Juliet souffla sur une mèche qui sinuait le long de son visage. Les manches de sa chemise crème remontées, le front moite, elle était penchée au dessus d’une pile de feuilles. L’une d’elles étant un plan qu’elle confectionnait au fur et à mesure. Elle avait grossièrement dessiné la forme de la pièce et s’évertuait à tout scrupuleusement classer. Agacée de ne pas trouver systématiquement ce qu’elle désirait dans la réserve, elle s’était décidée à s’atteler au classement précis de cette dernière. La tâche ne semblait par ailleurs jamais prendre fin, elle ne cessait de découvrir des éléments qui chamboulaient son plan soigneusement établit. Elle vérifiait par la même occasion leur inventaire, ce qui rallongeait sa tâche. Elle avait assuré aux autres membres de la faction qu’elle préférait s’occuper de ce rangement seule. A vrai dire, elle avait peur de laisser sa colère exploser au visage de son partenaire potentiel. A une époque, elle se serait contentée de se laisser simplement guider par ses émotions ; mais aujourd’hui, elle souhaitait plus que tout préserver la cohésion de leur petite famille.

Avec une certaine crainte, elle se remémora pendant un court instant la définition d’un TOC. Une vilaine petite lésion qui se manifestait sous forme d’obsessions répétitives et irrationnelles. Frissonnant, sans lieu d’être, l’étudiante se promit intérieurement qu’elle faisait tout cela pour le bien de la communauté et non pour son petit plaisir vicieux. D’ailleurs je ne ressens pas de plaisir à ranger tout ce bazar. Puis elle fit taire son inquiétude en lui rappelant les quelques 70 000 pensées qui pavaient nos journées. Il doit bien y avoir la moitié qui est fausse, dérangeante et complètement inutile. Secouant doucement la tête, elle se replongea dans son travail.

La blonde extirpa le stylo qui attendait patiemment, coincé entre son oreille et ses cheveux. Délogeant la mine d’un coup sec, elle examina une énième fois son papier. Elle avait d’ores et déjà classé une partie de la pièce, il était temps de s’attaquer à la suite. Elle étudia l’étagère voisine. Son regard fit quelques allers retours entre un carton dont elle n’arrivait pas à deviner le contenu et l’espace potentiel qui devait lui être réservé. Avec un soupir elle se dressa sur la pointe des pieds pour le saisir avec toute la vigueur qu’elle possédait. L’énorme carton semblait peser une tonne, pourtant, elle se rendit compte avec un temps de retard, qu’il ne pesait pas aussi lourd qu’elle l’avait supposé. Déséquilibrée par l’effort soudain, elle chancelât une fraction seconde avant de prendre conscience qu’elle ne parviendrait définitivement pas à retrouver son équilibre.

Yo yo yo:

Y a des jours comme ça où l'on se laisse aller, où on s'enferme dans un petit cocon plein de nostalgie et de bonne humeur ! C'était rare, mais ça arrivait ! Paire de couteaux à sa ceinture, débardeur et panache, la russe déambulait donc dans la prison avec dynamisme et ponctuait certains de ces pas par des petits pas de danses typique des années quatre-vingt mélangés à quelques MoonWalk, du grand n'importe quoi mais y avait néanmoins un bon rythme. Elle était aidée, une paire d'écouteurs sur les oreilles, Gloria Gaynor était à l'honneur et la slave chantait dans sa progression sans pudeur : "Oh no, not I ♫ I will surrrviiiive ! ♪ !" des claquements de doigts, un chant pas trop faux, tout y était ! Elle fit même une pirouette joyeuse alors qu'elle atteignait enfin le camping car. Tapotant alors la porte en rythme, elle se décida à l'ouvrir pour en sortir avec un chalumeau à gaz sorti tout droit d'un garage auto.  "Kept trrying harrd to mend the pieces of my brroken hearrt ! ♫" Ces pas mouvementés l'amenant vers la réserve, elle se coupa une seconde et lança sa main libre dans sa poche pour en zieuter l'écran du MP3 maintenant éteint, malheur, la batterie venait enfin de se vider. Dans un léger soupir, elle releva son museau et croisa le regard de Selene non loin, la cheffe des matons inexpressive au possible ne lui rendit pas même un sourire, rien. La tatouée haussa alors des épaules en guise de réponse à cet échange muet et reprit sa route.

