Selene fit claquer sa langue pour inciter la jument à repartir. Elle n’était pas partie très loin mais depuis l’épisode de l’ours, elle faisait encore plus régulièrement des rondes dans les environs du fort, afin de s’assurer qu’aucun autre prédateur ne s’inviter dans leur voisinage. Nul besoin d’escorte dans ces moments, elle se sentait plus efficace et plus rapide seule qu’avec des compagnons. Au trot, Fury remontait la voie en direction de la maison, son encolure parfois flattée par la main blême de la musicienne.

Soudainement, elle eut l’impression qu’une lame chauffée à blanc se planta dans son bas-ventre. La douleur la fit pousser un bref gémissement, son corps se replia sur lui-même, crispé, paralysé. Lorsque la pianiste parvint à rouvrir les yeux, elle voyait le ciel gris d’un jour pluvieux, un mal sourd de la hanche gauche à la tête. Elle grogna un « putain » en réunissant ses forces pour au moins se mettre en position assise. Le souffle court, elle avisa la jument qui s’était tournée vers elle, une lueur interloquée dans ses grands yeux.

- Ça va, murmura Selene à l’animal, ça va, t’en fais pas.

C’était sans doute plus pour elle-même qu’elle parlait. Ses doigts se refermèrent sur ses rennes pour doucement attirer les naseaux de l’équidé à son front. Le souffle chaud de la respiration de Fury chassa quelques-unes de ses mèches folles. De longues et interminables secondes, la musicienne demeura ainsi, à demi prostrée sur sa propre douleur. C’était comme si on l’ouvrait en deux sans anesthésie. Inutile d’avoir déjà vu les médecins : quelque chose n’allait pas.


Se traîner jusqu’à l’infirmerie avait été une épreuve. Incapable de remonter sur sa monture, Selene avait profité d’un semblant d’accalmie pour se relever et rentrer à pieds, guidant les pas de Fury. A peine un mot à Juliet qui avait réceptionné sa belle, la jeune femme s’était précipitée au dispensaire, le visage tiré par la souffrance. Ses vêtements portaient les traces humides de sa chute sur un côté, un peu de sang suintait même légèrement de son cuir chevelu. Elle s’attendait à y trouver le chilien – c’était en tout cas lui qu’elle cherchait – mais il n’y avait que Caroline. Une main serrée sur le bas de son ventre, elle lutta pour demander, dents serrées :

- Li-Lisandro ? Où il est ?