« Et celle-ci tu en penses quoi ? » Amelia croisa les bras sous sa poitrine, observant Nina qui paradait dans sa chambre avec quelques vêtements juste ramenés au camp. De quoi ravir l’adolescente qui voyait là une occasion de refaire sa garde-robe autrement qu’en mettant les vieux vêtements que portait sa tutrice au même âge. « Je pense que cette robe est un peu courte Nina, dans un an ou deux, peut-être même trois, tu pourras tout à fait la porter mais pour l’heure … » La petite Chambers roula des yeux avant de venir s’asseoir auprès d’Amy sur son lit. « Toi tu mets bien des robes comme ça. » Un éclat de rire fila les lèvres de Bergmann qui replaça une mèche de cheveux brunes dans le chignon de l’adolescente avec un geste empli de cette tendresse de mère, cette douceur qu’elle retrouvait peu à peu auprès d’elle. Elle la couva un instant du regard avant de répondre. « Oui mais moi, je suis une adulte, donc nous en revenons à ce que je te conseille, à savoir ; attendre d’avoir quelques années de plus avant de t’habiller ainsi. Mais cette robe te va très bien, tu seras encore plus belle avec d’ici trois ou quatre ans. » La gamine éclata de rire à son tour. « Maintenant il faut que j’attende quatre ans ! Bon … je te crois … »

Se levant avec l’idée de leur préparer un goûter, Amelia s’arrêta en remarquant que quelque chose semblait tracasser Nina, son regard l’interrogea alors à ce sujet, silencieusement. « On ira chez Clayton et Kassidy bientôt ? » Haussant les épaules, Bergmann entreprit de répondre. « Eh bien je ne sais pas, il faudrait que Clayton soit d’accord, pourquoi est-ce que je n’irai pas lui demander et pendant ce temps tu ranges tout ça, en revenant je nous préparerai un gouter. » Marché conclu, Amelia quitta la chambre de l’adolescente pour faire un détour par la sienne, juste pour vérifier que sa tenue ne laissait pas trop à désirer. Réajustant son chemisier, la brune troqua ses tennis contre une paire d’escarpins à talons, le tout assorti de son jean, elle avait un look décontracté mais chic. Pourquoi se posait-elle autant de question cela dit ? Les choses avec Clayton allaient plutôt bien, très bien même. Ils s’étaient revus plusieurs fois, et à chaque fois tout s’était très bien passé. Ils se voyaient régulièrement, échangeaient, riaient, partageaient beaucoup ensemble, sans pour autant se compliquer l’existence, et c’était très bien ainsi.

« Range tout correctement Nina ! » lui lança-t-elle depuis le bas de l’escalier avant de quitter la maison, dénouant ses mèches brunes pour marcher vers la demeure de Buchanan qui visiblement n’y était pas. Sans doute était-il encore retenu par Lawrence et son armée de scientifiques, aussi Amelia décida de parcourir la zone résidentielle de l’île jusqu’à s’arrêter net lorsqu’elle reconnut le rire et la silhouette de Clayton plus loin. Clayton visiblement occupé en la compagnie de Dinah, cette femme qui manquait de classe, de distinction. Elle pouvait tout aussi bien aller les déranger pour demander à l’immunisé s’ils étaient disponibles bientôt Kassidy et lui, mais quelque chose la poussa à tourner les talons lorsqu’elle croisa son regard.

Ne pas se compliquer l’existence, et ce petit pincement dans sa poitrine était la preuve d’une complication. Le genre de complication qu’elle fuyait depuis toujours et qui l’avait toujours poussée dans les bras d’hommes mariés ou trop occupés par leur carrière pour s’impliquer entièrement dans une relation. Pressant le pas pour s’éloigner, Amelia s’arrêta néanmoins en l’entendant l’appeler, se tournant vers lui avec un mince sourire, à peine poli. « Nina avait une question mais tu avais l’air occupé alors … je n’ai pas voulu te déranger. » souffla-t-elle en jetant un coup d’œil dans la direction de Dinah. Quel droit avait-elle finalement de lui en vouloir ou de prendre la mouche ? Aucun, parce qu’ils n’avaient mis aucun mot sur leur relation et qu’elle avait décidé que c’était très bien ainsi. « Il n’y a rien d’urgent, tu peux retourner auprès de Dinah, je m’en voudrais de t’arracher à elle. » ajouta-t-elle finalement, peut-être plus amère qu’elle ne l’aurait voulu.

