Début Février 2018


Ils n'étaient sûrs de rien, et même tout ce qu'ils avaient construits ici jusqu'à présent ne parvenait pas à les rassurer. Etait-ce parce que quand ils regardaient par dessus leurs épaules, ce n'était que pour ressentir le poids de l'absence de ceux qui étaient partis, désormais incapables de les réconforter ? C'était douloureux, pas seulement parce qu'il était difficile de mettre un mot sur cette sensation, mais aussi parce qu'au fond, tous savaient très bien que les choses ne seraient plus jamais comme avant.

Jefferson l'avait bien évidemment ressentie aussi, suite aux départs successifs de Walter, Nolan, Ellora, Leon, Ethan et sa famille ainsi que tous les autres. L'absence de Connor laissait aussi place à l'inquiétude, bien qu'il était convaincu que son Bro pourrait s'en sortir, et qu'ils célébreraient son retour très bientôt. Il avait alors trouvé du réconfort auprès de sa compagne, tâchant d'organiser son temps comme il le pouvait afin d'amorcer les différents départs, veillant à organiser des expéditions en sa qualité de responsable ravitaillements. Comme beaucoup d'autres, il tâchait d'avancer, malgré ses craintes et ses appréhensions.

Le ranch avait ce petit quelque chose de rassurant, bien que le rouquin comprendrait aisément que certaines personnes n'y soient plus aussi à l'aise, les couloirs étaient parfois vides, tout comme la plupart des chambres qui hébergaient il n'y a pas si longtemps d'autres hâbitants... La plupart vaquaient à leur occupation, certains cachaient un peu mieux leur peine que d'autres, mais le monde ne s'était pourtant pas arrêté de tourner, et malgré tout, la vie avait repris son cour à peu près normal  dans leur refuge.

Au retour de son footing quotidien, Jeff se désaltéra tranquillement en marchant sans buts précis, son errance l'amena du côté d'un des bâtiments qui avait été amménagé en grande partie pour conserver les ressources, mais le reste de la salle pouvait être exploité, et une partie avait été amménagée en un espace sportif. C'est à cet endroit qu'il aperçut Elena, occupée à boxer le sac d'entraînement. Le canadien l'avait observé pendant quelques instants, ne souhaitant pas la déranger dans ses exercices, comme à son habitude, sa détermination semblait inflexible. Les quelques jours qui l'avaient tenue loin du ranch et dans des conditions plus difficiles semblaient déjà loin derrière elle. Il la côtoyait depuis déjà si longtemps, mais n'était pas celui de qui elle était forcément le plus proche, demeurant tout de même -il l'espérait- une personne en qui elle se sentirait assez en confiance pour lui demander de l'aide, si elle en avait besoin.

Annonçant sa présence d'un bref raclement de gorge, il la salua alors en s'avançant vers elle. " Bonjour Elena, tu vas bien ?  … Ou du moins, mieux que ce pauvre sac j'espère... " lui demanda-t-il en ricanant, désignant d'un signe du menton le matériel qui tenait plutôt bien le coup ! Il se saisit alors d'une des deux pattes d'ours, qu'il lança en l'air avec désinvolture avant de la rattraper, observant son interlocutrice. " Ça te dit ? Je suis peut-être un peu plus bavard que le sac par contre... " plaisanta-t-il, sachant que la jeune femme plus discrète, préférant la qualité à la quantité de ses propos. Le geek ne tarda toutefois pas à enfiler les gants, levant les mains pour permettre à la grècque de continuer à s'entraîner. " C'est quand tu veux ! " déclara-t-il avec un sourire en coin.

Ses bras se tendaient puis se repliaient à intervalle régulier. Chacun son tour. Même puissance. Même rage étouffée. Son souffle était court et chaque expiration grondait. Elle n'avait pas enfilé les gants, dessous, elle se sentait frustrée. Elle voulait ressentir chaque foutu impact, quitte à s'écorcher les phalanges. La douleur physique, c'était toujours mieux que ce qui grouillait dans sa tête et sous sa poitrine. De la culpabilité aux regrets qui la compressaient, il n'y avait rien de bon. Une succession d'échecs. Le tableau n'était plus beau à voir. Ses poings s'enfonçaient dans le sac de frappe avec toute la hargne qu'elle ne parvenait plus à contenir. Mais même l'exercice était pénible, car lourd en souvenirs. Depuis Maple Grove, c'était Walter, Blake et John qui partageaient ses entraînements. Au ranch, elle avait initié Nolan. Et maintenant... Maintenant elle déchargeait sa fureur en compagnie de fantômes, avec l'impression terrible de n'être qu'une spectatrice impuissante. C'est tellement injuste d'être le dernier.

