Mais qu’est-ce qu’elle fichait là ?

La question tournait dans sa tête, alors qu’elle s’était enfermée dans le noir du garde-manger, à l’abri d’une rencontre qu’elle préférait éviter. Olivia n’avait pas réfléchi très longtemps. C’était soit ça, soit fondre sous la table en espérant qu’on ne la verrait pas s’enfuir comme une enfant par la porte entrouverte en catimini complet. Elle se savait ridicule, mais n’avait pas d’autres options à portée de main pour l’instant. C’était ça, ou avoir une véritable discussion avec ce cher Ludwig, et autant dire qu’elle n’était pas vraiment prête à cette éventualité.

Alors voilà. Comme une gamine de douze ans, totalement ridicule, elle se tapissait dans l’ombre dans l’espoir que personne ne la trouve, surtout pas lui. Pas depuis cette sortie, pas depuis ce qu’elle avait fait.

Elle avait honte, et elle avait peur. Parce que souffler le chaud et le froid avec une personne aussi sensible que Ludwig, c’était cruel. Parce que s’en prendre à lui alors qu’il n’y était pour rien dans sa douleur, c’était méchant. Et parce que s’il devait lui dire finalement que ce qu’elle éprouvait n’était pas réciproque, alors elle se sentirait comme la plus idiote de cette foutue planète. Et son égo surdimensionné n’était pas prêt à être remis à sa place. Derrière sa bienveillance, il y avait une arrogance calibrée pour son gabarit.

Une conversation dans la cuisine lui fit perdre le fil un bref instant. Mais, plongée dans ses pensées, le grincement des gonds la fit soudainement sursauter. La porte s’ouvrit sur la silhouette menue qu’elle reconnut très vite d’Erika, à qui elle adressa un regard affolé :

Ferme la porte ! glapit-elle dans un murmure soudainement, se tapissant un peu plus au fond du placard pour éviter d’être mise en lumière.

La réaction de la jeune femme fut presque immédiate : la porte claqua. La conversation se coupa – Olivia ne savait même pas avec qui elle discutait, pourvu que ça ne soit pas Ludwig ! – puis reprit dans la foulée naturellement. Les voix étaient déformées, comme étouffées par la paroi derrière laquelle elle se planquait.

Désormais, c’était plus que ridicule, sans aucun doute. Prise sur le fait, elle devrait des comptes à Erika, et justifier une partie de cache-cache sans personne pour la chercher, ça allait être compliqué. Confuse, la brune attendit juste que la conversation se termine, et avec timidité, entre-ouvrit légèrement pour jeter un coup d’œil à l’aide-soignante :

Tu es toute seule ? souffla-t-elle à la brune, pour que seule elle puisse entendre.

Olivia poussa un soupir de soulagement lorsqu’Erika lui annonça qu’elle était en effet seule, que Damian était parti. Dire qu’elle l’avait évité lui, alors qu’elle n’avait rien contre ! ça voulait au moins dire que Ludwig n’était pas dans le coin, et c’était aussi bien comme ça. Sortant de son placard, elle referma derrière elle avec une petite moue en coin, scrutant la petite brune avec un air gêné. Son envie n’était absolument pas de lui faire peur, encore moins de passer pour une folle. Elle allait se traîner une sale réputation à agir ainsi, surtout si des gens étaient témoins de sa mauvaise conduite. Lèvres pincées, elle baissa le regard vers ses chaussures, donnant tout l’air d’être une enfant prise en faute :

Je ne voulais pas te faire peur, excuse-moi, demanda-t-elle d’une petite voix.

Mais comment s’expliquer désormais ? Comment dire qu’elle se cachait d’un homme qu’elle aimait, à qui elle n’avait pas le courage de parler de peur de se prendre une veste monumentale ? Et de devoir, de surcroit, se confronter à son infâme comportement des derniers temps ? Gorge nouée, elle haussa les épaules :

Une partie de cache-cache qui s’est un peu trop éternisée, mentit-elle sans être un seul instant crédible. Je… Désolée…

Elle n’était même pas assez douée pour ça ! Mentir. Raconter une histoire crédible. Elle évitait globalement les enfants depuis son arrivée ici, et pas seulement parce qu’elle fuyait le sien et ne se voyait pas mère. Olivia n’était vraiment pas faite pour les côtoyer, tout du moins, elle n’en avait pas l’impression. Alors avec qui jouait-elle ? Elle ne jouait pas.

Je… Je me cache de quelqu’un, pour éviter une discussion que je n’ai pas envie d’avoir. Expliqua-t-elle en hochant la tête. C’est… J’ai pas trouvé de meilleurs endroits que ce placard pour me planquer… Mais si tu as plus judicieux en tête, je suis preneuse, plaisanta-t-elle pour détendre l’atmosphère.

Trépignant un petit peu sur place, la petite brune guetta un temps à l’extérieur pour voir si la haute silhouette de Ludwig ne se présentait pas. A peine rassurée, elle se tourna vers Erika :

Tu cherchais quelque chose peut-être ? Tu as besoin que je te prépare un truc ? Demanda-t-elle. Pour m’excuser de la trouille bleue que tu viens de vivre…

Alors, laisse-moi te préparer quelque chose ! Encouragea-t-elle avec un grand sourire engageant.

