En se réveillant ce matin là, Davis avait immédiatement eu le sale sentiment que la journée allait être, pour ainsi dire, complètement pourrie. Impression qui avait été confirmée à plusieurs reprises à commencer par ce foutu froid qui s'était installé depuis quelques semaines maintenant, accompagné du manteau blanc qui lui donnait des frissons rien qu'à y penser. Pas qu'il détestait l'hiver, simplement qu'il l'appréciait... au chaud. Le brun avait été de ceux qui s'emmitouflaient dans un plaid pour échapper au froid et observait la neige tomber par delà les vitres, mais s'y mêler avait toujours été une affaire un peu moins évidente. Sans vraiment réfléchir, le virologue avait enfilé le pull tricoté par Amanda pour leur anniversaire, celui avec des flocons. Ridicule, mais au moins il n'aurait pas à craindre le froid tout au long de la journée et il se fichait bien de ce que pourraient dire ses pairs, il n'avait aucun compte à leur rendre après tout. Le second point concernant cette ''journée pourrie'' était survenu quelques minutes à peine après, lorsqu'encore un peu embrumé par le sommeil, il s'était pris les pieds dans un tee-shirt qui traînait au sol et avait manqué de se rétamer contre la commode, rouspétant dans sa barbe contre sa propre négligence. Et comme il est de coutume de dire : jamais deux sans trois. Une fois en bas, l'air toujours aussi fermé, il s'était servi une tasse de café... complètement gelé. Cerise sur le gâteau. Et l'électricité qui n'avait pas encore été activée pour la journée. Il avait donc dû se contenter de cette boisson gelée, de quoi l'agacer encore plus. La jumelle Davis avait ri devant l'expression renfrognée et agacée de sa moitié avant de lui tapoter l'épaule et s'éclipser pour vaquer à ses occupations de femme du peuple ; s'enquérir de l'état de ses semblables, les aider dans leurs tâches, tout le contraire du quarantenaire.

C'est avec la sensation horripilante d'avoir en plus froid qu'au réveil que Lawrence avait enfilé sa veste pour quitter son domicile et se rendre au laboratoire. Il y avait de l'électricité là-bas, mais au vu des nouvelles mesures mises en place, ils avaient dû également faire une croix sur le chauffage mais au moins il pourrait aspirer à un café un peu moins froid que celui qu'il venait d'ingurgiter. Tirant de sa poche la boîte contenant ses cigarette et joints, il en sorti une barrette de nicotine classique ; commencer la journée en douceur pour finir en beauté, quoi qu'au vu de son humeur de chien, peut-être aurait-il mieux fallu qu'il passe directement à l'étape supérieure. Tirant nonchalamment sur sa cigarette, Davis avait enfoui une main dans la poche de son manteau, avançant sans vraiment regarder autour de lui ni même prendre la peine de saluer les personnes qu'il croisait, ou du moins ne rien leur accorder de plus qu'un simple hochement de tête bref. Il ne s'était pas arrêté jusqu'à arriver au labo une petite trentaine de minutes plus tard, pas même lorsque le vieux Robinson était venu vers lui dans l'espoir d'engager la causette.

Et le constat fut définitif : cette journée était pourrie. En entrant dans la pièce principale du laboratoire, le virologue et chef des lieux avait cherché des yeux Sanders, ne le trouvant pas et s'impatientant encore plus avant qu'un de ses sbires ne se pointe à côté de lui. « Docteur Davis... » « Quoi ? » « Je suis passé chez Chad avant de venir, il est malade apparemment et va rester chez lui pour se reposer aujourd'hui. » Les sourcils froncés, le brun avait inspiré profondément pour essayer de contenir son agacement avant de balancer un simple « Bien. Retournez travailler. » des plus froids. Sanders n'était pas là. Malade ? Foutaises. Même malade le quarantenaire se traînait jusqu'ici mais il semblait que le jeune bactériologue était de plus faible constitution. Soupirant bruyamment, Lawrence s'était dirigé vers son bureau afin d'y déposer sa veste et checker rapidement les quelques dossiers déposés sur le meuble. Sanders pas là. Il se débrouillait évidemment parfaitement sans lui mais il ne pouvait nier que Chad était celui sur qui il laissait reposer le plus de choses, celui en qui il avait le plus confiance dans le bâtiment malgré les nombreux taquets qu'il lui mettait et cet air dur qu'il gardait constamment.