Le raclement de gorge la détourna de son occupation, et elle releva la tête en direction de Jeff, les poings suspendus un moment en l'air avant de retomber mollement le long de son corps en sueur. Elena n'eut pas vraiment de réaction sur l'instant, un peu décontenancée d'être si brusquement arrachée à ses songes. Elle salua malgré tout le canadien d'un signe de tête poli, en s'éloignant du sac pour attraper une serviette et s'éponger le front. Sa remarque lui déroba quand même un sourire.

« Comme tout le monde, je crois. » lui répondit-elle en haussant les épaules.

Jeff devait bien être placé pour le savoir. Lui qui devait aussi accuser le coup du départ de Connor. Et lui qui, mieux que personne, devait connaître la peine et la colère de sa compagne qui portait le deuil de la petite Victoria. A cette unique pensée, la grecque eut un pincement au cœur. Elena n'avait pas osé aller à sa rencontre, retenue par la culpabilité, la pudeur, et parce qu'elle aussi avait des deuils à mener. De toute façon, elle ne doutait pas un instant des capacités du canadien pour savoir trouver les mots justes pour réconforter la vétérinaire. Il avait un certain don pour relativiser et apaiser les situations, même lorsque celles-ci semblaient désespérées.

C'était sûrement dans cet optique là qu'il s'était manifesté aujourd'hui. Prêt à dénouer l'amas de tourments qui l'accablaient. Téméraire Jeff. Et dévoué, plus que de raison. Elena eut un petit rire en le voyant enfiler les pattes d'ours, avec un air qui voulait dire « allons, t'es pas sérieux ? ». Elle le fixa quelques secondes, un sourire mi amusé, mi reconnaissant placardé sur son visage fatigué.

« Très bien ! » obtempéra la brune en levant les mains. « Attention, si ce que tu me dis ne me plaît pas, j'aurais une excuse toute prête pour te cogner plus fort. » plaisanta-t-elle en stabilisant ses appuis. Instantanément, elle retrouva son sérieux, sa concentration. Ramenée des mois en arrière. Les consignes de Walter lui faisant vibrer les tympans. Et le premier jab trouva sa cible. Rapidement suivi d'un deuxième, puis d'un troisième et ainsi de suite. L'enchaînement se déroula un temps sans qu'elle ne parle. Plus elle frappait, plus les souvenirs affluaient. Comme le sang sous la peau pour former un hématome douloureux. C'était une odieuse tumeur qui enflait, menaçait de rompre à tout instant. Plus les minutes s'écoulaient, plus le chaos reprenait dans sa tête.

Esprit ravagé. Terrain miné, monde ruiné par la guerre. Il n'y avait plus que des cadavres sur lesquels essayer de ne pas trébucher. Des visages parsemés qui hantaient chaque nuit. Elena ne remarqua pas que ses coups s'étaient fait plus vifs, plus virulents. Son regard, lui, était déjà absent.

Si la question qu'il lui avait posé aurait pu paraître simplement polie d'habitude, elle paraîtrait presque déplacée, compte tenu des circonstances, ce pourquoi Jeff s'amusa à la tourner en dérision, lui adressant un sourire complice. Depuis tout ce qu'il s'était passé, c'est à se demander si un jour ils arriveraient à ne pas être complètement gênés de se demander ce genre de choses. Sans son compagnon à ses côtés, et désormais son mentor qui venait lui aussi de rejoindre la longue liste des absents, Elena faisait comme les autres, de son mieux, puisque après tout, ils n'avaient guère le choix.