L'air toujours en tête et Selene hors de vue, sa tête basculait à nouveau de gauche à droite et ses épaules suivaient le mouvement jusqu'à ce qu'elle entre dans la fameuse réserve visiblement en chantier. La petite jeune était là, du peu qu'elles se connaissaient, Roza se souvenait particulièrement de sa langue vipère, dans le genre piquante et mordante, elle lui décernait la palme. De là à rester sur son jugement, ce serait un peu dommage, alors, elle se décida à gratter un peu la surface de cette carapace empoisonnée. Furtivement, elle s'avança vers la jeune femme, celle-ci était sur la pointe des pieds et visiblement concentrée dans sa tâche, suffisamment pour ne pas la voir venir. Un peu comme sa chute, elle non plus, elle ne l'avait pas vu venir, la russe également et par réflexe elle laissa retomber au sol son chalumeaux dans un léger vacarme avant de tendre le bras pour retenir le dos de la jeune. Son autre main tatouée se saisit de son avant bras qu'elle agrippa fermement. Son regard se tourna ensuite vers le carton qui gisait au sol et qu'elle n'avait pas pu sauver, mais rien n'en débordait, il devait sans doute être vide, un détail qui amusa grandement la grande brune aux cheveux courts.

"J'ignorrrais que ma beauté était aussi renverrrsante ! Elle la redressa dans un léger rire puis la libéra avant de pointer le réel fautif du doigt. "Et je te coupe tout de suite, ne mets pas ça sur le dos du carrton, il est vide." Ses iris clairs furetèrent ensuite dans la pièce jusqu'à ce qu'elle ne tombe sur la feuille de papier qui ressemblait clairement à un plan pour organiser la pièce. "Hum... On dirrrait que tu as besoin d'un coup de main, ça tombe bien, j'ai besoin de me familiariser avec votre réserve !" Mais c'était qu'elle s'invitait la russe ! Cela n'en restait pas moins justifié, elle et Connor s'efforçaient toujours de ramener du matériel dit utile pour la prison à chaque passage, le ranch n'étant plus vraiment accessible, leurs trouvailles revenaient toujours à ce second foyer. Toit dont elle ignorait encore les besoins autre que ceux concernant les armes et les munitions.

Par réflexe, Juliet avait fermé les yeux. Elle s’attendais au choc brutal du sol, la froideur du béton et peut être un gout métallique dans la bouche. Au lieu de cela, une étreinte chaude et ferme la réceptionna de toute justesse. Un soulagement immense envahit alors la jeune fille, qui, le visage baigné d’une expression de remerciement, se tourna vers son héros. Héros à vrai dire féminin, se rendait-elle compte en rehaussant son regard jusqu’au visage. Elle détailla d’abord ses mains, remonta son regard le long de ses bras, puis ses yeux se posèrent sur le visage familier. Roza. Juliet fronça les sourcils, tout en la laissant déclamer plaisanterie sur plaisanterie. Son expression se chiffonna, elle resta silencieuse. Puis la chose la plus logique qui vint se loger entre ses lèvres fut

Pourquoi tu m’as rattrapée ?

Elle croisa les bras, agacée que ce soit précisément elle qui soit venue à son secours. Leur première et dernière rencontre lui laissait un souvenir amer. Elle avait en tête une jeune femme agressive qui s'était imposée dans leur groupe. Il fallait dire qu'Eli semblait tout faire pour énerver la mère de son enfant. Juliet aurait préféré blâmer Eli pour tous les maux du monde, mais l'attitude de cette femme lui avait déplu. Les bras toujours croisés, une pensée dérangeante vint la titiller alors qu'elle s'était résolue à garder cette attitude désagréable. Une image de son visage faisant une rencontre des plus amicales avec le sol, s’afficha dans un coin de sa tête. Cette pensée s'insinua jusqu'au cœur de ses résolutions, jusqu'à ce que l'étudiante abandonne ce combat contre elle-même. Elle leva les mains en l’air en signe de reddition

Okay on rembobine. Elle s’approcha de Roza, se pencha vers elle et lui apposa une main sur les yeux.
Oublies tout ce qui vient de se passer, lui chuchota-t-elle, la voix empreint d’un air dramatique. Puis elle retira sa main.
Salut Roza, comment tu vas ? Waouh merci de m’avoir rattrapée.

Juliet était fière de ne pas avoir trébuché sur les remerciements. A vrai dire, elle était fière de ne pas avoir agressée sa sauveuse jusqu’au bout, elle lui devait bien ça. Elle lança un regard au carton, le vrai responsable. Elle passa une main dans ses cheveux, quelque peu gênée.

Il était trop haut à mon goût et paraissait complètement plein. Quelle idée de mettre des trucs si haut aussi. Puis Roza changea de sujet au grand soulagement de Juliet


Hmm, tu voudrais m’aider ? Dit-elle suspicieuse.
Tu fais dans le volontariat maintenant ? Tu veux quoi en échange ? Eviter que je me casse le nez est une chose, s’embêter à m’aider une autre. J’ai rien de valeur à échanger.

