continuer à chercher sa fille. Cet objectif, il l'avait mis un temps de côté, un peu comme tout le reste. Mais il avait fini par retrouver l'espoir, et il devait désormais se retrousser les manches : parce que forcément, avoir passé toutes ces dernières semaines à se mettre minable et à traîner des pieds, ça n'avait pas aidé à ce que les supérieurs l'estiment capable de prendre part aux expéditions les plus lointaines – celles là même qui lui permettaient de rechercher son enfant. Surtout qu'en plus, il savait bien qu'il avait été désigné – avec Elias notamment - comme responsable du fiasco de la dernière sortie à la caserne. S'il voulait désormais être de nouveau dans le coup, il devait redoubler d'efforts !

Alors oui, il s'investissait de nouveau, ne lésinant pas sur les efforts dans les tâches qui lui étaient confiées. En apparence, tout semblait aller pour le mieux. Mais pour autant, son esprit restait tourmenté. Et si Sacha lui avait permis de retrouver un certain équilibre, ce dernier demeurait fragile. Il suffisait de pas grand chose pour tout faire basculer.

Comme ce jour-là par exemple, où il croisa par hasard cette dame ayant la cinquantaine. Il se stoppa et la dévisagea quelques secondes. Ce n'était pas n'importe qui, il l'avait reconnue : c'était la mère d'Adrien, un des meilleurs amis de Kevin et Tom. Son fils se tenait d'ailleurs à ses côtés. Et lorsqu'ils finirent par reconnaître Takeo, ils vinrent aux nouvelles. Le plus innocemment du monde. Ils ne se doutaient pas à quel point la mort des deux adolescents avait pu atteindre le japonais, ce dernier n'ayant jamais été très démonstratif. Et ils abordèrent rapidement le sujet.

La mère avait sûrement les meilleures intentions du monde, mais elle fit une remarque qui perturba le nippon. Comme quoi la gestion du camp après le tremblement de terre avait été scandaleuse, et que c'était à cause de cela que Kevin et Tom étaient morts. Que les responsables venaient d'en haut. Des paroles finalement assez banales, portées par la vague d'insatisfaction qui saisissait le groupe depuis ce tragique événement. Elle cherchait quelqu'un à blâmer, et pensait certainement que Takeo approuverait ses dires. Sauf que.

Sauf que le japonais ne se cachait pas derrière cette excuse. Elle ne le savait pas, mais tout ce qu'elle était parvenue à faire, c'était raviver la culpabilité qui le rongeait. Il y avait bien un responsable à la mort des deux adolescents, et c'était lui-même. C'était lui qui avait promis de les protéger, et personne d'autres. Alors c'était à lui d'être là le jour où ils ont disparu. C'est lui qui avait failli à sa mission, pas le camp. Il aurait dû prendre des précautions.

Takeo finit par leur fausser compagnie pour rentrer chez lui, la boule au ventre. Il se dirigea dans son jardin, et s'assit juste devant les tombes des deux adolescents. Il resta là un certain temps, perdu dans ses pensées. Elles lui rappelaient à quel point il était faible, incapable de protéger ceux à qui il tenait. Jusqu'à ce qu'il en vienne à remettre en question sa volonté de retrouver sa fille. A quoi bon ? Il ne serait pas capable de prendre soin d'elle. Elle était sûrement mieux là où elle était, si toutefois elle était toujours de ce monde...

Lorsqu'il quitta le jardin et rejoignit sa maison, son regard se dirigea vers une bouteille d'alcool qui traînait sur le meuble. Cela faisait quelques jours qu'il n'avait pas bu, mais cette fois, il en avait envie. Il hésita quelques instants, songeant à plutôt aller rejoindre Sacha, mais la tentation était trop forte. Il finit par s'en emparer et sortit dehors, à la recherche d'un coin tranquille.