Tant pis. Il ferait sans lui. Ressortant de sa pièce pour retourner dans le coin principal des recherches, il chercha du regard quelqu'un qui avait déjà bossé avec Chad et qui serait sans doute plus fiable qu'une simple fourmis sans intérêt. Peut-être. Et ses orbes clairs s'arrêtèrent sur Sacha. La rouquine était encore jeune mais il avait déjà eu quelques échos de la part de Sanders et peut-être aurait-elle les capacités suffisantes pour ''remplacer'' le bactériologue le temps d'une journée. Ni une ni deux, Davis se dirigea vers elle avant de s'arrêter dans son dos. « Brown, Sanders n'est pas là, tu vas m'assister aujourd'hui » avait-il lancé à la jeune femme sans se préoccuper de si oui ou non elle l'avait entendu arriver ni même si elle était d'accord ; elle n'avait pas le choix.

À peine avait-il informé à la rouquine qu'elle l'assisterait pour la journée que Davis s'était senti agacé par son attitude. Le nez flanqué dans son bouquin, un air légèrement nonchalant et un peu ailleurs... elle avait tout intérêt à se bouger, et vite, parce-qu'il n'attendrait pas deux minutes et n'allait pas prendre de son précieux temps pour lui laisser le luxe d'encaisser la nouvelle. Lorsqu'elle demanda si c'était bien d'elle dont il s'agissait, le virologue soupira bruyamment en hochement brièvement la tête, s'agaçant de plus en plus de la voir feuilleter ce bouquin pour essayer de retrouver sa page. Il y avait plus important que cela pour l'instant et ce qu'elle verrait cette journée serait bien plus instructif que ce qu'elle pourrait apprendre dans des livres, si toutefois elle parvenait à se concentrer un minimum mais il était évident pour l'instant que l'affaire n'était pas gagnée. Et elle lui demandait encore s'il était sûr. N'était-elle pas simplement capable de se lever et le suivre plutôt que de leur faire perdre leur temps à tous les deux de la sorte ? Apparemment pas. « Magne-toi avant que je change d'avis » avait simplement répondu le quarantenaire, ne faisant pas le moindre effort pour masquer son agacement, et tant pis si ça venait à stresser encore plus la jeune femme, il n'était pas ici pour apaiser les mœurs ni pour faire dans le social.

Après quelques secondes à soutenir son regard du sien, toujours aussi froid qu'à l'accoutumée, Davis s'était détourné d'elle pour se mettre enfin à sa tâche, ne portant pas d'attention à la nouvelle hésitation de Sacha. Il avait entendu sa faible acceptation mais, là non plus, il n'avait pas ralenti et ne s'était pas retourné, adressant à peine un regard à ceux qui s'attelaient déjà à leurs tâches dans le laboratoire. Plus les secondes passaient cependant, et plus il se sentait déjà épuisé par cette journée qui s'annonçait et, principalement, par la présence de sa cadette à ses côtés. « Fais donc ça » avait-il rétorqué concernant ses travaux qu'elle reporterait au lendemain, ''quand Sanders ira mieux''. Il lui en toucherait un mot à son retour, et le maudirait autant pour son absence que pour lui avoir dit du bien de la jeune femme qui lui traînait désormais littéralement dans les basques et le crâne avec sa voix agaçante qui ne semblait pas prête à faire preuve de silence. Le sort du bactériologue fut d'ailleurs abordé, valant une réponse toute aussi détachée de Lawrence. « Je ne sais pas, Brown. » Au fond, il espérait qu'en effet ce ne soit rien de grave. Pas qu'il appréciait Sanders personnellement parlant, simplement qu'il était celui qu'il jugeait le plus fiable dans son équipe de fourmis et qu'il n'avait aucunement l'envie de s'encombrer d'une nouvelle personne à former. Mais la jeune femme avait déjà travaillé en binôme avec Chad à quelques reprises et avait, d'après le jeune homme, de réelles capacités. Le quarantenaire lui laissait donc le bénéfice du doute mais la concernée devait le savoir : un seul faux pas et sa place en ce lieu pouvait être compromise.

Poussant la porte qui donnait sur son bureau, une nouvelle question était tombée ; légitime, pour une fois. « Tu n'es pas sans savoir que le séisme nous a forcé a reprendre de nombreux travaux à zéro, ou presque » avait-il commencé en contournant le bureau avant de farfouiller dans un tiroir et d'en sortir une pochette avec de nombreux documents à l'intérieur. Là, il tira une feuille de l'étui, la tournant pour la déposer en face de la rousse. « Tu as pour l'instant vu ce qu'il se passait en haut, dans le laboratoire principal, mais ce n'est qu'une partie de nos recherches. Le sous-sol en est une autre, bien différente. » Ayant ancré son regard clair dans le sien, Davis pesait chaque mot. Il aurait pu attendre le retour de Sanders pour s'atteler à ces tâches mais ils avaient déjà attendu trop longtemps, ils devaient s'y remettre, avec ou sans lui. Et la jeune femme avait dû avoir quelques échos de ce fameux ''sous-sol'', cet endroit où seuls quelques scientifiques triés sur le volet par Lawrence lui-même pouvaient accéder ; des bruits couraient, mais le secret était relativement bien gardé, principalement en dehors du complexe scientifique.

