jamie w. ((walk among the cobras))
Lun 2 Sep 2019 - 12:33
WESTMORELAND
Prénom(s) : Jamie et Cameron, dans cet ordre. On aime bien les prénoms unisexes, dans la famille, apparemment.
Âge : 18 ans.
Date de naissance : 14 novembre 2000, date autrefois maudite - aujourd'hui, le jour se noie parmi les autres. Loin lui en déplaise.
Lieu de naissance : La minuscule bourgade ultra-séculaire de Mossyrock, Washington. Un tel rêve qu'elle préfère s'en référer à ses origines lointaines plutôt que se réclamer de cette cambrousse insipide.
Nationalité : Américaine, issue de parents Néo-Zélandais régularisés.
Groupe : Travelers.
Ancien métier : Venait à peine de commencer le lycée ; l'a continué à peine plus longtemps avant de devoir se consacrer pleinement à sa survie.
Célébrité : Maya Thurman-Hawke
SENSIBLE
CYNIQUE
BORNEE
LÂCHE
COMMUNICATIVE
STRATEGE
REFLECHIE
BIENVEILLANTE
Elle a trouvé dans les préceptes religieux réducteur une véritable passion pour la philosophie, son engouement principal, sa marotte à elle. Est au moins ressortie de cette éducation bridée une jeune femme juste, avec ses convictions et ses certitudes dont elle ne démord pas. Têtue, elle est toujours sûre d’avoir les réponses. Refusait de voler, de tuer, de piller, de menacer. Des principes qui ne volent pas longtemps dans leur univers, mais qu’elle était convaincue d’aider à se développer, jusqu’à ce qu’elle succombe à ces maux à son tour. Le besoin l’a corrompue et elle s’estime sans rédemption. Ses convictions d’un monde meilleur s’effritent et celles de la nature humaine, mise à rude épreuve trop de fois, ne va pas tarder à suivre.
La mentalité de groupe, la nécessité de la réunion pour la survie : voilà ce autour de quoi Jamie a centré sa survie pour ne pas basculer dans la folie. Penser au nous plutôt qu’au soi, la seule stratégie qui a joué en faveur de sa résistance jusqu’à présent. Penser au bien-être du groupe plutôt qu’à la désolation d’une vie individuelle, jusqu’à ce que celle-ci soit trop menacée par des personnalités trop fortes. Jamie a adopté la pensée de groupe plutôt que la réflexion individuelle, la vue globale plutôt que les inconvénients ponctuels. Sa connaissance des rôdeurs est particulièrement faible et c'est sur celle des humains et leur comportement qu'elle se retrouve le mieux : si elle s'avère incapable de fuir efficacement une horde, sa fascination pour les mécanismes mentaux humains lui rendent particulièrement service pour comprendre les rouages des groupes et de l'individu. Bien que consciente de son besoin de liaison à autrui, son opiniâtreté nuit souvent à ses relations : pragmatique, les affinités sans cohésion ou efficacité lui sont pesantes. Son opportunisme est de fait couard : elle veut les avantages et fuir avant les inconvénients. Ses groupes ont toujours pâti de son manque de courage et de prise d'initiative - diriger lui est plus évident dans la théorie que dans la pratique, et si son bien-être se retrouve compromis, quitter le navire ou fuir la réalité seront ses principaux mécanismes de défense.
Après trois semaines à survivre seule, elle a d’autant plus pris conscience de son besoin d'entourage : réduite à des pensées animales, au vol, à la fuite perpétuelle, elle s’est vue fléchir. Car sous ses airs assurés, confiants, Jamie a les nerfs à fleur de peau et peine à garder le contrôle. De son esprit, de son corps, de sa santé mentale. Tout lui échappe et si elle redouble d’efforts pour trouver comment le maintenir, elle ne sait pas combien de temps il lui reste avant l’amok.
Les années les plus cruciales de son développement se sont passées dans le déni de tout confort matériel. Son corps à mi-chemin entre l’adolescence et l’adulte a dû survivre aux carences, aux manques d’hygiène, à la maltraitance du temps, et aujourd’hui, Jamie, du haut de son mètre soixante-quatorze, ressemble à la plupart des jeunes adultes de son âge : sous-nutrition, maigreur et faiblesse sont un défi quotidien.
