Ce projet de port avait été… un véritable casse-tête. Si seulement un ancien quai de ferry se trouvait sur le territoire qu’ils s’étaient délimité, les choses auraient été plus simples, mais le plus proche se trouvait Hawley, au nord est de leur position. C’était seulement 8 km mais ça restait un accès non-immédiat en cas d’urgence. Aidée par plusieurs des cerveaux concentrés sur ce chantier – notamment Jaimie et Melinda qui avait de l’expérience à revendre – ils avaient dû réfléchir à comment bâtir un port sans les machines d’autrefois ? Impossible de rallonger les pontons, de construire des digues, de multiplier les darses ou les jetées. De longs mois avaient été nécessaire pour conceptualiser leur objectif, dessiner les plans, rassembler les ressources nécessaires et préparer le terrain.

Les bateaux, ça avait finalement été le plus simple – ou le moins difficile. En fouillant dans des garages ou dans des entrepôts, les équipes de Fort Ward avaient récupéré des voiliers de petite ou moyenne taille, avec des quilles basculantes ou rétractables. Puisqu’ils n’étaient pas à flot, ils n’avaient pas – ou moins – abîmés par l’humidité. Un bon nettoyage et une vérification des pièces les plus fragiles devrait suffire. Coques, ponts, mâts, haubans ou étais n’auront théoriquement pas trop souffert et pouvaient encore tenir plusieurs années. Un élément indispensable, mais néanmoins épineux, avait été de remettre en état deux dragues à benne et les faire venir par la mer jusqu’à Bainbridge. Avec ces engins, Jaimie et Melinda se chargeraient travailler les profondeurs sous-marines au sud de l’île. C’était le seul endroit où ils avaient déjà un ponton opérationnel.

Pour le stationnement des navires, June avait finalement opté pour un port à sec. Avec des remorques et des tracteurs, ils pourront mettre à flot les voiliers dont ils avaient besoin. Pratique sur le papier, mais ça leur demandait de préparer un terrain plat, un accès facile à la mer, les fixations pour maintenir les bateaux au sol, etc. L'avantage, c'était qu'ils s'useraient moins vite. L'inconvénient, c'était la mise à l'eau qui prenait en moyenne entre quinze et trente minutes. Là était leur défi désormais. Entre la réhabilitation de tous les navires et la construction de ce grand port.

L’avocate était présente sur le terrain, au même titre que tous les autres volontaires pour ce travail communautaire. Vêtue d’un simple jean et d’un débardeur – le soleil tapait fort en ce début d’été – elle avait attaché en chignon sa crinière de feu et enfilé une paire de gants. Restaurer les dix bateaux pour l’instant sagement endormis sur leurs remorques, le long de la plage, ou participer au gros œuvre du terrain ? Elle avait choisi.

- On récupère les jardins de ces maisons, elle désigna les emplacements à ceux qui se joindraient à elle, on commence par dégrillager, ensuite on ratissera et on devra creuser le déniveler jusqu’à la mer…

Des semaines de boulot en perspective. Pour le coup, l’avocate était hors de son domaine de compétence : elle ne faisait que répéter ce que lui spécialistes lui avaient dit.

Précisions HRP:

Et bah… fallait dire qu’ils chômaient pas ici. Voilà qu’après le champ de panneaux solaires, ils voulaient un champ de bateaux. Bien qu’elle était là depuis plusieurs mois, Victoria était encore en phase d’apprentissage du rythme des habitants de Fort Ward. A Renton, on se contentait plus du minimum syndical. Déjà, quand il avait fallu construire les barricades, ça avait été un labeur de longue haleine – portés en grande partie pour la main d’œuvre de l’île. La trentenaire comprenait leur efficacité désormais : c’était des habitués du gros œuvre.

