Mardi, 24 octobre 2017

Près de deux mois qu'ils étaient arrivés ici, deux mois que le blond avait perdu celui qui comptait le plus et que tout son équilibre s'était vu grandement menacé, jusqu'à ce qu'il en vienne à réellement perdre pied. Sa relation avec Morgan s'était un peu arrangée alors que ce lien encore fragile avec le journaliste était presque devenu du rien. Le plus jeune l'évitait depuis quelques jours, ne faisant qu'accentuer la colère et l'agacement de l'ancien homme d'affaires. Tout ça pour quoi ? Un baiser. Autant dire que parfois, il avait la sale impression d'être revenu en maternelle où chacun avait des attitudes de gosses. Bien trop à fleur de peau, il oscillait entre des moments de rage et de passivité où il laissait simplement les siens faire et agir comme bon leur semblait, trop occupé à contrôler ses propres maux, ceux qui étaient nés des souvenirs et de la souffrance provoquée par la mort d'un être cher. Dire qu'il s'en relevait, qu'il avait réappris à vivre était totalement faux : il ne faisait qu'attendre, attendre de se laisser couler un peu plus chaque jour, jusqu'à finir par ne plus rien ressentir. Et Zack ne ressentait déjà plus la faim, il en venait à devoir gérer de foutues baisses de tension et des vertiges, comme s'il avait besoin de cela en plus du reste. La vérité ? Il s'en contre fichait pas mal. S'il devait mourir il l'accepterait, même s'il tâchait de tirer encore un peu sur la corde pour ne pas laisser Morgan seule ici parce-qu'il le savait : s'il se laissait sombrer pour de bon, elle plongerait avec lui, et c'était inacceptable.

Aujourd'hui encore, le trentenaire aurait aspiré à simplement resté dans sa pièce, faire le tour du pâté de maison quand ç'aurait été son tour et retourner dans la chambre trop silencieuse qui était la sienne. Mais il n'avait eu d'autre choix que de changer ses plans : depuis quelques temps déjà, Rafael lui faisait par de leurs échanges avec ce camp de survivants proche de Des Moines. L'hispanique les avait trouvé quelques jours après leur arrivée à Renton, fin Août, et un accord entre les deux groupes avait rapidement été mis en place. Même mode de fonctionnement qu'à l'accoutumée : les American Dream se présentaient comme alliés, nettoyant les lieux au besoin, en l'échange d'une partie des ressources des concernés. Évidemment, ils avaient menti sur leur nombre afin de ne pas s'exposer en sous nombre face à ce groupe bien plus gros et le leurre avait jusqu'à présent fonctionné. Mais le groupe ne remplissait depuis quelques temps qu'à moitié les termes de l'accord, ne le fournissant que de maigres vivres qui ne leur suffisaient clairement pas pour vivre. Si le blond avait laissé jusqu'alors la gestion de cette entente aux siens, il en arrivait à un stade où sa rage accumulée depuis tous ces mois avait pris le pas sur sa maigre patience. Et on ne prenait pas Atkins pour un con.

L'ancien homme d'affaires avait donc pris la décision de se rendre pour une fois sur place en personne afin de mettre un ultime coup de pression à ce groupe. Accompagné de Morgan, Rafael et Aodhan, ils avaient pris au matin la direction du Sud-Ouest, prêts à rejoindre Des Moines pour environ trois quarts d'heure de trajet. Assis à la place passager du fourgon, il regardait le paysage extérieur défiler sans mot dire, les traits tirés par le manque considérable de sommeil, l'expression toujours aussi vide qu'à l'accoutumée. Vide de toute vie, hormis de cette colère qui l'animait bien trop rapidement depuis qu'ils avaient eu à fuir le phare. Après avoir fait un rapide tour des environs, toujours en voiture, le petit groupe de quatre s'arrêta devant le bâtiment immense dans lequel évoluaient les autres survivants. « On descend » avait-il simplement lancé aux siens, toujours aussi peu bavard depuis leur arrivée à Renton, vérifiant machinalement que ses armes étaient bien à leur place. Desert Eagle et couteau de chasse dans leurs étuis à droite, poing américain bien au fond de la poche de son jean. Bien. Descendant du véhicule, il attendit que les siens en fassent de même pour s'approcher de la prison où quelques survivants faisant leur ronde avaient déjà dû les voir et sans doute alerter ceux qui étaient d'habitude en contact avec eux.