Ses cheveux roux et longs ont été réduits au carré barbant mais pratique qu’elle a adopté il y a trois ans. Son teint pâle arbore toujours les mêmes taches de rousseur et les mêmes fossettes creusées au plein milieu de ses joues, mais celles-ci ont perdu leur rondeur d’enfance. Le corps a été délesté de tout poids superflu, et ne subsiste à sa silhouette que ce qui semble être le strict nécessaire : des courbes, visibles mais facilement manquées à distance, et les muscles ciselés développés par l’effort. Seul remerciement qu’elle adressera jamais aux cours d’athlétisme intensifs du collège et aux parties de chasse avec le paternel : son agilité et sa forme physique ne sont compromises que par le manque de nourriture et de sommeil, et elle s’estime heureuse d’avoir des bases.
Frugale par nécessité, ses vêtements ont été rarement lavés et facilement usés par basse qualité. L’aspect rechange n’ayant pas été dans ses ordres de priorité lors de sa fuite, ses vêtements ont grandi avec elle, rapiécés par ses parents quand nécessaire, jusqu’à ce qu’elle en soit remise à elle-même. Maintenant, les vêtements en bout de course se retrouvent échangés avec ce qui lui passe sous la main, et les lavages sont espacés entre eux.
Protégée par ses parents jusqu’à peu, Jamie a la chance de n’avoir reçu que des plaies mineures, facilement pansées par des premiers soins. Des égratignures retorses ornent ses mains calleuses, les inflammations musculaires sont légion depuis son départ de Mossyrock, mais les blessures physiques sont sûrement les moins conséquentes. Les traumatismes sont autre chose, de mieux enfoui, mais de tout aussi dangereux – anxiété, culpabilité, perte de contact avec la réalité, autant de problèmes qui menacent de lui fondre dessus.
Sa blessure la plus conséquente sera finalement la plus récente – une plaie béante dans l’épaule où un canif s’est niché, paralysant son bras droit pendant plusieurs jours, faute de soins appropriés prodigués.
→ EQUIPEMENT
Le sac avec lequel elle a quitté Mossyrock montre les signes de vieillesse : une bretelle a déjà craqué, l’autre risque de suivre en cas de poids trop lourd. Elle se contente désormais d’y fourrer le strict nécessaire.
Les pastilles d’assainissement d’eau sont sa priorité : sa famille est partie avec tout le stock de leur ferme, dont il ne reste désormais que quelques pastilles qu’elle n’utilise qu’en cas d’extrême besoin. Peut-être la seule utilité au matériel de ferme qu’elle ait trouvé et gardé. Sa bouteille d’eau, périmée depuis longtemps et marquée de feutre indélébile, l’aide à se rationner jusqu’au prochain point d’eau et reste remplie au maximum. Selon les trouvailles, parfois les vols, elle récolte quelques barres de céréale ou nourriture sous vide facile à emporter. Si coup de chance, le savon en bloc fait partie de ses objets prisés, mais rares sont les opportunités d'en trouver.
Outil autrefois prisé, Jamie possède un briquet quasiment vide qu’elle garde au cas où une dernière étincelle la sauve au moment opportun – le garder relève plus de la superstition que de l’utilité, mais ça l’aide à se sentir parée à toute éventualité. C’était particulièrement utile lorsqu’elle était seule.
Elle a abandonné depuis longtemps le fusil laissé par son père, trop lourd et difficile à recharger, comme arme de prédilection. Privilégiant la discrétion et la maniabilité, elle a réussi à voler une hache Pulaski petite et légère. Les dégâts qu’elle cause sont faibles face aux humains, et la force de poussée du côté bêche est trop faible pour parvenir à bout des travaux les plus conséquents, mais elle suffit à déblayer du rôdeur et à ouvrir les vieilles portes. Faute de mieux, ça lui convient.
De son frère, elle n’a hérité que d’une montre cassée, qu’elle remonte méticuleusement tous les jours pour avoir idée de l’heure, et le sac de couchage qu’il lui prêtait le plus souvent.
