Sa pote Romy n’était plus dans l’coin mais ça n’excluait pas totalement les virées au No man’s land ! Dans la mesure où les camps des autres étaient leur fond de commerce et que cet endroit était un repère à chiffe-molles prêtes à balancer leurs semblables pour survivre… la connexion se faisait toute seule. Comme d’habitude, la pigiste avait planqué sa voiture et avait terminé à pied, quitte à attendrir deux-trois crânes à coup de batte sur la route. La routine. Mortellement chiante comme routine. Cette fois, quand elle avait passé les portes de l’entrepôt, il n’y avait pas grand-grand monde. L’effet « belle saison », sans doute. Personne ne préférerait rester enfermé dans un vieil entrepôt qui puait la chiasse quand on pouvait tracer sa route sans crever de froid. Après quelques pas nonchalants à l’intérieur, histoire de jauger les têtes, la pigiste remarqua un petit attroupement de trois gars qui la fixaient en se murmurant des mots doux.

- Un problème ?

Ils ne répondirent pas. Pas tout de suite. Elle eut le temps de jeter un œil à deux autres campements de fortune désertés avant qu’il n’y ait du mouvement à quelques mètres dans son dos. Les cons étaient péniblement en train de se lever, non sans grognement semi-étouffés. Ils avaient tous des barbes hirsutes, sales et grisonnantes. Leurs traits burinés par la survie, les fringues en piteux états, et l’odeur… putain, à côté, un putois c’était du channel n°5.

- Ok, approchez pas plus les gars, j’sens qu’mon nez va s’décrocher d’mon visage, provoqua-t-elle, narquoise.
- T’es pas la bienv’nue ici.
- En vertu d’quoi, ducon ? L’cinquième amendement des va-nu-pieds ?
- T’as…, il y eut un moment de flottement parmi les hommes.
- T’as tué not’ pote, connasse !

Alors là… sincèrement, elle ne se souvenait pas. Enfin, elle avait déjà flingué des gens, c’était dans choses qui arrivaient quand on la titillait un peu trop – mais… elle ne se rappelait pas avoir récemment mis fin à l’existence d’un clodo. Ça aurait dû la marquer pourtant parce que son cadavre aurait certainement senti moins mauvais que sa carcasse de vivant. A moins que… ah. Victoria venait de se repasser le film de son dernier passage dans le coin, et effectivement…

- Aaaaah, v’parlez d’l’autre trou d’uc qu’avait violé ma pote ? Il était vivant quand j’suis part-
- Elle l’avait cherché cette salope, l’interrompit l’un des gars.
- Ça lui changeait quoi ? Elle vendait tout l’temps son cul ici.

Mon dieu. Elle voulait leur péter la gueule. Mais trois pour une, ça faisait beaucoup, non ? Possible que l’autre gars soit effectivement mort de ses blessures – elle lui avait salement refait le portrait – mais de là à penser qu’il avait des amis pour le venger ? Sa batte était coincée dans son sac-à-dos. Le manche en dépassait mais plutôt que de s’en saisir, la pigiste décrocher le piolet mousquetonné à sa ceinture et le serra si fort que les jointures de ses doigts blanchirent.

- Ok les tarlouzes, c’quoi l’histoire, v’voulez qu’j’vous envoie tous rejoindre vot’ copain ? Cracha-t-elle sans se défiler ; ça n’allait certainement pas améliorer les choses…

HRP:

Le piolet faisait son petit effet. Ça se voyait sur les tronches de ces trois trous du cul. L’explication tenait en une probabilité très simple : ils ne s’imaginaient qu’elle allait les trucider de front, à une contre trois – est-ce qu’elle ressemblait à l’autre pimbêche de Black Widow ? Non. Ils se disaient plutôt qu’avec une telle lame crantée, elle en blesserait gravement – voire en tuerait – un avant qu’ils ne l’aient maitrisée. Ni la perspective de la mort, ni celle de la gangrène n’était populaire et aucun des trois connards ne voulait être l’heureux élu. Du coup, Victoria remit une couche de provocation d’un signe de tête ponctuant un :

- Alors ?!
- Sale pute, maugréa le premier.
- Connasse, renchérit le deuxième.

Ce fut à ce moment là que quelqu’un prononça son prénom. Un mec ? Une gonz’ ? Bizarrement, ça ne fit que rendre ses agresseurs plus incertains. L’accrochage qui se profilait semblait finalement bien moins déséquilibré et moins intéressant pour un trio de couilles molles qui approuvaient le fait de d’abuser une femme – et de la cogner au passage. Sur le coup néanmoins, la pigiste ne dit pas grand-chose, parce qu’au fond, elle préférait ne pas en arriver au moment fatidique. Pas par peur, mais surtout parce qu’il y avait quand même de fortes chances de se faire tuer. Tout simplement.

- R’viens pas ici, pouffiasse, cracha un des énergumènes avant de faire volte-face pour s’en aller.

Les deux autres la dévisagèrent d’un air plus mauvais que les pires méchant de télé et se détournèrent également. Ils eurent quand même le temps de voir le majeur dressé de la trentenaire dans leur direction. Peut-être pas son sourire narquois – c’était bien dommage. Sans lâcher son arme, elle s’intéressa alors à l’inconnu(e). Keffieh sur la gueule, capuche rabattue, vêtement larges… pas très facile pour une identification.

- D'solée : si j’t’ai ach’té du shit en 11st grade, j’me rappelle pas d’toi. Et j’en prends plus, j’ai plus 16 ans.

C’était qu’à moitié une blague : après autant d’année dans ce merdier, sans jamais avoir revu l’une de ses anciennes connaissances, elle avait switché toute sa vie d’avant sur « morte ». Du coup, elle était à des années lumières de s’attendre à retrouver une pote – psychologiquement, la connexion ne se faisait pas. Mais rien n’était perdu : au pire, ce serait toujours une personne à dépouiller.