Et elle était sérieuse ! Olivia venait déjà d’attraper le pack de farine pour le mettre à côté d’elle, ainsi que ce qu’il fallait pour lui confectionner assez rapidement ce qu’il fallait. Elle trouvait dans la cuisine un moyen plus qu’efficace de se changer les idées – ne plus penser à Ludwig, de préférence. Gardant son sourire, elle voulait vraiment qu’Erika la laisse faire, parce que pour une fois, elle était vraiment douée dans ça.

Ca te tiendra au ventre jusqu’à ce soir. Promit-elle dans la foulée, comme pour finir de la convaincre.

Elle attrapa les affaires que la jeune femme avait sorti pour elle, sans vraiment lui demander son avis : Bien sûr, ça pourrait gêner Erika, comme souvent lorsqu’il s’agissait de faire faire à quelqu’un quelque chose qu’on pouvait largement faire soi-même. Mais Olivia ne comptait pas se décourager pour autant. D’ailleurs, elle sortit son verre-doseur de fortune, une fourchette, un plat. Et s’installa du côté du plan de travail pour se mettre à faire sa besogne.

Rien que le fait de réussir à faire rapidement une patte sous la force de son fouet parvenait à la faire destresser. Si bien que la question de la brune la stoppa brièvement seulement avant qu’elle reprenne de plus belle :

Oh, c’est rien d’intéressant… Souffla-t-elle, minimisant sans doute ce qui était.

Qui pour vraiment se passionner pour ce qu’elle vivait, au fond ? Olivia n’avait pas vraiment l’impression d’avoir des amis ici, mise à part Caroline sans doute qui avait besoin d’espace pour l’instant. Viendrait un moment où elle irait la voir, pour la soutenir, lui faire comprendre qu’elle entendait sa souffrance. En attendant, la vétérinaire devait respirer par elle-même, et trop l’enserrer reviendrait à l’étouffer. Le seul ami qu’elle avait, la cuisinière avait réussi à tout gâcher avec lui de toute façon…

Tu es gentille, Erika, souffla-t-elle en baissant le regard. La curiosité de l’étudiante n’était pas gênante, mais Olivia ne savait pas par où commencer : Mais je… Elle hésita. Je ne sais pas si à ta place, j’aurais envie d’entendre les histoires de cœurs ridicules des autres, admit-elle.

Et en parlant « d’histoire de cœurs », elle manqua de ravaler ses propos au plus vite ! Bon sang, était-ce vraiment une « histoire de cœur » ? Olivia en doutait. En tout cas, pas qui puisse être réciproque après son comportement.

Je… Je me suis fâchée avec Ludwig, avoua-t-elle. Il y eut un moment de silence, avant qu’elle éclate d’un rire sans joie : J’ai réussi cet exploit, tu peux m’applaudir si tu le souhaites, fit-elle en reprenant sa tâche comme si de rien.

Une amie humaine, j’imagine ? Répondit-elle de but en blanc.

Des amitiés, Olivia n’en avait pas eu tant que ça dans sa vie. De meilleure amie, surtout. Elle avait eu des collègues, bien sûr, puis Calvin. Et cet homme avait fait son monde. Du reste, elle s’était montrée farouchement indépendante, incapable de toute façon de trop construire avec les autres. Comme si le fait de s’attacher lui était douloureux. Ici, au fort, les choses prenaient plus de perspectives, et il suffisait de voir Erika, Daniella, Romy, pour comprendre qu’il n’y avait finalement pas de fatalité.

Quelle amie ça fait de moi quand je n’ai pas été très présente pour toi ces derniers temps, du coup ? Reprit-elle avec une petite moue désolée. De ne pas avoir pu être davantage investie, de ne pas avoir pu sécher ses larmes après tout ce qu’il s’était passé. Merci merci, j’aimerais remercier mes parents sans qui tout ça n’aurait pas été possible. Plaisanta-t-elle.

Alors, que s’était-il passé ? Elle continua méthodiquement ce qu’elle faisait, avant de se tourner vers le réchaud qu’elle lança pour glisser tous les aliments dedans. La poêle ne tarda pas à chauffer, et le crépitement des aliments rythma l’ambiance :

Je me suis montrée méchante avec lui, et il m’a… Répondu, comme il était censé le faire, admit-elle. Comme quoi, on ne mérite pas toujours ce qu’on a, pas vrai ?

Elle ne méritait pas les amitiés qu’elle avait. Qu’Erika se donne de la peine pour elle, que Ludwig l’apprécie (bien que désormais, il avait toutes les raisons de ne plus l’aimer du tout), que Caroline souffre pour Jeff, que l’aide-soignante souffre pour Ashley et Finan. Ce monde, comme celui d’avant, était seulement un enchainement cruel de choses qu’on ne méritait pas. Il fallait quand même faire avec.

Au moins, nous avons désormais la certitude que Ludwig n’est pas vraiment le paillasson que tout le monde dit qu’il est. Ajouta-t-elle en essayant de voir le positif. Olivia se tourna vers Erika, pour la regarder : Je me suis comportée comme la dernière des idiotes parce que j’ai… Sans doute… Une tendresse pour lui que je ne devrais pas… Ressentir, avoua-t-elle. Et que c’est plus simple de saboter ça avant d’aller trop loin, même si c’est douloureux.

Ridicule, n’est-ce pas ?

Au moins, on trouve de très bonnes cachettes, si tu en veux pour éviter certaines personnes, fit-elle avec humour. En parlant de ça, tu vas… Un peu mieux ?