« Tu peux me passer le marteau, per favore. » Le marteau glisse jusqu’à moi, je lève les yeux vers Josh, l’air dépité. « Josh ! J’peux pas tenir ce truc et récupérer le marteau par terre. Donc … Serais-tu assez adorable pour me donner ce foutu marteau de mes deux pour que je puisse finir de placer ce volet que tu as gentiment préparé pour cette nouvelle maison ? » Il jubile, je le vois bien sur sa tronche de minot trop sûr de lui. « Joshua ! J’vais tout lâcher et tu devras tout recommencer c’est toi qui vois ! » Josh éclate de rire et s’approche pour me donner le marteau. « Ça va, ça va, arrête de hurler … » Je secoue la tête en récupérant l’outil pour enfoncer le premier clou pendant que Josh s’excuse. Je l’ignore, concentrée sur mon travail, notre travail d’ailleurs. J’en ai des ampoules sur les mains, à l’époque ce n’était pas si grave, je pouvais en prendre soin une fois rentrée chez moi, mais maintenant je dois endurer. Et pour être honnête, même si je ne suis pas une fillette douillette comme mon frère, ça fait un mal de chien.

« Ça commence à prendre forme. » Un simple hm hm file mes lèvres, je dois me concentrer, j’ai mal à la main droite et je sens quelques tremblements, pas à cause des ampoules, simplement parce que je me crispe sans le vouloir. Peut-être aussi que je commence à fatiguer. Peut-être que je devrais faire une pause. Peut-être que ça serait plus intelligent, moins contreproductif. Mais je continue, c’est presque fini, toutes les fixations sont presque posées sur le volet, il n’y aura plus qu’à le mettre en place dans ses gonds après. C’est presque fini et l’espace d’un instant, je baisse ma concentration, le marteau s’écrase sur mon pouce. « Merda ! » « Oh merde Haley ça va ? » Josh me pose la question ? Alors que mon ongle a volé sous le coup ? Vraiment ? A mon regard il comprend que non, ça ne va pas, ça fait mal putain, et pourtant il se marre.

« Le prochain coup de marteau, il est pour ta tronche Barnes ! » En colère, et surtout en tenant mon doigt qui me fait un mal de chien, je le laisse là après avoir jeté le marteau au sol. J’en ai les larmes aux yeux, et cet abruti se marre toujours. En quelques pas je rejoins l’infirmerie et après quelques coups sur la porte, j’entre. « J’ai besoin d’un pansement j’crois … » Euphémisme je suppose, mon doigt vire au bleu, et ça pisse le sang, super. Vraiment. Intérieurement, je peste dans toutes les langues que je connais – l’anglais et l’italien donc – mais extérieurement, et comme Erika n’y est pour rien, je souris.

Je vais m’installer sur une chaise en attendant qu’elle revienne, mon jean et mon t-shirt sont fichus. Quand elle revient et me demande comment je me suis fait ça, j’esquisse un sourire. « C’est la faute de Josh … Non en vrai, j’ai pas fait gaffe, et bim, coup de marteau, les aléas du métier. » Je me suis déjà fait plus mal que ça, en attestent les quelques cicatrices sur mes doigts usés par un boulot manuel. « Je sais, j’aurais dû mettre des gants mais … fait vraiment trop chaud dans ces trucs et ça m’aurait fait faire encore plus de merde. » Cameron ne manquera pas de me passer un savon, et ça va piquer davantage que celui avec lequel Rika nettoie mon petit bobo. « Ça avance, le toit est quasi terminé, j’aide Joshua à terminer les portes et les fenêtres, et les volets aussi du coup. Il reste encore pas mal à faire à l’intérieur, mais on sera bientôt hors d’eau, après ça, ça sera de la fioriture. » Un sourire étire mes lèvres, finalement ça ne fait pas si mal que ça, ou alors je ne sens juste plus mon pouce, au choix.