Il erra ainsi dans les rues quelques heures, jusqu'à ce que la nuit tombe. Il avait bu suffisamment pour que son esprit soit embrumé, mais il était loin d'être ivre mort, contrairement à d'autres fois. Sans trop savoir comment, à force de marcher, il finit par se retrouver près des barricades. Celles-là même qui avaient cédé et ouvert le passage à la horde de rôdeurs qui avait emporté Kevin et Tom. Triste ironie, qui n'allait pas aider à améliorer le moral du nippon.

Toutefois, son attention finit par être détournée lorsqu'il aperçut, au loin, une petite fille assise sur une caisse. Il la voyait de profil, et alors qu'il plissait le regard pour mieux la distinguer, son cœur s'arrêta de battre un instant. Une jeune fille, traits asiatiques, cheveux mi-longs... Il fut frappé par l'espoir fou qu'il puisse s'agir de Lya, sa fille. Surtout qu'il ne se souvenait pas l'avoir déjà aperçue auparavant. Bien sûr, l'effet de l'alcool y était pour quelque chose. S'il était sobre, il se serait sûrement rendu compte que la gamine était plus âgée que sa fille, ou encore que ses traits du visage étaient bien différents de ceux de Lya. Mais il était loin de l'être, et l'espoir était tellement beau qu'il en oublia presque tous ses problèmes.

D'un pas pressé, le cœur battant la chamade, il se dirigea vers elle. Toute son attention était fixée sur la fille, si bien qu'il ne remarqua pas du tout la mère et ses deux fils à peine quelques mètres plus loin. Une fois arrivé au niveau de la gamine, il la saisit par le bras pour la tourner vers lui, peut-être un peu trop brusquement.

« Lya, c'est toi ? Qu'est-ce que tu fous là ?! » l'interrogea-t-il en levant la voix, alors qu'elle ne lui faisait pas encore face. Mais même lorsque qu'il se retrouva nez à nez avec elle, il continua à la prendre pour celle qu'elle n'était pas. Il ne relâcha pas son emprise sur elle, lui serrant le bras de plus en plus fort, sans trop s'en rendre compte à cause de l'alcool. « Et Greyg ? Et Stephan ? Et pourquoi vous m'avez rien dit ? » continua t-il de la questionner en la secouant un peu. Il devait sûrement passer pour un cinglé, et la petite ne devait absolument rien comprendre. « Mais putain ! Tu vas répondre oui ?! Lya, c'est moi !! » Il perdait patience, prenant mal son incompréhension. « J'ai pas arrêté de vous chercher putain !!! »

Il était pathétique.
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Re: Une confrontation prévisible

Jeu 4 Jan 2018 - 21:58

- "Maman regarde !" - me coupa mon fils aîné, le regard fixé  sur un point derrière moi. Il n'attendit pas que je me retourne pour foncer défendre sa sœur d'un inconnu en plein délire.

Shan et moi bondîmes également, prêts à nous jeter sur l'homme qui osait poser ses mains sur Kalena, qui se débattait pour lui échapper. Il la secouait comme un prunier, l'appelant par un autre prénom. Encore un qui voyait des fantômes... Il allait lui faire mal ! Je n'avais pas parcouru tant de chemin pour laisser un abruti tourmenter ma propre fille devant mes yeux !

Iokua lui arracha sa sœur des mains et je le plaquais contre un mur, avant-bras sur sa gorge, prête à la lui ouvrir avec mes propres dents. J'étais plus petite que lui, mais le temps et les épreuves m'avaient sculpté un corps aux muscles résistants : il ne me repousserait pas si facilement. De plus, il sentait l'alcool à plein nez : cet imbécile avait probablement déjà du mal à savoir d'où venait l'attaque. Quelle épave... Je n'avais pas beaucoup de pitié pour les adultes, encore moins pour ceux s'abîmant dans les addictions. L'alcool... Plutôt que de trouver des choses utiles, les addicts de cette substance fouillaient tout juste pour quelques gouttes. Ils devenaient de véritables poids morts en quelques semaines. Pathétique.

