Central Tacoma. Un grand quartier qui, s’il avait été sillonné de nombreuses fois, donnait l’impression d’être inépuisable. C’était dingue de se rendre compte comme les villes étaient grandes et agglomérées lorsqu’on était plus que des dizaines sur le territoire de millions. Du coup, alors qu’ils chargeaient leur véhicule garé près du Franklin Park, Selene se trouva étonnement satisfaite de la quantité de ressources alimentaires qu’elle avait déniché avec son binôme.

Ils étaient plusieurs petites équipes dispersées dans un vaste rayon autour de leur refuge et aujourd’hui, elle était accompagnée par Aaron. Le ravitaillement s’était transformé au fil des années, surtout quand on cherchait de la nourriture : avant, on entrait, on ouvrait les placards, on partait. Désormais, tout ce qui était « visible » avait forcément été volé. Il fallait donc explorer les ruines les plus inquiétantes, les sous-sols condamnés, les greniers qui menaçaient de s’effondrer, sans oublier les paquets de chips oubliés parfois dans une table de chevet ou entre deux dossiers sur un bureau.

Ils avaient bien bossé toute la matinée mais avaient encore quelques heures avant le point de rendez-vous donné avec les autres. Sans doute avaient-ils eu un peu de chance – tous les raids n’étaient pas aussi gratifiés, malheureusement. La pianiste avait chaud. Elle retira son gilet de laine pour se mettre en débardeur et décolla de son cou humide les mèches de cheveux qui s’y étaient collées. La brise fraîche faisait extrêmement de bien.

- Bon… tu voulais faire de la guitare, non ? Demanda-t-elle à son aîné alors qu’ils fermaient le coffre de leur voiture, on a été plutôt efficace et je suis du genre à croire que la chance a ses limites, alors… tu voudrais qu’on se mette en quête d’un instrument ? Elle croisa les bras et désigna vaguement d’un signe de tête tout le pâté de maison qui s’étendait à l’infini, avoir une guitare pour une famille occidentale moyenne ou aisée, c’est quasiment aussi courant que d’avoir un chien. Je suis sûre qu’on peut en trouver une dans une de ces baraques…

Ses yeux bleus suivirent ses paroles pour se fixer sur les pavillons tristement endommagés par des années d’abandon. Tout ce qu’il fallait espérer, c’était que les dites guitares aient résisté aux cruautés du temps. Comme tous les instruments en bois, ils bougeaient et n’aimaient ni l’humidité, ni les changement de température, ni les chocs, ni l’immobilité. Trouver une guitare, ce serait simple. Mais trouver une guitare utilisable ?

WE'RE MADE OF MUSIC. with @Selene Sweetnam
27 Mai 2019  

Cela fait plusieurs mois qu’Aaron fait parti du camp. Ayant prit ses marques, l’australien se retrouve très souvent dehors, l’endroit qu’il aime le plus dans ce monde malgré les dangers qui peuvent s’y trouver. Avec le temps, le blond connaît plus ou moins les mécaniques de chacun, car c’est toujours la même chose. Se faisant très distant avec les habitants, il n’en reste pas moins observateur. Peu à peu, le blond s’était ouvert aux autres, et notamment envers Selene : la chef de la sécurité. Pourquoi ? Parce qu’il aimait sa façon d’être, son courage et sa détermination.

Ce jour-là, ensemble, ils font du très bon boulot. En effet, ils réussissent à trouver un bon nombre de vivre dans leur quartier auquel ils étaient assignés. Coup de chance, ou réel talent, les faits étaient là. Refermant le coffre de la voiture, Aaron lance un regard vers Sweetnam. Cette dernière, ayant chaud, se met en débardeur, puis lui demande s’il ne veut pas trouver une guitare. Hawkins affiche un léger sourire, car elle n’a pas oublié, loin de là, son goût nouveau pour cet instrument. En effet, nouvelle lubie, l’homme avait cette envie d’appendre à jouer de la guitare : quelque chose qui ne disparaît pas, le langage de tous.