A la une, à la deux, à la trois, c'était reparti pour un tour. Les mois passaient, mais le moral restait ce qu'il était et pour tous. Tout avait été compliqué, prise de tête, mais au moins il y avait eu quelque chose qui n'avait changé dans tout ce qu'ils avaient eu à vivre. Raf avait été en août voir un groupe afin de faire un échange à l'amiable. Et depuis tout été bon, quoique... Plus les semaines passaient moins ils avaient de vivres qui étaient acheminées chez eux et ça c'était compliqué. Morgan avait déjà vu ce groupe, elle avait déjà accompagné le latino là bas. Elle avait mis une barrière sur ses souvenirs de fin août, mais c'était toujours tendu de se rendre là bas. Elle était toujours sur les nerfs de retourner dans cette ville, ça l'angoissait, ça la rendit encore plus agressive, encore plus épidermique. Il ne fallait donc pas la faire chier.

Mais aujourd'hui les choses semblait être différentes, rien que de voir Zack venir avec eux, elle savait que ce serait différent. Plus tendu. Elle savait qu'elle devrait prendre sur elle-même, elle savait qu'elle devrait se montrer solide pour Le soutenir Lui. Elle s'oublierait l'espace d'un temps, elle serait sa béquille. Raf et Aodhan étaient aussi de la partie. Se retrouver avec les deux casses bonbons allait être une super sortie de groupe. La joie des sorties en famille. Mais Morgan n'en voudrait pas vraiment au cadet du quatro s'il la taclait un peu. Elle avait fini par s'y habituer, et tous deux parvenaient à causer certains soirs, sans s'étriper.
Installée à l'arrière dans le fourgon en compagnie du latino, Morgan observait la route d'un air détaché, mais elle ne pouvait s'empêcher de jeter un million et demi de coups d'oeil vers le grand blond. Elle était inquiète pour lui, elle savait ce que ça lui coûtait de se déplacer ici. Elle savait qu'à la moindre incartade ça irait mal pour eux et pour le groupe de merdeux qui leur causait des soucis en ravitaillement.

Morgan ne pipait mot, elle savait quel rôle elle reprendrait à nouveau, celui de la fille silencieuse et qui observe, celui du chien de garde, mais elle savait aussi qu'elle devrait retenir Zack si ce dernier était submergé par l'agacement, la colère. Il était à fleur de peau depuis la perte de Stew. Et sortir lui coûtait en effet.
Lorsque le fourgon se stationna et que l'aîné parla à sa marmaille, elle se redressa et regarda Rafael un court instant avant de sortir de voiture et poser pied à terre. L'air était frais, humide. Il n'allait pas tarder à pleuvoir ça se sentait. Morgan vérifia son port d'arme : couteau, browning : ok.

Le regard de l'ex-barmaid se porta sur la prison et Rafael passa devant. Après tout c'était lui le mieux connu de cette bande. Il les avançait donc avec une certaine détermination, Morgan suivait silencieuse, regardant derrière, par dessus son épaule. Elle adressa un regard au blond, lui intimant de prendre une grande respiration, que tout irait pour le mieux. Même si elle savait que si Lui se déplaçait c'est que les choses allaient être compliquée. Mais qu'importe, l'agacement du blond ne leur tomberait pas sur leur nez à eux. Il serait dirigé vers autrui et Morgan depuis qu'elle connaissait Zack avait toujours adoré sa façon de rembarrer les gens, et d'exiger des choses. Alors c'était presque avec une petite impatience qu'elle avait hâte de voir les sales gueules de ces gueux.