Une vie à la banalité affligeante et rassurante de prévisibilité. La famille Westmoreland rentrait en tous points dans la norme, à Mossyrock. Père travailleur et intégré, charpentier du village, femme sociable et bienveillante à la tête d’un coffee shop à peine ouvert. Ils s’étaient même efforcés d’oublier l’accent de leur pays natal pour s’intégrer plus amplement. Une ferme au coin du village qui ne subvenait qu’en partie à leur besoin, second passe-temps après la marotte régionale qu’était la chasse.
Puis, il y avait Jordan et Jamie. Les deux beaux enfants, nés à à peine deux ans d’écart. Des travailleurs, des gamins respectueux, sans aucun doute la continuité d’une bonne éducation à l’américaine avec sa pensée chrétienne bien droite et ses valeurs méritocratiques sans failles.
Jordan, lui, survivait. Garçon dans la moyenne, bien taillé pour son âge, droit et sec. Fiable, il compensait le peu d’amitiés cultivées par la profondeur de celles-ci, et son manque d’ambitions pour le futur par nombreux petits jobs. Une figure maussade dont la colère s’était transformée en résignation silencieuse, pansement posé sur une plaie béante. Une porte fermée, cet ado dégingandé et peu loquace, que même ses parents avaient arrêté d’essayer de déverrouiller. Même sa sœur n’est pas sûre de l’avoir vraiment connu.
Jamie, elle, s’était forcée à rentrer dans les clous. Dépasser de nulle part. Enfant souriante, attentive, populaire auprès de ses camarades, sauteuse de classe grâce à ses résultats en maternelle. Eternelle déléguée de primaire aux mille et un projets inaboutis, puis future lycéenne impliquée au club d’athlétisme pour postuler aux meilleures facs du pays, dans un futur trop lointain pour qu’elle s’y intéresse. Ado devenue charmante, Jamie cultivait les contacts et les passe-temps : la chasse avec Papa, pour compenser le manque de présence de ses deux enfants. Le service avec Maman, pour l’aider les week-ends les plus tendus.
Ambitieuse, logique, assurée. La copie conforme aux demandes après l’original raté. Comme tous les ados de son âge, Jamie avait forgé dans sa tête une idée toute tracée d’un futur idyllique qui n’incluait ni Mossyrock, ni vie rangée. Ses ambitions étaient rangées dans les tiroirs de sa chambre, sagement planquées derrière les pamphlets distribués aux collégiens par les facs. Elle rêvait de programmer des jeux vidéo, s’entraînait seule à défaut de mieux, se passionnait pour la philosophie, ouvrages qu’elle passait des heures à gribouiller pour retenir les concepts. La nuit, elle fantasmait sur une vie qu’elle n’aurait pas, loin de ces amis qu’elle se forçait à apprécier, de ses parents et de ce frère qu’elle méprisait malgré ses efforts, de ses copains qu’elle voulait fuir.
Quelque part, elle s’est toujours demandé si elle n’était pas exactement comme son frère. Si elle aussi, aurait dû oser vivre différemment.
[OCTOBRE ; AUTOMNE 2015] the outbreak
Depuis quelques soirs, le silence s’est installé à la table des Westmoreland. Les regards oscillent entre l’écran et les fourchettes, les assiettes ont du mal à se vider, les mots sont devenus rares. Chaque soir, on guette de nouveaux cas, on anticipe la chute de la capitale de l’Etat, on craint l’arrivée du virus dans les campagnes. Mossyrock tient sur sa hauteur, les habitants sont optimistes. Le révérend le dit lui-même : on est protégés, pour l’instant. A défaut de réassurances des gouvernements, d’une victoire de la civilisation sur le mal inconnu, de la science sur la superstition, on s’en est remis à lui. Le temps passe et les craintes se font plus audibles, mais personne ne part. L’union fait la force dans ce village abandonné, protégé, caché du reste du monde.
A l’instar de tous ses camarades, Jamie continue d’aller à l’école. On a refusé de priver toute une génération d’éducation à cause d’une maladie, toute inquiétante soit-elle. Chez les jeunes, la vie conserve un cours normal, indifférent à la clameur des aînés inquiets, à la peur sourde qui envahit le reste du pays. Au lycée, les rumeurs initialement excitées par la maladie sont devenues plus modérées alors que les morts continuent de se déclarer.
Peu à peu les grandes villes chutent, le pouvoir devient plus élusif et l’espoir optimiste s’est mué en circonspection grandissante. La bourgade plonge silencieusement dans la peur, avec la conviction illusoire de pouvoir résister.