Poussée par la peur et la colère, je lui aboyais littéralement à la figure en écrasant davantage encore sa gorge. Quelle autre réaction aurais-je pu avoir ? Un inconnu alcoolique venait de s'en prendre à ma fille ! J'avais vécu trop de choses pour ne pas développer ce genre de réactions violentes. La fin du monde fait ressortir le pire chez tout le monde... Alors qu'importe si j'étais en train de l'étrangler. C'était idiot de ma part, comment pouvoir obtenir une réponse de lui s'il est incapable d'articuler quoi que ce soit ? Disons que ce n'était pas particulièrement ce que j'attendais pour l'instant. D'abord, apaiser ma colère et ma peur. Ensuite seulement, essayer d'en savoir plus. Et encore.

- "Tu t'éloignes de ma fille, c'est clair, abruti ?! Je n'hésiterai pas une seconde avant de te planter si je te revois ne serait-ce que la regarder !"

Que je regrettais de ne pas avoir pris avec moi une arme blanche. Finalement, nous n'étions bien en sécurité nulle part... Je lui jetais un regard haineux, le poussais une nouvelle fois pour faire bonne mesure, puis le libérais et m'éloignais lentement, prête à parer toutes représailles. Iokua et Shan faisaient barrière de leurs corps entre l'alcoolique et leur soeur, tout aussi prêts que moi à lui sauter dessus.

L'épave humaine était encore jeune. Asiatique, j'avais pu sentir un corps solide sous le mien avant de m'en éloigner. Dur à cuire, sûrement. Un chieur.


- "Retourne cuver ailleurs, t'as compris ?" - lui crachais-je haineusement, le corps encore vibrant d'adrénaline, les yeux fixés dans les siens. Un véritable serpent, prêt à mordre.

La main de Kalena se glissant dans la mienne me prit au dépourvu. Je sursautais avant de m'empresser de la pousser vers l'arrière, mais elle résista. J'eus beau froncer les sourcils, elle ne cilla pas. Entêtée, va. Ce n'était pas le moment d'être tendre !

- " Quoi ?
- Je pense qu'il m'a prit pour quelqu'un de sa famille, m'man. Il ne me voulait rien de mal... - ma petite se rapprocha lentement de l'homme que je venais d'agresser. Doucement, comme pour approcher une bête sauvage. Gentiment, elle lui expliqua la situation, pendant que je guettais le moindre geste de sa part. - Je ne suis pas Lya. Mais j'espère que vous allez bientôt la retrouver. Il faut garder confiance, d'accord ?"

Je ne dis rien, mon visage ne révéla rien, quand bien même je désapprouvais totalement son initiative. Voilà qu'elle essayait de le consoler ! J'aurais tout vu... Qu'il lui réponde quoi que ce soit d'acerbe, et je l'étrangle moi-même. On ne touche pas à mes enfants impunément.
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Re: Une confrontation prévisible

Lun 22 Jan 2018 - 1:16

Il était difficile de décrire ce qu'avait pu ressentir Takeo à cet instant précis. C'était un homme désespéré, bien plus touché par tous les coups durs qu'il avait pu subir que ce qu'il ne voulait montrer. Il avait toujours été ainsi d'ailleurs, préférant tout prendre sur lui, ne laissant rien transparaître de ce qu'il ressentait. Avant l'épidémie, agir ainsi était une sorte de protection. Après celle-ci, c'était devenu une nécessité: le petit groupe avec lequel il voyageait avant de rejoindre l'île de Bainbridge avait eu besoin d'un leader, un homme avec la tête froide capable de prendre les décisions difficiles qui leur permettraient de survivre. Et c'était lui qui avait du endosser ce rôle qui lui avait impliqué de nombreux sacrifices, et qui ne laissait pas de place aux bons sentiments.

