Septembre 2015


Installé sur l'une des chaises inconfortables de la salle, Andy gardait ses prunelles claires fixées sur ses bras croisés, bien incapable de relever le nez de peur d'attirer l'attention sur lui. Il avait bien pris quelques minutes à son arrivée pour observer les autres personnes présentes, toutes abîmées par la vie, toutes incapables de gérer les coups de cette dernière d'une autre manière qu'en s'intoxiquant de substances destructrices. T'en fais partie, Andrew, de ces gens. Après trois putains d'années à ne pas y avoir touché, il avait replongé comme la sombre merde qu'il était. Trop peu d'estime pour sa propre personne oui, lui qui était pourtant capable de trouver des excuses à tout un chacun. Il n'était pas apte à le faire pour lui-même et non, aucune excuse ne justifiait ni ne pardonnait le fait de se piquer au point de tomber en overdose. Surtout pas alors que c'était Tessa qui l'avait trouvé. Aucune gamine devrait voir son frère comme ça, t'en as conscience pas vrai ? Pas pardonnable.

Ses dents s'attaquant compulsivement à sa lèvre inférieure déjà meurtrie par la nervosité, il fut tiré de ses sombres pensées par une main sur son épaule, ne pouvant s'empêcher de sursauter, fixant immédiatement d'un air hagard la personne à côté de lui. « C'est à vous. » A lui oui. Ni la voix compréhensive de la bonne femme ni son sourire ne suffirent à l'apaiser. Il était dégueulasse, ce sentiment d'avoir à faire le grand plongeon. Serrant ses poings cachés dans les manches de son sweat, le jeune homme déglutit difficilement et inspira, tentant de trouver un minimum de courage à parler de la sorte. Il l'avait déjà fait par le passé, et ç'avait à chaque fois été une épreuve qui lui demandait bien trop d'énergie. Tu l'as pas, ce courage, mais on dirait que t'as pas non plus celui de tout bonnement crever alors autant soigner le mal par le mal. « Je m'appelle Andrew. J'étais clean depuis trois ans. » Il pouvait s'arrêter là pas vrai ? Pas vrai. Il fallait toujours en dire trop dans ces trucs, du moins, les gens en attendaient toujours plus. Parce-qu'eux arrivaient à se livrer en long en large et en travers sur leurs misérables vies, c'était la norme, et il n'y échapperait pas cette fois non plus.

« Vous n'avez rien à craindre, Andrew, personne ne vous jugera ici. » Foutaises. Il se jugeait lui-même, tellement violemment que ça lui en retournait les tripes, et toute l'ironie était là : il ne pouvait pas fuir ce foutu juge dans son propre crâne, jamais. « Prenez votre temps. » Le châtain ne fit pas l'effort de rendre son sourire à ce type, complètement incapable de masquer l'anxiété qui le rongeait littéralement. « Je n'ai trop rien à dire sur mon enfance. On a jamais vécu dans le luxe et c'était pas facile tous les jours mais ç'aurait pu être pire » parvint-il à dire après des secondes qui lui avaient semblé une éternité. Inutile en effet de parler du fait qu'il était né un 13 octobre, 1992, à Los Angeles. Son père était barman à ce moment là et sa mère faisait des ménages dans des hôtels. Ils n'avaient pas beaucoup d'argent et se trouvaient même parfois avec des retards de loyer alors oui, Andy avait manqué d'un certain nombre de choses matérielles, mais son père faisait au mieux et sa mère était sans doute la meilleure qu'il ait pu souhaiter.