[AUTOMNE 2016] : the path (a new beginning)
« On part pas sans Aubrey. »
La voix du jeune homme prend soudain l’air de tout l’habitacle et vide de leur consistance celle des autres. Les souffles courts s’arrêtent. Dans la panique confuse qui les habitent, une pause d’hésitation leur donne un instant de répit. La benjamine, prostrée sur le siège arrière, ongles qui s’enfoncent dans le sac à dos encombré, s’exhorte à garder le silence. On s’en fout, d’Aubrey, a-t-elle envie de lui répondre. On a plus assez de temps. On en a déjà trop donné. Elle manque de le dire, compte jusqu’à cinq dans sa tête pour briser le silence qui repose comme un voile mortuaire sur la famille de quatre. Enfin, Noah Westmoreland prend la parole, les délivre de ce fardeau qu’ils se refusaient tous :
« On a plus le temps, mon grand. C’est tout ce que lui oppose leur père, de sa voix inégale, entre la réassurance et la nervosité. Faut qu’on parte. »
Ils espèrent tous que ça suffira, que la peur de Jordan suffira à le paralyser dans son siège, comme le reste d’entre eux. Pendant un temps, ils ont l’impression que ça fonctionne. Puis, un gémissement, une plaidoirie inespérée : « Cinq petites minutes. Elle m’a dit qu’elle arrivait. Cinq minutes et on part. »
Cinq minutes après, la silhouette recroquevillée d’Aubrey s’est glissée sur la banquette arrière, entre le frère et la sœur, serrant son sac à dos contre elle. Jamie risque un regard timide dans sa direction. Lorsqu’elle ne reçoit pas de réponses, elle fait semblant de ne pas avoir vu les larmes qui coulaient en abondance sur ses joues.
La voiture quitte le domaine, sans un regard pour la ferme qu’ils abandonnent aux éléments. Du trajet, personne ne parle - personne ne sait par où commencer, ni où ils termineront. Un endroit plus sûr, peut-être, s'il en est encore quelque part dans l'Etat. « On va trouver un nouveau chez nous. Et si on ne le trouve pas ici, il y a encore des bateaux à Seattle. On se débrouillera. » Noah Westmoreland est le premier à briser le silence. Dans sa voix, une note infime et creuse d'espoir. Tous attelés à leurs peurs, aux incertitudes grandissantes, chacun fait semblant d'y croire. Personne n'y arrivera vraiment.
[PRINTEMPS 2017] left behind (together)
Ça fait des heures qu’ils retiennent leur souffle. La banquette arrière de la voiture est devenue trop petite, trop claustrophobe pour leurs trois silhouettes amaigries, où l’espoir qui les animait s’est lentement fané.
« On fait quoi ? », ose-t-elle d’une petite voix.
Le premier signe de vie qu’ils entendent depuis des heures contraste avec un extérieur anormalement calme. Chacun guette le signe d’une tempête à venir, d’une nouvelle fin du monde. Ils ont compris, lentement, à reculons, que personne ne viendrait les chercher. Plus maintenant. Pas après vingt-et-une heures d’attente, pas dans le ciel qui commence à tomber sur la petite route déserte, pas sans une horde ou n’importe quel danger à leurs trousses.
Les deux aînés échangent un regard soulagé : la plus jeune a craqué à leur place. Ne leur revient plus la tâche de tirer la sonnette d’alarme ou de masquer leur inquiétude dans une fausse certitude. Maman ne reviendra sûrement pas. Le temps limite de retour est écoulé, et le leur est en train de s’égrainer aussi.