Le sport servait d'ailleurs autant à purifier l'esprit, qu'à tuer le temps, ce qui amenait vite à reconsidérer l'importance d'en pratiquer. L'opportunité de passer un peu de temps avec celle qui avait repris les rênes du groupe et qui était également son amie l'avait d'ailleurs convaincu de joindre l'utile à l'agréable, enfilant les pattes d'ours avant de lui proposer d'être son partenaire d'entraînement.

Même si la jeune femme fut un peu surprise de le voir souhaiter assumer ce rôle, elle sembla prête à s'exercer à ses côtés, bien que le prévenant qu'elle frapperait plus fort si il la contrariait. Tant mieux, se dit Jeff en haussant les épaules, lui adressant un sourire en coin, pas qu'en réalité, il possédait des éléments qui pourraient réellement la mettre en colère, mais au moins, ça changerait de d'habitude, où tout le monde affirmait que les choses allaient bien or que ce n'était pas le cas, s'emmurant dans le silence quand ils ne prétextaient pas être occupés pour entretenir les mensonges dans lesquelles ils se confortaient.

Les deux se mirent en position, avant que le rouquin ne lève les mains de part et d'autre, amorçant un premier jab porté par Elena, rapidement suivi de deux autres, et en fait, l'enchaînement se poursuivit dans ce qui semblait être pour la brune une routine bien huilée, alors que le canadien interceptait les coups, la complimentant ou l'incitant à continuer, jusqu'à ce que les deux se laissent porter par l'adrénaline et que les prochaines manoeuvres se fassent avec méthode et en silence. Si bien que les deux qui, au départ gardaient un contact ou un feeling d'une manière ou d'une autre s'étaient un peu perdus dans leurs exercices, jusqu'à ce que l'impact des coups se nuance, et que leur vivacité l'empêche de les intercepter correctement.  " Hé bien ! T'es en forme aujourd'hui ! " souffla-t-il, rompant peu à peu le silence qui s'était immiscé avant qu'ils ne s'arrêtent tous les deux quelques instants.  " Je n'aimerais pas être la prochaine personne à te mettre en colère ! " plaisanta le geek en la gratifiant d'un clin d’œil.


Il en avait profité pour boire une gorgée d'eau, avant de lui faire à nouveau face.  " Enchaîne, ton énergie est plutôt communicative ! " lui confia-t-il alors qu'il trottinait sur place afin de se remettre en condition, entrechoquant sa patte d'ours avec le gant de sa vis-à-vis afin de l'inciter à continuer. Les premiers jabs furent facilement interceptés, et leur routine reprit  " Qu'est-ce qui te met de si bonne humeur alors ? " lui demanda-t-il avec sérieux, sans même se demander s'il faisait fausse route.  " Il faudrait que je refile le tuyau à Caroline ! ... Quoi que. " est-ce qu'il avait vraiment envie de la voir autant au taquet ? Le prochain coup le secoua un peu, mais il ne l'avait pas volé !

Silencieusement, la grecque se fit un commentaire pour elle-même, aussi certaine que Jeff, qu'elle ne voudrait pas être la prochaine personne qui l'énerverait. Parce que la rage qui l'habitait, celle-là même qui l'étouffait à petit feu, ressemblait à un monstre. Une bête indomptable, blessée, et revancharde. Qui se nourrissait de chaque parcelle encore saine de son âme avec un appétit qui semblait insatiable. Jusqu'à ce qu'il ne reste que de la noirceur. Elle était là, comme une gangrène qui gagnait chaque seconde de plus davantage de terrain. Comme un poison mortel qui glissait entre ses veines, brûlant, anesthésiant sa conscience. Plus le monstre remportait de batailles, plus Elena se sentait disparaître. Dévorée.

Alors chaque coup visait à le faire sortir. Elena voulait le combattre. C'est ce que Walter lui aurait conseillé. Le chasser de son esprit, l'y déloger à force d'une volonté immuable. Mais était-elle encore là ? Ses muscles se contractaient. Se détendaient. Encore et encore. Dans un enchaînement rythmé, acharné. Les gouttelettes de sueur glissaient contre ses tempes. Et sa respiration hachée était plus rauque à mesure qu'elle intensifiait la cadence, tandis que ses cheveux noués, battaient l'air.

Jeff marqua une pause, sans imaginer la frustration dans laquelle il laissa la jeune femme, écarlate et haletante. Ses poings retombèrent mollement contre ses cuisses, et elle le scruta alors qu'il se rafraîchissait.