Tâchant de mettre de l'ordre dans ses souvenirs, il reprit, regard fuyant vers le sol pour ne pas avoir à affronter ceux des autres. « En 2007 on a emménagé au Sud de Seattle, je suppose que c'est à partir de là que j'ai perdu pied. » Perdu pied, c'était presque trop faible à dire vrai. La petite famille qui était déjà bien loin de rouler sur l'or s'était agrandie six ans auparavant, en 2001, une petite fille cette fois, Tessa. S'il était réellement possible de tomber amoureux au premier regard, c'est un foutu coup de foudre qu'avait encaissé le gamin de 9 ans qu'il était. Elle avait l'air si sage, si fragile, et d'un seul coup il avait eu l'impression que son but premier dans la vie était de protéger ce petit être. Mais il n'était qu'un enfant et il y a de ces choses que les enfants ne peuvent pas prendre en charge. Leur situation financière n'a fait que s'aggraver et leur père a doucement plongé dans le beau monde de l'illégalité. Il prenait des paris clandestins au bar, avait aussi commencé à taper dans les réserves de bouteilles. Il a levé la main sur toi, quelques fois, tu te rappelles ? Pas sur Tessa, parce-que le gamin que t'étais à l'époque s'interposait et prenait pour elle, pour tous les deux. Finalement, le daron s'était attiré les foudres d'un gang de la ville parce-qu'il leur avait caché du fric, et les menaces étaient tombées sur la famille Hamilton. Alors ils avaient fui, quitté la Californie pour rejoindre l’État de Washington où se trouvait les parents de leur mère.

« Continuez » intima la femme beaucoup trop calme comparé à lui. À partir de quel moment son corps s'était-il mis à trembler, pris de sueurs froides ? Depuis combien de minutes sa main s'était-elle crispée sur son bras ? Foutu manque qu'il aurait tellement souhaité ne pas avoir à ressentir à nouveau un jour. Peut-être devrais-tu espérer encore plus fort la prochaine fois, comme si un miracle pouvait arriver. « J'avais quinze ans à ce moment là et j'ai dû réapprendre à me faire des amis dans une ville que je ne connaissais quasiment pas. Ça a été compliqué de perdre mes repères, ça m'a rendu plus vulnérable. » L'adolescent n'avait déjà pas beaucoup d'amis auparavant, trop timide pour être jugé vraiment intéressant, il allait s'en faire pourtant, et peut-être bien que c'était précisément le fait de se faire ces nouveaux amis qui l'avait fait plonger. La famille avait trouvé un petit appartement miteux dans le quartier le plus pauvre de Seattle, sa mère retrouvant un boulot de femme de ménage tandis que son père, pas toujours sobre, avait un poste d'ouvrier communal. Trop distrait pour être un bon élève, le jeune s'était rapidement retrouvé à avoir des fréquentations plus que mauvaises, et à 16 ans il plongea dans les méandres de la drogue. Pourquoi ? Difficile à dire. Peut-être parce-que ses copains le faisaient, peut-être parce-que c'était plus simple pour supporter le regard peiné que sa mère posait sur son père et les larmes de Tessa qui ne comprenait pas pourquoi papa s'emportait parfois. Au fond, dans ce cercle totalement néfaste, t'avais toujours eu qu'un seul vrai ami, Andy, mais ça avait pas été suffisant.

« Je suis entré en cure de désintox à 19 ans, ça a duré plusieurs mois. » De longs mois qui avaient eu l'air d'une torture. La vérité était qu'il n'avait pas été au bout de son diplôme secondaire, trop occupé à se droguer. Trop dépendant. Comment il trouvait l'argent ? Il s'était mis à dealer, pas joli joli mais pour se donner meilleure conscience il en donnait une partie à ses parents en leur disant qu'il aidait le père d'un copain. Ils se sont rendus compte du mensonge, évidemment. C'est reparti en grosse colère de son père et larmes de sa mère. Au fond ils devaient tous les deux penser la même chose : leur gamin était une cause perdue, un petit délinquant. Le plus difficile pour des parents était d'accepter qu'il n'aurait pas une meilleure vie qu'eux. À ses 20 ans il en avait terminé de la drogue. Sûr que t'aurais aimé pouvoir dire que c'était ''pour toujours'', mais fallait croire que t'avais pas les épaules pour supporter la vie. Y a des gens comme ça, comme toi, comme ceux qui te font face dans cette pièce, comme tous les autres qui n'ont pas pu s'en sortir. Chance ou malchance, dépendait du point de vue.