Cela expliquait pourquoi il était tombé si bas aujourd'hui. Pourquoi il était devenu une pathétique épave, bien loin de l'homme qu'il pouvait être auparavant. Il avait passé tant de temps à tout intérioriser que cela le bouffait. Avant, il restait solide parce qu'il savait qu'il faisait tout cela pour le bien de son enfant. Mais depuis qu'il l'avait perdue, la donne avait changé. Et s'il avait toujours voulu donner cette impression d'être certain de la retrouver un jour, le temps qui passait avait fini par avoir raison de ses espoirs. A son désespoir naissant, ajoutons les dernières crasses qu'il avait pu subir : la rupture avec Casey, le passage à tabac par Duncan, la mort de Kevin et Thomas... C'était juste trop à contenir, et il avait fini par exploser. La suite avec l'alcool est facile à imaginer.

Ainsi, lorsqu'il crut apercevoir sa fille, forcément, il se laissa emporter par l'euphorie. Il voulait tellement que ça soit bien elle qu'il finit par s'en persuader, l'alcool aidant. Et le regard surpris et effrayé de la gamine ne suffisait pas à lui faire comprendre qu'il avait tord. Takeo ne voyait que ce qu'il voulait bien voir. Lorsque l'un des frères le sépara d'elle, il ne comprit pas tout de suite ce qu'il se passait. Mais il vit rouge, et arma son poing, prêt à l'écraser contre la tête de celui qui avait osé l'éloigner une fois de plus de son enfant. Sauf que, dans son état, il n'était pas l'homme le plus vif du monde, et avant qu'il n'eut le temps de faire quoi que ce soit, il se retrouvait plaqué contre le mur par une femme qu'il n'avait même pas remarquée jusqu'ici.

Elle était en train de l'étrangler avec son avant-bras, et pourtant il mit plusieurs secondes avant de réagir, toujours dans le flou quant à la situation actuelle. Mais même lorsqu'il tenta de se défaire de l'emprise de la femme, il n'y arriva pas, parvenant uniquement à quelques fois éloigner son bras de sa gorge de quelques centimètres – juste ce qu'il suffisait pour reprendre le minimum vital de respiration. C'était qu'elle avait de la force cette dame !

Lorsqu'elle lui ordonna de s'éloigner de sa fille, Takeo la dévisagea d'un air mauvais et méprisant à la fois, comme s'il l'a prenait pour une folle ! Comment ça, SA fille ? Il commençait à peine à réaliser que c'était bel et bien lui qui était à l'ouest dans toute cette histoire. Elle finit par enfin le lâcher, et tandis qu'elle s'éloignait de lui, le japonais tituba et mit un genou à terre. Il passa sa main droite sur sa gorge, et toussa quelques secondes avant d'essayer de refaire son stock d'air à coup de grandes inspirations.

Le nippon bouillait de l'intérieur. Il releva doucement la tête, la respiration toujours saccadée, pour offrir son regard le plus mauvais à la femme qui lui faisait face, ainsi qu'à ses deux autres gosses qui s'étaient placés entre lui et la petite. La colère montait en lui dangereusement. Son côté sombre et violent qui demeurait en lui – et qu'il essayait tant bien que mal de contenir depuis son arrivée sur l'île – était en train de refaire surface. Et ce n'était pas les dernières provocations de la mère asiatique – qui lui ordonnait d'aller cuver ailleurs – qui allaient arranger les choses... A cet instant précis, Takeo était pris de vilaines pulsions meurtrières, celles-là même qui l'avaient poussé à approuver la torture de Marc lors de sa dernière sortie.