« Faut qu’on parte », lâche Jordan. « On attend l’aube, et demain on se tire. »
Sa décision se heurte à un silence prostré. Jamie regarde les derniers rayons baigner ses mains par la fenêtre fermée du côté passager. L’absence de protestations lui indique l’état d’esprit du duo : Aubrey est du même avis. « Non », s’oppose-t-elle, faiblement. « On peut pas la laisser, t’imagine si elle revient ? Elle va croire qu’on est partis, qu’on a été attaqués... T’y penses à ça ? » Le crissement du vent dans l’embrasure de la fenêtre avant lui offre sa seule réponse. L’adolescente relève les yeux, acerbe, prête à en découdre. Pour une fois, son frère ne lui oppose aucune agressivité. Juste un regard résigné, vaincu, prêt à capituler par devoir de protection. « On va même pas essayer de la trouver ? » Son désespoir sent l’abandon. Pour préserver ce qui reste de la santé mentale de sa sœur, Jordan ajoute, d’une petite voix : « On va voir. »
On va voir. Les mots exacts de leur mère vingt-quatre heures avant qu'ils partent chercher leur géniteur. L'espoir que le voyage avait fait naître en eux s'était transformé en un accablement sans fond lorsqu'ils avaient trouvé les abords du centre commercial infesté de rôdeurs. Aucune vie là-dedans. Pas moyen d'aller vérifier. L'optimisme presque sincère des deux enfants s'était vidé après le premier abandon. Ce dont ils se doutaient avec un dernier élan d'espoir s'était matérialisé dans un spectacle de désolation qui ne les avait que trop marqués. Plus jamais ça - voilà ce que Jordan lui répondait sous voile. Pas maintenant qu'ils n'étaient plus que trois. Pas alors qu'ils avaient plus que jamais besoin d'espoir. Sa gorge se serre et ses jambes s’agitent d’un tic nerveux. Autour d’eux la lune monte, les températures descendent. Jordan et Aubrey s’endorment, enroulés dans les couvertures laissées à l’arrière du véhicule. Jamie frotte ses mains entre elles et attend un sommeil qui ne vient pas.
Le lendemain, ils récupèrent ce qu’ils jugent utile dans le véhicule et l’abandonne sous un arbre près du sentier, un mot déposé sur la banquette arrière au cas où on les cherche. Sac sur le dos, les trois jeunes partent à l’opposé du chemin emprunté par la mère. Regagner Seattle devient leur objectif principal. Aucun ne prononce les mots qu’ils craignent tous : ils auront du mal à survivre à trois.
Le temps passe, le mot s’envole, et le deuil se fait peu à peu dans l’esprit de Jamie : leur mère ne reviendra pas.
[HIVER 2018-2019] suffer the children
« Bouge-toi, tu fous quoi ? »
Sa voix couvre les gémissements gutturaux des créatures mais ne suffit pas à étouffer les battements de cœur qui lui martèlent les oreilles. Trois coups de hache. Tant pis pour le bruit. La porte qui lui résistait obstinément jusqu’alors, enfoncée davantage par le séisme de l’été, laisse le verrou éclater et dévoile devant elle leur échappatoire. Derrière elle, la vieille batte de cricket de Jordan peine à venir à bout des rôdeurs qui ont envahi la petite station essence – chacun savent que c’est peine perdue. Le geste, pour la forme, leur a fait gagner quelques minutes tout au plus, et la jeune femme ne comprend pas pourquoi son frère s’obstine.
« Jordan, putain, c’est le moment, là ! »
D’une poussée de la jambe, elle ouvre complètement la vieille porte rouillée et se glisse vers la sortie, remplit ses poumons de l’air pur de l’extérieur. Son frère, lui, s’acharne. Le cœur gonflé d’anxiété, Jamie le détaille, observe la rage avec laquelle il flanque sa batte, avec peu de résultats à la clé. L’agacement monte, prime face à l’inquiétude. « Putain, je te jure que si tu bouges pas je te laisse crever dedans. » La phrase sort plus bas, comme pour elle-même et d’un coup, elle n’a plus besoin de hausser le ton. Jordan est là, batte sanguinolente à la main, teint blafard et traits tirés. Sa sœur l’interroge du regard. Il y répond d’un coup du menton – on avance. Elle lui tourne le dos avec à peine un regard, mais n’avance que de quelques mètres avant d’entendre son frère chuter. Cette fois, elle laisse l’angoisse la prendre.
« Tu fous quoi, là ? »
C’est là qu’elle prend conscience de son état. Jordan, pâle, les yeux hagards, se penche pour vomir sa bile et ne se relève pas. La signification du geste s’installe lentement, insidieusement dans son esprit. « Allez, on bouge. On va se réfugier quelque part. Si on a pu sortir, ils vont suivre aussi. » Le son de sa voix s’entrave dans la panique qui la prend à la gorge. Ses dents se serrent. Elle n’ose plus le fustiger. « Elle est où, Aubrey ? » Sa respiration sifflante a du mal à parvenir à ses oreilles. Lui aussi, est étreint par la panique. Sa sœur s’agenouille près de lui.