« Que s'est-il passé ? » La bouche d'un seul coup trop pâteuse, le châtain avait passé distraitement le revers de sa main sur ses lèvres, laissant entrevoir des ongles rongés jusqu'au sang. Juste quelques secondes avant qu'ils ne disparaissent à nouveau dans la manche du sweat noir qu'il portait. « Je... dans trois mois j'aurais dû être papa. J'ai appris qu'il n'était pas de moi. » La bombe était lâchée. Ça ne devait pas être tant impactant que cela pour eux, mais pour lui c'était comme enfoncer d'avantage le couteau dans la plaie, élargir une douleur qu'il avait bêtement espéré pouvoir apaiser avec de l'héroïne. Angelina et lui s'étaient rencontrés à ses 21 ans, en 2013, alors qu'il venait de prendre un petit studio en ville et de trouver un boulot de coursier à vélo. Pas bien fou comme job mais il ne pouvait aspirer à quelque chose de plus prometteur alors qu'il n'avait même pas validé son secondaire. Ils avaient rapidement accroché tous les deux, même Tessa avait fini par copiner avec elle. En février 2015 elle lui annonçait sa grossesse. T'avais eu peur à ce moment là, trop jeune, trop instable, mais tu voulais pouvoir donner à ce gosse un avenir meilleur que celui que tu t'étais toi-même forgé. Il avait appris à l'aimer, ce gamin en construction, se voyant déjà père malgré toutes les angoisses qui le tiraillaient constamment. Et au milieu du mois d'août la dure vérité lui était tombée sur la gueule. Il n'était pas le père.

« Je n'ai pas réussi à gérer la nouvelle alors je... je n'ai rien trouvé de mieux à faire que de replonger. J'étais déjà inconscient quand ma sœur m'a trouvé. » Tessa... Rien qu'imaginer son expression lorsqu'elle l'avait trouvé lui retournait le bide au point qu'il pourrait en dégueuler. Jamais il ne pourrait remercier son meilleur ami suffisamment d'avoir su être là quand la gosse l'avait appelé en panique, ne sachant pas quoi faire d'autre. Personne ne devrait trouver quelqu'un comme ça, surtout pas alors qu'il était son frère, surtout pas alors qu'elle n'avait que 14 ans. Mais quand il s'est réveillé à l'hôpital il avait compris combien elle avait eu peur. Peur de perdre son ange gardien, son meilleur ami, sans doute la personne qu'elle aimait le plus sur cette terre. Elle avait pleuré, elle l'avait frappé de coups bien trop mous en pleurant encore d'avantage. Et il avait senti son cœur se briser d'avantage, son estime de lui déjà pas bien haute plonger encore plus. T'avais voulu la protéger de tout, Andrew, mais t'avais pas été foutu de la protéger de toi, de ce que tu pouvais t'infliger. Et maintenant il était ici, à parler de sa putain de vie comme si ça allait l'aider à passer le cap, comme s'il allait parvenir à se détester un peu moins pour tout ce qu'il avait foiré.