Une fois n’était pas coutume, les températures avaient amené la brunette à tomber son habituelle veste en cuir. Ses bras laiteux étaient donc en tête-à-tête avec le soleil estival. Impatiemment, les paupières plissées à cause du soleil qui tapait dur, elle réécoutait les consignes. Le boulot était pourtant simple : elle avait choisi de s’occuper des bateaux. Enfin, il était supposé l’être, avant qu’on ne lui parle d’accastillage, de gréement, d’étai, d’anode et de barre de flèche. La pigiste avait dû stopper l’instructeur en plein élan pour qu’il reprendre avec des mots simples. Genre…

- Ouai bah faut mettr’ d’la graisse sur c’trucs là quoi. C’trop dur d’le dire normal’ment ?!

Autrement dit, lubrifier les pièces mobiles qui devaient être bien grippées depuis le temps. Rien que les poulies, il y en avait pour une éternité. Victoria soupira d’avance mais comme elle avait décidé de se montrer impliquée, elle ne se débina pas. Mine de rien, cela faisait bien longtemps qu’elle vivotait dans l’ombre en participant juste ce qu’il fallait pour ne pas être taxée de profiteuse. Mettre la main à la pâte sur un projet ambitieux, c’était sa façon de prouver – à elle et aux autres – qu’elle était à 100% de ce côté du Pudget sound désormais.

Les marins de profession avaient déjà détaché les voiles pour que les petites mains n’aient qu’à ramasser les pièces, les lubrifier et vérifier qu’elles tournent bien comme prévu. Une fois tout le monde en place, Jaimie et Melinda s’éloignèrent vers les navires difformes amarrés au bout du ponton. Le dragage, hein ? Ça avait l’air tellement plus fun que ce qu’ils faisaient sur la terre ferme…

Presque un mois maintenant, que je suis aux services de Madame Phelbs, et autant dire que je n’ai pas chômé. Et si je la savais stricte et exigeante, je dois avouer que je n’ai pas été déçue. La rousse n’a pas été tendre avec moi, se montrant extrêmement pointilleuse et pointant chacune de mes erreurs, dès le départ. J’ai dû prendre sur moi, plusieurs fois, pour ne pas me mettre à pleurer, tant elle a pu se montrer désagréable et dure parfois. Combien de fois elle m’a obligée à recommencer mon travail pour une minuscule, une toute petite faute ? J’ai arrêté de compter au bout de ma troisième journée à ses côtés, rentrant à la maison exténuée, et moralement éprouvée. Mais il est hors de question que je me plaigne. A chaque fois, je me suis contentée de plates excuses, sans broncher avant de me remettre au travail. Parce que finalement, ça me plaît de devoir faire tout ça, d’avoir autant de responsabilités… Casey dit que je suis folle, que je ne tiendrais pas un mois de plus. Elle dit n’importe quoi…

Après tout, qui ne ferait pas preuve d’autant d’exigence à sa place ? Être à la tête d’un si grand groupe demande un fort caractère, du charisme et beaucoup d’ambition. June a su s’imposer dans tous ces domaines et je ne peux qu’admirer son travail. En la côtoyant tous les jours, j’ai pu me rendre compte de tout ça. Pour pouvoir mener ses troupes, il faut être irréprochable, et je commence à mieux comprendre pourquoi elle est aussi intraitable. Elle a beaucoup de projets pour Ford Ward, des projets qui pour réussir, ne peuvent pas être réalisé de façon grossière. C’est le cas de cette idée de construction de port, nouveau chantier devant débuté aujourd’hui. L’ancienne avocate avait fini par faire appel à moi, pour l’aider à finaliser cette entreprise. Ainsi les deux dernières semaines avaient été très chargées. Il avait fallu réétudier la géographie des lieux pour s’assurer que l’endroit choisi était le bon, vérifier l’exactitude des plans et des distances. Cela m’a occupé une bonne partie de mes journées et de mes soirées, jusqu’à épuisement. J’ai même fini par installer un bureau dans ma chambre, pour ne pas être dérangée par Casey, Stan et les autres… Et c’est sans compter tout le reste. Faire les inventaires des bateaux trouvés, leur état, le matériel nécessaire, la présentation du projet au reste du camp, motiver les troupes pour trouver des volontaires pour ce projet… Tellement de choses à penser que je n’ai pas vu le jour-j arriver…