« J’sais pas, sûrement partie de l’autre côté. »
Elle aussi, se prend à la chercher du regard – pas de trace de leur comparse, sûrement déjà loin. Comme ils le lui avaient demandé, avec la promesse de se réunir plus tard. « Faut que tu la trouves. Vous partez, vous trouvez des alliés, et ça ira. » L’irrémédiable s’immisce entre eux comme ce froid silence qui a toujours encombré leur relation. Ça lui fout la nausée. « T’arrêtes de jouer aux cons ? On a juste à trouver un abri. On la retrouvera demain. Ce soir c’est mort. » Mais Jordan est trop pâle pour continuer. Son front s’est trempé de sueur, sa barbe mal entretenue absorbe ses larmes. Il a aussi peur qu’elle, mais pas la force de le masquer.
« T’as été mordu où ? »
C’est la première fois qu’elle reconnaît le problème à voix haute. Il les dépasse, les deux gamins de vingt et dix-huit ans, les écrase de sa vérité inévitable et cruelle. Ils ne font pas le poids, et ils n’ont plus la force d’essayer. Jordan entreprend d’enlever son haut, puis renonce. Pointe simplement du doigt trois endroits distincts. L’épaule. Le mollet. La taille. Rien n’est à couper, et, de fait, rien n’est à sauver. « Tu sais quoi faire, hein ? T’as promis. Tu vas pas te dégonfler ? » La jeune femme essaie de protester. Ce qu’elle se sentait capable de faire lui semble d’un coup impossible à surmonter. Planter sa hache recouverte de sang et de boyaux séchés dans le crâne de son aîné. Le terminer comme eux, avant qu’il ne finisse par être des leurs.
« S’il te plaît, hoquette-t-il, t’as pas le droit de chier dans la colle. Pas aujourd’hui. J’ai besoin de toi. Après je demande plus rien. »
Elle veut se boucher les oreilles, le faire taire. Rejeter la vérité a toujours été tentant. Facile, jusque-là. Tout était prétexte à moquerie, à dédramatisation – et ce qui la rendait invivable l’aidait aussi à survivre, c’était certain. Aujourd’hui, sa clarté s’effrite. L’image de son sang mort sous sa hache fait vaciller toute conviction. Elle en est certaine. Il est là, le putain de dilemme moral qu’elle cherchait à retranscrire dans son jeu avant que tout commence. Tuer ou laisser mourir, par convictions ou par affection. Le vrai piège, en fait, parce qu’il n’y a pas de vraie réponse. Les deux tuent une petite partie de soi-même. Les deux induisent un sacrifice, le jeu ne se résume qu’à savoir ce qu’on a le moins peur de perdre.
Jordan sous ses yeux, elle réalise qu’elle a grandement occulté les effets psychologiques du dilemme. Elle s’est à peine sentie embrasser la joue de son frère, l’étreindre pour l’une des seules fois de leurs vies, et s’est vue lever sa hache sans même penser. Puis retomber contre son flanc, poids mort que ses muscles n'ont plus la force de lever. Ses oreilles bourdonnent du sang qui les remplit et noie les supplications de celui qu'elle s'apprête à abandonner.
Lorsqu’elle quitte la station, le pas pressé, on entend toujours les pleurs de son frère. Jamie accélère la démarche pour que, lorsque les rôdeurs l’auront trouvé, elle n’ait pas à entendre son agonie.
[AOÛT 2019] the last of us (never again)
Maintenant qu’elle y est, le placard lui semble l’endroit le plus stupide et évident pour trouver une personne en fuite, mais ses sens lui font trop défaut pour qu’elle reparte à la recherche de mieux. Ça fera, se dit-elle, plus le choix. Et si elle y passe, elle l’aura cherché.
