Elle était passée au No Man’s Land au début de sa recherche de Markus, l’endroit n’avait pas foncièrement changé, les têtes… Elle avait cru en reconnaître certaines, sans aucune certitude, et n’avait de toute façon pas adressé la parole à beaucoup d’individus. Elle s’était contentée d’observer, dans un coin de pénombre du hangar, de guetter la porte d’entrée en espérant voir le trentenaire la passer, en vain. Son passage lui avait toutefois permis de remarquer quelques habitudes.

Si elle n’avait pas prêté attention au panneau dans un premier temps, le prenant pour un énième panneau de disparu, se disant presque à voix haute - Retenant ses mots au dernier moment. Elle n’avait pas besoin de s’attirer les foudres d’autres survivants - “Il y en a encore pour tenter ça…” sans même réaliser qu’elle faisait pratiquement la même chose dans sa quête pour retrouver la tatouée. Secouant la tête, elle avait fini par partir sans s’attarder davantage à contempler ce qu’elle qualifiait un peu arrogante de “sentimentalisme”, fuyant autant ses propres sentiments que ce qu’ils lui rappelaient.

Il aura fallu attendre son second passage, et surtout qu’elle approche de ce fameux tableau pour qu’elle réalise que les ajouts ne concernaient pas uniquement les êtres chers disparus, mais que l’ajout concernait un tout autre genre de recherches. L’ex-Militaire ne connaissait pas la personne qui avait dessiné les portraits, mais son sang ne fit qu’un tour lorsqu’elle en reconnut deux parmi toute la liste. Passé les deux ou trois secondes d’interrogation, c’est la curiosité qui l’emporta et elle approcha à pas pressé des nouvellement affichées primes à chasser. “Tssk. Vous vous êtes fait des ennemis jusqu’ici.”

Cette fois-ci elle s’était exprimée intelligiblement, clairement, elle n’avait pas besoin de primes pour se mettre en quête de Zack et Morgan, et de qui que soit qui le soutiendrait. Mais la chasse à ces individus avait été reléguée au second plan jusqu’à maintenant. Elle n’était pas la seule à les chercher et refusait de se faire griller la politesse par qui que ce soit : récupérer des ressources pour ses autres projets était un bonus non-négligeable, et si elle pouvait mettre ses compétences à profit pour s’épargner d’avoir à ratisser la ville pour de l’essence, des vivres et des munitions, en plus de régler ses comptes, elle n’en demandait pas mieux.

Le “portrait” du fameux “God” avait attiré son attention également, un léger frisson lui parcourant l’échine. Elle avait vu ce que le zèle religieux pouvait faire, et comment il pouvait transformer les gens. Si l’idée de se lancer à sa poursuite était tentante, elle n’était pas non plus suicidaire, et c’est avec ses deux cibles en tête et les maigres informations mentionnées qu’elle jeta un regard circulaire dans la pièce : Prochaine étape, trouver une piste.

Riley ?

Sa voix grave était enrouée, par la fatigue et sans doute aussi par l’alcool qu’il recommençait à consommer. Comme un pied mis sur le mauvais étrier, Connor avait replongé à corps perdu dans ce qui le rendait le plus aigre et le plus dangereux. L’esprit encore embrumé par la boisson, il portait sur lui cette odeur caractéristique de celui qui avait bu plus que de raisons, et qui commençait peut-être à manger de sa drogue. Ses yeux rougis par la fatigue et la gueule de bois, les mâchoires serrées alors qu’il posait un regard douloureux sur cette brune qu’il connaissait, l’homme ne sut où donner de la tête.

Dans son esprit, tout se bousculait. Riley avait été la femme, celle que Roza tenait tant à protéger alors qu’elle n’en avait clairement pas besoin. L’acolyte véritable, qui n’avait pas réussi non plus à retrouver la russe. Il y avait ce doute, cet espoir peut-être, qu’à ses côtés réapparaitraient son amie. Un espoir qui le bouffait de l’intérieur et lui donnait envie de pleurer encore. Mais maintenant que la gueule de bois était bien installée, il y avait surtout cette rage improbable qui faisait battre ses tempes avec vigueur. Ses yeux bleus scrutèrent un temps la militaire, loin de savoir comment vraiment l’aborder.

