Le soleil commençait déjà à décliner, la journée était largement entamée, et Donovan avait simplement envie d’aller se laisser mourir dans le canapé mité de la baraque qu’il occupait au district. Il pouvait difficilement l’appeler sa maison parce qu’il s’y sentait pas chez lui, mais en même temps, il était partout et nulle part chez lui. C’était ça, sa vie, et ça lui convenait. Connard solitaire ou grand dépressif caché ? Peut-être un peu des deux, mais au moins ce jour-là, il avait le sentiment du travail accompli, d’une mission menée à bien. Il était revenu quelques minutes à peine d’une expédition de trois jours dans les environs, au programme pas mal de rôdeurs à dégommer. C’était toujours un exercice plaisant, vider les centres commerciaux de leur population digne d’un black Friday mais en plus thriller. Au passage son petit groupe avait pu ramener de quoi bouffer, de quoi boire, bref, la vie était belle.

« J’vais aller voir le chef. » lança-t-il à ses camarades en les libérant de leurs obligations. Ils avaient sans doute à faire, du monde à voir, de son côté qu’avait-il à faire de si urgent à part dire à Ela que tout s’était bien déroulé et qu’il y avait encore quelques endroits à ratisser dans le coin ? Rien. Evy verrait bien qu’il était rentré quand il passerait la porte quelques heures plus tard. Elle croiserait peut-être même Homer ou un autre qui lui confirmerait qu’ils étaient tous là et bien en vie. Une clope au bec, Donnie marcha jusqu’à la baraque de la duchesse, saluant les personnes qu’il croisa sur le chemin.

Trois grands coups sur la porte d’entrée et le tatoué s’invita à l’intérieur.   « Chérie je suis rentré ! » beugla-t-il avant d’éclater de rire, trouvant son chemin jusqu’à la brune. Est-ce qu’il la dérangeait ? Peut-être que oui, mais il s’en fichait et l’israélienne le connaissait assez pour savoir qu’il reverrait pas son planning pour elle. « Hello Ela. » Le tatoué se mit à nouveau à rire avant de reprendre plus sérieusement, le professionnel de la survie prenant la place de l’abruti congénital. « T’as deux minutes ? J’reviens d’une sortie, on a ramené pas mal de trucs, va falloir organiser tout ça dans les réserves, les gars sont en train de décharger. »

Même s’il se tenait loin des décisions et du pouvoir Donovan voulait quand même rester au courant de ce qui se tramait, notamment avec cet autre groupe, celui des bonnasses qu’ils avaient rencontré en mai. Ce serait l’occasion de faire d’une pierre deux coups, un point organisation avec leur représentante ici. Le militaire tira une nouvelle bouffée sur sa clope, se souciant peu de savoir s’il pouvait fumer à l’intérieur ou pas.

Elle l’en priait, qu’il pose son cul ? Pas de problème, Donovan s’étalait déjà sur un des fauteuils, collant ses rangers sur l’angle du bureau à l’opposé. « Tu me connais, j’dis jamais non à un p’tit coup rapide. Un coup à boire hein, vas pas t’imaginer que j’suis là pour autre chose Ela. » Le tatoué éclata de rire, la Duchesse, avec ses manières, allait s’étouffer sans doute. Il la taquinait mais il l’appréciait à Ela, c’était une nana droite dans ses bottes, honnête, elle était coincée et ça la rendait plus drôle dans le fond. L’important pour lui, c’était qu’elle était capable de se sortir les doigts du cul, à défaut d’en déloger le balai qui devait l’empêcher de s’asseoir confortablement.

L’israélienne lui ramena une bouteille, laissée là par Joann. Sacrée Joann, même absente elle veillait sur lui, comme une sœur qu’il aurait bien sauté. « Un Bourbon, pas mal, ça m’étonne pas de Cain, elle a dû laisser ça là dans le cas où t’ais besoin de décompresser. Avec toutes ces responsabilités. » Là il était un brin plus sérieux, ce poste, c’était pas une partie de plaisir et question position dominante, le leadership était pas ce qu’il préférait. Il avait essayé, il avait raté son coup, il avait retrouvé son rôle à lui, plus terre à terre. Débouchant le bourbon Donnie s’en servit un verre, celui posé devant lui, avant de relever ses iris gris vers Amrani.

