Richie retourna du pied un cadavre – ou ce qu'il en restait -, pour observer avec un dégoût non-dissimulé la face inhumaine à la bouche grande ouverte. La vie qui s'arrête sur un cri.
Il déglutit pour faire passer la nausée, remonta son col sur son nez et s'accroupit pour venir lui retirer sa montre, une belle Rolex en parfait état. Voilà ce qu'il était devenu : un pillard. Venant même jusqu'à dépouiller les cadavres. Est-ce que cette pratique le gênait ? Nop. C'était ainsi que l'on pouvait évoluer : en s'adaptant. Et les Gordon s'adaptaient du mieux possible. Le troc était ce qui fonctionnait à l'heure actuelle. Alors ils troquaient.

Ce devait être une belle maison, ici, avant tout ça. Au plafond bien haut, au carrelage bien propre et aux vitres trop hautes pour pouvoir les nettoyer sans grimper sur une chaise. À présent, le lieu avait perdu de sa superbe. Argent, pas argent. Tout le monde avait eu droit au même traitement avec cette épidémie. Peut-être qu'au fond, c'était ça, la justice. Et en survivants, une poignée de péquenauds, tous différents, pour faire la balance. Vu comme ça, c'est sûr, c'était simple de relativiser.

- Le propriétaire a dû ouvrir la porte à la mauvaise personne, remarqua-t-il.

Le cadavre gisait pile à l'entrée. Visiblement, il n'avait eu aucune chance.
Richie avança un peu plus dans le grand hall d'entrée. D'autres avaient déjà eu la même idée qu'eux, à en voir l'état de l'intérieur. Mais parfois, en fouillant bien, il était encore possible de trouver des choses intéressantes.

Le visage du père Gordon se tourna vers son fils qui entrait à sa suite.

- On fait le tour de la maison avant de chercher quoique ce soit. D'abord le rez-de-chaussée. Ça marche pour toi ?

Il attendit l'approbation de Jim pour aller de son côté. Son enfant irait de l'autre, à porté de voix, au cas où. On était jamais trop prudent. Richie préférait toujours mettre l'accent sur la sécurité, quitte à passer pour paranoïaque, plutôt que de prendre des risques inutiles. Combien d'anecdotes avait-il entendu, au No Man's Land, concernant des morts ou des blessés stupides ? Des gens qui n'avaient pas vérifié avant d'entrer quelque part, ou qui avaient commencé à fouiner un autre lieu avant de s'assurer que ledit lieu était bien vide et qui s'étaient laissé surprendre ? Non, pas pour lui. S'il devait se faire tuer, il voulait que ce soit pour quelque chose de valable.

Avec précaution, il arriva dans la cuisine, ou ce qu'il en restait. Ses pieds, malgré sa discrétion, crissèrent sur les éclats de verre répandus au sol. Le frigo était renversé. L'odeur de nourriture avariée donnait des nausées. Mais l'endroit était vide. Au fond, une porte défoncée donnait sur la cave. Avec un peu de chance, ils pourraient y trouver quelques conserves, ou – qui sait ! - quelques bonnes bouteilles qui se troqueraient bien.

Lampe torche en main, il enjamba les restes de la porte pour venir éclairer en bas.

Le chemin n’avait pas été facile pour atteindre cette belle propriété. Le jardin, autrefois luxuriant et bien entretenu, s’était transformé en jungle de fougère, ronce et mauvaise herbe. Rien d’insurmontable pour les deux Gordon, mais cela faisait quand même râler le plus jeune des deux. Jim n’était pas quelqu’un de très patient, et être ralenti par de bêtes plantes était quelque chose de particulièrement frustrant pour lui. Surtout quand la maison qui se dressait devant eux paraissait si riche de trésor et de mystère…

Premier mystère qui leur tomba dessus dès l’ouverture de la porte d’entrée. Comment ce pauvre diable était-il mort ? Zombies ? Cambrioleurs ? A en juger par son expression faciale, du moins ce qu’on pouvait encore distinguer, la balance penchait plutôt côté monstre.
Jim esquissa un sourire sardonique face à la remarque de son père. Le fils l’admettait bien volontiers, son sens de l’humour pinçant lui venait de Richie. Et c’était bien l’un des seuls points communs qu’il revendiquait.