« Déjà fatigué ? » lança-t-elle à son ami, dans son regard une lueur de défi. « Je savais bien que les Canadiens, ça tenait pas la route. » se moqua-t-elle gentiment, avant de lever les mains, l'air de dire « j'ai rien dit » alors que la rouquin démontrait plutôt son envie de continuer.

Bien. Elle sautilla sur place, avant de reprendre l'entraînement. Jeff réceptionnait bien les coups. Et quand il lui lança l'air de rien ce qui la mettait en joie, la brune eut une seconde d'hésitation, tout juste perceptible. De bonne humeur ? La grecque n'aurait pas pensé que son énergie puisse passer pour une sorte d'enthousiasme. Mais en soit, ce n'était pas plus mal. S'épancher sur ses émotions n'avait jamais été son exercice préféré. Sans doute parce qu'elle était loin d'exceller dans la matière. Aussi, elle haussa les épaules. Sans s'arrêter, elle eut un petit sourire en coin lorsqu'il mentionna Caroline.

« Pas sûr qu'elle en ait vraiment besoin. » commenta la brune. La vétérinaire était plutôt du genre active comme femme. Un tempérament plus fougueux que le sien. Du genre à laisser parler ses sentiments, quand elle en était incapable. « A ce propos, comment elle va ? »  Là, Elena s'arrêta. Elle fit signe à Jeff qu'elle faisait une pause. La première véritable depuis qu'elle avant débuté l'entraînement. Elle se saisit d'une bouteille d'eau, et se posa sur une chaise pour écouter son ami. « Et toi ? Tu dois déjà gérer l'absence de Connor, épauler Caro. Maintenant les expéditions. Tu tiens le coup ? »

Les traits de la jeune femme se détendaient, alors qu'elle s'ouvrait à la conversation. Disposée à entendre son vis-à-vis. Lui apporter tout le soutien dont il pouvait éventuellement avoir besoin.

L'entraînement pouvait alors continuer, et chacun semblait y trouver son compte. C'était un heureux hasard qu'ils aient été dans les conditions propices à participer à cette activité ensemble, ce matin-là. Ce qui était un peu plus malheureux, c'était parce que c'était sans doute à cause du départ de Walter. Néanmoins, force est de constater que le duo avait plutôt une bonne dynamique ! Il ne fut pas vraiment nécessaire qu'ils s'ajustent tous les deux car les choses semblaient se faire assez aisément. Quoi de mieux que de battre le fer ensemble afin de laisser retomber la pression ? Lui aussi en avait sacrément besoin. Et mine de rien, le simple fait d'être son partenaire -et de la charrier à l'occasion- l'éclatait pas mal ! Il était seulement loin de se douter que pour Elena, c'était plus un exutoire qu'autre chose.

Au moins, ils étaient tous deux d'accord sur le fait que Caroline n'avait vraiment pas besoin de ça pour être au taquet, son tempérament naturel se chargeait de le faire pour elle-même, il en avait eu souvent la preuve ! C'est suite à sa remarque pleine d'ironie que Elena jugea bon de s'arrêter afin de faire un break, lui demandant comment sa compagne allait alors qu'elle se désaltérait quelque peu. " Hé bien, ça va ... Elle peut souffler un peu maintenant, tu sais les petits commencent à avoir une petite routine, les malades vont mieux aussi. Alors tout doucement, elle commence à être plus sereine... " déclara-t-il alors qu'il enlevait les pattes d'ours avant de venir s'asseoir sur une chaise, aux côtés de la grecque. Est-ce que lui d'ailleurs était tout aussi serein ? Ou s'efforçait-t-il de s'en convaincre pour soutenir l'élue de son cœur ?