Ce nom, il n’espérait plus le prononcer. Markus lui avait dit, à demi-mots, que Riley s’était perdue depuis la disparition de Roza. Quand lui avait remué ciel et terre pour la débusquer, rameutant un hélicoptère au passage – Connor n’avait pas été là ce jour précisément, mais les rumeurs étaient conséquentes et il avait eu l’occasion de récupérer une bouteille de whisky de la venue de ces inconnus – la militaire s’était éteinte sans qu’il ne puisse rien y faire. En croisant son œillade sèche, froide, il comprit que, comme lui, elle avait souffert de cette absence.

Il venait tout juste de passer la porte, sac sur l’épaule, enclin à demander s’il restait des stocks de ce qu’avait ramené le groupe de New Eden. De quoi se remplir l’estomac, en liquide de préférence. Ce fut comme ça qu’il tomba sur elle. Comme ça que sa silhouette le figea sur place, avant que sa mémoire retravaille les images et ne lui donne la réponse. Par-dessus son épaule, il put voir ce tableau d’affichage devant lequel il était passé mainte fois. En rivant ses pupilles dessus, en essayant d’y discerner quelque chose. Sur les dessins qu’il voyait, évidemment que certains lui revenaient. D’autres, son esprit avait fait le tri, surtout maintenant qu’il l’attaquait franchement avec de l’alcool bon marché.

J’pensais que tu te repointerais jamais, accusa-t-il, sèchement probablement, plus qu’il aurait voulu l’être. Ça n’était pas un reproche – ou peut-être un peu. Une constatation de son esprit malade, ou une déduction des mots de Markus. Rien de concret. Qu’est-ce que tu cherches ?

La voix l’avait faite se figer sur place instantanément, elle n’avait pas l’imposant sportif dans son champs de vision immédiat, mais sa mémoire ne lui avait pas fait défaut. Il faut dire qu’elle n’avait pas eu l’occasion de côtoyer beaucoup d’autres individus au cours de sa survie. Du moins pendant une durée aussi importante que Connor. Elle n’a pas pu oublier cette voix, même fatiguée, et éraillée par l’alcool.

Son geste était lent, tandis qu’elle pivotait pour lui faire face. Peut-être plus agressive qu’elle ne l’aurait voulu elle aussi, sauvage. Distante. Il lui fallu une seconde pour se raviser, se souvenir peut-être.

Elle l’observait quelques instants, inspirant profondément, elle l’avait connue par Roza, et s’était assez rapidement liée à lui, elle avait gardé le souvenir de l’Homme tel qu’il était, et qui, bien qu’abîmé par l’apocalypse, avait plutôt bien traversé sa survie. A présent, il n’était plus que l’ombre de lui même, du moins c’est ce qu’elle pensa en premier lieu, une petite pointe de tristesse lui enserrant la poitrine tandis qu’elle se pinçait les lèvres. Elle ravisa bien vite son jugement, au final elle même n’avait pas meilleure allure et cette ombre qui l’entourait, elle la traînait tout autant que l’ex-star. Elle sembla vouloir parler une fois, puis deux. La culpabilité lui mettant une tarte à chaque fois qu’elle tentait une réponse. Elle n’avait pas de bonnes nouvelles. Elle n’avait pas d’information, et par dessus tout elle n’avait pas la russe avec elle.

Le ton de Connor n’avait rien fait pour lui délier la langue, et ce n’est qu’après l’avoir fait attendre une réponse dans un silence seulement rompu par les discussions du No Man’s Land, qu’elle abandonna, décidant finalement de laisser les mots couler, sans plus chercher à réfléchir. Un moyen de se protéger peut-être, de ne pas laisser le temps à ses fantômes de lui nouer la gorge. Nouvelle inspiration, quand enfin : “Roza. Je cherche Roza.” à question con réponse con, se dit-elle avant de reprendre “Mes pistes se sont refroidies. Je dois recommencer ailleurs. Et j’en vois deux nouvelles, juste là.” d’un geste du pouce elle désigna le tableau derrière elle.

Evidemment, les pistes évoquées avaient leur visage placardé sur les primes chassées. Si elle avait été capturée par “vengeance” ou quelqu’autre raison que ce soit, il fallait commencer par les têtes qu’ils avaient failli couper à Renton. “Quant au fait que je me repointe…” un simple haussement d’épaule vint ponctuer sa phrase. “J’dois pas être si facile à flinguer.” la réponse était banale, laconique. Eviter le sujet, éviter la conversation qui viendrait irrémédiablement, elle aussi s’était éloignée. Avait lancé sa traque personnelle, avec les résultats que l’on lui connait. La revoilà désormais au point de départ, et cette idée la taraudait autant que la conversation plus ou moins tendue qu’elle avait désormais.