Sortie surprise ! Le professeur avait l'impression d'être de retour au lycée et de découvrir des sorties imprévues. Lui qui avait prévu du calme et bien que nenni ! Il avait été sorti de son habituel repos par un Zack comme à l'habitude grognon, une Morgan qui faisait la gueule et un Raf presque agréable comparé aux deux. Quelle parfaite sortie pour le professeur, lui qui rêvait visiter le cimetière dans cette voiture tout le monde semblait avoir la gueule d'un croque-mort. Comme à l'habitude c'était lui qui conduisait, il était heureux d'être au volant, il ne se forçait pas et il avait l'impression d'être utile au groupe. Certes c'était une utilité minime mais ça lui suffisait à être content de sa place et de ce qu'il faisait. Puis au moins, il pouvait voir du paysage en conduisant, pas besoin de parler même si de toute façon deux des monstres avec lui parlaient autant que le poney de Neil.

On lui avait bel et bien dit le but de la mission, c'était pas surprenant. Il connaissait l'existence de ce groupe depuis que Rafael était revenu avec cette information. Est-ce que ce groupe était intéressant ? Putain que oui, ça les empêchait d'avoir à fouiller tous les recoins de la ville pour récupérer de quoi se contenter. Alors oui, effectivement, c'était de l'esclavagisme mais que pouvait bien y faire le professeur ? Tant que personne ne se faisait tuer, lui, ça lui allait. D'ailleurs il appréciait plutôt ce mode de fonctionnement, certains d'entre eux allaient de temps en temps supprimer quelques rôdeurs et en échange ils étaient gracieusement récompensés. C'était plutôt une paye pour un service, du moins Aodhan le voyait de cette façon et ceci même si le contrat n'avait aucune chance d'être rompu sous peine de massacre.

Le souci il était là : que faire quand des copains refusent de payer ce qu'ils doivent ? Aodhan avait retourné moult fois la question dans sa tête et il n'y avait pas trouvé de réponse. Zack en avait probablement une nuancée, Morgan une plus directe, Rafael il.. en avait une ? L'autre souci était là, ils avaient tous une manière de faire différente et Aodhan n'était pas particulièrement ouvert à l'idée de Morgan et avait une légère crainte des idées que pouvait avoir Zack dans son état actuel. S'il ne s'agissait que de se foutre en l'air en suivant une directive débile Aodhan l'aurait fait mais là on parlait de gens, de gens peut-être de famille voir d'enfants. Certains rétorqueraient peut-être qu'il n'y a pas d'innocent dans ce bas monde mais arracher la carotide d'un enculé qui viole des gamines c'était bien différent que de flinguer des pauvres gens qui n'avaient rien demandé. Dans le premier cas il le ferait autant de fois qu'il le faudrait pour son propre plaisir dans le second cas, il hésiterait probablement un long moment.

Pour une rare fois, il priait réellement pour que ça n'aille pas jusque-là et que Zack puisse se contenir assez pour éviter tout cela puis lorsqu'enfin le véhicule s'arrêta et que le grand blond offrit l'ordre de descendre, le prof s'exécuta sans broncher. Il faisait encore un temps de merde, bon Dieu qu'il détestait l'automne ou l'hiver ou n'importe quelle saison à chier où il pouvait se trouver. Replaçant son couteau dans sa ceinture, il revint quelques instants vers son siège pour se saisir de son pistolet et des chargeurs avant de fermer la portière de la voiture. Il avait pris un chargeur en trop, juste au cas où que quelqu'un oublie le sien et jetant un œil à ces messieurs et cette mademoiselle, il fit signe à qui le voulait en secouant le chargeur. De toute façon les chargeurs c'était comme les miss du bal, tout le monde voulait les avoir pour pouvoir les tirer plus tard.