Cette soirée était une énorme blague, un sketch de mauvais goût organisé par des agences de pubs minables, et des attachés presse débordés. Frankie ne voyait que cela pour expliquer que tout se casse ridiculement la figure. Comme ce spot qui avait manqué d’écraser la pauvre Kimberly, ou Tiphany, elle se fichait bien de son prénom, réel ou de scène. Mais le pire, la cerise pourrie sur le gâteau périmé, ce fut tout de même ce type qui venait de lui voler une photo. Elle les détestait, les paparazzis mais aussi ses fans qui pensaient plus judicieux de prendre des photos volées plutôt que demander poliment. Parce que contre toutes attentes, Frances MinJi Whitaker, la seule et unique Miracle, était tout à fait disposée à prendre la pose pour la postérité.

A l’intérieur, la musique filant dans l’air lui confirma que les concerts n’avaient pas repris, le DJ avait simplement relancé une playlist tendance. Ils étaient sans doute tous ravis d’être venus assister à un concert pour finalement écouter une version enregistrée du dernier tube de Jennifer Lopez. Perdue dans ses pensées colériques, la brune n’avait pas remarqué l’agent de sécurité qui avait saisi l’appareil photo des mains du photographe. Elle ne le vit que quand il se posta devant elle avec un discours qui lui fit hausser un sourcil. Un sermon et une carte SD ? « Je pense que vous n’avez aucune idée de ce que je veux. » Un sourire faux ponctua ses mots avant qu’elle ne détourne la tête vers le photographe, l’air mauvais.

C’est Linda qui vint poser sa main sur l’épaule de la coréenne, lui adressant un regard à la fois doux et sévère. Cette femme la connaissait presque aussi bien que ses parents et Frankie lui faisait confiance même si elle l’avait menée sur beaucoup de chemins qu’elle jugeait médiocres. Linda lui avait promis la gloire, elle lui avait servie sur un plateau de tubes stéréotypés, elle n’avait pas menti. « Ça va, ça va … je me calme. » Mais le ton de sa voix montrait clairement qu’elle n’était pas calmée, alors la petite blonde à lunettes posa son regard sur le garde du corps qui avait magnifiquement bien fait son travail.

« Vous restez avec elle, je ne voudrais pas qu’elle créé des problèmes. Frankie je vais aller te chercher un thé et un muffin. Reste ici. Sois sage. » La starlette souffla et leva les yeux au ciel, croisant les bras sous sa poitrine. Pour un peu, elle aurait frappé le sol de ses talons hauts. Au lieu de cela, son regard noir, au propre comme au figuré, se posa sur cet agent de sécurité qui avait jugé utile de lui faire une petite morale à la noix. « Merci … ? » souffla-t-elle, ne le pensant qu’à moitié, cherchant à connaître son nom. Comme elle ne savait pas vraiment dire merci, elle pourrait toujours glisser un mot positif à l’attention de son chef. Fait bien son travail, se permet même de juger les actions des uns et des autres.

David. Frankie nota l’information dans un coin de son esprit, ce coin où elle n’allait jamais et qui faisait qu’elle oublierait sans doute son nom dès lors qu’il quitterait son champ de vision. Quoique, question champ de vision, il n’était pas désagréable à regarder celui-ci, ce n’étaient pas le cas de tous ses gardes du corps. La plupart étaient d’ailleurs vieux, très vieux, du genre ancêtres. « J’aurais aussi préféré … Il faut croire qu’ils ne peuvent pas réussir leur recrutement à tous les coups. » Un coup d’œil vers l’armée de gardes du corps qui n’avaient pas été capables de stopper un seul photographe, vraiment pitoyables.

Le brun reprit la parole, alors qu’elle ne lui avait posé aucune question en dehors de son prénom, et encore la coréenne n’avait pas ouvertement posé la question. Qu’est-ce qui dans son attitude lui avait laissé penser qu’elle voulait parler et encore plus qu’elle voulait son avis ? « Je n’aime pas la tequila et je doute qu’elle accepte de me ramener un verre de vin blanc alors … » Linda était un tyran parfois, même si c’était pour son bien, mais un tyran tout de même et la diva n’aimait pas se voir dicter sa conduite. « Peut-être que vous pourriez lui adresser un joli sourire pour la faire changer d’avis et m’obtenir un verre de vin blanc ? » Il était jeune, plutôt charmant, Linda craquerait forcément. Est-ce que c’était laid de vouloir profiter ainsi de l’un comme de l’autre ? Sans doute, mais Frankie s’en fichait comme de sa première scène.