« Bien sûr que j’en veux une. » s’exclame-t-il avant de se tourner vers les derniers bâtiments encore debout. C’est vrai qu’avec ce temps et cette activité, Aaron se dit que ce n’est pas forcément une mauvaise idée de se mettre plus à l’aise. C’est pourquoi, rapidement, il enlève sa veste qu’il balance à l’arrière du véhicule pour rester qu’en simple t-shirt. Malgré les années d’apocalypse, et ce manque de nourriture, l’homme est resté en forme, toujours aussi musclé, et ce t-shirt le montre bien. « Je suis moins optimiste que toi sur ce coup-là, mais je te suis. Qui ne tente rien à rien, comme on dit. » dit-il avant d’attraper son arbalète.

Il avance doucement alors vers l’endroit que Selene a choisi : le dernier pâté de maison qui est à côté d’eux. Même s’ils ont fait la moitié du quartier sans problème, le danger peut-être derrière chaque porte. On ne sait jamais. Arbalète en main, Aaron s’arrête soudainement avant de se retourner vers la jeune femme. Il la regarde, et constate qu’elle a le visage un peu fatigué. Il fronce les sourcils, puis lui tend son arbalète : « Et toi, tu n’avais pas envie de renouer avec ça ? » soumet-il avant de lui faire un signe de la tête derrière elle. En effet, un rôdeur solitaire se trouve à une distance adéquate pour que Selene fasse de lui sa proie.

N’ayant plus son arme principale, Aaron sort son couteau de survie. C’est un couteau qui a transpercé beaucoup de rôdeurs, mais également de nombreux humains. Il regarde autour de lui, et le danger n’est pas présent. La question est de savoir si ils réussiront à trouver ce qu’ils recherchent. Mais avant, il lève les sourcils vers la jeune femme qui semble un peu mal à l’aise avec l’arme, comme si elle ne savait plus s’en servir. Cependant, un sourire s’affiche sur son visage, ce qui rend Hawkins satisfait, pour le moment. « Je veux cent points de dégâts sur cette cible. » balance-t-il, en montrant le rôdeur, amusé par la situation.

Pour qu’Aaron prête son arbalète à une personne, c’est qu’il doit apprécié cette dernière, et surtout, lui faire profondément confiance. Cela doit être le cas avec Selene qu’il respecte beaucoup malgré son jeune âge et son statut au sein du camp.

La musicienne repassa les anses de son sac-à-dos sur ses épaules graciles et se mit en route. En termes de pavillon à visiter, ils avaient l’embarras du choix. La répartie de son partenaire lui valut un petit rire ainsi qu’une œillade amusée :

- Ce serait bien la première fois que je suis la plus optimiste d’une conversation.

La jeune femme était plutôt connue pour son pessimisme – quand on ne parlait pas de paranoïa. Elle ne s’en rendait pas compte, mais elle était effectivement un peu pâlotte. Comme deux ans auparavant, les premières semaines de grossesse lui siphonnaient complètement ses réserves en énergie. La raison aurait voulu qu’elle reste se reposer au campement mais ça… plus personne n’essayait de le lui faire entendre. De toute façon, les seuls au courant de sa condition se limitaient aux anciens de la prison et elle savait que dans ce genre de situation, ils tiendraient leur langue.

- Hum ? Fit-elle alors qu’il lui tendait l’arbalète, sérieux ?

Selene ne dirait pas qu’elle était proche d’Aaron, mais elle savait que cette arme lui tenait beaucoup à cœur. Il ne la lui prêterait pas s’il ne lui faisait pas un minimum confiance. Si elle le dissimula derrière les miroirs froids de son regard ordinaire, elle était touchée. Ses mains ivoirines se refermèrent sur l’engin qui lui fit d’emblée comprendre que c’était un autre niveau que celle qu’elle avait possédé. Elle mit quelques longues secondes à la soupeser, tester sa position, repérer les différents éléments. Après tout ce temps, elle avait perdu l’habitude.

- La mienne était plus petite, expliqua-t-elle la pianiste en avisant le mordeur que son aîné avait désigné, je crois que c’était un modèle assez facile à utiliser.