Barre-toi, petite pute, et si on te revoit ici on aura pas la même clémence. Les mots sur lesquels elle s’est faite congédier de son dernier groupe aurait pu être pire pour son larcin. Des boîtes de médicament par dizaines. Des rations à en tenir une semaine. Une gratitude bien maigre pour ceux qui l'ont hébergée, sans méfiance et sans retenue, pendant quatre mois. La gamine n’avait pas fait dans le subtil, mais elle ne prévoyait pas non plus d’être bloquée sur place plus longtemps. Un couvre-feu mal tombé. Une attaque d’un autre groupe qui l’avait prise au dépourvu. Elle avait eu de la chance de s’en tirer avec seulement un canif à l’épaule et de réussir à ramener quelques vivres avec elle. Tout ce qu’elle avait pu faire, c’était se réfugier le plus vite et loin possible avant de défaillir. Là non plus, elle n’avait pas excellé.
Elle retient un gémissement de douleur lorsqu’elle se redresse contre le fond du placard. Son souffle erratique risque de la trahir. Le choix est dur ; elle retire le garrot de fortune qu’elle a noué à son épaule et mord la manche du pull pour déverser sa douleur et sa peur en silence. La matière étouffe les sanglots, lui permet de sortir un peu de la peur qui compresse sa cage thoracique. La blessure est profonde, mais mineure. Il lui suffira des soins basiques. Nettoyer la plaie. Enrayer l’infection. Juguler le flux sanguin.
Derrière ses paupières fermées elle revoit le campement de fortune s’agiter, déstabilisé par sa trahison puis par l’attaque surprise. Elle n’aurait jamais dû rester si longtemps. Le calme intouché de Parkland avait commencé à être gagné par la clameur de Tacoma, accueillant ses survivants en fuite. Elle avait traîné à partir, favorisant le nombre à la sécurité. Trop bruyants, trop dangereux, trop certains de leur paradis surfait et des relations qu'ils y avaient tissés. Le contact avec l'extérieur, éloignée de son petit groupe de trois, lui avait fait du bien - elle avait pu s'informer de la situation des autres états, en apprendre davantage sur les rôdeurs dans la capitale, de quoi partir avec un aperçu global des semaines à suivre. Elle avait laissé son mépris prendre le dessus, pensait que partir serait facile - elle avait été négligente.
Une fois contenance reprise, elle remet le garrot autour de son épaule. Attrape quelques unes des dernières fringues pendues au-dessus de sa tête pour renforcer le bandage. Un putain de gâchis. Son premier réflexe a été d’arracher le canif de son corps comme elle aurait expulsé un démon, l’envoyer le plus loin possible d’elle. Sa hache ne lui servira à rien au corps-à-corps. Pas plus que son corps squelettique, au demeurant, et pour la première fois depuis le début du virus, elle a peur de mourir.
L’aube se lève, réveille Jamie d’un sursaut puissant, désemparé. La jeune femme se hisse sur ses deux jambes, change maladroitement de vêtements grâce à ses dernières trouvailles, reforme son garrot et quitte la bicoque abandonnée. Chaque pas génère un nouveau vertige, chaque élan de son torse un nouveau lancement dans son épaule. Son programme de la journée se réduit au basique : se nourrir, reprendre des forces, et voyager jusqu’à Seattle centre, leur destination initiale.
Elle l’avait compris trop tard : elle a trop traîné. Si Aubrey a survécu, elle les y attend sûrement. C'est ce qu'ils se sont promis il y a trop longtemps - parvenir jusqu'à Seattle, accéder au port, trouver un bateau quitte à le retaper et foutre le camp dès que possible. Pas sûr qu'il y reste des carlingues ne serait-ce qu'utilisables, après avoir autant tardé. Les derniers navires en état ont dû quitter le port il y a déjà bien longtemps, mais le trio avait gardé espoir que les mouvements de rôdeurs aient gardé les plus téméraires à distance des eaux. Leur promesse à la station service tenait toujours. Et sans autre indication contraire, Aubrey s'y était sûrement rendue.
Fébrile, Jamie se plie à l'évidence. L’éviter ne finira que par la desservir. Et, surtout, elle avait compris qu’elle ne pourrait pas survivre sans son alliée. Pas dans cet état. Pas sans Jordan.
Pas sur une autre promesse rompue.
La somme, barbante et mortifiante, de ce qui ramène l’humain à la condition d’animal. Une putain de pyramide de Maslow avec pour seule variable que les deux derniers paliers n’existent même pas.
