Ce n'était qu'un cauchemar, un horrible cauchemar duquel elle finirait par s'échapper. Trois jours qu'elle se persuadait que tout ceci n'était qu'un mauvais rêve, ne réalisant pas vraiment qu'elle ne le reverrait plus jamais. Axel ne pouvait pas être mort. Elle refusait d'y croire.

Pour ne pas y penser, Shawna avait passé la plupart de son temps à l'intérieur du ranch, donnant un coup de main pour nettoyer et récurer les marques laissées par l'entrée de la horde. S'occuper pour ne pas se laisser emporter par le chagrin, ne pas sombrer dans la déprime, elle essayait de rester forte. Elle ne pouvait pas se le permettre, pas avec Liam qui avait besoin de sa présence, de ses tendres baisers, de sa voix rassurante... Et surtout, elle ne voulait pas imposer à ses amis, un état de déprime semblable à celui qui l'avait tourmenté pendant des semaines avant leur arrivée au ranch, au commencement de tout ce qu'ils avaient construit ici. Était-ce réellement possible d'y arriver ? La métisse faisait tout son possible pour ne pas craquer. Tous ici souffraient. Carmen avait perdu son meilleur ami, Ashley et Jonathan avait vu leur précieuse petite Hope se faire enlever sous leurs yeux. Megan sauvagement abattue sous les yeux de Finan, Caroline souffrant de l'absence de Jeff'. Caleb, Ludwig, Nola et les autres... Emmenés eux aussi. Et ceux qui n'avaient survécu, Trey, Bateson... Non. Shawna ne pouvait pas se permettre de l'infliger un poids supplémentaire en se laissant dépérir comme elle l'avait fait à son arrivée ici...

Mais comment allait-elle s'en sortir sans Axel ? Jamais elle n'aurait pensé pouvoir le perdre. Lui qui avait toujours su la réconforter, trouver les mots justes pour l'aider à ne pas sombrer. Lui si fort, si important pour ce camp, cette famille qu'il avait réussi à construire. Malgré tous les événements difficiles et cruels qu'ils avaient dû affronter, ils avaient réussi à s'en sortir. Sans lui... Shawna craignait que tout s'effondre, que tout ce qu'ils avaient réussi à bâtir disparaisse...

Assise sur le bord du lit, Shawna venait de coucher Liam. Le petit garçon n'avait pas tardé à s'endormir, aidé par les douces berceuses de sa mère. Et voilà que la jeune maman se retrouvait seule, affreusement seule dans cette chambre. Relevant les yeux vers la porte de la pièce, elle crut un instant voir Axel rentrer après une longue et rude journée. Mais la réalité la rattrapa bien vite. Elle lâcha un soupir las, ravalant un énième sanglot. Plus jamais son compagnon ne passerait cette porte. Fermant les yeux, elle rouvrit les paupières quelques secondes plus tard, laissant alors parcourir son regard sur ce qui l'entourait. Il y avait tellement de souvenirs qui la raccrochait à lui, tellement de détails qui lui rappelait les moments passés avec lui. C'était ici qu'ils avaient échangé leur premier baiser, passer leur première nuit... C'était là, aussi, qu'elle lui avait annoncé qu'ils allaient devenir parents, ici qu'elle avait donné la vie...

Autant de merveilleux moments qui s'étaient subitement transformés en un cauchemar. Elle se sentait mal ici. Tout lui rappeler Axel. Sa guitare posée dans un coin de la pièce, sa pile de livres entassée sur la table de chevet, son blouson qui n'avait pas quitté le fauteuil où il aimait s'installer pour s'occuper de Liam... Sa bague qu'elle portait à présent autour du cou... C'était bien trop difficile pour elle.