• 14 octobre 2015 / Georgetown – Seattle : Happy Birthday Andy. Ses prunelles claires fixées sur le morceau de plastique qu'il faisait tourner entre ses doigts, seul vestige du gâteau d'anniversaire que Sidney avait apporté la veille, le châtain était à mille lieues de se douter que son vingt-troisième anniversaire était le dernier qui aura été fêté normalement, le dernier en présence de son meilleur ami. Sid était même plus que cela à dire vrai, il était comme un frère à ses yeux. Ça n'avait pas toujours été le cas et le début de leur amitié, quatre ans plus tôt, n'annonçait pas une complicité fraternelle. Ils avaient passé la nuit ensemble, l'alcool dans leur sang y étant pour beaucoup. Et vous vous étiez tous deux mis d'accord pour garder ce secret, surtout pour lui qui n'assumait pas, en réalité, toi tu t'en fichais pas mal. C'était arrivé, certaines choses ne s'expliquent pas, fin du débat. Nul doute d'ailleurs que cet élément fut le point déclencheur de cette confiance mutuelle qui n'avait fait que grandir avec les années, l'hispanique devenant un pilier central dans la vie du coursier. Il avait été là dans les meilleurs comme les pires moments, quitte à en devenir chiant -comme depuis son overdose, quelques semaines plus tôt-. Peut-être était-ce d'ailleurs pour cette raison qu'Andy n'avait pas été foutu de lui dire que malgré les réunions, il n'était pas parvenu à arrêter de s'intoxiquer. Le regard vide qu'il posait sur ces mots d'anniversaire prouvait d'ailleurs qu'aujourd'hui encore, il n'était pas clean. Et même ces infos à la télévision concernant des drogues qui rendaient les gens fous n'avaient pas suffit à le motiver suffisamment. Au pire il finirait crevé comme la sombre merde qu'il était, sans doute serait-ce un service rendu à ses proches qui pâtissaient clairement de sa dépendance.

• 20 octobre 2015 / Industrial District – Seattle : Des militaires dans les rues, la loi martiale, le couvre-feu et tout ce bordel. La situation commençait sérieusement à craindre tant en ville que dans le reste du monde et la plupart des Hommes lambdas commençaient déjà à faire des réserves de bouffe ou à quitter la ville. La plupart oui, majorité dont Andrew ne faisait de toute évidence pas partie. Il n'eut qu'une seule pensée censée à ce moment là : aller voir son dealer pour refaire son stock d'héroïne et de coke avant de se retrouver à sec et, par extension, en désintox forcée. Y serais-tu tout de même allé si t'avais su ce que t'allais y voir ? Probablement que oui, parce-que l'idée du manque te semblait bien pire que quoi que ce soit d'autre à ce moment là. Sauf que rien ne s'était passé comme prévu et, en prime, le châtain eut une vision de ce à quoi ressemblait l'Enfer, celui dans lequel le monde entier se trouverait toujours quatre ans plus tard. Il avait récupéré sa came à l'entrepôt qui était plus un squat qu'autre chose, et au moment de repartir ils étaient tombés sur ce type. Andy se rappelait de ce regard laiteux, de ces râles, de la manière dont il avait sauté à la gorge de Mark pour lui bouffer la trachée. Tellement de sang, de cris, d'impuissance. Alors il s'était tiré, rapidement, encaissant une culpabilité qui pèserait longtemps. Qu'aurait-il pu faire d'autre ? Au vu de la blessure le dealer n'y survivrait pas, et attendre les flics alors que son sac était plein de substances illicites n'était pas une option, sûr qu'il se ferait coffrer direct. Dans la foulée, un appel de Tessa : leurs parents étaient sortis faire des courses au matin et n'étaient pas revenus, pas de nouvelles, elle avait peur. Un passage à l'appartement familial pour la récupérer, un mot qui indiquait à leurs parents qu'ils seraient chez Andrew, et ils étaient tous deux retournés chez lui, s'y planquant à l'instar des autres habitants.

• Décembre 2015 / Georgetown – Seattle : Les tremblements, les sueurs froides, l'instabilité. Il peut le sentir clairement dans chaque pore de son être, ce manque. Une semaine que le Californien est à cours de drogue, une semaine qu'il est en tension constante, trop agressif, et que Tessa ne parvient plus à le gérer. Il se retrouve forcé de se rendre à l'évidence qu'ils ne s'en sortiront pas seuls, il a besoin d'aide, et sa sœur ne peut le porter d'avantage. Leurs ressources de nourriture sont d'ailleurs à sec et le coursier n'est de toute évidence pas en état de faire face au monde extérieur. C'est au début du mois que leurs parents font signe de vie alors que les deux jeunes envisageaient une solution pour se tirer de là. Ils ne sont pas morts et, après avoir manqué de se faire tuer eux aussi, ils ont trouvé ce camp au Garfield Highschool. La famille décide de s'y rendre, laissant derrière eux Woody, le chat du coursier, qui s'est assuré de ne pas le laisser enfermé à l'intérieur. Pas de nouvelles de Sidney.

