"Hey, ça va ? Attends, j'vais t'aider." J'me penche vers Calypso. Sa jambe est enroulée dans une atèle, j'lui ramène ses béquilles à portée de mains, la supporte d'un bras sous les siens. Moi c'est surtout au niveau des côtes que ça bloque. Le coup est passé dans le flanc, pas si loin des poumons. Un p'tit miracle qu'on soit encore tous en vie. Alors j'grince un peu des dents, mais c'pour la bonne cause.

On sort de sa chambre pour avancer au ralentis dans le couloir du lycée. Les médicaments ont été distribués dès notre retour, il y a deux jours. Alors les malades sont encore allités mais on commence à voir le bout de ce calvaire.
- J'suis déjà passé sous ses aiguilles, elle gère bien.
- Je sais, j'ai déjà regardé ce qu'elle faisait. Et puis j'aime bien l'idée d'Aodhan." J'ai un petit sourire amusé. Il peut être aussi con que poétique, ce type.
- Moi aussi." Quoi qu'il arrive, et même si on crève, on emportera chacun avec nous un morceau des autres. Le symbole d'une sortie désastreuse, des souffrance et de la tuerie, de la naissance un peu forcée d'une complicité.

J'toque à la porte de la russe et ouvre directement pour nous y engager. Le professeur est déjà là, 'sont en train de discuter. "J'vous ramène l'éclopée !" Taquinerie maladroite mais qui passe étonnamment sans trop d'encombres. Juste un regard plein d'faux reproches. J’assois Calypso sur une chaise, souffle un coup en portant la main à ma propre blessure. Ça tire sur les fils, ces conneries. J'vais m'poser en tailleur par terre près de la caisse en bois qui fait office de table centrale et commence déjà, par réflexe semi-conscient, à assembler quelques miettes de tabac qui traînent sur le bois. "J'espère que t'es fraîche, Roza." A moitié sérieusement. Les tatouages dans un état second, c'est quand même beaucoup plus marrant.

Quelques jours.. une poignée de sable dans un gigantesque sablier.. voilà le temps qui était passé depuis leur retour. L'impression infâme du temps qui ne passe pas était pourtant belle et bien présente. Il la sentait dans chaque fibre de son corps. Puis, il se sentait épier, épier par la mort. Il avait de nouveau tué, il détestait ôter la vie devait-il s'avouer. Tant pis.. Tant pis.. c'était les rares mots qui résonnaient en lui à chaque fois que ses yeux dans le vide repassaient les images. Il n'oubliait jamais le visage des gens qu'il tuait. Il s'était toujours demandé pourquoi mais au fond il le savait : C'était l'image qu'il donnerait lorsque ce serait son tour et Dieu seul savait quand il viendrait. Il espérait vite, il était un survivant et un tueur parmi tant d'autres depuis le début de l'épidémie. Méritait-il plus de vivre qu'un autre ? Que ces motards ? Au fond de lui, il pensait que c'était le cas. Des violeurs et des meurtriers voilà ce qu'ils étaient. Mais était-il différent qu'eux ? Lui, qui se voyait blanc comme la robe de son messie, il venait de prendre encore une autre vie.. une autre création du seigneur. Il était un meurtrier.. pas encore un violeur certes et c'était bien la seule chose à laquelle il se raccrochait pour se maintenir au-dessus d'eux. Il eut une pensée pour les gamines qu'ils avaient ramenées. Pauvres filles.. à leur âge il gambadait dans le vert jardin de ses parents dans sa Louisiane lointaine et elles, elles.. elles étaient comme probablement beaucoup d'autres gamines dans ce monde-là.. Aodhan les voyait encore dans cette espèce d'endroit infâme, en boule de terreur à son entrée.. comme s'il était l'un d'entre eux, comme s'il venait les utiliser comme de vulgaires objets. Ce monde-là, Aodhan n'en voudrait jamais pour ses enfants, il n'en voulait déjà même pas pour lui.