Une guerre continue et quotidienne pour se nourrir, s’abriter, dormir, trouver des sources de chaleur. Elle se considère heureuse si la moitié de la liste se voit accomplie avant la nuit tombée. Sa priorité, à elle, c’est la nourriture, qu’elle ne possède qu’en stocks réduits dans son sac déjà trop lourd et condensé. L’hygiène autrefois si importante ne devient qu’une option très basse classée quand on a si peu de points de repères. Dans sa solitude, elle règle la vie au jour le jour, s’est débarrassée de ses préceptes moraux à la con pour accepter de s’adresser à toutes les bassesses auxquelles son corps déprivé pouvait la soumettre : voler, piéger, soumettre par chantage, chasser. Elle qui était fascinée par la complexité humaine se retrouve dénuée de sujet d’études.
Vient la sécurité – le besoin d’ordre, de stabilité, de hiérarchie établie sur laquelle se reposer. Glorieux lui semblent maintenant les jours où ils avaient leurs parents pour choisir pour eux, encore trop jeunes pour des décisions aussi sacrées, et où elle maudissait de ne pas pouvoir imposer ses décisions au reste du groupe. Son besoin de sécurité, elle le règle en tête avec elle-même, défi éternel pour ne pas sombrer dans une espèce d’amok interminable : remonter religieusement sa montre de vingt-quatre heures tous les jours, garder une idée du temps pour mieux le maîtriser. Le temps, c’est la seule chose qui la relie à l’extérieur. Elle s’est subordonnée à lui, faute d’autre autorité.
Le besoin d’appartenance, enfin, n’est plus comblé que par sa propre voix. Elle s’est mise à narrer ses actions à voix haute, comme pour les faire entendre – entendre une voix, fût-elle sienne, rien que ça, c’est déjà beaucoup. Ca la maintient dans le présent, dans l’humain, à défaut de mieux. A défaut de ses parents, à défaut de son frère qu’elle a laissé pour compte, d’Aubrey dont elle a perdu la trace. Ses seuls contacts se limitent désormais à observer les voyageurs desquels elle se cache, et fuir au maximum les rôdeurs qu'on l'a jusque-là aidée à éviter et repousser. D'une connaissance particulièrement faible quant à leur nature, la fuite a toujours été son premier réflexe : mieux vaut se tenir à distance, éviter tout risque de blessure facilement infectée. Faute de savoir, la prudence est maîtresse.
Son humanité, elle la gagne à la dure. Se force à devenir actrice des dilemmes moraux qu’elle développait dans ses embryons de jeux-vidéo, à garder la ligne droite de son éducation quand son corps lui crie le contraire. Alors quand elle a le choix, elle ne vole pas. Dès qu’elle peut, elle se rallie à des groupes, parce qu’à son âge, elle n’imagine pas sa survie seule. Si elle peut, elle enraye ses pensées morbides.
• Âge irl : 22 ans
• Présence : à voir, mais 3-4/7
• Personnage : Inventé [x ] / scénario/prédef [ ]
• Code du règlement :
Par la joueuse d'Aubrey Jones
• Qu'est-ce qui vous a convaincu de vous inscrire ? :
• Crédits (avatar et gifs) :
avatar -> freak dynasty, gif 1 ->buzzfeed
passeport :≡ recensement de l'avatar. - Code:
Maya Thurman-Hawke • <bott>Jamie Westmoreland</bott>
≡ recensement du prénom. (prénom utilisé uniquement)- Code:
• Jamie
≡ recensement du nom. (nom utilisé uniquement)- Code:
• Westmoreland
≡ recensement du métier. - Code:
• Lycéenne
- Invité
- Invité
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Re: jamie w. ((walk among the cobras))
Lun 2 Sep 2019 - 12:40
Bon courage pour ta fiche !
- Casey Maverick-Summer
The Rogues
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Re: jamie w. ((walk among the cobras))
Lun 2 Sep 2019 - 14:18
Bonne rédaction à toi !
- Valérian Zacharias
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Re: jamie w. ((walk among the cobras))
Lun 2 Sep 2019 - 14:35
Bienvenue à toi
Bonne rédaction !
N'hésite pas si tu as des questions !
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Re: jamie w. ((walk among the cobras))
Lun 2 Sep 2019 - 16:39
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Re: jamie w. ((walk among the cobras))
Lun 2 Sep 2019 - 16:39
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