"Et toi ?" Question con... On connait la suite...

Connor ne sut vraiment dire ce que ces retrouvailles lui inspiraient présentement. Une certaine rancœur peut-être : Avec Riley à ses côtés, Roza n’aurait jamais disparaitre complètement. Il serra la mâchoire, l’écoutant simplement lui dire qu’elle cherchait la russe et que ses pistes s’étaient refroidies avec le temps passé en solitaire. Il leva simplement le regard vers le tableau qu’elle pointait du doigt, venant admirer les deux portraits qu’elle désignait. La contournant, il vint se planter en face du dit tableau pour attraper le dessin de Morgan. Les informations en dessous qu’il relut une énième fois le firent avoir un rictus méprisant :

On les a pas vu ensemble depuis un moment, annonça-t-il à Riley en gardant cette fois-ci le dessin. Si elle tenait à s’en occuper, il viendrait. Après tout, ils iraient sans doute plus vite et plus loin à deux que chacun de leurs côtés, pas vrai ? Même si ça impliquait devoir reprendre tout de zéro, et pour l’un comme pour l’autre, se remettre de ce qu’ils traversaient. Lui devait se sevrer de l’alcool qu’il sentait à plein nez et suivre cette piste, elle, resociabiliser un minimum pour s’assurer d’obtenir d’autres informations. Pour ça que je veux la trouver elle d’abord.

Morgan Cole, donc.

Elle ferait sans doute bien moins la fière lorsqu’il lui tomberait sur le coin de la figure, pour sûr. Elle n’avait que trop mal agi jusque-là, pillant et torturant sans vergogne, sans qu’aucun retour de baton ne lui soit rendu après tous ces méfaits. Pour le coup, Connor se sentait l’âme d’un justicier, il avait besoin de faire payer à quelqu’un ce qu’il subissait depuis plusieurs semaines. Traquer lui permettrait peut-être d’oublier qu’il avait besoin de boire, et qu’il souffrait comme un chien en train de crever sur le bord de la route de la perte de son meilleur ami.

Et lui, alors ?

Je suis rentré au camp, j’en suis reparti, Elena m’a largué, et mon frère, Jeff, est mort. Annonça-t-il à Riley, essayant de ne pas laisser l’émotion le gagner avec tout ça. Plus facile à dire qu’à faire, mais il tint bon. S’il y a une chance que Roza soit quelque part, vivante, j’ai pas le luxe de laisser cette opportunité m’échapper. J’suppose que toi non plus, pas vrai ?

Connor posa à ce moment-là son regard sur elle :

Tu es pas facile à flinguer, et moi, même en essayant d’me foutre en l’air, j’y arrive pas. On devrait pouvoir s’occuper de cette sorcière en un rien de temps… Quand ils s’y mettraient, en tout cas.

Elle suivait les gestes du sportif, ses déplacement, son attitude. Pas de méfiance, mais simplement un automatisme revenu au grand galop. Peut-être, d’une certaine façon essayait-elle de se rassurer, d’y voir un miroir d’elle même, bien que son esprit plutôt pragmatique ne lui ai pas infligé la nécessité de chercher de l’alcool pour assouvir ses pulsions. A choisir c’aurait peut-être été préférable. “Il nous suffira de les réunir. On en flingue un, et on lui file l’autre à bouffer. Tout ça après les avoir interrogé, évidemment.”

Pas une pointe d’humour dans le ton de sa voix. Si il la connaissait pince sans rire, le ton glacial indiquait qu’il s’agissait, dans son esprit, d’une idée tout à fait plausible. Elle n’avait pas la poussée justicière de Connor, mais simplement la rancune tenace, d’autant qu’elle imaginait qu’ils avaient, l’un comme l’autre, des informations sur Sa Russe. “Reçu pour la cible. Je la vois de toute façon moins dangereuse que l’autre. Et qui sait, suffisamment attachée à sa vie pour parler si on lui demande gentiment. Ou pas d’ailleurs.”

