Assise dans le salon adjacent au bureau, Amelia lisait, ou plutôt relisait, un roman de son adolescence. Un des préférés de sa défunte mère, sans doute là la raison pour laquelle Bergmann l’avait déjà lu et relu plusieurs fois. Des éclats de rire provenant du bureau lui firent lever le nez de sa lecture et esquisser un sourire. Nina semblait vraiment apprécier ces cours d’espagnol que Madisson pouvait lui donner, c’était important pour elle. La petite Chambers lui avait expliqué que sa nounou, Beatriz, avait pris le temps de lui apprendre quelques notions d’espagnol, assez pour l’intéresser, assez pour lui donner envie de garder ce lien avec elle au travers de quelques leçons de grammaire et vocabulaire. Un coup d’œil à l’horloge du salon lui indiqua que l’heure du goûter approchait, aussi la brune se leva, déposant son livre sur le canapé pour aller à la cuisine.

Sur un plateau elle disposa deux verres et une tasse. Le retour de l’électricité avait de gros avantages, notamment celui de pouvoir boire un thé dans la journée. De l’eau bouillante vint noyer un sachet de thé aux agrumes alors qu’elle sortait du frigo désormais opérationnel une bouteille d’eau fraiche pour la poser sur le plateau avec deux petites bouteilles de sirop. Il restait également quelques biscuits que Nina avait tenu à préparer la veille, des cookies avec les moyens du bord, plutôt bons. Le plateau entre les mains, Amelia marcha jusqu’au bureau, tenant le plateau d’une main pour frapper de l’autre avant d’entrer.

« J’ai pensé que vous voudriez peut-être faire une pause et boire un verre. » La brune alla déposer le plateau sur la table où étaient installées Nina et Madisson. « Je ne t’ai pas demandé mais si tu préfères un thé ou même un café, n’hésite surtout pas. » Un sourire envers la jeune Summer et Amelia servit un verre de sirop de citron à Nina, l’un de ses préférés, avant de tirer une chaise pour s’asseoir près d’elles.

Son regard sombre balaya les pages devant l’adolescente alors qu’elle porta la tasse fumante à ses lèvres. « Alors tu te débrouilles comment Nina ? » « Plutôt bien … je pense ? T’en penses quoi Maddie ? » Comme une mère auprès de sa fille, attendant de connaître l’avis, hautement important, d’un professeur, Amelia haussa les sourcils. Elle ne doutait cependant pas des capacités de Nina, tout comme elle ne doutait pas de la patience dont Madisson faisait preuve. Clayton lui avait expliqué qu’elle gardait régulièrement Kassidy, Bergmann lui faisait donc confiance. Si lui avait su lui confier sa fille, elle pouvait en faire de même. Un sourire se dessina sur ses lèvres alors qu’elle pensait au brun, sans même qu’elle ne s’en rende vraiment compte, sourire qui disparut contre la tasse, remplacé par une grimace. L’eau était encore trop chaude pour qu’elle puisse boire ce thé de suite. « Tu envisages de donner des cours à plus d’élèves ? Tu pourrais le faire à l’école je suppose. »

« Je t’en prie Madisson, appelle-moi Amelia. » Un sourire étira les lèvres de la brune alors qu’elle servait à boire à Nina, avant de répéter les mêmes gestes pour la blonde. La plus jeune des Summer est aux antipodes de sa sœur Casey, amusant de voir ainsi que deux êtres nés d’un même amour, élevées ensemble, puissent développer autant de différences tout en restant plus soudées que les doigts de la main. Amelia n’a jamais connu cela, fille unique, arrachée trop tôt à l’amour d’une mère en tous points parfaites. La famille, à ses yeux, ce n’était que cela, l’amour d’une mère pour son enfant, les fratries lui avaient toujours paru intrigantes.

Bergmann tira une chaise pour s’installer à son tour, son regard parcourant les cahiers et livres. Nina était très soigneuse, ce ne fut donc pas entièrement une surprise d’entendre les compliments de Summer quant à sa rapidité d’apprentissage. « Tant mieux, quand nous aurons finalement réussi à recréer tout le monde qui nous entourait auparavant, on aura besoin de demoiselles comme vous. » Vives, intelligentes, Madisson avait sans doute encore trop de naïveté, en ce point-là sa sœur ainée était sans doute la raison de sa survie, mais tout le monde pouvait apprendre. Et ici, la blonde n’aurait pas à apprendre à la dure comme tant d’autres jeunes gens devaient le faire hors des murs de camps sécurisés. Civilisés.

Portant à ses lèvres sa tasse de thé, Amelia interrogea finalement Maddie sur ses projets plus l’avenir, après tout elle était encore jeune et ce camp offrait l’opportunité de pouvoir bâtir quelque chose. Pour certains ce quelque chose était une carrière militaire quand pour d’autres il s’agissait d’agir dans la recherche ou la politique. Mais ce n’était pas tout, ici, ils avaient reconstruit une école. « L’âge n’est qu’un chiffre Madisson, un chiffre sur des documents officiels qui aujourd’hui n’ont plus la moindre valeur. Ceux qui savent, font. Ceux qui comprennent, enseignent. Tu as cette curiosité et cette envie d’apprendre aux autres, tu pourrais avoir quinze, trente ou soixante ans que cela ne changerait rien, tu serais parfaite dans ce rôle. » Nina hocha la tête aux propos de Bergmann. « Je pense que tu te débrouillerais super bien, et puis avec Kassidy on pourrait t’aider à te faire respecter. »

Amelia esquissa un sourire avant de reprendre. « Ce monde a redistribué les cartes Madisson, et je pense que tu as hérité d’une main plutôt avantageuse, tout autant que je crois que tu sauras en faire bon usage. » Sans ce monde-là, qui pouvait confirmer que June par exemple aurait atteint de si hautes fonctions ? C’était également ce monde qui avait donné à Amelia le poids qu’elle n’avait pas auparavant, quand son entreprise était une parmi d’autres. C’était ce monde qui avait placé Savannah dans un rôle important alors que l’ancien monde l’aurait laissée sur le carreau pour offrir la reconnaissance à des scientifiques hommes. Sans aller jusqu’à dire que l’épidémie avait offert une place de choix aux plus méritants, voire aux plus méritantes, elle avait permis de mettre en lumière toutes ces personnes qui agissaient dans l’ombre. « Regarde, Kassidy et Nina sont déjà ravies de ta compagnie. Tu pourrais peut-être commencer par des groupes d’études plus étendus, deux ou trois élèves à la fois ? »