Il serra le poing, et fut pris par la soudaine envie de massacrer cette putain de bonne femme ! Quelques semaines plus tôt, il aurait certainement cédé à cette pulsion. Il se serait jeté sans réfléchir sur elle, l'alcool amplifiant d'autant plus ses excès de violence. Mais quelque chose avait changé désormais. Et alors qu'il était prêt à aller en découdre, l'image de Sacha lui vint en tête. Sa douceur, sa gentillesse, et toutes ses valeurs qu'elle essayait tant bien que mal de lui transmettre. Que penserait-elle si elle le voyait dans cet état ? S'il se laissait aller, il ne pourrait plus jamais la regarder dans les yeux, et Dieu sait qu'il aimait se perdre dans son joli regard. Il ne pouvait pas la décevoir...

Mais putain que sa haine était forte ! Il en avait presque oublié qu'il avait cru reconnaître sa fille ! En lutte contre lui-même, il ne prêtait plus attention à ce qui se passait autour, et finit par frapper du poing sur le sol. Juste avant que la petite Kalena ne s'approche de lui pour lui expliquer la situation avec toute la douceur du monde.

Takeo la fixa quelques secondes sans rien dire. Il comprit enfin qu'il ne s'agissait pas de Lya, et ses yeux perdirent de leur colère pour gagner en tristesse. Les derniers mots de la gamine finirent toutefois par l'apaiser. Elle aussi était pure et innocente, pleine de bonnes intentions à son égard malgré le fait qu'il venait de la bousculer un peu violemment. Il réalisa que c'était lui qui était en tord, et comprenait désormais l'attitude agressive de la mère. Elle protégeait sa famille, comme lui avait pu le faire par le passé. Sauf que lui avait échoué... Pour seule réponse à la petite, il la gratifia d'une simple tape sur l'épaule – sans faire attention à ce que pouvait penser la maman de son geste – avant de se relever comme il le pouvait.

Attention ! Il se savait en tord, et il comprenait pourquoi la dame face à lui l'avait ainsi agressé, certes ! Mais est-ce qu'il allait pour autant s'excuser ? Oh que non... Il était bien trop fier pour ça ! Et encore sous l'emprise de l'alcool, il avait cette impression d'être désormais jugé comme le mauvais père qu'il se savait être. De plus, il jalousait également la quadragénaire : elle avait réussi là où lui avait échoué : ramener sa famille sur l'île et les maintenir sains et saufs. Il la dévisagea alors du regard.

« Toi, j'temmerde ! » lui lança-t-il avant de cracher au sol. Il écarta les bras. « Quoi ?! Tu t'crois meilleure que moi parce que t'as réussi à amener ta famille en sécurité, hein ?! Mon cul ! » hurla-t-il à nouveau.

Il ne pouvait s'empêcher de faire un parallèle avec sa propre situation. La petite fille lui rappelait Lya. Les deux jeunes hommes lui faisaient penser à Kevin et Tom, récemment décédés au sein même de l'île, suite à l'envahissement des rôdeurs après le séisme. Il désigna d'ailleurs du doigt Iokua et Shan avant de continuer.

« Te crois pas trop à l'abri ! Ils jouent aux durs mais ils finiront par mourir, même ici ! Y a TOUJOURS une putain d'couille dans le pâté ma p'tite ! Ils mourront comme des chiens, et tu finiras par les enterrer dans ton jardin sans que PERSONNE n'en ait rien à foutre !! » Il mélangeait son propre vécu avec Kevin et Tom et celui de son interlocutrice avec ses propres enfants, et devait sûrement passer pour un fou. « Et elle ! » Il désigna cette fois-ci Kalena du doigt. « Elle, elle comprendra pas que tu te salis les mains pour sa survie, et elle finira par te détester ! Tu vas la perdre et elle va te HAÏR, PUTAIN ! » Cette fois-ci, il parlait de son histoire avec sa fille.