Présente sur le chantier et postée près de June, je jette un œil aux bateaux de dragage, prêts à partir. Puis mon regard dérive jusqu’au groupe déjà affairé à la remise en état des bateaux. Une moue soucieuse s’affiche alors sur mon visage. J’ouvre machinalement mon carnet avant de vérifier méticuleusement que nous n’avons rien oublié. Je lève alors les yeux vers les jardins désignés par la rousse. Mais bien sûr ! Attrapant les plans dans mon sac, je les déroule sur la table, près de la thermos de café spécialement préparée pour June. Puis je fais signe au groupe de volontaires de s’approcher. « Il va aussi falloir déraciner les quelques arbres et buissons autour de ce jardin, ici. » Je pointe l’endroit du doigt sur le plan, avant de reprendre. « Et cette haie, là. Et, là ! » Beaucoup de travail en perspective, et qui ne sera pas de tout repos, sous cette chaleur. Un dernier coup d’œil pour m’assurer que des bouteilles d’eaux et quelques victuailles, ont bien été apportées…

Tous les grands projets de Fort Ward se faisaient de manière associatives. De simples appels à volontaires, qui attiraient toujours du monde, puisqu'ils étaient tous concernés par le moindre progrès sur leur île. Il n'était plus question de s'équiper en électricité ou de réhabiliter de nouvelles maisons suite à diverses intégrations, aujourd'hui, ils s'attelaient à développer leur accès à la mer, à tous points de vue ! Futurs maîtres des océans !

- C'était c'qu'il avait dit. De tous les bateaux qu's'trouvaient là-bas, y en avait aucun qui n'étaient pas bouffés de tous les côtés. T'sais, on en a essuyé des coups d'vent et c'était un sacré investissement avant d'les maintenir vraiment en bon état.

Avant de recevoir les premières directives, Stan expliquait à John pourquoi ils étaient allés chercher des bateaux dans les garages au lieu de prendre quelques uns de ces voiliers qui sommeillaient dans les ports de environs.

- C'est lui là-bas, notre spécialiste ! Il fit un signe de la main à Jaimie, qui se trouvait un peu plus loin. Ce dernier lui répondit chaleureusement. Il est vraiment cool, faudrait qu'on s'r'organise un truc un de ces quatres à la maison et qu'on invite du monde. Elle remontait à quand la dernière grande fête qu'ils avaient faite chez eux ? Ah oui à son anniversaire, au milieu du mois de juin... quelques semaines à peine auparavant, hehe.
- Tu m'épateras toujours, à connaître tout le monde comme ça...

Stanley répondit à Eddie, qui s'était également joint à eux, par un sourire en coin. L'instant suivant, les trois garçons écoutaient les brèves explications de June et Madison pour déblayer déjà les jardins. Habillés de shorts et de T-shirts, ils sortirent les gants pour aller, accompagnés, s'atteler aux grillages et aux buissons à faire sauter.

- On s'fait cette haie ? Il interrogea Eddie du regard. John alla s'occuper des grillages, avec June et Madisson.

En quelques minutes, les garçons avaient arrachés une bonne partie des branchages et s'étaient au passage tout griffé les avant-bras.

- Bon sang, c'te chaleur ! Se plaignit le plus jeune. Vas y, on s'met torse poil ! Il commença à virer son T-shirt.
- J'envisageais plus d'aller me chercher un truc à manches longues pour les branches moi, répondit Eddie, terre à terre. Stan leva ses yeux au ciel.
-Fais comme moi plutôt ! Répondit son copain en lui désignant avec insistaaaance du regard la jolie Maddie, qui s'activait un peu plus loin.