Et c'est pour ça. C'est pour ça qu'il voulait se faire tatouer par Roza, il avait longuement réfléchi à tout cela. Il avait pensé à de nombreux tatouages plus sordides les uns que les autres pendant ces deux jours avant que lui vienne finalement cette idée : Il se marquerait et il marquerait les autres. Ce fut une longue concertation avec lui-même pour trouver ce qui symboliserait chacun d'entre eux. Puis l'idée lui vint comme un éclair de génie : Ils seront les symboles des cartes. Ils étaient tous différents mais ils se complétaient pourtant tous. Roza serait le pique, le symbole de leur conquête, de leur victoire face aux difficultés. Eli serait le losange symbole d'un bouclier, symbole de leur vie qu'il avait sauvée. Calypso serait le cœur, symbole des derniers sentiments humains que les membres du petit groupe. Lui, lui, il serait le trèfle, symbole de la chance, de l'espoir.. Chacun d'entre eux représenteraient ce minuscule petit bout d'humanité qui était pourtant nécessaire aux autres pour survivre.

La suite fut simple : Il fallait en parler, en parler d'abord à Roza qui bien sûr avait été partante d'entrée, dire qu'elle aimait les tatouages était un euphémisme assez incroyable. Puis à Eli qui semblait partant lui aussi et au final à Calypso dans une timidité légère alors que celle-ci souffrait encore de la jambe, la pauvre c'était celle qui devait avoir le plus souffert de cette expédition. Ceci dit, lui aussi, devait-il avouer ressentait de temps en temps des douleurs à la tête là où il avait reçu le coup violent d'un des bikers. Il avait aussi mal à la mâchoire mais il préférait oublier pourquoi tant le goût lui revenait avec la discrétion digne d'un char d'assaut passant au milieu d'une plaine.

Il était le premier à être arrivé, près de la russe il observait celle-ci et son matériel, une pointe de stress dans la voix au moment de la saluer. Il n'aimait pas vraiment les aiguilles et il avait refusé maintes et maintes fois de passer chez un tatoueur avant ce jour-là. Pourtant, c'est en ce jour qu'il le fallait. Il fallait qu'il y passe pour le symbolisme et parce qu'il avait eu l'idée, parce qu'il voulait souffrir un minimum pour ce qu'il avait fait, un moyen d'expier probablement. Puis vint l'arrivée d'Eli aidant Calypso à marcher difficilement. Le professeur laissa le jeune homme s'en occuper, il ne voulait aucunement faire de mal à la jeune femme et puis Eli était bien plus doux que lui ne le serait jamais. Jetant un coup d'œil à Roza quand Eli lui fit la remarque il ne put s'empêcher de sourire et à la fois d'hocher la tête : Effectivement, Roza allait devoir être fraiche pour s'occuper d'eux, se taper une infection en plus de toutes les conneries à cause de sa tête ça ne l'amuserait pas forcément énormément.  

S'isoler, c'était clairement le but de la russe après un massacre pareil. Le besoin de remettre son esprit en ordre se faisait primordial, enfin, encore fallait-il qu'on lui en laisse l'occasion. Ses compagnons de malheur ne partageaient pas son besoin, c'était même tout le contraire, il fallait réunir au plus vite le trio pour marquer le coup contre leurs épidermes respectifs. Impossible de repousser cette idée pour la russe comme il lui était impossible de les rejeter, elle devait être forte, pour eux, pour le camp, pour Cheyenne.

Son antre, la pièce qui servait dans un autre temps de salle de classe - une des plus petites du bâtiment - avait été vidé puis réaménagé. Il y avait des draps qu'on peut facilement comparer à des rideaux d'accrochés au plafond par le biais de simples pointes, ils entouraient tout un coin de la pièce, assez grand, quelques mètres, ça devait être son petit coin torture où elle piquait ses victimes. Comme pour annoncer la couleur, sur le pan de mur juste à côté se trouvait une tonne de feuilles punaisées au mur sans ordre précis, certaines étaient même de travers et il y avait de tous les styles sur ses bouts de papier de tout formats, passant du traditionnel américain, au trash', au comics, au réaliste et même au simple croquis.

Dans un autre coin, un tapis de sol qui faisait office de lit, désordonné avec une couette toute retournée et accompagnée d'un oreiller couvert d'un t-shirt large et noir en guise de taie d'oreiller. Il y avait aussi quelques fringues en bordel éparpillés autour, à savoir, un jean troué, un autre débardeur, un pull zippé et une veste en cuir. On avait également un reste de bougie éteinte et trois bouquins empruntés à Clive qui étaient empilés à côté du lit de luxe, c'était bien la seule chose qui semblait rangée dans ce coin là.