Elle se détourna de la russe pour se consacrer aux multiples feuilles qui s’entassaient, récupéra le stylos de derrière son oreille et rajouta une précision concernant ce carton vide qui ne servait à rien. Elle s’en empara et l’imbriqua dans une petite pile de cartons vides qu’elle avait fait dans un coin de la pièce. Dans l'idéal elle aurait besoin de Roza pour descendre les cartons et objets qui trainaient sur les étagères du haut, mais son ego lui dictait tout autre chose.

Le ton est fripon, la jeune ne peut s'y tromper et la mimique qui déforme son sourire, soulevant sa pommette gauche ainsi que le coin de ses lèvres est là pour évincer le moindre doute. Peut-être aurait du t-elle insister encore un peu plus sur son humour car la dénommé Juliet ne semble pas apprécier cette parenthèse. La russe s'en gratte la nuque et fronce ses sourcils face à son premier retour. Pourquoi l'a t-elle rattrapée ? Pour éviter qu'elle ne termine avec une belle bosse, l'évidence est là. "Bah..? " Elle réfléchit quelques courtes secondes et remplit par la même occasion ses poumons d'air. La question n'en est pas une, elle ne cherche pas de réponse, ça ressemble plutôt à une pique impulsive. Penchant sa tête sur le côté, l'encrée soupire discrètement et bat aussitôt des cils en dévisageant les mains de son interlocutrice décidée à baisser les armes. Rembobiner ? En voilà une bonne idée, le sifflet de la russe coupé, l'invitation bien trop tentante ne peut être refusée. D'un simple hochement de caboche, elle valide la démarche et laisse la jeune s'approcher pour lui masquer la vue. S'en suit une nouvelle entrée, plus cordiale et amicale. Une expression de satisfaction se dessine rapidement sur le visage opalin de l'ex tatoueuse.

"M'Salut Juliet ! Boarrrf, je t'en prrrie, c'était pas grrand chose." Et elle agite sa main tatouée devant elle pour repousser le sujet au loin comme l'on repousse une mouche agaçante. Cette entrevue avec cette jeune pleine de rebondissements et dont le mode d'emploi échappe encore à son aînée s'annonçait originale avec une entrée pareille. La justification passée, le regard clair de la russe file vers les étagères puis retourne à son interlocutrice dont la suspicion se fait audible. C'est donc ça l'image qu'elle renvoie à la team de matons ? Quelqu'un qui n'agit que par intérêt personnel, dénué de générosité et de gratuité ? Triste à entendre.

"Je n'ai jamais rrrien rrréclamé à ta bande. Je vois pas pourrrrquoi je commencerrrai avec toi." Elle avait aidé Sarah à monter son avant poste en hauteur, elle avait vidé une base militaire avec Selene et Duncan et elle leur faisait don de ce qu'elle trouvait d'utile sur la route. Tout ça pour quoi finalement ? Pour qu'ils se battent à ses côtés contre l'envahisseur, pour augmenter ces chances de victoire et de vengeance. Finalement, il y avait bien un gain et un échange à la clé. "Enfin.. Si. La seule chose que je souhaite en rrretourrr, c'est qu'on puisse compter les uns surrr les autrrres. Un petit bout de ta confiance possède une grrrrande valeurrr à mes yeux et je demande que ça, m'tu vois ?" Sur ses mots, elle laissa la jeune à sa paperasse et ses cartons vides puis s'avança vers les étagères pour commencer à descendre un des cartons difficiles d'atteindre pour Juliet. "T'épauler va aussi m'aider à me fairrre une idée de l'état de votre rréserrrve et des besoins de la prrrison." Elle déposa un lourd carton au sol dans un râle d'effort et le poussa du pied vers la concernée. "Votre conforrrt, votre arrrmement, tout ça, on va pas se mentirrr, c'est que du bonus pourrr moi." Autant jouer cartes sur table, après tout, même la plus noble des actions n'a que pour but de nous satisfaire avant tout à titre personnel. "J'aimerrrai bien te dirrre que je suis là pour fairrre amie-amie, mais c'est vrraiment pas le but prrremier." S'attacher aux vivants, c'était quand même une belle connerie, il aura fallu que les siens s'en retrouvent tous annihiler pour qu'elle le comprenne. "Je vous aide, vous m'aidez à flinguer ces connarrrds, et je reparrrs. C'est aussi simple que ça." Voilà, c'était dit et ça avait le mérite d'être clair. "Ça rrrepousse tes doutes ? La réponse l'inquiétait un peu, aussi, elle s'en retourna vers un autre carton bien perché pour le descendre de son nuage dans un énième râle.