La foule dans la rue non loin de la cour où ils étaient commençait à se densifier, de nouveaux spectateurs qui arrivaient et attendaient en ligne pour pouvoir assister au concert. Certains la remarquèrent et aussitôt le brouhaha de la foule s’intensifia. « Je crois que je préfèrerais rentrer. » Elle n’était pas d’humeur là de suite à se lier avec ses fans, pourtant Miracle n’était pas du genre à les fuir en temps normal. Elle laissa au garde du corps le soin d’ouvrir la porte menant à l’intérieur et de refermer derrière eux, avant de se retourner vers lui.

« Vous êtes quand même super jeune pour ce boulot, la plupart de vos collègues ont sans doute fait la guerre de Vietnam … » Cette histoire la perturbait, jusqu’ici on ne lui avait collé que des vieux croutons, alors voir un type qui devait avoir son âge ou peut-être même moins avec la tête de poupon qu’il se trainait, c’était perturbant. Linda arriva vers eux à ce moment-là, lui tendant sur un plateau un muffin et une tasse de thé fumante. La brune adressa alors un regard à David, c’était le moment de voir s’il était partant pour son plan ou non.

Gueule d’ange avait un avis bien tranché sur ses collègues plus âgés, à la ramasse selon lui et Frankie n’allait pas le contredire, ils avaient laissé ce photographe de pacotille l’approcher. Elle aurait d’ailleurs bien continué d’étaler son avis sur la question en prenant soin de se faire entendre de tous les autres gardes du corps mais la foule grossissante sur la rue toute proche était en train de l’agacer voire de l’angoisser. Aussi, et sans le consulter, plutôt en l’informant, la brune regagna l’intérieur. Le calme était relatif dans le couloir qui menait aux loges en backstage mais elle préférait nettement l’ambiance sonore plutôt que dans la rue vu les capacités de son service de sécurité du soir.

Curieuse de savoir pourquoi un type aussi jeune que lui, du moins en apparence, évoluait dans un milieu où généralement on ne trouvait que des vétérans, des retraités, des démissionnaires d’autres fonctions armées, Frankie avait lancé la question sur le ton de la plaisanterie. Il avait rendu son insigne, démissionnaire donc, soit, elle n’avait pas spécialement envie d’en savoir plus pour l’instant. Ce qui l’intéressait c’était s’il était qualifié, et s’il lui obtiendrait ce verre de vin blanc. Mais au lieu de cela, David précisa qu’il aimait une partie de son boulot, rencontrer des stars pour les anecdotes que cela lui apportait. Si au début la brune allait sourire à ce fait qu’elle pouvait comprendre, la référence directe à sa personne lui fit esquisser un sourire de peste. « Cette anecdote reste à vérifier … » ajouta-t-elle alors que Linda approchait les bras chargés de victuailles dont elle ne voulait pas.

Et que le spectacle commence, David avait implicitement accepté de se lancer dans le défi et s’y mettait déjà. Elle vit bien l’expression de Linda, coquette, minaudant devant le sourire mielleux que le brun lui offrit. Frankie leva les yeux au ciel, c’était tellement facile que c’en était triste. Elle connaissait cette femme mieux que celle-ci ne la connaissait en retour. Le gloussement qui ponctua les dernières paroles de David arracha à la coréenne un sourire moqueur. Linda disparut, remballant avec elle le muffin et le thé, laissant les deux plus jeunes au calme à nouveau.

Un peu trop fait ? « Je pense très sincèrement et objectivement qu’elle n’a pas eu de plus belle occasion de flirter depuis deux ou trois ans. Alors non, vous n’en avez pas trop fait, elle se couchera plus légère ce soir. » C’était mesquin de se moquer ainsi de cette femme qui veillait sur elle dans les méandres du show business, mais Frankie l’appréciait malgré tout, elle était simplement réaliste sur le train de vie de Linda qui accordait tout son temps à sa carrière. Alors flirter et plus si affinité, ça devait un bail que ça ne lui était pas arrivé. « Puis de la part d’un jeune homme plutôt séduisant, ça va vraiment faire sa soirée, elle est déjà en train d’en parler à toute l’équipe. » Un rire moqueur lui échappa en imaginant la blonde virevolter parmi les maquilleuses, les costumières, les ingénieurs son, racontant comment un des agents de sécurité lui avait fait une tonne de compliments tout en surveillant la peste.   « Je vous aurais bien proposé un verre aussi mais … pas pendant le service je suppose. »