En témoignaient d’ailleurs la fragilité des matériaux qui, s’ils étaient plus légers, étaient aussi plus fragiles. Résultat, les poulies s’étaient cassées après moins de dix-huit mois d’utilisation. Malgré l’ingéniosité d’Andrea, ils n’avaient pas pu retrouver les pièces parfaitement adaptées pour la réparation. Comme de toute façon, Selene n’avait plus que deux carreaux opérationnels… elle avait lâché l’affaire. Au final, les balles de 9 mm étaient plus bruyantes mais largement plus facile à trouver.

- Cent point, c’était ça, pas vrai ?

Elle venait de faire son essai. Le recul avait sévèrement secoué son épaule et elle avait mal anticipé la force de la déviation. Résultat, le projectile s’était empalé dans la poitrine du rôdeur au lieu de sa tête. La puissance du choc l’avait projeté au sol mais, bien évidemment, il n’était pas mort. Pas pour de vrai. La musicienne fit une grimace qui contrastait avec sa volonté de suivre la plaisanterie d’Aaron : elle détestait s’amuser au détriment des charognes. Question de principe. Histoire d’abréger la condition de sa « cible », elle encastra son pied dans l’étrier prévu à cet effet afin de pouvoir retendre la corde, sauf que…

- Oh la vache, la mienne était carrément plus facile à recharger, se plaignit-elle en se torturant les muscles pour parvenir à ses fins.

L’effort l’avait fait rougir. Selene souffla bruyamment en secouant ses doigts endoloris et se remit en position. Maintenant qu’elle savait à quel point l’arme dégageait, elle allait pouvoir ajuster son tir. Calmement, ses yeux glacier s’alignèrent avec l’encoche de visée, elle tempéra sa respiration et… CHAK !. Cette fois, le carreau se planta profondément dans le crâne du cadavre, qui s’effondra définitivement.

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27 Mai 2019  

Avec le temps, Aaron avait appris à être moins perfectionniste. Dans l’ensemble, ce monde ne correspondait pas à ce genre de personne. A l’époque, Hawkins aimait avoir le total contrôle sur ce qu’il faisait, que ce soit à son travail ou encore dans sa vie privée. En fait, quand il voulait faire quelque chose, il faisait à sa façon sans vraiment prendre l’avis des autres. Sa femme, son frère, ils comptaient beaucoup pour lui, mais son caractère pouvait le rendre détestable à souhait. Aujourd’hui, les choses ne sont plus les mêmes.

Rien est carré comme Hawkins voudrait, mais par habitude, il s’y fait, se disant que de toute façon, c’était ainsi et pas autrement. C’est pourquoi, il préférait se laisser porter par le vent. Cette sortie avec Selene était bénéfique pour lui, car il pouvait se ressourcé d’un camp qu’il connaît que trop bien malgré ses quelques mois de présence. Aaron n’était pas du genre à rester en place, que ce soit dans son ancienne vue ou celle-ci. Avec les Monarchy Springs, sa faction disparue, il n’était jamais rester très longtemps en même endroit. Il se posait d’ailleurs quelques questions à ce sujet bien qu’en y réfléchissant à tête reposée, son intégration était plutôt bonne, et il ne se voyait pas dans un départ prématuré.

« Je sais qu’il y a très peu de chances que nous trouvions ce que nous voulons. »

Aaron n’était pas défaitiste, juste un peu. Par expérience, il savait que les chances de trouver son graal été mince. Il en avait fait la mince expérience auparavant.

« Oui, sérieux. J’ai cru comprendre que tu aimais particulièrement cette arme alors… Pourquoi pas me montrer si tu sais t’en servir à bon escient ? » expliqua-t-il avant de voir son arbalète partir dans les mains de Selene. Hawkins avait cette gentillesse incarnée en lui que personne ne pouvait lui reprochée. Il savait faire la part des choses, mais quand il s’agissait de faire plaisir aux autres, il était là. S’il n’avait pas fait les choses correctement avant, il essayait de les faire mieux maintenant. De plus, et parce qu’elle avait un profil atypique, Aaron avait envie de faire plaisir à Selene tout en lui montrant sa confiance, en elle.