• Février 2016 / Emerald Freedom – Garfield Highschool : Les parents Hamilton mourront dans le soulèvement contre les militaires qui tiennent le lycée. Un coup dur à encaisser pour Andy et sa sœur. S'il a reprit en forme depuis leur arrivée ici malgré les longues semaines de sevrage, cet événement ravivera à nouveau son anxiété et refera de son manque pourtant atténué une obsession considérable. Il craint pour la sécurité de sa sœur mais ils restent, bien conscients que les risques au dehors sont encore plus grands et qu'il ne sera pas capable de réellement la protéger de tout ce qu'il pourrait arriver. Au moins ici n'est-elle pas seule avec son toxico de frère.

• Printemps 2016 / Emerald Freedom – Garfield Highschool : Les semaines filent et les deux se sentent plutôt bien au lycée, dans ce groupe, même si Tessa est clairement plus sociable que son aîné. Après avoir suivi les entraînements au tir donnés par l'un des dirigeants du camp, ayant au passage droit à un S&W MP9 et un couteau, Andrew se retrouve forcé à tuer son premier rôdeur lors d'une sortie. Il a jusqu'alors parvenu à les éviter et pour cause : à peine voit-il le corps sans vie s'effondrer, prenant conscience qu'il est celui qui a appuyé sur la gâchette, il ne peut s'empêcher de régurgiter son repas du matin. Une expérience qui fera peser une nouvelle culpabilité sur ses épaules, le début d'une longue liste.

• Juillet 2017 / Emerald Freedom – Garfield Highschool : Après plus d'un an dans le groupe, les Hamilton avaient définitivement pris leurs marques, Tessa plutôt bien entourée tandis qu'Andrew faisait de son mieux pour se rendre utile. Toujours relativement sur la réserve, ne s'imposant pas, il se laissait simplement porter par la vie du camp. Tuer les rôdeurs le révulsait toujours autant et il s'abstenait si ce n'était pas obligatoire. Ses tripes se retrouvaient retournées à chaque fois bien qu'il était désormais conscient que c'était ce qu'il y avait de plus censé à faire, indispensable aussi pour leur survie, parfois. Et leur équilibre se retrouva brisé. Un autre groupe venu pour leur proposer un deal. Ils suivaient ou se faisaient tuer. T'as pas voulu les abandonner, t'as manqué d'y passer toi aussi, alors en dernier recours vous avez filé avec Tessa, ne vous retournant qu'une fois, les flammes qui réduisaient le lycée en cendre se reflétant dans vos regards terrifiés.

• Automne 2017 / Redmond : C'est pas les mordeurs qui te tueront c'est ta propre connerie ! Des paroles qui tournaient en boucle dans le crâne du coursier, accompagnées de la voix à la fois pleine de rage et de peine de Tessa. Ils avaient trouvé cette maison deux jours plus tôt et avaient décidé de s'y installer un temps, histoire de reprendre des forces et retrouver quelques vivres dans le coin. À fouiner dans cette chambre cependant, ce n'était pas des vivres qu'il avait trouvé mais plutôt une petite réserve d'héroïne que l'ado qui devait vivre là auparavant avait eu la bonne idée de planter dans la plinthe d'un mur, bien à l'abri de l'humidité et de quoi que ce soit d'autre. Avait-il espéré la récupérer un jour ? Qu'importait, Andrew était tombé dessus avant. Une nuit, c'était ce que t'avais tenu avant de succomber à la tentation, comme si toutes les cellules de ton corps n'attendaient que ça pour se retrouver apaisées, comme si c'était d'un coup devenu une question de vie ou de mort. Cette obsession avait été suffisante pour balayer toute raison. Il n'en n'avait pas abusé mais ce fut suffisant pour que sa cadette désormais âgée de 16 ans le remarque, qu'elle se mette à hurler et détruise ce qu'il restait de cette fameuse réserve. Le ton était sérieusement monté, alertant sans grande surprise les macchabées. Ils durent fuir, se trouver une autre planque. Plus de notion de temps ni de logique, le châtain avait simplement suivi sa sœur jusqu'à se trouver une autre baraque, se foutant dans un coin, ses bras encerclant ses genoux, se maudissant intérieurement. Il se connaissait, il connaissait les effets : les cellules de son corps étaient encore bien trop marquées par les souvenirs de sa dépendance, une fois suffisait pour que son esprit replonge dans ce cercle infernal. Et pourtant t'avais pas été foutu de résister à l'appel de cette destruction lente.