- On fait le tour de la maison avant de chercher quoique ce soit. D'abord le rez-de-chaussée. Ça marche pour toi ?

- Ca marche.

Lorsqu’il était en mission à l’extérieur, Jim devenait étrangement docile. C’est qu’il n’était pas bête, il avait bien compris que son père était tout à fait apte à les garder en vie… À condition qu’ils écoutent au doigt et à l’oeil. Ce que n’avait certainement pas fait Abi et Joe. Et si au début de ces tristes événements, Jim avait renaclé et râler plus que de raisons, il s’en abstenait désormais pour ne pas finir comme ces deux soeurs, ou pire…

Enjambant la carcasse, le jeune homme brandit son fusil devant lui en avançant prudemment parmis les décombres de mobilier joncheant le sol. Si autrefois cette demeure avait été luxueuse, elle n’était désormais plus que l’ombre d’elle-même. Après quelques pas, Jim parvint devant une porte entrouverte, qu’il poussa du pied, le fusil toujours en avant. Bien que le cadavre pourrissait depuis un certain temps, son assassin était possiblement toujours dans les parages. Son assassin… Ou un de ses petits copains en tout cas.

Des planches obstruaient en partie les fenêtres, donnant à la pièce une atmosphère crépusculaire et inquiétante. Si autrefois Jim adorait la pénombre, ce qu’il s’y cachait désormais la rendait beaucoup moins sympathique…. Du bout du canon, le jeune homme renversa la lampe branlante à gauche de la porte. Un bruit sourd faisait toujours réagir les rodeurs, et plutôt que de se fatiguer à les chercher, Jim préférait les faire sortir de leur trous manière de les voir arriver.

Mais il était bel et bien seul. Baissant son arme, il jeta un bref coup d’oeil dans la pièce, manière de préfigurer les trésors qu’il trouverait et de passer à la porte suivante.

Rien en bas non plus. Si la maison avait été indubitablement merveilleuse à l'époque, à présent, elle n'était plus qu'un tas de ruine d'où brillait encore quelques bibelots onéreux qui ne valaient plus rien. Richie n'était même pas sûr qu'ils puissent trouver quelque chose. Ce genre de baraques étaient les premières à se faire piller de fond en comble. Et vu l'état du cadavre à l'entrée, cela faisait un moment qu'il n'y avait plus rien d'intéressant ici.

Il tourna les talons, remonta de nouveau le col de son pull sur son nez en traversant la cuisine, pour rejoindre le grand escaliers menant à l'étage.

- Je monte, Jim. Rejoins-moi dès que tu as terminé.

Une par une, il gravit les marches, les oreilles ouvertes et l'oeil vif. L'étage était plus sombre, mais la lumière était tout à fait suffisante pour y voir parfaitement.

De son côté, Jim était entré dans l'un des grands bureaux de la demeure. Les volets fermés n'offraient pas une grande visibilité, mais le jeune homme ne s'était pas encombré de fioriture, préférant appeler un possible danger d'un bruit sourd plutôt que de le chercher.

Pas de réponse. Le lieu paraissait dépourvu de toute forme de vie.
Mais un tressaillement, au fond de la pièce, ne dût pas lui échapper. Et alors qu'il baissait son arme, prêt à sortir, une silhouette se dessina vivement, derrière le bureau. Un lourd objet – probablement une vieille bouteille d'alcool -, fut envoyé dans la direction de Jim, puis un autre, et encore un. De toute évidence, il ne s'agissait pas là d'un rôdeur.

- Sortez d'ici ! Barrez-vous de chez moi, ou je vous bute !

La voix était enrouée, comme si la personne n'avait pas ouvert la bouche depuis un moment. Un timbre enfantin s'y remarquait cependant, mais la menace sonnait réelle.

- Dernier avertissement !