Veillant à ce que Liam soit bien endormi, elle sortit de la chambre, informant Isha et Quinn qu'elle allait faire un tour, leur demandant de la prévenir si jamais le petit gars se réveillait. Une fois dehors, elle se dirigea vers l'endroit où il reposait à présent. Le cœur lourd, la gorge nouée. Et alors qu'elle n'était plus qu'à quelques mètres, des éclats de voix se firent entendre. La métisse, aperçut alors l'une des croix voler et retomber devant elle. La jeune femme fronça alors les sourcils. Qui pouvait bien s'en prendre aux tombes de ses amis ? Un instant, elle eut peur que ce soit celle d'Axel, prête à laisser sa colère sortir. Puis lorsqu'elle croisa le regard désolé et rougis de Finan, elle se contenta d'ouvrir la bouche mais fut bien incapable de dire quoi que ce soit, bouleversée par l'état du jeune homme qui semblait noyer son chagrin bouteille à la main.

« Non... Non... C'est rien... Je...  » Son visage se fit alors plus doux, comment pouvait-elle lui en vouloir ? Lui aussi avait perdu quelqu'un de cher ; d'une manière horrible, injuste. Sa colère était compréhensible, et elle ne comptait pas tenir compte de son geste. Gênée, elle osa tout de même un léger sourire, quelque peu forcé... Puis à voix basse, elle reprit. « Je... Je peux revenir plus tard si je dérange... Et... » Que pouvait-elle dire de plus ? L'irlandais avait, tout comme elle, besoin de rendre visite à la personne qui lui manquait. Alors si elle devait attendre pour être seule auprès d'Axel, elle patienterait.

Devait-elle tenir rigueur aux agissements de Finan ? Il était évident que non. Tous deux partageaient le même chagrin, la même peine… La disparition tragique et insupportable d’un proche. « Je… D’accord… Je reste… » Quelques mots bafouillés avec difficulté et qui ne laissaient pas grand doute sur l’état, piteux, dans lequel était la jeune coiffeuse.

Le jeune homme était désolé. A ses mots, Shawna détourna presque honteusement le regard, incapable de prononcer quoi que ce soit. Elle aurait voulu pourtant. Pour le remercier, pour s’excuser à son tour de la mort de son amie. Malheureusement la boule dans sa gorge l’en empêcha. C’était comme ça à chaque fois qu’elle repensait à lui, à leur avenir brisé, à Liam qu’il ne verrait jamais grandir. Le regard rivé sur la tombe de son compagnon, elle finit par fermer les yeux, repensant aux derniers mots qu’il lui avait soufflé. Dans son malheur, elle avait tout de même eu la « chance » de pouvoir rester auprès de lui jusqu’à la fin, de profiter de ces derniers instants pour lui dire au revoir. Finan, lui…

La coiffeuse rouvrit les paupières tout en écoutant les paroles de l’Irlandais. Leurs regards finirent par se croiser, tout aussi rougis et humide l’un que l’autre. Cette fois, elle ne détourna pas les yeux. Les mots du jeune homme la bouleversèrent, lui confirmant qu’il souffrait autant qu’elle, voire même plus peut-être… « Je… Il… Il m’arrive parfois d’avoir l’impression de… De l’apercevoir ou… Ou bien même de l’attendre, persuadée qu’il, qu’il va rentrer d’une minute à… A l’autre… Mais… » Elle savait bien que ce n’était qu’une sensation étrange, un mauvais tour de son esprit chamboulé par tout ce stress, ce chagrin et cette peine qui la tiraillaient depuis ce jour funeste. Elle aurait voulu y croire, dur comme fer, que tout cela n’était qu’un cauchemar, qu’Axel allait revenir. Mais elle avait bien dû se faire à l’idée que ce n’était pas possible, souvent ramenée à la réalité par les pleurs de Liam qui l’empêchait de sombrer. Elle avait encore quelqu’un à qui se rattacher. Son fils sur qui elle devait veiller, son fils qu’elle comptait protéger, son fils qu’elle espérait voir grandir… Dans la crainte du jour où il demanderait qui était son père… Oui, elle avait une raison pour continuer, avancer. Cela prendrait du temps mais elle y arriverait. Finan, lui, n’avait pas tout ça pour l’aider. Il était arrivé avec son amie, la seule personne auquel il était attaché ici.

