Bon, j’essaie d’être sociable. Lui aussi. Le monde est merveilleux donc. Ou un truc dans le genre. Je vous jure, avant c’était un truc évident, facile même. Et maintenant, j’ai toujours l’impression de marcher sur des œufs. Sauf quand je suis concentré sur ma tâche. Là, ça va. Je sens mes épaules se détendre alors que je m’occupe de le soigner. Je sais faire ça. Et je me débrouille bien. Je crois. En tout cas, personne s’est jamais plaint.

Je détourne mon attention de sa blessure, le fixant un instant quand il descend son verre et j’ai une grimace involontaire à sa réplique. « … ouais. Je me doute. Vous avez fait comment pour sortir de là alors ? » C’est probablement de la curiosité mal placée. Sûrement même. Sauf que, dans un coin de ma tête, y a cette idée à la con d’y retourner pour aller sauver la gosse. J’essaie de pas trop écouter cette petite voix parce qu’elle est tout sauf raisonnable, mais je sais que je pourrais pas l’ignorer encore bien longtemps.

Je me concentre de nouveau sur mon boulot avant de lever un sourcil à sa question. « Plus ou moins. Ca a été un sacré bordel et y avait des mines tout autour. On s’est précipité chez euh… une espèce d’avant-poste de leur groupe. Pour dire ce qui s’était passé et essayer de trouver quoi faire pour revenir. Sauf que la situation a un peu échappé à tout le monde. » A dire vrai, je me souviens même plus de comment je me suis retrouvé de nouveau dans la rue, à chercher un coin où dormir, les idées en vrac après ces quelques jours totalement improbables. Je me frotte le visage un instant, retenant un soupir, alors que que je suis bien loin de me rende compte que cette histoire va continuer d’avoir plus d’incidences que je le croyais sur ma propre existence.

En tout cas, le fait de le voir sourire et qu’il ait l’air plus détendu a quelque chose de… surprenant ouais. « On dirait que ça va un peu mieux non ? » J’aurais probablement pas dû relever mais j’ai pas pu m’en empêcher. Ouais, ouais, j’ai du boulot niveau interactions sociales, j’en suis bien conscient. Mais déjà, j’ai arrêté de me parler à moi-même ces derniers temps, c’est déjà pas mal. Probablement parce que je suis plus souvent au NML. Bon, okay, à cause de ça j’ai été kidnappé et j’ai vu des gens se faire torturer. A la réflexion, je sais pas si c’est vraiment une bonne chose ou pas donc. Hum. Je disais ? Ah ouais, devenir sociable.

Au point que j’esquisse un sourire à sa question. J’attrape un verre quand il agite le goulot et je fais mine de réfléchir quelques instants. « A ton avis, qu’est-ce qui peut intéresser un médecin dans un monde apocalyptique où tout semble devenu impossible à obtenir ? » J’avoue, je suis curieux. Il a l’air d’être le genre à trouver tout et n’importe quoi. Et vu que je sais jamais quoi demander en échange de mes soins, si ce n’est de la bouffe ou des bouquins, j’ai aussi envie de voir ce que ça vaut, ce genre de trucs.

« Eh bien, on a tenté de fuir sans se faire repérer… Mais d’y aller à l’aveuglette, comme on l’a fait – et surtout sans un déguisement comme le vôtre – je suppose que c’était déjà voué à l’échec… » Malgré l’ombre qui vint assombrir les traits de Kilian, au souvenir de cette évasion complètement raté – enfin, complètement raté pour lui-même, puisque la réussite des autres ne lui importait peu – l’homme s’était tout de même lancé dans une réponse plutôt complète à la question de Nolan. Après tout, cette survie en solitaire ne lui avait pas donné l’occasion d’en parler à qui que ce soit… Ne lui avait pas donné l’occasion de ventiler sur ces derniers jours qui avaient été plus qu’éprouvants pour lui. Un véritable cauchemar ! Le médecin venait donc de se voir accorder le droit à l’histoire longue, puisqu’une fois lacé, Finch n’avait pas pu s’arrêter ;