Il finit par s'approcher dangereusement de la femme. « Et quand ça t'arrivera, on verra si tu finiras mieux que moi ! Alors remballe ton regard hautain et profite de tes putains d'gosses tant qu'il est encore temps, parce que ça dure jamais éternellement. » Il la défia du regard quelques secondes avant de lui tourner le dos et de se diriger piteusement vers sa bouteille qu'il avait lâchée au sol lorsqu'elle le bouscula.
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Re: Une confrontation prévisible

Mar 23 Jan 2018 - 21:29

Je continuais à trouver Kalena trop bonne envers cet homme. Il lui avait littéralement sauté dessus, qui sait ce qui aurait pu se passer s'il avait été animé de mauvaises attentions ? Son manque de sauvagerie m'inquiétait : à être trop sympathique avec les inconnus, je craignais qu'elle ne se laisse facilement berner. Mentir et feindre étaient deux atouts qu'elle ne maîtrisait pas encore. Je m'en réjouissais il y a deux ans, ayant le sentiment de réussir dans mon rôle de mère. Aujourd'hui… La candeur avec laquelle elle continuait à aborder le monde était une source intarissable d’inquiétudes. Elle n'irait probablement pas jusqu'à accepter un bonbon de la part d'un inconnu, mais… Qu'elle se fasse prendre au piège en souhaitant aider son prochain ne serait pas une grande surprise. Elle aussi aura droit à une petite remise au point sur les règles de la maison une fois que nous serons rentrés.

J'étais prête à repartir d'où je venais et à oublier cette altercation, mes enfants derrières moi, mais ce n'était manifestement pas une intention partagée par l'autre. Plein de rancœur, il se mit à me crier mes quatre vérités à la figure, dont l'effet fut néanmoins atténué par son crachat, qui me fit hausser un sourcil dédaigneux. Je voyais bien avec quel genre de personne j'avais affaire. Pas quelqu'un de mauvais, dans le fond. Personne ne l'était vraiment après tout, même maintenant. Il était juste… Inquiet, abattu, et alcoolisé. Pas un très bon combo. La peur le rendait agressif, comme un animal apeuré peut chercher à mordre pour se défendre. A continuer sur cette voie, il laisserait le désespoir le consumer entièrement. La fin se traduirait sûrement par un suicide, peut-être déguisé en un sacrifice.

Ses traits tirés, ses yeux au bord des larmes, les accents désespérés que prenait sa voix à quelques mots, tout ça rendait son discours jaloux et haineux extrêmement difficile à ignorer, et à supporter. Cet homme savait quels points frapper, quelles peurs et angoisses exploiter. J'avais l'impression de me retrouver face à mon double maléfique me hurlant toutes les horreurs qui allaient certainement m'arriver. Impossible de rester de marbre face à ce déluge, encore moins de simplement lui tourner le dos et de partir. Mes pieds étaient comme enracinés dans le sol tandis que je l'écoutais attentivement, presque hypnotisée par ses paroles venimeuses.

Bien sûr que j'étais terrifiée de la possibilité de perdre mes enfants. La chair de ma chair ! J'avais déjà vécu leur perte une fois, j'avais ressenti la douleur lancinante dont il parlait, hors de question que je la vive une deuxième fois ! Et leur père, je l'avais perdu deux fois ! Ma mère, je l'avais vu mourir devant mes yeux, sans rien faire pour lui venir en aide ! Si mes enfants l'apprenaient… Si Kalena le savait… Je n'avais pas besoin d'une leçon de morale dispensée par un parfait inconnu alcoolique, dépressif et agressif pour me rappeler tout ce que je risquais de perdre ! Lorsqu'il vint jusqu'à me toiser, tout près, je frémissais de colère. Lorsqu'il termina finalement de me ridiculer publiquement, une rage sans nom m'animait. Qui était-il, ce raté, pour venir m'humilier devant ma famille ? Pour me laisser sans autre possibilité que de me taire et d'encaisser, juste pour le laisser, lui, « gagner » ?

Allais-je donc me donner moi aussi en spectacle ? Oui.

