What a wonderful world
Ven 1 Nov 2019 - 14:15
Jamie se réveille avec une chanson dans la tête. La version de Fly me to the moon de Bobby Womack. Ca faisait longtemps que ça ne lui était pas arrivé - ça se compte en semaines, voire en mois, elle imagine. Ce n’est pas comme si elle avait gardé une trace du temps.
La jeune femme s’étire et se redresse dans son vieux sac de couchage, essayant de retrouver le contrôle de ses membres engourdis par le froid. Elle frotte vigoureusement ses mains écorchées l’une contre l’autre, tente de réchauffer son corps encore endormi. Depuis quelques jours, le vent s’est abattu sur les nuits froides de Seattle, et les répits face à la météo se font de plus en plus rares. Pourtant, c’est la première nuit entière qu’elle arrive à faire depuis plusieurs semaines. Sa nouvelle protection due à sa toute récente compagnie a mis quelques jours à la tranquilliser, une fois les soupçons et l’habitude d’être en permanence sur le qui-vive passés, mais elle est loin d’être de trop. Et leur cachette de fortune, à l’abri d’une grotte, s’est révélée être la cachette parfaite après leur escapade de la veille.
Péniblement, Jamie se relève et sort de leur tanière, enfilant ses vieilles bottines pour se glisser dehors. Leur perchoir, une fois l’aube levée, semble beaucoup moins impressionnant qu’il n’en avait l’air la veille. Quelques mètres devant elle, Lydia est assise. Depuis combien de temps l’attend-elle ? La rouquine sent la culpabilité monter.
« Salut », lui lance-t-elle pour l’alerter de sa présence. La jeune femme vient prendre place près de Lydia, faisant rouler son épaule cicatrisant pour essayer de la rendre mobile à nouveau. « Désolée, t’es debout depuis longtemps ? T’as besoin de te reposer ? »
Comme pour répondre à ses propres interrogations, la jeune femme lance un regard sur sa montre cassée. L’appareil indique six heures vingt ; les cieux voilés de nuages épais semblent dire l’inverse. Elle s’empresse de remonter le mécanisme cassé pour lui donner une impulsion de vingt-quatre heures de plus, jusqu’à ce que l’aiguille se bloque. Elle a arrêté de se demander combien de fois elle a oublié, ou mal remonté le mécanisme. Combien de jours et d’heures se sont réellement passées depuis qu’elle s’est retrouvée seule – l'idée la paralyse plus qu'elle ne l'aide à avancer, et trop de fois a-t-elle manqué de sombrer dans l'abîme en s'engageant sur cette voie.
« On peut essayer de trouver de la nourriture aujourd'hui. On a encore un stock mais ça fera pas de mal de prévoir en amont », déclare-t-elle, avec la hâte de chasser ses pensées noires.
À partir du moment où elles se sont trouvées, leurs journées se sont résumées à trouver des planques, des objets potentiellement utiles, et de la nourriture. Finie, l'époque d'espérance et d'optimisme où Jamie marchait épuisée, mais toujours convaincue de trouver une finalité à ses efforts. Depuis leur départ du No Man’s Land, leurs errances ne les ont conduites à aucun but précis - pour la plus jeune, retrouver Aubrey reste l’objectif principal, et aucun détour n’est de trop. Elle réalise qu’elle n’a jamais demandé à Lydia ce qu’elle cherchait, précisément. Elle imagine que ça n’a plus vraiment d’importance, aujourd'hui qu'il n'y a plus rien à sauver. Mal à l’aise, ses mains frottent son jean épais avec insistance, comme pour se donner une contenance. Au-dessus d'elles, le ciel nuageux menace de pleurer. « Ou on peut rester là », propose-t-elle encore. Leurs conversation n’ont jamais été très vives ; en fait, leurs échanges se sont toujours cantonnés au pratique et concret, à des dialogues dépossédés de toute profondeur qui pourrait révéler qu’au fond, elles ne s’entendent peut-être pas du tout. C’est sa pire hantise.
Dans sa tête, les paroles de la célèbre chanson de Sinatra résonnent toujours, et elle est heureuse de voir qu'elle s'en rappelle toujours. Elle décide que, au moins pour aujourd’hui, elle peut se raccrocher à la sensation. Laisser un peu du passé infiltrer le cauchemar que le peu qu’ils sont à encore vivre est en train de traverser.
« Je me suis réveillée avec une chanson dans la tête. »
Elle ignore pourquoi l’événement l’a mise de si bonne humeur, mais elle a besoin de le partager, toute futile soit l’anecdote. Ca fait trop longtemps qu’elle ne s’est pas contentée d’être une jeune de son âge, une ado, une humaine.