• Hiver 2017 / Sammamish : Les derniers mois furent compliqués, tant à cause des conditions de vie que des tensions entre les Hamilton. Tessa avait peiné à lui pardonner sa rechute rapide, ne lui adressant pas la parole des semaines durant. Le Californien eut cette sale impression qu'elle essayait simplement de prendre ses distances au cas où, comme pour se préparer au moment où il tomberait pour de bon. Si une part de lui comprenait, cette attitude de l'adolescente ne fit qu'accentuer d'avantage sa culpabilité. Pour autant Andy fit en sorte de se racheter alors que l'année touchait à sa fin. Tessa était tombée malade, elle s'affaiblissait de plus en plus. Le coursier avait vraiment cru à un moment qu'elle n'y survivrait pas, mais il ne ralentit pas ses efforts pour autant, se démenant pour leur trouver de la nourriture et quelques médicaments. Elle survécu.

• Mai 2018 / No Man's Land : Tu crois qu'on pourrait retourner à la maison ? Une question lancée par Tess qui justifiait leur retour en ville. Elle avait eu dans l'idée de récupérer des souvenirs dans l'appartement familial et ils en avaient profité pour faire un crochet au logement d'Andrew. Une part de lui se doutait que, s'ils n'avaient pas eu de nouvelles de Sid depuis tout ce temps, il n'y avait quasiment aucune chance qu'il ait survécu. Mais l'autre part se berçait encore d'illusion. Lui avait réussi à survivre malgré sa dépendance et tout le reste, alors pourquoi son meilleur ami n'y serait-il pas parvenu ? De vous deux, ç'avait toujours été lui le plus fort.. Mais il n'y avait aucun signe de son passage. Après quelques jours d'errance ils étaient tombés sur ce squat dans l'Industrial District, se décidant à y rester quelques jours le temps de se trouver un autre but plus motivant que simplement avancer sans savoir où aller.

• Automne 2018 / Kent : Partir vers le Sud, c'était le plan. Autant pour fuir l'hiver que pour se rapprocher de leur coin natal en Californie et espérer trouver sur le chemin quelque chose qui leur donnerait un objectif plus concret. Ils ne laissaient de toute façon rien derrière eux alors autant aller de l'avant et voir, s'éloigner aussi de Seattle qui, malgré leur passage, regorgeait encore de trop de souvenirs douloureux.

• Printemps 2019 / Tacoma : Tess avait fini par s'endormir sur ce canapé miteux, la tête calée sur les cuisses de son frère dont le regard était figé sur les ombres du mur d'en face. Quelques heures auparavant elle était en état de choc tandis que lui, tournait comme un lion en cage, aux aguets, passant tantôt par les fenêtres pour observer au dehors, tantôt aux côtés de sa sœur qui contenait difficilement ses larmes. Ses doigts se glissant dans les cheveux de la jeune femme, le Californien ferma quelques instants les yeux en inspirant pour calmer ses propres angoisses. Mauvais idée, de fermer les yeux. Tu le revoyais encore clairement, ce type qui s'approchait de ta cadette après t'avoir partiellement assommé d'un coup en pleine gueule. T'avais clairement compris ce qu'il se passerait si tu réagissais pas. Et les cris de Tessa t'avaient ramené à la réalité. Tu te revoyais prendre le gars par la gorge pour lui trancher la carotide avec ton couteau de chasse. Net. Rapide. Mortel. Le simple souvenir du sang chaud sur ses mains lui valut un nouveau haut le cœur, le poussant à porter à ses lèvres sa main toujours tremblante alors que ses prunelles se fixaient sur la silhouette endormie de sa sœur. Tuer les macchabées n'était déjà pas une partie de plaisir mais tuer un vivant pour la première fois était encore pire que tout. Mais ç'avait été pour la protéger elle. Là non plus il n'y avait pas eu d'autre choix, pas vrai ?