Reportant son attention sur la feuille, le quarantenaire prit un stylo, le déposant dessus avant de pousser le tout vers la jeune chercheuse. « Avant toute chose, tu vas lire et signer ce document » avait-il lancé avant de s'installer dans son fauteuil, attendant que Sacha accomplisse son ordre. C'était un document relativement basique, une close de confidentialité qui affirmait qu'aucune information n'avait à sortir du lieu concerné. Ce qu'il se passe à Vegas reste à Vegas, même chose, mais pour le sous-sol.

Lorsque Brown demanda au quarantenaire ce qu'il entendait pas ''bien différentes'', il s'était contenté de hausser un sourcil qui marquait à la fois son impatience, et à la fois le fait qu'il n'allait pas lui répondre. Elle aurait de toute manière bien assez vite une réponse à sa question puisque, de toute façon, maintenant qu'elle savait qu'il y avait quelque chose d'autre, il était délicat de faire marche arrière en lui balançant que ça n'avait été qu'une blague pour l'inquiéter ; ou pas, la rouquine était suffisamment naïve et, si elle changeait d'avis, mieux valait qu'elle ne s'amuse pas à aller fouiner d'elle même là en bas. Mais elle avait tout intérêt à ne pas changer d'avis, et elle devait l'avoir bien compris au vu du regard toujours aussi perçant de son aîné, installé nonchalamment dans sa chaise en face d'elle. Il avait bien vu ses yeux se transformer en deux petites billes rondes devant le document qu'il venait de glisser sous son nez mais, là encore, il n'ajouta rien de plus, lui laissant simplement le temps de prendre connaissance de l'écrit. Et sans doute que ce silence devait être bien pesant pour elle mais ça aussi elle devait y être habitué ; si le virologue n'avait pas sa langue dans sa poche et faisait la plupart du temps preuve de paroles tranchantes, il n'était clairement pas des plus loquaces.

Au regard bref que lui avait lancé la jeune femme, Davis avait à nouveau arqué un sourcil relativement impatient. Ils n'avaient pas toute la journée, l'absence de Sanders lui faisait déjà perdre suffisamment de temps pour qu'elle ne prenne pas encore trois heures à se décider. Mais, une chance pour elle, elle signa le document dans la foulée. Le récupérant, le quarantenaire le rangea dans la pochette prévu à cet effet, où se trouvait quelques autres écrits du même acabit, avant de ranger le tout dans son bureau qu'il referma avec une clé. Et la question de la jeune femme lui fit reporter son attention sur elle alors qu'il se relevait de sa chaise. « Quand on sera en bas, ne touche à rien, contente toi en premier lieu d'observer et d'écouter » avait-il répondu tout en arrivant à la porte de son bureau, l'ouvrant alors pour laisser la jeune femme en sortir avant de refermer derrière eux.

Ils empruntèrent ensuite la seule porte menant au sous-sol et, en bas des marches, passèrent une autre porte qui donnait sur une sorte de guichet. Là se trouvait l'un des scientifiques. Il releva immédiatement le nez de ses occupations en percevant le bruit des arrivants, saluant le directeur des lieux plus par politesse que par réel enthousiasme avant de pousser vers eux un cahier. « C'est un registre. Il faut le signer à l'entrée et à la sortie » avait expliqué Davis à sa cadette, signant rapidement le document avant de le pousser vers elle. Lui-même signait, plus pour garder une certaine trace de son emploi du temps que parce-qu'il était réellement obligé. Et cela enfin fait, le scientifique au guichet ouvrit la porte blindée donnant sur le laboratoire du sous-sol, aussi blanc et épuré qu'en haut, mais bien différent.

« Je le répète, mais ne touche à rien » avait lancé Davis à la chercheuse juste avant qu'ils n'entrent dans la pièce, appuyant son regard glacé dans le sien pour bien lui faire comprendre qu'il ne disait pas cela à la légère : il y avait des enjeux, et si elle faisait n'importe quoi, la situation pouvait rapidement devenir ingérable. Et il s'était avancé dans la pièce. Un couloir au centre, plusieurs postes de recherches avec microscopes et autres matériels sur la droite, et à gauche, le point principal de ce petit secret : une demi-douzaine de petites cellules individuelles, séparées du reste par des vitres derrière lesquelles se traînaient des infectés d'âges et de stade infectieux différents. Certains cognaient aux vitres quand d'autres étaient bien plus en sommeil. Avançant alors jusqu'au milieu du couloir, le brun s'était tourné vers les cobayes, les zieutant quelques secondes avant de reporter son attention sur Brown, apparemment loin d'être à l'aise.