« C’est quoi, qui te manque le plus, d’avant ? »
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Re: What a wonderful world
Lun 4 Nov 2019 - 0:12
J'ignore depuis combien de temps je suis là, le visage blême, les extrémités figées et la bouche bleutée par le froid.
Le sommeil est une denrée qui vaut de l'or, on s'en rend compte lorsqu'on le perd. Les cernes qui roulent sous mon regard terni en sont la preuve, faute à mes nuits bien trop souvent tatouées d'insomnies. Quand le danger guette ainsi, tel un vautour rôdant en permanence dans les parages, il est impossible de fermer l’œil. Je vis avec la peur depuis longtemps, ou plutôt c'est elle qui vit avec moi. Elle est là, incrustée dans mes chairs à vif, elle coule dans mes veines, bat dans mes tempes, mouille mon front et mes mains. Mes sens sont constamment exacerbés, mon corps apte à réagir promptement. Mais c'est épuisant, des fois j'aimerais que le temps s'arrête, mes épaules commencent à s'épuiser, à trop supporter, et j'ai alors comme une envie de tout lâcher, déclarer forfait afin de ne jamais revoir la lumière aveuglante d'un ciel bleu à vous en crever les yeux. Mais je m'efforce à me battre, à espérer. Espérer quoi, je ne sais pas. Mais l’espoir fait vivre, ce qui veut dire que le désespoir tue. Alors je continue à espérer, probablement vainement, mais ça me permet de continuer à me battre.
Alors que le silence a régné en maître toute la nuit, je perçois une légère agitation derrière moi et j'en déduis que c'est Jamie qui a ouvert les yeux. Un bref regard dardé en arrière confirme ma pensée. Je lui rends son salut d'une voix atone.
"-Ça ira."
Je lui lance un regard furtif et remarque qu'elle règle sa montre. Pour ma part, je n'ai plus la moindre montre capable de m'indiquer l'heure de la journée et tous mes repères temporels ont disparu, voire tous mes repères de manière générale. Mon existence baigne dans un océan sans limite, sans balise spatiale, sans indication temporelle. Je baigne dans le néant, incapable de savoir où je me trouve ni depuis quand.
"-T'as soif ? Je t'ai gardé un peu de..." Je tourne la bouteille afin de lire l'étiquette. "-7 UP cherry. Ça ne vaut pas le 7 up original mais c'est buvable."
Durant le cours normal de mon existence, je refusais de toucher à une seule bouteille de soda ou une seule boisson gazeuse afin d'entretenir ma ligne. Je me contentais de boire de l'eau ou alors des boissons 0 calorie. J'exaspérais mon entourage, mais je ne m'en souciais guère. Mon apparence comptait énormément pour moi. Mais les temps ont changé, ça fait longtemps que j'ai cessé de me préoccuper de ma ligne.
Les nuages s’amoncellent avec une noirceur inhabituelle au-dessus de nos têtes et je grimace. Jamie demande si on doit rester ici ou alors chercher de la nourriture et j'hésite durant quelques secondes avant de répondre :
"-Vu le temps il ne devrait pas tarder à pleuvoir. On devrait rester à l'abri pour le moment mais une fois la pluie passée on y va. On a encore de quoi tenir mais nos provisions ne sont pas éternelles. Vaut mieux anticiper."
De plus, au vu des températures qui chutent considérablement chaque jour, l'hiver devrait bientôt pointer le bout de son nez. Or, la sensation de faim est plus accrue durant cette période et le corps a besoin de plus de carburant, autrement dit des calories, pour maintenir sa température corporelle. C'est pourquoi je considère qu'il n'est pas négligeable de refaire les stocks.
La rouquine me fait savoir qu'une chanson lui trotte en tête depuis son réveil. Un fin sourire étire mes lèvres gercées.
"-Je t'écoute, chantes la moi. De toute façon, dans tous les cas il va pleuvoir."
C'est ce que mon père me disait souvent, du moins que si je chantais, il se mettrait à pleuvoir. Il assurait que je chantais faux et que je faisais saigner ses tympans. Evidemment, c'était le genre de réflexion qui me mettait d'humeur acariâtre.
La question de Jamie me prend au dépourvu. Ce qui me manque d'avant ? Durant quelques secondes, je demeure pantoise et ne pipe mot. Le passé, je m'efforce de l'oublier. Parce que, merde quoi, ça fait mal. Mais le passé, c’est le genre de chose qui vous colle aux basques comme un vieux chewing-gum, quoi que vous fassiez.
"-Beaucoup de choses...La danse sûrement. C'est l'seul truc qui me faisait sentir moi-même sans vouloir être cucul la praline. Le lycée aussi, c'était pas aussi relou que la fac."
Je reporte mon regard sur elle. Elle est plus jeune que moi, mais de combien d'années ? Difficile à dire quand la fatigue, la carence alimentaire et une maturité imposée déforment nos faciès.