Est-ce qu’elle parlait une autre langue ou ne se faisait pas bien comprendre pour que Clayton répète mot pour mot ce qu’elle venait d’énoncer ? « C’est effectivement ce que je viens de dire Clayton. » Blessée, mais toujours trop emplie de fierté, Amelia gardait la tête haute, elle tâchait de ne pas penser à toutes les raisons pour lesquelles peut-être elle avait si mal réagi en le voyant quelques instants auparavant si proche et complice avec une autre. Rien n’était clairement établi entre eux, ils passaient de bons moments ensemble, complices, tendres, plus intimes, mais finalement quelle raison avait-elle d’espérer … son exclusivité ? Aucune, car elle-même ne lui avait rien promis.

Bergmann croisa les bras sous sa poitrine, gardant son regard brun rivé sur le routier face à elle qui maintenant l’accusait de sous-entendus. Mais elle n’avait rien sous-entendu, elle affirmait avec conviction que ce qui se tramait quelques instants auparavant sous ses yeux était fondé et qu’elle ne voulait pas l’embêter car elle n’avait aucune raison de le faire. Amelia prit sur elle pour ne pas simplement tourner les talons, parce que dans le fond, ce n’était pas qu’une question de fierté, quelque chose lui faisait mal dans cette discussion, dans cette tension qu’elle ressentait entre eux. Une tension qui n’avait pas existé depuis … qui n’avait en réalité jamais existé entre eux. Si les choses avaient toujours été compliquées pour elle auprès des hommes, la poussant à se rapprocher de ceux dont elle savait qu’elle ne tomberait jamais amoureuse pour un milliard de raisons, c’était différent avec Clayton. Rares avaient été ses amis, Buchanan en faisait partie.

Mais alors qu’elle s’apprêtait à lui répondre, Amelia haussa les sourcils, affichant une mine surprise à ses propos. Clayton semblait retourner la situation à son avantage, finalement les hommes étaient tous les mêmes, incapables d’assumer la moindre responsabilité, toujours à reporter la faute sur la personne en face d’eux. Elle en roula des yeux, levant un instant ses mains vers le ciel pour mieux les laisser retomber contre ses hanches. « Je n’ai rien à te cacher non plus, je n’ai jamais rien eu à cacher à personne, contrairement à beaucoup j’assume entièrement mes actes. Et, non, je ne disparaissais pas pour aller voir un homme. » se défendit-elle sans s’énerver avant de reprendre après avoir pris une longue inspiration.

« Je suppose que c’était donc normal, tu ne faisais que raconter ta journée à Dinah et elle ne faisait que l’écouter en minaudant et en posant sa main sur ta cuisse ? » Tout le monde faisait cela sans doute, dans l’univers où vivait le routier. « Tu es plus naïf que je ne le pensais si tu ne vois pas ce qui se trame, si … » Un rictus amer étira ses lèvres. Amelia secoua la tête avant de reprendre, plus calmement. « Nina voulait savoir quand est-ce qu’on se revoyait, quand est-ce qu’elle reverrait Kassidy, mais tu avais apparemment mieux à faire. » Blessée, plus qu’elle ne l’avouait, Amelia croisa de nouveau les bras sous sa poitrine. Tout aurait été bien plus simple si elle avait su trouver les mots pour lui dire que le voir avec Dinah, si proches, l’avait blessée, mais dire ce genre de choses ce n’était pas évident pour elle, c’était même impossible.