La brune lui renvoya alors la question, le nom de Connor ne tardant pas à se former entre ses lèvres, il devait tant lui manquer à elle aussi. Il y pensait parfois, quand il voyait son prénom à moitié effacé sur le tableau des charges, ou la porte de la chambre qu'ils partageaient auparavant. Pour son interlocutrice, ça devait être encore plus compliqué, tous deux avaient désormais de nouvelles responsabilités, lui les expéditions et elle était devenue co-leader, ce qui en soi était une bonne chose, ça les empêchait de penser à tout ce qui leur manquait. " C'est pas simple tous les jours... Je t'avoue que j'espère que ce petit con compte bien rapporter quelque chose de fort que j'en oublie un peu le gout de l'eau ! " ricana le rouquin avant de boire lui même quelques gorgées. " Pour le reste, c'est une période un peu transitoire, avec le tremblement de terre et tout le reste tu sais ? Ça nous a pris un temps fou pour remettre à jour les cartes, adapter les itinéraires... Les rares expéditions qui s'éloignaient de la périphérie la plus proche n'ont à peine couvert que nos besoins pour les deux prochaines semaines... " se confia-t-il , un peu soucieux , certain qu'il trouverait du soutien auprès de sa vis-à-vis qui était sans doute très bien placée pour savoir ce dont il parlait. " J'aurais sans doute besoin de ton aide, prochainement, mais je te ferais signe hein. " lui confirma-t-il, ne doutant pas de son potentiel, avant de la gratifier d'un clin d’œil. " Et toi, comment tu te sens pour le moment ? Ça faisait un moment qu'on n'avait pas discuté mine de rien. "

« Bien. Je suis contente qu'elle retrouve un peu de tranquillité. Elle en a bien besoin, et elle le mérite vraiment. » sourit la jeune femme après une nouvelle lichée rafraîchissante.

Si Quinn, plus qualifiée dans le domaine, dispensait régulièrement quelques conseils précieux à Caroline, c'était bien la vétérinaire qui avait endossé la responsabilité de l'infirmerie, et qui était en charge des nouveaux-nés, depuis bien avant leur naissance d'ailleurs. Même si la femme avait des épaules solides pour supporter le poids de ses obligations, plus délicates encore maintenant que les hôpitaux s'épuisaient en ressources, elle était comme tout le monde ici, et avait besoin de souffler. D'avantage depuis la disparition de Victoria. A son tour d'entamer le deuil, pour revenir sûrement bien plus forte encore d'ici quelques mois, Elena n'en doutait pas.

Mais Jeff aussi méritait qu'on se préoccupe de lui. A trop soutenir les autres, on oubliait de panser ses propres blessures, et le canadien avait vécu les mêmes expériences traumatisantes que l'ensemble du groupe. Le mieux placé pour l'épauler n'était pas là, cependant... Un souffle s'échappa du nez de la brune qui leva les yeux au ciel à la remarque du rouquin. Les deux partageaient vraiment un lien d'amitié exceptionnel, et la jeune femme admirait la complicité qui les unissait depuis Maple Grove. Ils partageaient tout, le bon comme le mauvais, et ils s'étaient entraidés, s'étaient vus mûrir ensemble.

« Je suis sûre qu'il te ramènera un petit quelque chose pour se faire pardonner. Tant qu'il ne se renoue pas avec ses vieux démons... Personne n'a envie de retrouver le Connor mal rasé et grincheux ! » plaisanta la jeune femme, néanmoins sérieuse à propos des problèmes qu'avait rencontré son compagnon avec l'alcool.

S'il avait assuré en avoir terminé avec ça, la grecque préférait rester méfiante. L'alcool avait la fâcheuse tendance de corrompre l'esprit, de lui susurrer quelques douces mélopées trompeuses pour l'alanguir et l'égarer sur des sentiers obscurs. Les épreuves qu'ils avaient traversé les rendaient plus vulnérables à son influence. Et Connor avait eu son lot de déboires...

« Ouais je sais... » fit-elle, la mine un peu renfrognée lorsque le quarantenaire évoqua les problèmes qu'il rencontrait avec les ravitaillements et qu'elle ne connaissait que trop bien. « Il va falloir élargir encore le périmètre. Au moins pour les ressources médicales et le matériel. Après... On en a discuté un peu avec Axel et Ash, et il va falloir penser à aménager un jardin. L'autosuffisance c'est peut-être un peu utopiste, mais il faudra bien y venir. »

Les premiers temps ne seraient peut-être pas aussi abondants qu'ils l'espéraient, il y aurait beaucoup d'efforts à fournir de la part de chacun ici, mais avec le temps, ils seraient récompensés. L'avenir ne pouvait se limiter à demain. Ils devaient voir plus loin, ailleurs que dans les lieux abandonnés qu'ils ratissaient depuis plusieurs mois.