Au milieu de la salle, un petit coin posé, une grosse caisse en bois pour la table basse où trône un cendrier blindé, un paquet de tabac à rouler avec son fidèle zippo, un bloc à dessin, un crayon de bois, une bouteille de whisky et ses deux couteaux fétiches. Autour l'amas de bois on y retrouvait quatre chaises de type scolaire pour y poser les fessiers, du grand luxe quoi. Le plus agréable dans tout ça, c'était que malgré le bordel ambiant, le sol comme l'ensemble de la pièce était propre, de même pour la petite table, y avait juste un peu de poussière par ci par là, rien de bien méchant. L’hygiène de son espace de vie devait être une de ses valeurs première, pour une tatoueuse, l'inverse serait quand même un comble.

La bande de couillons n'allait pas tarder à se pointer, la russe s'activa pour terminer de préparer tout son bordel derrière son rideau blanc. Aodhan fut le premier à entrer et à la rejoindre. Le stress dans sa voix ne passa bien évidement pas inaperçu aux oreilles de la professionnelle, question d'habitude. "Bah alorrrs tu t'chies dessus mon grrrrand ?" Répondit-elle dans un sourire fripon bourré de malice. "Avoue, tu fais ça pourrr Caly ? Tu veux que ça papillonne dans ton bidou, hein ?" Elle en haussa à deux reprises les sourcils, ne serait-ce que pour illustrer ses mots avec la taquinerie d'un clown. "Conseil, mets toi plutôt des chenilles dans le cul, ce sera plus efficace." Ils étaient certes quatre concernés pour se faire encrer, elle était hors sujet et elle le savait, c'était juste pour emmerder un peu le pionnier de cette initiative. Son amie de longue date avait clairement des vues sur lui et la situation l'amusait au plus haut point, autant taquiner, donc. Et qui sait ? En se jouant ainsi de l'humour, l'homme pourrait bien lui faire un aveux croustillant ! DU POTIN D'AMOUREUX !

Pas le temps pour lui de répondre, voilà que les deux derniers faisaient leur entrée. Tirant la langue au prof', elle le bouscula légèrement de l'épaule pour s'extirper de la zone de torture et les dévisager. Caly était vraiment mal au point, c'était moche à voir, Eli, lui, toujours aussi con, c'était bon signe !

"Et comment que je suis frrraîche ! J'espèrrre surrtout que vous, vous êtes chaud !" Se tatouer les uns les autres, ça allait être un vrai défi. "Petit Apérrro d'aborrrd ? J'ai du whisky." Modérément, pas question de se murger pour des débutants, elle seule en aurait le droit ! Elle leur désigna les chaises et posa rapidement son dernière sur l'une d'elle avant de déballer des gobelets en plastique sur la table."J'vous prrréviens d'entrrrée de jeu, perrrsonne me tatoue avant de s'être entrrraîné ! J'ai taxé quelques oranges au self, ça va êtrrre super utile." La peau d'orange était la toile d'exercice du pauvre, de l'apprenti tatoueur qui n'avait pas les moyens d'acheter de la peau synthétique ou même de porc, mieux que rien donc, ça faisait le taff.

"Carrément." Impossible de refuser un verre. "J'fais l'service !" Pour être sûr d'être rincé au plus vite, j'admets. J'attrape la bouteille gracieusement offerte par la russe et dévisse le bouchon d'un geste trop habitué pour un jeune vingtenaire.

C'est qu'il y en a, de la merde à noyer. Les remords s'feront moins entendre quand ils étoufferont leurs petits voix stridentes dans l'alcool.

J'verse des petites doses dans chaque gobelet, en levant d'temps en temps un oeil vers Roza. "Des oranges, sérieux ?" P'tit air dubitatif. Puis bon, pourquoi pas après tout ? Haussement d'épaules. C'est vrai que ça ressemble un peu à de la peau. Avec une bonne dose de cellulite. J'lève le verre qui rejoint les autres, pas de tintement avec le plastique qui rebondit quand on trinque. Pas besoin d'annoncer quoi que ce soit, c'est juste au fait d'être resté en vie. Je descends le mien comme un shoot d'eau tiède et me relève pour m'approcher du matos de la tatoueuse. Les oranges sont entassées dans un petit carton de récup'. J'en prends une et la lance doucement pour la rattraper. Aïe, ouais, c'est vrai que j'douille. "J'ai envie d'tester tout d'suite. Pas qu'j'ai franchement besoin de m’entraîner c'la dit." Petit haussement de sourcils plein de confiance - clairement exagérée - aux trois autres. Les années de dessin seraient un avantage certain pour faire quelque chose de potable, mais j'me doute que c'est pas le même délire de manier les aiguilles et un crayon à papier.