Elle fulminait intérieurement même si Amelia n’en montrait rien. Ses mots dénotaient sans doute cette colère, cette pointe de douleur, mais la brune gardait son attitude exemplaire, comme elle l’avait appris et toujours fait. Ne rien montrer, ne pas donner à l’Autre la moindre faille à exploiter. Comme dans un combat, comme dans ces négociations qu’elle devait mener autrefois, mais là, il ne s’agissait de rien de cela pourtant. Elle appréciait Clayton, sa présence, sa compagnie, leurs différences et leurs accords, elle appréciait tout cela plus qu’elle n’aurait su le dire, et plus qu’elle ne voulait le reconnaître, surtout. Et le voir avec Dinah, c’était un rappel qu’en agissant comme elle le faisait, en mettant elle-même cette barrière entre eux, cette ligne à ne pas franchir, elle prenait le risque qu’il ne lui soit pas exclusif, qu’il ne le soit plus si toutefois ils l’étaient l’un et l’autre, exclusifs. Rien n’avait été dit clairement entre eux, les choses s’étaient faites et chacun s’était contenté de profiter de ces instants, sans doute conscient que c’était plus précieux qu’une quelconque définition.

Jamais je ne t’aurai trompé Amelia. Son regard brun se détourna un instant. Pour la tromper, il aurait fallu qu’ils soient officiellement en couple, et cela, ils ne l’avaient jamais posé, dit. Avait-elle le moindre droit de lui en vouloir même si cela avait été le cas ? Amelia ne savait plus quoi dire, quoi faire, cette situation la dépassait, et ce qu’elle ressentait la dépassait. Elle se maudissait, se trouvait ridicule, mais dans son cœur c’était le tumulte qui agitait sans doute le cœur des adolescents qui grondait. « Hm. » souffla-t-elle simplement en réponse aux mots de Clayton, elle le croyait, dans le fond elle le croyait parce que Buchanan lui avait montré qu’il n’était pas que ce coureur de jupons qu’il montrait à tout le monde.

Le voyant s’approcher, Bergmann resta immobile, écoutant ses excuses, cette confession qu’il lui faisait et qui semblait ôter un poids de sa poitrine et lui rappeler qu’elle venait d’agir comme une idiote sentimentale. Ce n’était pas elle, ce monde l’avait changée, et cette relation faisait ressortir une part d’elle qu’elle n’avait plus jamais côtoyée en dehors de son lien si précieux avec son fils, lien qui tendait à se reconstruire doucement avec Nina. Un soupir fila ses lèvres, c’est dans ces moments qu’elle aurait aimé avoir plus de temps avec sa mère, que celle-ci soit encore là pour l’aider, la guider. Pour lui rappeler qu’elle avait le droit d’avoir des sentiments, de s’accrocher.

« Je ne t’en veux pas … » souffla-t-elle finalement, reposant enfin son regard sur Clayton avec un air désolé rivé au visage. « Je ne ferai pas ça, te tromper, mais … Clayton … tout ça c’est plutôt nouveau pour moi. » C’était dur à confier, cela paraissait peut-être idiot à son âge d’ailleurs d’avoir autant peur de l’engagement, mais son expérience était telle qu’elle n’avait jamais voulu se poser. « Je suis désolée d’avoir réagi comme ça, le fait est que je ne sais pas comment réagir, je sais juste que … je n’ai pas aimé la façon dont Dinah se comportait avec toi tout à l’heure … » Il n’y avait pas besoin d’avoir fait de hautes études pour reconnaître un comportement pareil, un flirt, et Amelia n’avait pas aimé cela. « Je ne sais pas … ce qu’on est toi et moi … »

D’un pas, la brune se rapprocha de lui et vint saisir sa main dans la sienne, soutenant son regard, aussi dur que cela soit parce que c’était comme s’exposer au pire des dangers pour elle. « Mais si tu n’as pas … peur de mes humeurs et de mes craintes, alors je veux bien essayer de comprendre. » Parce qu’elle tenait à lui même si elle était incapable de le lui dire clairement.