Un inventaire ? Puis quoi encore il avait une tronche de secrétaire ? Passer sous le bureau c’était pas son délire, il préférait nettement le dessus du bureau. « Ouais, ouais, y’a bien un des troufions qu’a dû noter c’qu’on a ramené. Mais là comme ça à vue de nez, on a ramené une dizaine de conserves en tous genres, dix paquets de céréales dont deux étaient bouffés par des rats dont on les a viré en route, six bouteilles d’eau dont une était percée, on l’a virée aussi et une bonne vieille bouteille de Tequila. » Il avait ménagé le suspense, mais ouais, il avait en tête leurs trouvailles. « Ah on a aussi trouvé un peu de stock médical, j’ai pas le détail mais on l’a déjà embarqué vers le vieux chelou là, Gretel. Y’avait quelques munitions mais pas de quoi foutre du plomb dans le cul d’un chat. » A défaut de le fouetter.

Retirant finalement ses pieds du bureau en époussetant le bois de sa manche, Donnie but le verre de bourbon d’un trait, logeant ses billes sur la brune. « Alors ça se passe comment ? Ken et Barbie te posent pas trop de souci ? » Zack et Morgan, restaient à savoir qui était Barbie et qui était Ken, il laissa ça à l’appréciation d’Ela. Et sa question était sérieux, pour preuve son regard résolu vers l’israélienne. Comment s’en sortait-elle vraiment dans ce nouveau rôle dans ce nouveau camp ?

Bon sang Donovan. Le brun en émit un rire qu’il étouffa un minimum avant de se servir un verre, ses yeux gris dardant sur la brune de l’autre côté du bureau. C’était qu’elle avait un côté sexy en patronne, le genre à faire virer d’un revers le bordel sur le mobilier pour le remplacer par sa silhouette. Pars pas trop loin Donnie. Le tatoué tenta de dresser la liste de tout ce qu’ils avaient pu ramener, tout ce dont il se rappelait dans le détail, pour le reste elle trouverait bien quelqu’un qui pourrait lui faire un joli inventaire bien clair. Enfin, il faudrait qu’elle le fasse, parce que là, Ela lui donnait l’impression de s’en tamponner. Ou alors elle était ultra concentrée, il avait toujours du mal à dire tant l’israélienne montrait peu.

L’évocation de Ken et Barbie sembla pas monter de suite au cerveau. « Merde Ela j’t’ai connue plus réactive. » se moqua-t-il gentiment avant d’écouter sa réponse quant à l’entente avec Ken et ses gens. De son côté il avait pas à s’en plaindre, il avait visité les cuisses de Victoria, picolé en compagnie de Nate et partagé ses clopes avec Will. A son niveau ce groupe en dépit d’un certain côté spécial remplissait sa part du deal. Atkins et elle parlaient le même langage ? Donovan haussa les sourcils en avalant une gorgée de bourbon, il devait bien reconnaître que les deux avaient une certaine rigidité en commun, un côté robotique. Ils devaient se comprendre en parlant en binaire.

« Oh tu sais Ela, l’expérience pour tout le reste, ça peut s’arranger. » Un sourire aux lèvres, Donnie glissa son regard gris dans les billes sombres de la duchesse, laissant planer un vague sous-entendu avant de secouer la tête en riant. « En vrai, si t’as besoin d’aide, pour quoique ce soit, hésite surtout pas. J’me ferai un plaisir de donner un coup de main. » Il avait essayé de rester sérieux, de pas teinter son discours de sous-entendus graveleux, c’était plus fort que lui. En même temps, demander à Donnie de pas tendre de perche face à une bombasse, c’était comme demander au soleil d’être glacé. Ça se tentait, mais le résultat était clairement pas garanti.