D'une voix ferme, j'ordonnais à mes enfants de retourner chez nous. Je n'attendis pas leur réponse avant d'aller au contact. Moi aussi, j'avais un message à lui faire passer. Je bousculais l'homme d'un geste sec alors qu'il se penchait pour récupérer son cadavre de bouteille. La main fermement agrippée au col de son blouson, je le tirai plus loin, à l'angle d'une ruelle, autant pour échapper aux témoins de mon humiliation que pour qu'ils n'interviennent pas lors de ma propre tirade. Forte de mes années en plus, j'allais lui faire goûter à ma médecine.

- Tu veux parler ? On va parler. - Je le libérai d'un geste brusque, l'envoyant valdinguer puisque, l'alcool aidant, l'équilibre lui était un concept un peu abstrait. - Un homme dans ton état, c'est minable. Un homme dans ton état qui insulte les autres, c'est pathétique. Pa-thé-tique. - lui assenai-je en détachant les syllabes de ce mot. Je ferai peut-être mieux d'utiliser un vocabulaire simple, pour qu'il puisse suivre. - Pas la peine de comparer le nombre de nos morts : la souffrance reste la même. Tu as perdu des gens précieux ? Bienvenue au club. Ça fait mal, hein ? Et encore, est-ce que tu as eu à mettre une balle entre les deux yeux d'une amie ? De la mère de ta fille?Est-ce que tu as vu les morts dévorer vivants des gamins à peine sorti de l'adolescence ? Des cadavres torturés d'anciens compagnons d'infortune ? - Tous les visages me revenaient violemment à mesure que je ranimais leurs souvenirs. Nous vivions dans une ère macabre… J'allais le lui rappeler également. Je ne commis pas l'imprudence d'approcher mon visage du sien, préférant éviter un coup de tête. Encore une fois, la comparaison avec une bête blessée me semblait être appropriée. Je continuais à me tenir droite et à le dévisager sévèrement, la voix dure et sévère. - Est-ce que tu veux vraiment comparer le poids de nos souffrances mutuelles ? Est-ce que ça aidera à quoi que ce soit ? Non. Et moi, je n'ai pas signé pour te servir de souffre-douleur ou de bouc émissaire sur qui exorciser tes démons. Tu veux revoir ta fille ? Arrête l'alcool. Arrête l'auto-apitoiement. Arrête de diriger ta colère contre les autres, quand c'est toi, le pseudo-samouraï au passé tourmenté, le fautif.

Je connaissais cette période de deuil où il était plus simple de haïr le monde entier pour s'oublier soi-même que de se résoudre à affronter ses démons. Je n'avais eu ni alcool ni drogue sous la main, sinon… Qui sait ? Peut-être n'aurais-je jamais tenu assez longtemps pour retrouver Johnny et nos enfants. Et puis avec ma mère sur le dos… Comment aurais-je pu me laisser sombrer dans un état comme le sien ? J'avais eu plus de chance que lui. L'homme inspirait la pitié, malgré tout ce qu'il venait de me cracher au visage. N'exprimait-il pas tout simplement son mal-être de cette façon ? Si je lui tournais le dos maintenant, se relèverait-il pour retourner à la recherche de sa fille perdue ?

Je me sentis brusquement responsable de lui. Le même instinct qui m'obligeait à prendre un soin particulier de certaines de mes anciennes patientes me prit aux tripes. Les chats blessés étaient ma faiblesse, malheureusement… Cela expliquait peut-être mon engouement pour les causes perdues. Après avoir poussé un long soupir, je finis par lui tendre la main, prête à l'aider à se relever.

- Je vais mettre sur le compte de l'alcool toutes tes horribles paroles, pour te proposer à toi, l'homme derrière ce masque pathétique, mon soutien. J'ai eu la chance d'avoir des gens près de moi pour traverser ce que tu semble vivre en ce moment. – d'un air engageant, j'agitais la main en ancrant mes yeux dans les siens. - A ton tour d'avoir cette chance.
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