Opération bateau, si on pouvait dire. Afin de pouvoir concrétiser le projet d’avoir plusieurs navires à disposition du camp « au cas où », ils avaient été plusieurs à être dispersés sur l’île de Bainbrige. Les binômes suffisaient, parce qu’ils étaient en zone conquise – donc le danger était moindre – et qu’ils étaient forcément à portée de talkie d’une équipe proche en cas de gros pépin. La concernant, Victoria avait alors été casée avec un type un peu bizarre dont elle avait déjà oublié le nom. Zemir, Fekir, Mephir, un truc du genre.

Après quelques baptêmes au poste de contrôle d’Agathe, c’était sa première « mission » depuis son rapatriement à Fort Ward dans un état critique. Elle masquait parfaitement son appréhension derrière son ordinaire expression blasée, piolet fixé à la ceinture avec un mousqueton, 9 mm dans un holster, débardeur kaki et fut emprunté au vieux stock militaire qui traînait encore. Ils se trouvaient sur le sommet de l’Agathe point, pour visiter les maisons côtières des vieux riches. L’idée c’était de checker les garages, voire s’ils n’avaient pas des voiliers rentrés pour l’hivernage 2015 en avance. C’était leur seule chance de récupérer des bateaux à peu près intacts : ceux qui mouillaient depuis quasi quatre ans seraient complètement bousillés.

- T’tais d’jà là à c’moment-là ? Demanda-t-elle en descendant de la voiture.

D’un geste du menton, elle désigna la silhouette impressionnante du paquebot éventré, échouée sur la plage à environ trois cents mètres de là. Clayton n’avait pas manqué de lui raconter l’histoire à base d’orage, de navire de plaisance ramené sur les côtes pour déverser une colonie de mordeurs naufragés – après tout, c’était le jour où il avait été mordu. Sachant qu’il devrait en être mort, ça ne s’oubliait pas.

- Ça d’vait être un sacré merdier en tout cas.

Boh elle disait ça pour la forme, elle ne compatissait pas vraiment. Chacun sa merde, chacun ses casseroles, elle n’allait pas chouiner pour tous les malchanceux. Ni chouiner tout court. Elle ouvrit la portière arrière pour récupérer son sac rempli de deux-trois trucs utiles – talkie, corde, carte, boussole, gourde, briquet, munitions – et était fin prête à commencer. Avec les multiples séances de rééducation et les leçons de boxe de William, elle avait récupéré au moins 90% de ses aptitudes, même dans ses membres fragiles. C’était suffisant pour cette demi-journée !