« Oui, il y a beaucoup de modèles différents en effet. J’imagine que tu n’aurais jamais pu porte cette arme pendant de nombreuses heures de survie. » expliqua-t-il avant de prendre du recul. Il regarda les alentours tout en restant attentif à Sweetnam. Elle avait les bases, mais montrait des signes de faiblesses quant à la prise en main de cette nouvelle arme.

La première tentative fût un échec, car elle avait touché la poitrine. Aaron se dirigea petit à petit vers la cible de sa compatriote. Cette dernière semblait en lutte pour recharger son arme. Hawkins la regarda. Malgré son petit gabarit, la jeune femme était plutôt forte dans son genre. D’un geste assez peu inapproprié, mais efficace, elle venait de recharger l’arbalète. Aaron afficha un léger sourire avant qu’elle ne touche sa cible, cette fois-ci à la tête : un succès.

« Yes ! Tu as réussi. » s’écria-t-il avant de poursuivre son chemin vers le cadavre. « Rôdeur 0. Sweetnam 1. » ajouta-t-il avant de reprendre les carreaux dans le corps du rôdeur. Pour lui, récupérer ses munitions, c’était comme survivre encore un peu plus longtemps à ce monde, car oui, c’est bel et bien le cas. Si les balles disparaissent au fur et à mesure du temps, c’est également le cas pour toutes les autres munitions des autres armes. Alors, si Aaron peut conservé un maximum ses carreaux, il le faisait, car il sait pertinemment qu’un jour, l’un d’entre eux lui sauvera la vie. Un détail, qui fait toute la différence.

« Très important. » expliqua-t-il avant de montrer ses carreaux à Selene. Il finit par rejoindre sa compatriote. Il lui tend les carreaux, puis à défaut de reprendre son arme, il décide d’avancer. « Maintenant que je sais ce que tu vaux avec mon arme dans tes mains, on peut essayer de trouver cette foutue guitare. »

C’est ainsi qu’Aaron avance, puis pénètre dans le premier bâtiment. Couteau de survie dans une main, il pousse délicatement la porte d’entrée avec sa seconde. Cet endroit n’est que très peu éclairé. C’est pourquoi, Hawkins décide de prendre sa lampe torche afin d’y voir plus clair. A l’intérieur, quelques cadavres sont présent, mais semble être là depuis plusieurs semaines. Le blond fait un tour rapide de la bâtisse avant de revenir vers l’entrée ou se trouve Selene. « Ce n’est pas ici que nous allons trouver ce qu’il faut. » dit-il avant de jeter un œil sur la jeune femme.

- Je sais, rappela patiemment la musicienne au trentenaire qui lui signalait que récupérer les carreaux était importants, merci.

Une foule de souvenirs venait avec le fait de regoûter à la sensation de l’arbalète. Une autre vie, celle avant le fort et avant la prison. Celle où Gabriel était encore là, Abigail et Bobby aussi. Perdue dans ses songes mélancoliques, la pianiste sombra dans le mutisme en suivant les pas d’Aaron vers une première maison. Elle était délabrée et obscure, comme la plupart de celles qu’ils pouvaient voir dans la rue d’un de ces quartiers à la Desesperate housewives. Le temps que son partenaire fasse un tour rapide, elle montait la garde à l’entrée, prête à empaler le premier cadavre mobile qui s’aventurerait jusqu’à eux. Le retour bredouille de son complice invita un léger sourire sur ses lèvres pâles.

- Ça aurait été trop beau de réussir du premier coup.