"-Et toi ? T'étais au lycée d'ailleurs ?"
Le sommeil est une denrée qui vaut de l'or, on s'en rend compte lorsqu'on le perd. Les cernes qui roulent sous mon regard terni en sont la preuve, faute à mes nuits bien trop souvent tatouées d'insomnies. Quand le danger guette ainsi, tel un vautour rôdant en permanence dans les parages, il est impossible de fermer l’œil. Je vis avec la peur depuis longtemps, ou plutôt c'est elle qui vit avec moi. Elle est là, incrustée dans mes chairs à vif, elle coule dans mes veines, bat dans mes tempes, mouille mon front et mes mains. Mes sens sont constamment exacerbés, mon corps apte à réagir promptement. Mais c'est épuisant, des fois j'aimerais que le temps s'arrête, mes épaules commencent à s'épuiser, à trop supporter, et j'ai alors comme une envie de tout lâcher, déclarer forfait afin de ne jamais revoir la lumière aveuglante d'un ciel bleu à vous en crever les yeux. Mais je m'efforce à me battre, à espérer. Espérer quoi, je ne sais pas. Mais l’espoir fait vivre, ce qui veut dire que le désespoir tue. Alors je continue à espérer, probablement vainement, mais ça me permet de continuer à me battre.
Alors que le silence a régné en maître toute la nuit, je perçois une légère agitation derrière moi et j'en déduis que c'est Jamie qui a ouvert les yeux. Un bref regard dardé en arrière confirme ma pensée. Je lui rends son salut d'une voix atone.
"-Ça ira."
Je lui lance un regard furtif et remarque qu'elle règle sa montre. Pour ma part, je n'ai plus la moindre montre capable de m'indiquer l'heure de la journée et tous mes repères temporels ont disparu, voire tous mes repères de manière générale. Mon existence baigne dans un océan sans limite, sans balise spatiale, sans indication temporelle. Je baigne dans le néant, incapable de savoir où je me trouve ni depuis quand.
"-T'as soif ? Je t'ai gardé un peu de..." Je tourne la bouteille afin de lire l'étiquette. "-7 UP cherry. Ça ne vaut pas le 7 up original mais c'est buvable."
Durant le cours normal de mon existence, je refusais de toucher à une seule bouteille de soda ou une seule boisson gazeuse afin d'entretenir ma ligne. Je me contentais de boire de l'eau ou alors des boissons 0 calorie. J'exaspérais mon entourage, mais je ne m'en souciais guère. Mon apparence comptait énormément pour moi. Mais les temps ont changé, ça fait longtemps que j'ai cessé de me préoccuper de ma ligne.
Les nuages s’amoncellent avec une noirceur inhabituelle au-dessus de nos têtes et je grimace. Jamie demande si on doit rester ici ou alors chercher de la nourriture et j'hésite durant quelques secondes avant de répondre :
"-Vu le temps il ne devrait pas tarder à pleuvoir. On devrait rester à l'abri pour le moment mais une fois la pluie passée on y va. On a encore de quoi tenir mais nos provisions ne sont pas éternelles. Vaut mieux anticiper."
De plus, au vu des températures qui chutent considérablement chaque jour, l'hiver devrait bientôt pointer le bout de son nez. Or, la sensation de faim est plus accrue durant cette période et le corps a besoin de plus de carburant, autrement dit des calories, pour maintenir sa température corporelle. C'est pourquoi je considère qu'il n'est pas négligeable de refaire les stocks.
La rouquine me fait savoir qu'une chanson lui trotte en tête depuis son réveil. Un fin sourire étire mes lèvres gercées.
"-Je t'écoute, chantes la moi. De toute façon, dans tous les cas il va pleuvoir."
C'est ce que mon père me disait souvent, du moins que si je chantais, il se mettrait à pleuvoir. Il assurait que je chantais faux et que je faisais saigner ses tympans. Evidemment, c'était le genre de réflexion qui me mettait d'humeur acariâtre.
La question de Jamie me prend au dépourvu. Ce qui me manque d'avant ? Durant quelques secondes, je demeure pantoise et ne pipe mot. Le passé, je m'efforce de l'oublier. Parce que, merde quoi, ça fait mal. Mais le passé, c’est le genre de chose qui vous colle aux basques comme un vieux chewing-gum, quoi que vous fassiez.
"-Beaucoup de choses...La danse sûrement. C'est l'seul truc qui me faisait sentir moi-même sans vouloir être cucul la praline. Le lycée aussi, c'était pas aussi relou que la fac."
Je reporte mon regard sur elle. Elle est plus jeune que moi, mais de combien d'années ? Difficile à dire quand la fatigue, la carence alimentaire et une maturité imposée déforment nos faciès.
"-Et toi ? T'étais au lycée d'ailleurs ?"
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