Sa langue glissa sur ses lèvres, une nouvelle gorgée de bourbon lui brûla la gorge avant qu’il reprenne plus sérieusement. « T’sais, t’as pas besoin de chercher à changer de façon de faire, si jamais c’était ce que tu faisais, June, Lawrence, Zack et toi, vous êtes différents. T’as atterri là pour une raison, garde ta confiance en toi Ela. T’es pas juste un régal pour les yeux. » Lui, il lui faisait confiance, il pensait évidemment qu’elle gagnerait à relâcher un peu la pression mais Amrani était à sa place là, dans ce rôle, et elle avait juste besoin de trouver comment le tenir en restant elle-même. Comme sur le terrain quand il avait consenti à l’embarquer, c’était parce qu’il avait confiance en ses capacités, elle avait sa façon de faire, mais l’important c’était le résultat. « Tiens en attendant. » Le brun versa un peu plus de bourbon dans le verre et le fit glisser jusqu’à la brune. « Fais-moi le plaisir de goûter ça, Cain l’a laissé pour toi, ça mérite au moins une gorgée. »

« Quoi j’le deviens juste maintenant ? Ca se voit que tu me connais pas aussi bien Ela, sinon tu saurais que la décence, c’est un concept abstrait pour moi … » Le tatoué esquissa un sourire, ce sourire qu’il gardait pour les occasions particulières, son sourire provocateur qui en disait plus long que tous les mots. Ouais, Ela était maquée avec un type qu’il avait considéré comme un pote avant que celui-ci prenne le parti des fausses vérités de Stan, mais ça empêchait pas de jouer non ? Mais bien, au moins l’israélienne entendait son aide, réelle, sincère, derrière les conneries – pas forcément fausses non plus.

Comme ses mots encourageants, Donovan les pensait. Il était persuadé qu’Amrani avait les couilles, figuratives, pour porter ce camp. Elle était froide oui, mais pas autant que June. « Me r’mercies pas, donne-moi juste raison. » Et dieu seul savait combien il aimait pas avoir tort, Donovan pariait jamais sur le mauvais poulain, en fait il pariait pas s’il était pas sûr de gagner, c’était ça son leitmotiv. Mais la brune semblait décidée, fière, sûre d’elle malgré tout. C’était déjà une bonne chose, le genre d’assurance qu’il aimait lire dans son regard, l’assurance de faire bien, de faire mieux, de porter ses couilles figuratives.

Le liquide ambré dans le verre, Donnie poussa ce dernier vers Ela. « Raison de plus, si on profite pas des petits plaisirs de la vie, de c’qui nous reste, alors c’qu’on fait, on le fait pourquoi ? » D’un hochement de tête, le brun l’invita à picoler, allez, juste un verre. Le tatoué éclata de rire en la voyant tousser. « Essaie de boire une piquette sans millésime qui traine depuis trois ans et là tu verras que ce bourbon c’est la meilleure chose qui soit, un délice pour les papilles, un plaisir au bout de la langue. » Est-ce que l’habitude, autrement appelée alcoolisme, l’avait rendu plus tolérant envers les alcools en tout genre ? Sans doute.

Le militaire s’embarrassa pas de son côté, portant le goulot de la bouteille à ses lèvres pour en descendre une gorgée. Son regard gris se releva vers Amrani. « Le lâcher-prise … C’est sans doute la meilleure chose qui puisse arriver, y’a rien de pire que la réserve, les questionnements, les doutes, tu passes à côté d’une chiée de choses … Tu t’ennuies, et l’ennui y’a rien de pire. » Levant la bouteille vers la brune, Donnie fit mine de trinquer avant de descendre une nouvelle gorgée, il avait bâti une bonne tolérance à l’alcool, assez pour pas être miné avec juste ça.

« Pourquoi ça te fait si peur le lâcher-prise ? » demanda-t-il alors en se penchant sur le bureau, avachi, les coudes posés sur le bois brillant, sa tête reposant dans sa main gauche, la droite tenant toujours la bouteille. « T’as pas peur de rater des trucs ? J’veux dire … J’suis pas un modèle, clairement, mais là si j’crève demain, je sais que je regretterai rien, parce que j’ai fait tout ce que je voulais et plus encore. Enfin … non, j’ai pas réussi à dérider Ela Amrani encore, quand j’aurai réussi ça, je pourrai mourir en paix. » Il se foutait gentiment d’elle, clin d’œil et sourire provocateur à l’appui.