Son regard dévia brièvement du panneau vers Connor en l’écoutant, avant de revenir à sa position initiale. La boisson avait fait des ravages mais elle venait à présent à se demander ce qui en avait fait le plus, chassant cette attitude de détachement froid qui commençait à s’imposer à elle, pour venir se camper face au tableau, juste à gauche de l’homme. Cherchant ses mots un instant, essayant peut-être de le réconforter… Un peu brute de décoffrage tout de même. “Je vais pas te faire le refrain habituel, des je suis désolée et autres condoléances… Pas sûre que ce soit dont t’ai besoin. Et honnêtement… Je pense pas être la plus à même d’occuper ce rôle, on sera d’accord là dessus. Toi et moi on est suffisamment cynique pour se dire que ça sert à rien…” Un bref “rire” nasal plus tard, elle reprit simplement le fil de ses mots, sa voix plus faible. Grave, fixant les portraits encore accrochés au tableau. “J’ai plus beaucoup de proche, d’un côté ça fait moins de gens à perdre… De l’autre, j’me dis que je l’ai laissée tomber deux fois. Et que j’ai enchaîné avec toi. Markus. J’ai plus envie. Vous êtes vivants, et Roza aussi l’est quelque part.” C’est désormais bras croisés qu’elle continuait son monologue, parler aux nuages ou au vent ça n’aidait pas, et elle vidait quelque peu son sac sur le coup. Profitant d’une oreille presque attentive.

“Je peux pas ramener ceux qui sont partis. Mais t’es encore là. Et je te laisserai plus tomber, ni toi, ni Markus, ni Roza. Alors quitte à mettre tout l’état de Washington plus à feu et à sang qu’il est déjà… On lui mettra le grappin dessus, en cassant la gueule à tout ceux qui essayeront de nous en empêcher…” finissant par conclure, avant qu’il n'ait lui même envie de lui mettre des claques pour qu’elle se taise. “Moi j’ai plus que ça, alors j’arrêterai pas tant que j’aurai pas une réponse… Le reste j’y penserai après. T’en es ?”

Sa question aura été accompagnée d’un regard en coin, guettant autant sa réaction que sa réponse. Le fixant avec une intensité perceptible sur l’instant. Loin de vouloir sortir du tourbillon dans lequel elle se trouvait, elle semblait plutôt décidée à y plonger tête la première.

Quand tu en parles, ça a l’air simple. Souffla Connor avec un froncement de sourcil. Mais s’ils sont primés à ce point, c’est sans doute parce que ça sera pas simple.

Il était cependant confiant. Peut-être surestimait-il son état actuellement. Entre l’alcool, la barbe et la fatigue, l’homme n’était pas vraiment de première fraicheur. Il n’empêchait qu’il essayât de tenir bon. Ce mince espoir, ça lui permettait d’envisager, peut-être, un retour à la normale, même si cette norme n’existait plus pour sa part. Il avait le cœur lourd, le ventre noué, comme si quelque chose l’empêchait d’y croire.
Il passait sur le reste du discours. Peut-être que sa missive agressive n’avait pas aidé à mettre une grande ambiance. Peut-être que Riley en avait aussi gros sur le cœur que lui, et qu’au bout du compte, enfoncer un peu plus le clou n’aidait personne a aller mieux. Lui n’en était plus à ces formalités : il avait besoin de ces changements même s’il n’était pas prêt à les vivre.

Non, c’est effectivement pas ce que j’attends de toi. Confia-t-il peut-être trop froidement, plus qu’il ne voudrait l’être. Un temps d’arrêt, Connor prit une profonde inspiration pour ne plus laisser à l’alcool la possibilité de parler à sa place : On a pas été là, ni toi, ni moi, au moment où Roza avait besoin de nous. J’aurais aimé que ça en soit pas le cas, mais j’ai pas la force de modifier ce qui est déjà arrivé.

Tout comme il ne retiendrait pas Elena, tout comme il ne ramènerait pas Jeff a la vie. Il y avait tellement de choses à revoir pour rétablir le bonheur. Commencer par Roza, c’était un bon début à ses yeux, en tout cas un point de départ qui lui permettait de voir que le monde n’était pas aussi terrible qu’il l’envisageait.

Markus a peut-être des informations, des choses à dire, je sais pas si tu l’as vu. Fit-il en cherchant un bref instant du regard autour de lui, sans voir sa tête de bouclé. Il a fait fort la dernière fois, avec sa radio. Elle avait dû en entendre parler. J’en suis, oui. Assura-t-il finalement.