Pour un peu, Rika donnerait l’air de me gronder, comme une enfant. Elle me rappelle l’intérêt de porter un casque, de se protéger sur son lieu de travail, ça me ramène quelques années en arrière, ça m’arrache un sourire. C’est une gentille fille Erika, le genre trop gentille peut-être – sans doute même – mais dans ce monde, la voir avec son sourire et sa bienveillance, ça fait un bien fou. Je me rends compte que je ne suis pas la seule, je me rends compte qu’à plusieurs on aura plus de chance de ramener Cameron, parce qu’aussi moche que cela soit, j’ai peur de ne pas réussir seule, principalement parce que je suis la raison pour laquelle mon frère se mure dans des comportements froids, distants, dans ce rôle de connard qui ne lui colle pourtant pas à la peau. « Merci pour les conseils Doc’ ! » Ça doit surprendre que je sois aussi détendue mais dans le fond, cette blessure ce n’est vraiment rien pour moi. Mais Rika a l’air de penser, à juste titre, que ça pourrait être plus, que ça pourrait s’infecter. Voyez pas le problème si je perdais mon pouce …

Je blague un peu pour la détendre sur ses inquiétudes, à propos de Cameron, elle noie la question, ça m’amuse, j’en souris, mon nez retroussé un instant, mon regard pétillant de cette curiosité presque malsaine. Pas que j’ai envie de connaître tous les détails de sa relation avec mon frère, non, ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il y a vraiment entre eux. Surtout s’il y a vraiment quelque chose. Je lève un instant les yeux au ciel alors qu’elle s’occupe toujours de ma blessure de guerre et me conseille de penser aux gants. « Oui M’dame, j’y penserai. » que je réponds, avec un petit air taquin. En vrai, j’y penserai, ça fait quand même un peu mal, ça picote, et je sens que la douleur devient lancinante. Je n’ai pas hâte d’être à ce soir ou demain matin, mais ça passera vite. Courage Haley, ça te fera un truc à raconter pour future Haley.

On échange quelques mots sur mon frère à nouveau, je n’en dis pas trop mais je le pense. Il n’y a rien de spécial à gérer dans le cas de Cameron en ce qui concerne Jeff, Caroline ou tous les autres. J’aurais fait la même chose que lui, différemment, mais à méthode différente résultat identique. Ce que Cameron doit gérer, c’est lui-même, ce qu’il laisse le ronger lentement, ce que j’essaie de faire disparaître pour le retrouver vraiment, mon frère. Erika me pose une atèle de fortune sur le pouce, je grimace légèrement cette fois, avant de me mettre à rire. « Tu veux pas faire des dessins dessus ? Ca ressemblerait presque à ces petites marionnettes pour les doigts … » Je préfère en rire, mais là je réalise finalement que oui, c’était idiot de ne pas me protéger. « J’viendrai tambouriner à ta porte, ça marche. » Pendant qu’elle termine son œuvre, j’enchaine au sujet de mon frère et aussitôt, je la vois changer d’expression, de couleur presque.

Rika, Rika, Rika, Rika … Une part de moi a envie de secouer la tête, l’autre sourit simplement. Elle en bafouille, elle en perd ses mots et je sais qu’il est déjà trop tard pour elle. Comme toutes ces filles qui ont croisé la route de Cameron, je me rappelle notamment des serveuses dans ces bars, ces restaurants où on allait tous les deux ou avec maman pour lui changer les idées. Un regard et elles craquent toutes, sauf qu’aucune ne le connaît comme je le connais, et aucune ne sait d’avance qu’elle va souffrir parce que mon frère ne se laisse pas approcher facilement. Pourtant ça me donne de l’espoir, Erika est gentille mais pas bête, elle a le cœur sur la main et du caractère. « Son attention ? » Je demande alors. Pourquoi cette question ? Je hausse les épaules. « Juste une question de petite sœur curieuse et … c’est tout. » Inquiète peut-être, sans être jalouse, je suis possessive avec Cameron, parce que j’ai vu comment Clara l’a laissé, comment leur séparation l’a transformé. J’ai peur pour lui, parce qu’il a ce caractère qui peut tomber dans chaque excès, le bon comme le mauvais, et que tout le conduit vers le mauvais depuis trop longtemps. J’ai peur pour lui, égoïstement, plutôt que peur pour elle et ce même si cette fameuse solidarité féminine me pousserait presque à lui dire de faire attention à elle avec Cam’. Je bouge un peu ma main gauche, mon pouce a l’air de peser une tonne. « Ça ira mieux dans quelques jours ? Enfin j’veux dire ça sera moins … risqué de me balader, plus besoin d’atèle ou quoi ? » J’ai des plans dans quelques jours, et j’ai envie d’en profiter pleinement, sans souffrir à cause d’un coup de marteau.