Allongée sur le ventre sur cette table de "torture", j'essaie de me concentrer sur absolument tout ce que je peux pour ne pas penser à la douleur qui ne va pas tarder à arriver. Et malgré moi, je sursaute un peu quand j'entends le bruit de la machine résonner derrière moi. Ok, ça n'a absolument rien de rassurant comme bruit. Mais j'ai connu pire. Je souffle un coup, ferme les yeux et attends patiemment que la brûlure des aiguilles commence à irradier dans mon corps. Et faut dire que ça tarde pas à venir.

Je serre les dents, inspire longuement pour essayer de m'habituer le plus vite possible. J'ai déjà pris des balles, franchement ça devrait être une petite douleur de rien du tout. Sauf qu'au début, c'est assez difficile de l'accepter: ça fait un mal de chien. J'sors de mes pensées au bout d'un moment quand j'entends la voix de la tatoueuse parvenir à mes oreilles. J'me racle un peu la gorge et relève légèrement la tête pour que ma voix soit pas totalement étouffée par le fait que ma tête se trouvait avant entre mes bras. Ouais, ça va. Pas simple au début mais ça commence à aller un peu mieux... Pour le moment!

Je sais pas pourquoi j'accepte de mettre ma fierté de côté pour dire que j'ai mal. J'aurais très bien pu dire que tout va bien et que je gère sans problème. Après tout c'est vrai. Je grimace pas, je gémis pas comme beaucoup doivent le faire face à la douleur, je bouge pas. Faut dire que je serre tellement les dents que j'pourrais être utilisée comme casse-noix sans aucun problème. Et sans aucune résistance en plus.

Le truc c'est qu'avec le temps qui passe et la douleur qui ne s'arrête pas, j'ai l'impression que j'commence à être sur une sorte de nuage. Un peu comme si j'étais droguée ou complètement soûle. C'est vraiment bizarre, faut l'avouer. J'cligne plusieurs fois des yeux, relevant un peu la tête en regardant autour de moi. Sérieusement, j'ai un peu de mal à comprendre le pourquoi du comment. J'me passe une main sur le visage, frotte mes yeux un petit peu et me rends compte que ça change pas grand chose à mon état. C'que j'fais? Tout dépend. J'suis pas du genre à donner des ordres et à rester avec mon cul derrière un bureau. J'suis toujours dehors, à essayer de rendre la ville un peu moins pourrie. Enfin, c'est c'que j'me dis pour me donner une raison de continuer de faire ça alors que j'sais que pour chaque dealer que j'arrive à arrêter, y'en a trois autres qui pointent le bout de leur nez! J'soupire un peu. J'aimerais bien comprendre pourquoi j'lui dis naturellement c'que j'pense tout bas et ne dis jamais à personne. Peut-être que c'est à cause de la douleur qui m'embrume l'esprit. J'en sais rien. En fait, c'est comme si elle m'apaisait et me donnait envie de parler en toute simplicité. Sans chercher à trop réfléchir. Peut-être que c'est parce qu'elle a l'habitude de parler aux gens pendant son boulot. J'veux dire, ça peut pas venir que de moi si?

C'est vraiment bizarre comme sensation. La douleur constante qui se mélange peu à peu à un sentiment de plénitude. Comme si j'étais complètement dans le gaz. Que j'avais consommé je ne sais trop quelle drogue, qui me permettrait de voir les choses d'une manière complètement différente et déformée. J'peux pas vraiment dire que c'est désagréable, mais j'aime absolument pas ça. Parce que ça me donne l'impression de ne pas être en totale possession de mes moyens. Heureusement, de temps en temps la douleur est plus vive et me rappelle à la réalité en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.

Heureusement, la tatoueuse alimente la conversation en me demandant ce en quoi consiste mon boulot. J'rentre pas trop dans les détails, mais disons que j'en dis assez pour qu'on ait de quoi débattre un petit moment. Et franchement? Sa remarque concernant Batman me fait sourire. Et m'arrache même un petit rire discret et amusé. Elle me laisse pas vraiment le temps de rebondir sur sa remarque qu'elle enchaîne déjà sur le fait qu'effectivement, arrêter un dealer même de seconde zone permet de bien perturber les affaires de ceux pour qui il bosse. Et il est vrai qu'il est déjà arrivé plusieurs fois qu'on obtienne des informations intéressantes en réussissant à les faire parler. C'est sûr que s'ils parlent, ça peut être intéressant. Mais parfois, ils en profitent aussi pour tendre des pièges. Et là c'est beaucoup moins fun quand au lieu de tomber sur ce que tu attendais, tu finis dans un piège avec je ne sais combien de types qui te tirent dessus.

J'crois que la douleur m'empêche un peu de me rendre vraiment compte de ce que pourraient vouloir dire les mots de la russe. Parce que c'est vrai qu'elle a l'air plutôt bien au courant de la manière dont l'arrestation d'un dealer perturbe l'organisation des ventes de drogue. Et je crois que si j'avais pas été dans un espèce d'état second, j'aurais relevé ce point. Mais bon, avec des "si" on pourrait mettre Paris en bouteille. Et j'ai clairement pas fait le rapprochement sur ce coup là.

Un soupir de soulagement m'échappe quand elle s'arrête un moment pour changer d'aiguille et qu'elle m'annonce avec une pointe de fierté dans la voix qu'on a fait le plus gros. Ouf! Je me redresse légèrement, oubliant sur le coup de tenir mon soutien-gorge contre moi pour cacher ma poitrine en pensant qu'elle ne pourrait rien voir à cause de ma position. Je me tiens sur mes coudes et me passe une main sur le visage, en profitant pour me frotter un peu les yeux. Elle me propose de faire une pause café/clope et même si je ne fume pas la première proposition me convient parfaitement. Je dirai jamais non à une pause café! que j'avoue avec un sourire au coin des lèvres. Hm? Quoi? Mais non... C'est pas parce que ça me permettra aussi de passer plus de temps en compagnie de Roza que je fais ça... Enfin... Peut-être un peu, au fond. Même si je ne sais pas vraiment pourquoi.

Je me redresse encore un peu, n'ayant toujours pas percuté que j'avais oublié de récupérer mon soutif, et grimace en sentant le tiraillement de ma peau et la brûlure du tatouage se rappeler à moi. Quand j'me dis que c'est pas encore fini... Je me relève, un peu trop vite certainement, et quand j'me rends compte (enfin) qu'il me manque quelque chose je veux me tourner pour récupérer mon sous-vêtement qui est encore à sa place sur la table que je venais de quitter. Sauf que c'était sans compter sur l'association douleur/faim qui m'a fait tourner la tête d'un seul coup et perdre l'équilibre. Instinctivement, je me rattrape à ce qui est le plus proche de moi. Et de toute évidence, c'était la tatoueuse. Qui n'a jamais rêvé de vivre un moment aussi gênant hein? Moi.

Sans que j'm'en rende vraiment compte, je rougis un peu même si c'est à peine perceptible, et je me redresse en m'appuyant sur elle en me raclant la gorge sans pouvoir cacher ma gêne. Pardon je... J'ai eu un vertige, j'crois que c'est parce que j'ai un peu faim. Du coup, ça va vraiment m'faire du bien ce café... Et qui a encore une fois oublié qu'elle était à moitié nue face à une femme qui ne la laisse absolument pas indifférente? C'est bibi...