« Je... Je fais ce que je peux pour m'occuper l'esprit autant que possible. » répondit-t-elle, et elle désigna du regard le sac de frappe accroché. Un moyen parmi d'autres d'évacuer ce qui l'étranglait et de se sentir opérationnelle en cas de nouvel incident. Elle devait rester active, de peur qu'une nouvelle catastrophe ne les frappe si elle s'octroyait du répit. « J'appréhende un peu le retour de Connor pour tout te dire... » avoua la grecque dans un élan d'épanchement, largement inspiré par la tranquillité et l'équilibre que dégageait Jeff. « Il a laissé un camp solide derrière lui, et ce qu'il va retrouver quand il sera là... Un groupe ravagé...» La lassitude et la déception lui glissèrent sur les lèvres dans un soupir. Difficile vie que celle d'un survivant.

Tout le monde aurait bien besoin d'un peu de soutien, de pouvoir se décharger du poids qu'ils avaient sur les épaules, ce n'était pas si simple. Les circonstances n'étaient jamais réellement de leur côté pour leur permettre de souffler, ne restait que leurs rêves. Seule soupape de sécurité pour leur âme, quand les songes leur apportaient suffisamment de repos pour ne pas penser à tous ceux qui n'étaient plus là, où qui se faisaient encore attendre...

Comme Connor, d'ailleurs, Jeff trépignait d'impatience de le voir revenir avec au moins quelques bonnes trouvailles " Ne t'en fais pas, avec la soif que j'ai, il n'en touchera pas une goutte ! " ricana le canadien, réellement impatient de revoir son meilleur ami. Ils devaient pourtant encore élargir le périmètre, Axel, Ashley et la grecque devaient d'ailleurs collectioner pas mal de migraines à se plier en quatre pour subvenir aux besoins de chacun... Ils parlaient même d'amménager un jardin, ce que le rouquin confirma en hochant la tête. " Très bonne idée, si on établit un périmètre suffisamment sécurisé, on pourra même faire quelques plantations à la périphérie... " si ils pouvaient assigner quelques personnes pour effectuer des rondes supplémentaires... Ils auraient de quoi faire assez de soupe pour l'hiver prochain !

Mais parfois, il fallait un peu penser à soi, et à ceux qui gravitaient tout autour. Si Jefferson était venu la voir, ce n'était pas tout à fait par hasard. Il avait remarqué à quel point le comportement de ses trois leaders avaient changé suite à l'exil de Walter. La plus pragmatique des trois s'efforçait d'utiliser au mieux le temps libre dont elle disposait, afin de parfaire son entraînement et évacuer la pression. D'ailleurs, il n'avait pas grand chose à y redire tant il serait sans doute bien contrarié s'il ne pouvait pas se dégourdir les jambes et pratiquer un peu au quotidien. Mais son amie avait peur, au fond d'elle, de voir son compagnon revenir, après tout ce qu'il s'était passé, et finit par l'avouer, puisqu'elle se sentait en confiance.

Un groupe ravagé... Il avait l'impression de voir dans ses yeux les mêmes ténèbres qui s'étaient présentées devant sa route, et dont il avait eu beaucoup de mal à se détourner " Je ... Je comprends ton point de vue, et il est légitime. Mais dis-toi qu'il sera surtout heureux de nous retrouver, étant donné les circonstances... " il ne put toutefois garder son sérieux, la taquinant gentiment. " Et puis, avec tous ces muscles que tu dois te sentir pousser, tu vas leur mettre la pâtée aux zinzins ! " N'est-ce pas ? Il avait peu de doutes à ce sujet, en tout cas. " Tu as raison de ne pas te reposer sur tes lauriers, on a tendance à se convaincre du contraire, mais le monde persiste en dehors du Ranch et de ces bois... " toutes ces rumeurs qui parlaient de factions hostiles, de gentils voyageurs qui se révélaient de malveillants pilleurs... " Mais n'oublie pas pourquoi l'on se bat, depuis le début."  vivre, il n'y avait rien eu de plus important.