Et alors que Shawna allait reprendre, pour essayer de le raisonner, de lui faire comprendre que son amie ne l’avait pas abandonnée, le jeune homme se redressa subitement avant de se diriger vers des buissons un peu plus loin.

« Finan ? » Elle le regarda s’éloigner, désemparée. Elle ne voyait rien de plus qu’une touffe d’arbrisseaux sauvages… « Que… Qu’est ce qu’il y a ? »

Voir Finan s’enfiler quelques gorgées d’alcool ne l’enchanta pas vraiment. Malheureusement, la métisse ne pouvait pas lui reprocher cela. Chacun avait sa façon de noyer le chagrin, et si une bouteille de vodka pouvait l’y aider, alors à quoi bon essayer de le raisonner. Ce n’était pas bien, non, mais Shawna n’était pas en état de batailler avec le jeune homme sur le sujet. Elle était là pour Axel, tout comme il était là pour son amie. Alors elle ferait avec, et s’il ressentait le besoin de parler, elle serait là…

Et alors qu’ils venaient d’entamer les discussions, l’attitude de Finan changea brusquement. Sans prévenir, il se leva d’un bond avant de se précipiter à travers les buissons qui les entouraient. Les yeux écarquillés, elle se leva à son tour avant de l’appeler à nouveau. « Finan ? » Pourquoi appelait-il Megan ? Pourquoi venait-il de partir à toute vitesse ? Visiblement, il était en train d’halluciner, et cela ne présageait rien de bon. La coiffeuse resta immobile un instant, quelque peu abasourdie par la réaction du magasinier. Scrutant les alentours des yeux, elle chercha à apercevoir le blond mais il était introuvable. La nuit commençait à tomber et bientôt elle n’y verrait plus rien. « FINAN ??? » Appela-t-elle, plus fort. Mais là encore, personne ne répondit. « Et merde ! » Souffla-t-elle dans un murmure avant de prendre la même direction que son camarade. Avançant entre les arbres, elle accéléra le pas. Bon sang ?! Où était-il ? Elle ne pouvait pas le laisser partir seul…

Progressant encore de quelques mètres, elle finit par percevoir quelques craquements non loin d’elle, puis une voix. « Finan ! Je suis là ! Attends-moi !!! » Elle se mit alors à courir manquant de se cogner contre un arbre à cause de l’obscurité. La peur commençait à la prendre, se balader dans la forêt à la nuit tombante était vraiment une très mauvaise idée… Mais elle ne pouvait pas laisser Finan, pas dans cet état. Puis elle l’entendit hurler, l’appeler à l’aide. Le cœur de la coiffeuse s’emballa, pourquoi criait-il comme ça ?

Elle finit par le trouver, mais les râles qui résonnèrent jusqu’à ses oreilles la figèrent subitement. Non… Pas ça… Elle voulut crier à l’aide mais aucun son ne sortit de sa bouche. Finan se débattait, un de ces monstres l’agrippait et l’empêchait de s’enfuir. Il fallait qu’elle fasse quelque chose, elle n’avait pas le choix. « C’est pas possible… » Tremblante, elle attrapa son couteau à sa ceinture mais ses jambes refusèrent d’avancer, pétrifiée par la peur. Le jeune homme l’appela encore, il ne pourrait pas s’en sortir seul. Elle devait intervenir. Elle l’avait déjà fait, elle en avait déjà tué. Finan avait besoin d’elle.

Face à la détresse de l’Irlandais, elle finit par avancer tant bien que mal dans la pénombre jusqu’à le rejoindre. Là, son regard se figea sur l’horrible créature qui le maintenait prisonnier. Elle hésita, encore. Puis d’un coup, la lame de son arme frappa le crâne de la créature qui relâcha son emprise.

« Finan ?! Tu vas bien ? » Elle pria pour qu’il n’ait pas été mordu… « Finan ? » Ils devaient retourner au ranch, ils ne pouvaient pas rester là…