"J'prends quoi ?" J'laisse la russe venir me donner de quoi me lancer, observe avec attention tout ce qu'elle choisit. "Okay... okay." Ça a l'air putain d'compliqué, sérieux. M'enfin. Équipé, j'me ressois sur le bord d'une chaise de classe, tiens fermement l'orange de la main gauche avant d'commencer à tracer deux-trois traits de la droite. Ça m'fait rire un peu bêtement, nerveusement. Au moins, ça fait remonter l'odeur agréable de l'agrume. "Ao, tu voudras t'occuper du mien ?" Faire quatre putain de lignes droites et un truc à peu près symétrique, ça doit être dans les cordes de n'importe quel adulte à peu près déterminé. "J'le vois bien sur le poignet. Vous l'voulez où, vous ?"

La voix et le remarque de la Russe lui avait arraché un sourire, ouais il se chiait dessus un peu, il n'était pas très friand des aiguilles. En fait, il avait vraiment pas mal de soucis pour supporter qu'une seule d'entre elles puisse l'approcher à moins de dix centimètres mais il avait eu l'idée alors il le ferait. Le prof allait juste surement serrer les dents pour supporter au début avant que ça passe et qu'il se mette à mieux supporter l'aiguille. Sur le moment il regrettait un petit peu d'avoir eu une idée aussi stupide mais Roza après tout était une tatoueuse avant tout ce bordel donc elle devait savoir y faire. Puis tant qu'il ne se retrouvait pas avec une vieille infection ou avec de la chair qui tombe des joues ça pouvait aller. Enfin en somme tant qu'elle avait un minimum contrôlé la propreté de ses instruments il ne devait pas y avoir de problème et Aodhan lui faisait confiance là-dessus. Roza pouvait être téméraire mais pas au point de risquer la vie de ses meilleurs amis.. enfin il l'espérait.

S'extirpant de ses pensées, il avait jeté un œil à Roza alors que celle-ci sortait d'on savait où une bouteille de Whisky. Quelle connerie, il commençait déjà à regretter en se disant qu'ils allaient tous finir à rouler sous la table au moment où il faudrait faire les tatouages et même si la Russe supportait bien l'alcool, les origines aidaient bien de l'avis du prof, il n'était pas sûr de vouloir se faire tatouer par quelqu'un d'alcoolisé. Quoique cela pouvait donner des tatouages amusants mais la peur de se retrouver avec un phallus humain quelque part sur le corps et impossible à enlever suffisait à le dissuader de ce potentiel amusement. Il jeta un œil légèrement inquiet face aux gobelets que la russe sortait.. Merde.. elle déconnait vraiment pas. L'envie de fuir vint lui chuchoter à l'oreille mais il n'en fit rien. Il avait encore un minimum de fierté et fuir devant ses potes quand on a proposé une idée c'était légèrement nase comme chose à faire.

La Russe continua son petit charabia en parlant de peau d'orange pour s'exercer à tatouer, mon dieu qu'était-ce donc que cette idée ? Il n'avait jamais entendu parler du fait que les tatoueurs s'entrainaient sur des peaux d'orange. Autant ça lui paraissait complètement fou qu'autant il se doutait qu'au vu du manque de matériel flagrant niveau Emerald Freedom, elle était bien obligé de faire comme elle pouvait. Puis avec un peu de chance elle n'aurait pas pris que la peau et ils auraient le droit à un déjeuner offert par Russian Tatoo avant de se faire charcuter la peau mais d'abord du Whisky ! Saisissant le gobelet sans trop être certain de comment va finir cette "soirée" avec les trois autres, il trinqua comme tout le monde pour faire plaisir à Eli. Le gobelet porté aux lèvres, il se délecta du nectar alcoolisé avant de le remettre sur la table sans avoir tout consommé, il voulait être encore un minimum en bon état avant de commencer par contre quand il douillerait, il savait qu'il pourrait s'occuper de finir la bouteille à lui tout seul.