Elle haussa les épaules : ce n’était pas les maisons à explorer qui manquait dans le coin. Reprenant sa marche, Selene savoura la brise qui rafraîchit sa peau encore moite de sueur. A la lueur grise du jour à jamais terne de Washington, certaines de ses cicatrices brillaient sur sa chair ivoirine. Autant de témoins d’une survie difficile. Elle n’y faisait plus attention désormais, son esprit était de toute façon focalisé sur la parenthèse du moment :

- Je t’ai déjà dit que j’ai un kalimba au fait ? Eli me l’a offert pour euh… mon anniversaire, elle eut soudainement l’impression que ces mots étaient ridicules : quelle valeur avaient les anniversaires désormais ? c’était pendant ma grossesse, précisa-t-elle comme une excuse, je l’ai pas mal usé, je crois que certaines lames sont tordues pour toujours, mais… ce sera peut-être plus évident de te le prêter que de trouver une guitare.

La musicienne lui jeta une œillade amusée mais s’intéressa tout de même au pavillon voisin. La pelouse était infestée par de hautes mauvaises herbes qui lui montaient presque jusqu’à la taille. La porte d’entrée pendait sur ses gonds, une large pan de tissu – sans doute un rideau – pendait depuis le toit et se gonflait au gré une vent, tel une voile fantomatique.

- Je me posais une question…, reprit-elle lentement, son timbre feutré, tu n’es pas obligée de répondre, ses yeux d’un bleu clair intense cherchèrent brièvement les yeux, qu’il sente qu’elle ne souhaitait réellement pas embarquer sur un sujet qui ne lui plaisait pas, le foulard à ton poignet. Je ne t’ai jamais demandé, mais tu l’as tout le temps. Il signifie quoi ? Une petite moue timide plia ses lèvres fines et esquissa ses fossettes, tu n’es pas obligé de répondre, répéta-t-elle.

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27 Mai 2019  

Selene. Aaron. Deux générations différentes. Que ce soit dans les âges ou encore dans l’histoire du camp. Aaron avait vécu le majeur parti de son temps avec son frère et sa beau-sœur, à la recherche de sa femme. Ils avaient arpenté de nombreuses villes, et connu moult rencontres et problèmes. Selene, finalement, Hawkins n’avait eu que de légers échos concernant son histoire passée. Il savait pertinemment qu’elle venait d’un autre groupe avec quelques uns après avoir fait une guerre sans merci avec d’autres. Il savait qu’elle avait perdu des êtres chers, bien plus que lui sûrement, mais n’osait pas vraiment aborder les choses. Et puis, après tout, cela servirait à quoi de ressasser le passé ? Il doit rester là ou il est, malheureusement.

Aaron fouille la première maison. Hélas, il ne trouve pas grand-chose mis à part des débris et autres objets qui ne lui sont pas utiles. En tous cas, pas de guitare. Il quitte alors la maison, et voit que la jeune femme affiche un léger sourire, lui mentionnant que cela aurait été trop beau de réussir du premier coup. « Ce n’était pas toi qui été optimiste il y a deux secondes ? » dit-il avant de sourire. Dans la vie, il faut l’être, optimiste, mais là… cela aurait été du même acabit que gagner au loto.

Soudain, alors qu’ils marchent silencieusement et doucement, Selene vient à discuter mentionnant l’un de ses cadeaux d’anniversaire. C’est vrai qu’à l’heure d’aujourd’hui, cela peut paraître insignifiant. « Non, je ne savais pas. Je crois même que j’en ai jamais vu. » dit-il avant de se dire qu’il n’aurait peut-être pas du dire la fin de sa phrase afin de ne pas passer pour un idiot. « C’était quand ton anniversaire ? » ajoute-t-il pour rebondir. Cela n’importe plus dans ce monde, mais c’est toujours important de garder un peu de passé lumineux dans ce présent sombre.

Aaron ne rétorqua pas quant à l’idée qu’elle puisse lui prêter cet objet. Ensemble, ils pénètrent dans une autre maison. Toujours la même histoire. Toujours la même vision. Aaron semble prêt à y aller quand Selene lui pose une question. Il s’arrête. Cette dernière vient à lui parler de son foulard qu’il porte autour du poignet. Hawkins hésite, fait quelques pas vers la maison, puis s’arrête de nouveau. « Il représente mon ancienne vie. » balance-t-il, simplement. Et oui, Hawkins est la conversation de son passé, ça fait quatre. Pour qu’elle en apprenne plus, Selene va devoir faire preuve de persévérance.

