Essaie encore...
bijéí ?
T'es vraiment pas douée pour les accents, sérieux... soupira Isha en levant les yeux au ciel. J't'emmerde chef Powathan. Le principal c'est que je sache le dire, pas avoir l'accent qui va avec !

La nuit de garde avait été longue. Suffisamment longue pour qu'ISha ne se sente pousser des ailes et ne veuille continuer les leçons d'accent dans une langue que plus personne ne parlait aujourd'hui. Elle ne doutait pas que ce serait utile un jour au stade que même Elena s'était mise à l'apprendre avec elle mais tout de même; Lui parler de ça à minuit passée... Au moins avaient-ils passé un bon moment, se réchauffant devant les braises du feu de camp protégé par les blocs de pierre qu'ils avaient récupéré. D'ailleurs, ils seraient certainement restés là jusqu'à l'aube si Quinn n'était pas venu les récupérer pour que le Cheyenne prenne la relève sur la garde de Jolan, lui permettant d'aller vaquer à ses propres occupations, laissant l'amérindienne seule. Et pour une fois, Carmen retrouvait presque le sourire en observant ce petit manège. Elle n'était rentrée de ravitaillement que quelques heures avants, et avait immédiatement rejoint Isha pour son quart. Elle pouvait bien prendre le temps de fumer une cigarette avant d'aller récupérer son fils et dormir avec lui.

Alors, c'est ce qu'elle fit. Allumant une tige en relevant les yeux vers le ciel, les mains posées dans le sol en inspirant une longue bouffée. La chaleur commençait doucement à revenir, et c'en était presque agréable de profiter de cinq minutes sans chercher à s'inquiéter pour la survie de qui que ce soit.
Ce fût un infime craquement dans son dos qui la fit se retourner avec une vivacité presque féline, avant de reconnaître une silhouette qu'elle avait déjà dû voir par le passé. Ce n'était clairement pas une membre du groupe, mais ces épais cheveux bruns et ces yeux clairs ne lui étaient pas inconnus.

Selene ?

Le murmure avait quitté ses lèvres dans un souffle, intrigué de la voir débarquer ici. Et visiblement, en bonne santé qui plus est. En revanche, elle hésitait sur la marche à suivre. Elles s'étaient tout de même battues avant de se séparer en bon termes, et les effusions de sentiments n'étaient clairement pas son style. Et du peu qu'elle la connaissait, nul doute que la jeunette devait se poser la même question...

Tu t'es perdue ? demanda t-elle avec un infime sourire amusé qui naquit au coin de ses lèvres, tirant à nouveau sur sa cigarette en se laissant à nouveau tomber en tailleur à même le sol. C'était donc ça, les deux nouvelles dont parlait Isha et le reste du camp. Au vu de l'heure tardive elle avait préféré attendre qu'aller voir Ashley ou Elena... T'as l'air en forme... nota t-elle presque avec une pointe de sympathie en l'invitant à la rejoindre.

La journée avait été… intense. Après la nuit trop courte dans le camping-car, les discussions avec Elena, Axel, et finalement le reste du camp. Faire connaissance, se présenter, raconter des bribes de son histoire. Quand enfin elle avait pu échapper à l’attention générale, ça avait été pour s’isoler avec Ashley et remuer les souvenirs. Bons comme mauvais. Elles étaient si semblables et si différentes maintenant, comme prisonnière d’une fracture du temps, condamnées à rester des femme-enfants. Pourtant, après toutes ces émotions, la musicienne n’arrivait pas à dormir. Pendant deux heures, elle avait tourné dans le lit gracieusement prêté par les membres du camp, puis s’était levée pour aller marcher.

La nuit était calme. Fraiche. Selene avait remis son jean mais s’était contentée de son tee-shirt. Elle avait envie de pouvoir sentir cet endroit contre sa peau pâle, jusqu’à s’en donner la chair de poule. C’était tellement différent de Gig Harbor et de l’ambiance de la prison. Ce n’était pas la bonne expression, mais elle avait l’impression d’être en vacances à la campagne. La plupart des gens étaient… familliaux, c’était le mot le plus juste. Des pacifistes, des rêveurs, des pères, des mères. Des personnalités globalement très différentes de celles qui peuplaient son refuge.

Peu à peu, ses pas l’avaient menée vers la lueur d’un feu de camp. Elle devina à qui appartenait cette crinière, plus parce qu’elle ne l’avait pas vue de la journée que parce qu’elle l’avait reconnue. Carmen l’entendit quand elle écrasa malencontreusement une branche et se retourna vivement. La musicienne se figea. Ce n’était pas qu’elle avait peur, mais leur dernière rencontre restait un souvenir flou et désagréable. Il s’était passé tellement de chose depuis… un an et demi – environ. Une véritable éternité.

- Je n’arrive pas à dormir, répondit-elle tout simplement, prise de court.

Une petite moue timide plissa les traits de son visage alors qu’elle osait rompre les derniers mètres qui la séparait de la Navarro. C’était vraiment bizarre. Cette sensation de retrouver une vieille alliée alors qu’elles ne s’étaient côtoyées qu’une heure ou deux. Elles avaient des tas de choses en commun néanmoins. Leur ferveur, le fait d’avoir survécu, le fait d’être devenues maman – Selene n’avait pas attendu que la concernée revienne pour apprendre la nouvelle.  

- Hum… plus que la dernière fois qu’on s’est vues, admit la pianiste en s’installa près du feu face à son aînée, je… je suis désolée pour ça, dit-elle à mi-voix après une légère hésitation, c’était pas une période… facile.

Inutile d’entrer dans les détails. Elles savaient toutes les deux de quoi il avait été question et les paroles de Carmen avant qu’elles ne se séparent lui restaient en tête. Ne pas devenir un danger pour les siens… l’amérindienne ne le savait pas, mais c’était justement ce déclic qui avait fait la différence au moment de se confier à William. Elle lui avait parlé pour ne plus représenter une menace, pour réussir à rafistoler ce qui s’était brisé dans sa tête. Au moins un peu.

- Je serai venue te voir avant si j’avais su que tu étais rentrée. On est arrivées la nuit dernière avec Connor et Ashley, résuma-t-elle brièvement.