La pluie s’apaisait à peine quand ils furent prêts à repartir. Selene avait fait un topo aux volontaires : un ours traînait sur leur territoire, il fallait l’en déloger avant qu’il ne soit responsable d’un incident plus grave que celui d’avoir dévoré leurs lapins. Idéalement, il faudrait simplement le faire fuir pour qu’il s’en retourne dans d’autres secteurs que Tacoma. Même si Erika avait maintenu qu’autant sa viande que sa peau serait utile, la musicienne préférait ne pas avoir à tuer un animal qui s’était simplement trouvé au mauvais endroit au mauvais moment.

Gregory, Skyler, Oliver, Valeria, Erika, Duncan et elle-même. Six personnes, il fallait espérer que ça suffise. Équipée d’un fusil M4 cette fois, elle attendit que l’ensemble de l’équipe rejoigne leur camion militaire, prêt pour sa sortie. Ils s’étaient préparés en vitesse mais elle n’avait pas fini de cogiter. Comment faire ? Cela restait sa principale interrogation. Mettre au point un dispositif minutieux pour l’escorter prendrait des jours et là… dans l’urgence, à part tirer en l’air pour l’effrayer avec les détonations, elle ne voyait pas. Idéalement, il faudrait le capturer vivant pour le déplacer mais ils n’avaient pas de tranquillisant et il était hors de question de se risquer à capturer un ours adulte éveillé.

- On sait dans quel secteur il était mais… possible qu’il ait bougé avec la pluie, elle fit la grimace en observant les autres, dans tous les cas, faut qu’on commence par retrouver sa trace.

L’averse aura effacé les empreintes mais pas nécessairement les branches brisées et les traces de griffes sur les troncs. Les indices seraient maigres mais il faudra faire avec. Localiser l’animal, l’effrayer pour l’inciter à détaler vers les routes qui l’éloignerait de Nisqually, prier pour qu’il ne s’énerve pas à la place. Ils ne pouvaient pas faire mieux pour l’instant et dans le doute, toutes les tâches qui devaient se dérouler en extérieur avaient été suspendues. L’ours ne pourrait pas faire tomber leurs murs alors la seule mais réconfortante certitude qu’ils avaient, c’était que les uniques personnes en danger seraient les sept volontaires.

- Si vous êtes prêts, on y va, lança-t-elle alors à la volée, Tu conduis Duncan ? Je te guide.

Oliver s’est rapidement emparé d’une arme de calibre supérieur avant de rejoindre Selene et la petite équipe mise sur pied pour aller traquer leur voisin ursidé. Il n’a pas très envie de s’en servir, considérant la bête comme une victime plus que comme un prédateur - ce qu’un ours n’est pas pour les humains d’ailleurs - mais pour des raisons de sécurité évidentes, il préfère encore prévenir que guérir. On ne sait jamais. C’est donc aux côtés de Gregory, Skyler, Valeria, Erika, Duncan et évidemment Selene qu’il s’apprête à replonger dans la forêt bordant Nisqually.

Alors que Duncan s’installe au volant à la demande de Selene, Oliver monte à la suite de celle-ci et s’installe juste derrière le conducteur. Les autres font de même. La pluie s’est un peu calmée, mais le chemin reste boueux et cahoteux. Avec un peu de chance, la densité de la végétation aura empêcher la pluie d’effacer les traces de l’animal autour du piège près duquel Oli, Selene et Rika avaient été tout proches de lui faire une bise sur la truffe.

« Quitte la route principale à la patte d’oie Dun’. » intervient Oliver en se décollant de son siège pour répondre à son camarade, voyant que Selene est trop absorbée par la pluie qui dégouline le long de sa fenêtre. « Quand tu sauras plus si c’est l’chemin ou la forêt, c’est qu’on s’ra arrivé. » précise-t-il en lui tapotant doucement l’épaule.

Puis il se cale à nouveau dans le fond de son siège.

Spoiler:

- Hum ?

Elle était perdue dans ses réflexions et ce fut finalement Oliver qui répondit à sa place. Le véhicule cahota sur la route trempée jusqu’à se stopper à la lisière de la forêt épaissie par les années. A l’extérieur, le son de l’averse était remplacé par celui des gouttes qui chutait d’une branche à l’autre, sur les feuillages denses qui chantaient en grelottant. Fusil en main, bandoulière de l’arme autour du corps, la pianiste attendit que tout le monde soit prêt pour prendre les devants.

Les grosses semelles de ses boots s’enfonçaient dans la boue, elle écartait avec précaution la végétation humide qui se vengeait en lui déversant des gorgées de flotte dans la nuque. Silence. Les dents serrées, elle tendait l’oreille. Pour l’instant, elle ne percevait que les respirations de ses alliés et les inévitables bruits visqueux de leurs pas sur ce qui restait du sentier.

Ils atteignirent bientôt le théâtre des pièges saccagés où le trio avait aperçu la bête plus tôt et chacun put se rendre compte des dégâts. La terre avait bu le sang désormais, mais il restait les installations détruites et les cadavres écharpés des lapins. S’ils ne pouvaient pas compter sur les empreintes, certaines marques ne disparaissaient pas avec la pluie, à l’instar des buissons piétinés et des traces de griffes sur les troncs.

- Là.

Elle désigna un arbre lacéré sur lequel l’ours avait probablement fait ses ongles. Juste à côté, une bonne moitié de taillis était enfoncée dans la boue, signe qu’il avait vraisemblablement été écrasé pendant ou après l’averse. Ils tenaient un début de piste. Ignorant la sensation d’être glacée jusqu’aux os par l’atmosphère humide, Selene serra ses mains sur les crosses de son arme et rappela à tout le monde :

- On ne tire pas à vue. On essaye d’évaluer la situation d’abord.

Ce n’était pas la première fois qu’ils avaient l’information mais on ne savait jamais : on avait parfois des réactions inattendues sous le coup de la surprise. Comme plus tôt, elle prit les devants sans y réfléchir à deux fois. D’autres traces suivraient très certainement et plus ils s’enfonçaient dans les bois, plus loin ils étaient des voitures. L’option de la retraite devenait donc de plus en plus inaccessible.