Ils entrent dans la maison. Elle possède un étage.C’est assez obscure, alors le blond allume sa lampe torche. Il n’y a pas de guitare dans le salon. Hawkins va jeter un œil dans la cuisine histoire de. Après tout, puisqu’ils sont là, autant regarder s’il n’y a pas de vivres potables. « Et toi, d’où proviennent tes cicatrices ? » dit-il, comme ça, comme s’il parlait d’un tout autre sujet. C’est à son tour de poser une question sur un sujet sûrement sensible. Heureusement Sweetnam, l’australien ne peut pas voir son visage, car l’obscurité ne lui permet pas. Sans vraiment arrêter ses recherches, Aaron attend la réponse de Selene, impatient.

- Le 13 septembre.

C’était ce qu’elle lui avait répondu à propos de son anniversaire, mais le sujet n’était déjà plus là. La musicienne compris qu’elle avait empiété sur un territoire miné en entendant la réponse fermée de son partenaire. Scrutant avec lui les ruines d’une nouvelle maison, elle fit mine de rester détachée alors que son cœur se serrait légèrement. Elle était comme ça : elle absorbait le malheur des autres à s’en faire mal. Son empathie était un poison.

Les lèvres pincées, Selene imita son aîné en allumant sa torche. Rien dans le salon. Elle n’était pas très optimiste l’idée de trouver des vivres convenables – et encore moins une guitare – dans la cuisine, mais elle suivi Aaron. Celui-ci profita de son mutisme pour lui retourner l’interrogation indiscrète. Instinctivement, une main de la jeune femme se porta à celle qui ornait son cou, mais il n’y en avait bien d’autres. Visibles et invisibles. Avec le débardeur, il avait pu voir une partie de la pire d’entre elle : le « A D » gravé dans sa chair au niveau de son plexus.

- Ce sont toutes les fois où j’ai dû me battre pour rester en vie, résuma-t-elle.

Toutes ces mauvaises rencontres, imprimées sur elle comme des post-it. Elle avait pris tellement de coups… mais en avait donné aussi. Aussi gracile pouvait-elle avoir l’air, arracher sa survie dans la souffrance, c’était quelque chose qu’elle faisait depuis le début. Et il y avait eu la torture, ces longs jours sous le joug du groupe de Jonah qu’elle s’était efforcée d’oublier. Aujourd’hui, ça paraissait déjà n’être qu’un cauchemar trop réel dont elle avait pu se réveiller grâce à ses amis.

Les sujets sensibles étaient visiblement compliqués à aborder pour tous les deux. Le reste de la visite se fit sans confidence et ils ressortirent une fois de plus bredouille. Selene ne se décourageait pas : statistiquement, plus ils échouaient, plus ils avaient de chance de trouver leur bonheur, pas vrai ? L’esprit toujours préoccupé par la question du trentenaire, elle précisa enfin, après de longues minutes de coupure :

- Ce ne sont pas de belles histoires, j’ai aucune fierté à les raconter, elle préféra plutôt désigner son foulard d’un geste du menton pour confier, je comprends pour ça. J’ai… j’ai été fiancée y’a un moment de ça. Mariée même… enfin, en quelque sorte…, elle ne remettait pas en cause la valeur de son engagement auprès de Gabriel, même s’il n’avait de véritable existence que pour eux, quand il a… quand il a disparu, j’ai gardé mon alliance pendant longtemps. Ça me rappelait tout ce qu’il représentait…

Aujourd’hui, il n’avait plus sa place autour de son annulaire gauche mais il n’avait pas perdu son rôle primordial. L’enseignant serait toujours là, dans un coin de sa tête et de son cœur. Le plus lumineux de ces fantômes. Toutes ses belles pensées durent être instantanément mises de côté à l’approche du pavillon suivant : trois voraces traînaient les pieds dans les hautes herbes. Ils allaient devoir s’en occuper pour pouvoir rentrer.