« On s’est fait voir… Et si j’ai essayé de protéger les autres, malgré l’état de mon bras, elles, elles n’ont trouvé rien de mieux pour me remercier, que de me planter là pour sauver leurs précieuses petites miches ! Son ton s’était durcis. Kilian n’avait pas pardonné le geste de Kaycee, Salem et Daniella qui l’avaient si lâchement utilisé comme de la chair à canon pour se sortir de là ! Il était toujours en rogne et ça se ressentais aisément dans sa voix. Elles ont pu fuir, par un amas de pneus qui leur a permis de passer la clôture. M’abandonnant derrière avec ces bâtards masqués ! J’aurais pu résister, mais tu sais comment c’est... Ils ont sorti les armes et m’auraient assurément descendu sans aucun scrupule si j’avais tenté quoi que ce soit. Alors, je les ai laissés me ramener si "gentillement" entre les murs d’une cellule encore plus petite et miteuse que celle que l’on venait de quitter. »

Kilian avait fait une pause dans son récit, le regard perdu au-dessus de l’épaule de Nolan. Comme si un voile s’était dressé devant lui, les scènes avaient défilé devant ses yeux au fur et à mesure qu’il les avait décrites. Et bien, qu’à quelques reprises, il eût fusillé le médecin du regard, ça avait toujours été sans jamais vraiment le voir… « On était trois dans ce trou à rats. Avait-il repris, sans crier gare. Trois à servir de monnaie d’échange lors d’une négociation armée avec le groupe a qui l'on destinait la marchandise du convoi. Une négociation qui s’est, d’ailleurs, très mal finit pour ces Scarecrows de mes deux ! Et tu peux être sûr que si, un jour, j’en croise un qui a survécu à cette affrontement, je lui arrache la tête à mains nues ! »

Son discourt avait au moins eut l’avantage de lui faire oublier la douleur de son bras. Tandis que, tout en l’écoutant, Nolan avait repris la fastidieuse tâche de lui nettoyer la blessure à l’aide d’une pince à épiler ; retirant tous cailloux et autres débris prisonnier de sa chaire. Lorsque le cogérant reposa enfin son attention sur le médecin – comme s’il s’apercevait de sa présence après un court moment d’absence – ce fut pour lui demander comment lui s’en était sorti. Curieux d’en savoir plus sur ce qui s’était finalement passé de l’autre côté des murs. Apprenant, alors, qu’il y avait eu des mines planquées tout autour de l’enceinte… Acquiesçant, lorsque Nolan ajouta que la situation avait échappé à tout le monde. « Mm. » C’était le cas de le dire, oui.

Toutefois, pour l’heure, le cogérant avait plutôt choisi de retrouver son sourire. Après s’être libérer d’un poids, grâce à son récit, il se sentais soudainement plus détendu et convivial qu’il n’avait pu l’être depuis un bon moment déjà – bien que, probablement aidé par la belle quantité de rhum qu’il venait d’engloutir. Il avait alors accepté d’abaisser cette massive muraille de méfiance qu’il avait érigé tout autour de lui. Ouvrant enfin la porte pour un échange plus agréable avec le jeune homme qui lui faisait face. Et si, la réplique de ce dernier aurait probablement dû le faire grincer des dents – du moins, elle l’aurait assurément fait dans d’autres circonstances – il ne lui en tint pas rigueur ; « Eh bien, je suppose que ça ne peut pas toujours mal aller ! » Son bras lui faisait encore un mal de chien, mais il vivait. C’était tout ce qui compte !

Le sourire de Kilian s’était élargie lorsque Nolan accepta de prendre un verre. Haussant les épaules lorsqu’il lui retourna la question à savoir ce que pouvait bien valoir cette fameuse pommade… Qu’est-ce qui intéressait donc un médecin dans un monde comme le leur ?! « Bah justement, je ne suis pas médecin… et si j’avais eu tout le matériel pour me soigner moi-même, tu penses que j’en serait là, devant toi ?! Par contre, des bouteilles comme celle-là, il avait désigné le rhum d’un signe du menton, j’en ai pour tous les goûts et toutes les gammes de prix. Alors, j’imagine que si ça a pu m’être utile à moi, aujourd’hui, ça pourra également l’être pour tes autres patients, n'est-ce pas ?! »