• Été 2019 / Tacoma : Les mois filaient rapidement, les jours s'enchaînant, tous semblables aux précédents. Les Hamilton n'avaient pas quitté le coin, Tessa se remettant doucement de ce qui était arrivé, l'aîné faisant de son mieux pour leur garantir une certaine sécurité et un confort, tout relatif, certes, mais au moins étaient-ils ensemble. Va bien falloir que vous bougiez un jour, t'en as conscience, mais pour aller où ? Tu vois bien que la jeune perd doucement cette lumière dans son regard, qu'elle perd l'espoir. Et toi ?

• Fin octobre 2019 / The Haven : Un moment d'inattention, c'était tout ce qu'il avait fallu au châtain pour qu'il se retrouve à passer au travers d'une foutue véranda. La chute avait été violente, suffisamment pour qu'il perde connaissance. C'est à l'infirmerie de fortune de ce groupe qu'il a repris pleinement conscience. Tessa à son chevet lui avait expliqué qu'elle avait demandé l'aide de ces survivants, bien incapable de soigner son aîné dont le dos était parsemé de nombreux morceaux de verre, ses mains avaient morflé elles aussi. Tu la vois, cette peur qui s'est à nouveau logée dans son regard ? Encore par ta faute, Andy, à croire que tu sauras jamais la protéger comme il faudrait. La décision fut prise qu'ils resteraient ici pour l'instant, tant parce-que le châtain ne pouvait repartir au vu de ses blessures que parce-que Tessa avait plus que besoin d'une certaine stabilité. Et ils leur en devaient une. Que se serait-il passé si personne ne leur était venu en aide ? Rester le temps de payer sa dette, parce-que c'était la moindre des choses.

S'avançant vers les dortoirs pour rejoindre sa sœur, le châtain observait silencieusement la vie qui se jouait autour de lui. Un peu plus d'un mois qu'ils étaient là et s'ils avaient déjà eu à essuyer leur lot de mauvaises nouvelles, Andrew n'avait rien à reprocher à ces survivants. Il ne leur faisait pas encore totalement confiance mais Tessa avait l'air bien, ici, en sécurité. Plus en sécurité qu'avec toi.

A peine avait-il été remis sur pied qu'il avait fait au mieux pour se rendre utile au sein du groupe et ne pas être un poids mort, aidant tant aux gardes qu'aux tâches plus banales. Une petite routine s'était mise en place, bien moins morose que celle dans laquelle ils se traînaient quand ils étaient dehors, seuls. La jeune femme s'en était accommodée. Andrew, lui, évitait de se mêler aux gros rassemblements, son regard protecteur suivant tout de même sa cadette. Et ce type que t'as buté t'y penses parfois ? Bien trop souvent. Les cauchemars sont récurrents et le manque de sommeil est lisible sur son visage ce qui ne l'empêche pour autant pas de se rendre utile.

Le mode de fonctionnement du camp ? Il n'a trop rien à en dire et l'accepte, bien conscient que Tess et lui ne sont que des pièces rapportées ici et que ce petit confort peut basculer d'une seconde à l'autre. Sans oublier le fait que t'as jamais été foutu de l'ouvrir et exprimer le fond de tes pensées, c'est pas maintenant que ça va changer.