L'excès de confiance d'Eli qui suivit arracha un grand sourire au professeur, c'était fort probable qu'il ait besoin de s'entrainer et même si apparemment il pensait le contraire, Aodhan préférait qu'il s'entraine tout de même. D'ailleurs, le professeur s'entrainerait lui aussi, il s'imaginait mal tatouer quelqu'un mais bon, il essayerait peut-être quand même. Puis, il voulait faire l'exercice sur les oranges, ça avait l'air relativement amusant pour ce que c'était et bien que ce n'était pas l'occupation du siècle de tatouer des fruits ça l'occuperait avant de passer sur la chaise de torture. Jetant un coup d'œil à Calypso, il récupéra deux oranges pendant qu'Eli commençait son entrainement et traversant la pièce il en offrit une à Calypso pour qu'elle puisse essayer si elle voulait. L'orange à la main, il la fit tourner dans tous les sens pour l'observer tandis qu'Eli lui demandait s'il voulait lui faire son tatouage, la véritable réponse d'Aodhan fut : "Pauvre Fou", celle que sa bouche prononça était simplement : "Pourquoi pas ?" La suite Aodhan n'y avait pas pensé : Où serait son tatouage ?

Il avait plein d'idées à vrai dire. Il avait pensé à sur la main mais ne pas pouvoir l'utiliser le temps que l'encre fasse son boulot lui convenait moyennement à vrai dire. L'autre solution était sur le haut de thorax et ça lui paraissait plus logique, un endroit assez peu voyant mais où le tatouage se remarquerait directement s'il venait à enlever son t-shirt. Bien qu'il faisait un peu trop frais encore pour qu'il pense à le faire. Grattant doucement sa barbe, il répondit en toute simplicité : "Sur le haut du thorax, comme ça j'n'aurais pas besoin de le montrer à tout le monde." Il esquissa un sourire sachant pertinemment que probablement les trois seraient les seuls à voir le tatouage.

Se bourrer la gueule, c'était pas vraiment l'idée de la tatouée qui rangea aussitôt la bouteille une fois les verres servis. Si ils abusaient de ce précieux nectar, la séance tatouage allait terminer en un bain de sang, ou presque, l'alcool n'était vraiment pas le bienvenu pour contrôler les saignements, c'était même tout le contraire. La bouteille maintenant cachée à ses pieds, elle leva son verre pour trinquer avec les zouaves en poussant une petite réplique russe à leur santé.

À peine la première gorgée brûlante d'enfilée qu'il fallait déjà s'agiter ! Frustrant quand l'on sait que toute la saveur du whisky s'exprimait à la deuxième gorgée, quand elle coulait en douceur dans cette gorge tout juste chauffée. "Mais quel impatient !" Forcée, elle dut déjà reposer son verre pour rejoindre le mexicain, monter la machine et lui expliquer son fonctionnement. "Doucement surrr les câbles." Elle n'avait qu'une machine reliée à une batterie de voiture, l'ensemble ne pouvait aller bien loin. Rapprochant alors la chaise du mexicain, elle le laissa s’entraîner pour vite récupérer son verre tout en prêtant attention aux dires des copains, s'étant déjà régalée de leur réaction devant les fruits.

"Le poignet c'est pas mal !" Aussitôt, elle observa les siens et grimaça bien vite, la place était déjà prise. Le haut du thorax, c'était pas mal non plus, elle avait justement une place libre et le côté gauche lui faisait de l'oeil. " Thorrrax aussi du coup ! Sur mon petit cœurr !" Elle avait volontairement adopté une petite voix de princesse pour ironiser sa propre idée et se hâta à saisir son bloc note et un marqueur. Bien vite et avec justesse elle dessina proprement et en une fois le contour d'une carte avec les bords légèrement arrondis. Elle y logea un as de carreau et s'étonna par la même occasion quant à la difficulté de répéter un parfait losange de même taille à main levé, le trèfle n'était pas non plus évident. Allaient-il tous réussir ? "Hum... Vous êtes sûr de vouloirrr tous le fairrre de A à Z ? La rrréalisation prroprre, ça va pas êtrre évident." Son regard se détourna vers Calypso puis vers les garçons. "Je fais les contourrrs et vous ferrrez juste le remplissage des symboles, mieux nan ?" Elle ferait les tracés, et eux le coloriage, en gros, un juste milieu qui pouvait assurer à chacun un résultat convenable. L'apocalypse n'allait pas lui enlever son sens de l'esthétique, non mais ! "J'dis pas que vous êtes nuls ! M'juste que c'est pas si évident de se lancer dans la géométrrrie pourrr un prremier essai d'tatouage. Une ligne de trrravers et c'est tout l'ensemble qui saute, m'vous voyez ?" Calypso pensait comme elle et hocha dans son coin, trouvant dans cette solution proposée une bonne garantie à la clé.