J’écoute Kilian avec attention, alors qu’il me raconte comment il a réussi à s’en tirer. Et, à mesure qu’il me parle, je le fixe, les yeux écarquillés, avant de lâcher un « bordel », sans être capable de me retenir. Et j’en oublie même ce que je suis en train de faire l’espace d’un instant, avant de me reprendre et de toussoter. « Je pensais pas… je me disais que vous aviez pu vous en sortir. Y avait personne ou presque de notre côté. » A part une gamine qu’on a abandonnée donc. Je cille, alors que je tique sur le reste. « Elles t’ont laissé tomber ? Sérieux ? Putain... » J’avoue qu’à sa place, je serais aussi bien dégoûté. Alors ouais, je sais bien, on se connaît pas vraiment et depuis la fin du monde, c’est chacun pour sa gueule ou pas loin. Mais merde, quand même, vu la situation dans laquelle on était, ça se fait pas de lâcher qui que ce soit. Surtout quand on essaie de fuir ensemble.

J’avoue que je suis un peu à court de mots alors que je continue de le regarder. Je finis quand même pas souffler, même si je suis moins assuré que je le voudrais. « … au moins tu t’en es sorti. Et tu seras rapidement en état pour arracher la tête de qui tu veux. » Je suis pas concerné donc ça va. Je sais que je devrais probablement le calmer, lui dire qu’elles ont probablement des circonstances exceptionnelles. Sauf qu’il y a rien qui me vienne là de suite. Et ça me conforte juste dans l’idée qui me trotte de plus en plus dans la tête depuis que j’ai quitté cette foutue prison.

Enfin, point positif, j’ai l’impression qu’il est moins renfermé qu’au début de la discussion. Ca aurait difficilement pu être pire, même si j’ai pas envie de le vérifier par moi-même. Et puis, on dirait qu’il a vidé son sac, comme s’il avait eu personne à qui en parler depuis que c’est arrivé. Un peu comme moi en fait. Faut dire qu’à force d’être tout seul, on en oublie à quel point c’est nécessaire de se confier, pour arriver à passer à autre chose. L’homme reste un animal sociable, quoi qu’on en dise. Et j’ai beau essayer de me convaincre de mon côté que je ressens pas vraiment le besoin d’être avec des gens, je suis bien conscient que non, que c’est juste une question de temps avant que je perde pied pour de bon. Je me demande si c’est son cas à lui, à quel stade il en est. Mais cette question est un peu taboue je pense. En tout cas, j’aimerais pas qu’on me la pose.

J’arrive à tousser un rire à sa répartie quand je finis de nettoyer sa blessure. « On va dire ça ouais. C’est dans la même veine que la connerie qui dit que tant que t’as mal c’est que t’es en vie. » Certes, la douleur est un bon indicateur pour connaître son état de santé, mais quand même, c’est une sacré connerie ce truc. Je finis pas me décider à boire un coup. Je risque plus de lui faire bien mal ou de me foirer, donc autant que je me fasse un peu plaisir. Même si oui, je mange pas assez pour me permettre de boire plus d’un verre. Sinon je vais tituber et me retrouver dans un sale état avant même de m’en rendre compte. Et en étant tout seul, c’est le pire des plans. Je dis pas que c’est jamais arrivé mais je peux le compter sur les doigts d’une main. « L’automédication n’est pas une bonne idée, je le garantis. Pour l’avoir pratiqué moi-même. C’est un coup à finir noyé dans son sang en essayant de se faire des points de suture. » Des trucs joyeux en perspective. J’ai un regard dubitatif en direction des bouteilles, avant me dire qu’en effet, elles pourraient servir. Que ce soit pour anesthésier la douleur, calmer les gens ou même les mettre de bonne humeur comme c’est le cas de Kilian. « Trois bouteilles et t’as ta pommade. T’en dis quoi ? » Ca me paraît équitable non ? En vrai, j’en sais rien du tout, mais j’attends de voir sa réaction.